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Qu’est-ce que la poésie engagée ?

mercredi 24 novembre 2010, par Robert Paris

Quand la foule aujourd’hui muette,
Comme l’Océan grondera,
Qu’à mourir elle sera prête,
La Commune se lèvera.
Nous reviendrons foule sans nombre,
Nous viendrons par tous les chemins,
Spectres vengeurs sortant de l’ombre,
Nous viendrons nous serrant les mains.
La mort portera la bannière ;
Le drapeau noir crêpe de sang ;
Et pourpre fleurira la terre,
Libre sous le ciel flamboyant.

Louise Michel
(Chanson des prisons, mai 71)

BALLADE EN L’HONNEUR

de Louise Michel


Madame et Pauline Roland, Charlotte.
Théroigne, Lucoile.
Presque Jeanne d’Arc, étoilant
Lo front de la foule imbécile,
Nom des cieux, coeur divin qu’exile :
Cette espèce de moins que rien
France bourgeoise au dos facile
Louise Michel est très bien.

Elle aime le Pauvre âpre et, franc
Ou timide, elle est ta faucille
Dans le blé mûr pour le pain blanc
Du Pauvre, et la sainte Cécile,
Et la Muse rauque et gracile
Du Pauvre et son ange gardien
A ce simple ; à cet imbécile.
Louise Michel est très bien.

Gouvernements et maltalent,
Mégathérium ou bacille,
Soldat brut, robin insolent,
Ou quelque compromis fragile.
Tout cela son courroux chrétien
L’écrase d’un mépris agile.
Louise Michel est très bien.

Envoi

Citoyenne ! Votre évangile
On meurt pour ! c’est l’Honneur ! et bien
Loin des Taxil et des Bazile.
Louise Michel est très bien.

Paul Verlaine

Nous savons tous deux, ma bien-aimée,
qu’on nous a appris
à avoir faim et froid ;
à crever de fatigue
et à vivre séparés.
Nous ne sommes pas encore obligés de tuer,
il ne nous est pas encore arrivé de mourir.

Nous savons tous deux ma bien-aimée,
que nous nous pouvons apprendre aux autres
à combattre pour les nôtres
et à aimer chaque jour un peu plus
chaque jour un peu mieux…

Extrait de "Il neige dans la nuit et autres poèmes" de Nazim Hikmet

Mes frères
En dépit de mes cheveux blonds
Je suis Asiatique.
En dépit de mes yeux bleus
Je suis Africain.
Chez moi, là-bas, les arbres n’ont pas d’ombre à leur pied
Tout comme les vôtres, là-bas.
Chez moi, là-bas, le pain quotidien est dans la gueule du lion.
Et les dragons sont couchés devant les fontaines
Et l’on meurt chez moi avant la cinquantaine
Tout comme chez vous là-bas.

En dépit de mes cheveux blonds
Je suis Asiatique.
En dépit de mes yeux bleus
Je suis Africain.
Quatre-vingts pour cent des miens ne savent ni lire ni écrire
Et cheminant de bouche en bouche les poèmes deviennent chansons.
Là-bas, chez moi, les poèmes deviennent drapeaux
Tout comme chez vous, là-bas

Nakim Hikmet

En me persécutant, Monde, que retires-tu ?
Où est l’offense puisque j’essaie seulement
De mettre des beautés dans mon intelligence
Plutôt que mon intelligence dans les beautés.

Mandelstam

Elève tes palais sur les champ de blé
Grâce à notre peine et à la sueur de nos bras
Et les bars à côté des usines
Et la prison à la place du jardin
Lâche tes chiens dans les rues
Et enferment nous dans tes cellules
Nous avons su la cause de nos blessures
Nous nous sommes reconnus
Et nous nous sommes unis
Nous avons pris le chemin sans retour
Ouvriers, paysans et étudiants
La victoire est à portée de nos mains

Ahmed Fouad Nedjm

« La femme qui casse les briques »

La femme casse les briques assise sur un trottoir,
La femme au sari rouge casse les briques,
Sous le soleil brûlant,
La femme couleur de bronze casse les briques.
A vingt et un ans, elle en paraît plus de quarante,
Et sept enfants l’attendent là-bas, à la maison.
La femme casse les briques toute la journée,
En échange de quoi elle recevra dix takas, pas un de plus.
Dix takas ne suffisent pas à la nourrir, ni elle ni les sept autres.
Pourtant, jour après jour, la femme casse les briques.
L’homme assis près d’elle casse aussi les briques,
Abrité sous une ombrelle.
Il touche vingt takas par jour,
Vingt par jour parce que c’est un homme.
La femme a un rêve, elle rêve d’avoir une ombrelle.
Un autre de ses rêves serait, par un beau matin,
De devenir un homme.
Vingt pour les hommes, le double pour les hommes.
Elle attend que son rêve se réalise, mais rien ne la fait
Devenir un homme,
Rien ne lui fait avoir une ombrelle,
Pas même une ombrelle déglinguée.
On construit de nouvelles routes et d’immenses tours avec les briques qu’elle a casées, mais le toit de sa maison s’est envolé avec la tempête l’an dernier, depuis l’eau goutte à travers une tenture, elle meurt d’envie d’acheter un toit en tôle,
Alors elle hurle dans tout le voisinage,
Les gens s’esclaffent, oh la la, disent qu’il lui faudrait
De l’huile pour les cheveux, de la poudre pour le visage.
Les sept enfants doivent être nourris,
La peau de la femme s’assombrit de jour en jour,
Ses doigts deviennent durs comme des briques,
La femme elle-même devient une brique.
Plus dur que les briques, le marteau peut casser une brique mais ne peut pas casser la femme.
Rien, ni la chaleur, ni le ventre vide, ni le regret de ne pas voir un toit en tôle,
Rien ne peut la briser.

Taslima Nasreen

Les lampes de l’épicier Karabet sont allumées,

Le citoyen arménien n’a jamais pardonné

Que l’on ait égorgé son père

Sur la montagne kurde

Mais il t’aime,

Parce que toi non plus tu n’as pas pardonné

A ceux qui ont marqué de cette tache noire

Le front du peuple turc.

Nazim Hikmet

Liberté
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunis
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Dur miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ces oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté

Paul Eluard


Pour faire le portrait d’un oiseau

À Elsa Henriques

Peindre d’abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d’utile pour l’oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l’arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l’oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s’il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l’arrivée de l’oiseau
n’ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l’oiseau arrive
s’il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l’oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l’oiseau
Faire ensuite le portrait de l’arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l’oiseau peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
et puis attendre que l’oiseau se décide à chanter
Si l’oiseau ne chante pas c’est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s’il chante c’est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l’oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.

J. Prévert, Paroles

"Travailleurs, attention

Travailleurs, attention
Votre vie est à vous
Ne vous la laissez pas prendre
Socialistes
Sans parti
Communistes
La main qui tient l’outil ressemble à la main
Qui tient l’outil
Travailleurs, attention
Demain nous saurons sur qui nous tirerons
Les machines à tuer, nous les prendrons
Nous avons su les fabriquer
Nous saurons bien les faire marcher
Et ceux qui crachent tricolore en l’air
Leur propre sang leur retombe sur le nez
Il y aura des morts
Mais la nouvelle vie pourra commencer
Alors les hommes pourront vivre
Alors les enfants pourront rigoler
Vous n’empêcherez pas la terre de tourner
Vous n’empêcherez pas le drapeau rouge de flotter …."

Jacques Prévert

Vous marchez sans but sans savoir que les hommes
Ont besoin d’être unis d’espérer de lutter
Pour expliquer le monde et pour le transformer

Paul Éluard


Victor Hugo

Paul Eluard

Jacques Prévert

Queneau

Serge Essénine

Poètes d’Haïti

Afrique et afro-américains

Sandor Petöfi

Quelques autres poètes engagés

Révolutionnaire et poète

Messages

  • La poésie c’est le plus joli surnom qu’on donne à la vie.

    Jacques Prévert

  • Quelques auteurs de poésie engagée

    * Anna Akhmatova
    * Mohammed Al-Maghout
    * Samih al-Qâsim
    * Louis Aragon
    * Faraj Bayrakdar[3]
    * Bertolt Brecht
    * Joseph Brodsky
    * Jean Cassou
    * Gabriel Celaya
    * René Char
    * Aimé Césaire
    * Geneviève Clancy
    * Francis Combes
    * Mahmoud Darwich
    * Tahar Djaout
    * Paul Éluard
    * Sergueï Essenine
    * Jean-Pierre Faye
    * Federico García Lorca
    * Armand Gatti
    * Jean Genet
    * Édouard Glissant
    * Nikolaï Goumilev
    * Miguel Hernández
    * Nazim Hikmet
    * Victor Hugo
    * Yacine Kateb
    * Nizar Kabbani
    * Lydia Koidula[4]
    * Abdellatif Laâbi
    * Vladimir Maïakovski
    * Sayd Bahodine Majrouh
    * Ossip Mandelstam
    * Missak Manouchian
    * Alain Marc
    * Louise Michel
    * Adam Mickiewicz
    * Pablo Neruda
    * Pier Paolo Pasolini
    * Boris Pasternak
    * Benjamin Péret
    * Sándor Petőfi
    * Jacques Prévert
    * Yannis Ritsos
    * Jean Sénac
    * Parouir Sévak
    * Philippe Tancelin
    * Yéghiché Tcharents
    * Fadwa Touqan
    * Marina Tsvetaïeva
    * César Vallejo
    * Serge Venturini

    • Elles sont libres, les pensées

      Personne ne peut les arrêter

      Car elles peuvent s’envoler

      Comme une ombre dans l’obscurité

      Personne ne peut les deviner

      Personne ne peut les traquer

      Rien ne peut les tuer :

      Elles sont libres, les pensées

      Je pense ce que je veux

      Et ce qui me rend heureux

      Mais tout ça en silence

      A ma convenance.

      Mon désir, ma volonté

      Personne ne peut les réfuter

      C’est ma réalité :

      Elles sont libres, les pensées

      Et si l’on me jetait

      Dans un cachot profond,

      Aucun mur épais

      Ne sera jamais mon horizon.

      Car toutes mes pensées

      Abattent les murs, elles sont les clés

      De ma réalité :

      Elles sont libres, les pensées.

      Texte lu dans un camp de concentration par HANS LITTEN, avocat juif allemand, résistant insoumis qui avait amené Hitler à la barre en1931

  • Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
    Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
    Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
    Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;
    Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
    Dans la même prison le même mouvement.
    Accroupis sous les dents d’une machine sombre,
    Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l’ombre,
    Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
    Ils travaillent. Tout est d’airain, tout est de fer.
    Jamais on ne s’arrête et jamais on ne joue.
    Aussi, quelle pâleur ! La cendre est sur leur joue.

    Les Contemplations (Victor Hugo, 1856)

  • Refrain de « Vie de famille »

    « Est-ce que c’est une vie
    De vivre comme on vit
    Pourquoi faire
    Cette vie d’enfer
    Pourquoi se laisser faire
    Non ce n’est pas une vie
    De vivre comme nous vivons
    Et cette vie, cette vie d’enfer,
    C’est nous qui la changerons. »

    Jacques Prévert

  • Que veux-tu l’écrivain engagé ?

    Que fais tu là, poète,

    Dans ce monde au grand corps sans tête ?

    Que brandis-tu ta plume

    Quand l’on frappe sur l’enclume

    Les corps sacrifiés

    Des humains ossifiés ?

    Pourquoi écrire

    Quand il faudrait rire ?

    Pourquoi des vers

    Quand on a besoin d’air ?

    Es-tu assez pédant

    Pour rimer entre tes dents

    Pour soigner avec des petits mots

    De la planète les grands maux ?

    Les opprimés et les affamés

    Ont-ils besoin de bouts rimés ?

    Les immigrés tirés par leurs valises

    Vont-ils lire tes analyses ?

    Et pourtant tu t’échines

    Pour ceux qui courbent l’échine.

    Tu t’accroches d’autant plus à tes écrits

    Qu’on entend déjà au loin les cris

    Des peuples qu’on torture

    Et des mots de tes écritures !

  • « Cette flamme qui est en mon cœur,

    S’est rallumée,

    Elle s’avive de jour en jour.

    Mon cœur se consume,

    Serait-il de fer battu

    Qu’il n’y résisterait pas.

    Sans plus tarder,

    Il me faut manifester,

    Appeler à la rébellion…

    Hommes de la terre, nous irons à la conquête de la terre.,

    Et, réalisant la force de la science

    Et le mystère de l’Unité

    Nous abolirons

    Les lois des nations et des religions… »

    Nazim Hikmet dans « L’épopée d cheik Bédreddine »

  • « Soudain ils furent devant moi

    Il faisait clair comme le jour pourtant personne que moi ne les vit

    Ils étaient une escouade

    En bottes vestes pantalons

    Ils avaient des bras et sur les bras des croix gammées

    Ils avaient des épaules ils avaient des casques

    Mais ils n’avaient pas de têtes

    Entre leurs épaules et leurs casques c’était le vide

    Ils avaient bien des cols ils avaient bien des nuques

    Mais ils n’avaient pas de têtes

    Ils étaient de ces soldats dont on ne pleure pas la mort

    Et nous avons marché

    On voyait bien qu’ils avaient peur comme des bêtes

    On ne peut pas dire qu’on voyait la peur dans leurs yeux

    Il faut une tête pour avoir des yeux

    On voyait bien qu’ils avaient peur qu’ils avaient peur comme des bêtes

    Ça se voyait à leurs bottes

    La peur se voit-elle aux bottes ?

    Chez eux ça se voyait

    Ils avaient peur ils avaient peur comme des bêtes

    De peur ils se mirent à tirer tirer sans fin et sans arrêt

    Tirer sur les maisons tirer sur les autos et sur tout ce qui vit

    Sur toute voix toute lueur ils faisaient feu

    Rue Chopin ils tirèrent même sur une affiche au poisson bleu

    Et pas un morceau de plâtre ne tombe pas une vitre ne se brise

    Les bruits des balles il n’y a que moi pour l’entendre…. »

    Nazim Hikmet (1961)

  • J’écris dans un pays dévasté par la peste (1943)
    Louis Aragon (1897-1982)

    J’écris dans un pays dévasté par la peste
    Qui semble un cauchemar attardé de Goya
    Où les chiens n’ont d’espoir que la manne céleste
    Et des squelettes blancs cultivent le soya

    Un pays en tous sens parcouru d’escogriffes
    À coups de fouet chassant le bétail devant eux
    Un pays disputé par l’ongle et par la griffe
    Sous le ciel sans pitié des jours calamiteux

    Un pays pantelant sous le pied des fantoches
    Labouré jusqu’au cœur par l’ornière des roues
    Mis en coupe réglée au nom du Roi Pétoche
    Un pays de frayeur en proie aux loups-garous

    J’écris dans ce pays où l’on parque les hommes
    Dans l’ordure et la soif le silence et la faim
    Où la mère se voit arracher son fils comme
    Si Hérode régnait quand Laval est dauphin

    J’écris dans ce pays que le sang défigure
    Qui n’est plus qu’un monceau de douleurs et de plaies
    Une halle à tous vents que la grêle inaugure
    Une ruine où la mort s’exerce aux osselets

    J’écris dans ce pays tandis que la police
    À toute heure de nuit entre dans les maisons
    Que les inquisiteurs enfonçant leurs éclisses
    Dans les membres brisés guettent les trahisons

    J’écris dans ce pays qui souffre mille morts
    Qui montre à tous les yeux ses blessures pourprées
    Et la meute sur lui grouillante qui le mord
    Et les valets sonnant dans le cor la curée

    J’écris dans ce pays que les bouchers écorchent
    Et dont je vois les nerfs les entrailles les os
    Et dont je vois les bois brûler comme des torches
    Et sur les blés en feu la fuite des oiseaux

    J’écris dans cette nuit profonde et criminelle
    Où j’entends respirer les soldats étrangers
    Et les trains s’étrangler au loin dans les tunnels
    Dont Dieu sait si jamais ils pourront déplonger

    J’écris dans un champ clos où des deux adversaires
    L’un semble d’une pièce armure et palefroi
    Et l’autre que l’épée atrocement lacère
    À lui pour tout arroi sa bravoure et son droit

    J’écris dans cette fosse où non plus un prophète
    Mais un peuple est parmi les bêtes descendu
    Qu’on somme de ne plus oublier sa défaite
    Et de livrer aux ours la chair qui leur est due

    J’écris dans ce décor tragique où des acteurs
    Ont perdu leur chemin leur sommeil et leur rang
    Dans ce théâtre vide où les usurpateurs
    Ânonnent de grands mots pour les seuls ignorants

    J’écris dans la chiourme énorme qui murmure
    J’écris dans l’oubliette au soir qui retentit
    Des messages frappés du poing contre les murs
    Infligeant aux geôliers d’étranges démentis

    Comment voudriez-vous que je parle des fleurs
    Et qu’il n’y ait des cris dans tout ce que j’écris
    De l’arc-en-ciel ancien je n’ai que trois couleurs
    Et les airs que j’aimais vous les avez proscrits

  • Pourtant,
    Victor n avait pas tout à fait raison
    Et Hugo n avait pas complètement tort ,
    Sacrilège , je critique Victor ET Hugo bien que je respecte son engagement et je m en inspire...

    Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont
    Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front.
    Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime.
    Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime.
    Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,
    Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour.
    C’est le prophète saint prosterné devant l’arche,
    C’est le travailleur, pâtre, ouvrier, patriarche.
    Ceux dont le coeur est bon, ceux dont les jours sont pleins.
    Ceux-là vivent, Seigneur ! les autres, je les plains.
    Car de son vague ennui le néant les enivre,
    Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre.
    Inutiles, épars, ils traînent ici-bas
    Le sombre accablement d’être en ne pensant pas.
    Ils s’appellent vulgus, plebs, la tourbe, la foule.
    Ils sont ce qui murmure, applaudit, siffle, coule,
    Bat des mains, foule aux pieds, bâille, dit oui, dit non,
    N’a jamais de figure et n’a jamais de nom
    Troupeau qui va, revient, juge, absout, délibère,
    Détruit, prêt à Marat comme prêt à Tibère,
    Foule triste, joyeuse, habits dorés, bras nus,
    Pêle-mêle, et poussée aux gouffres inconnus.
    Ils sont les passants froids sans but, sans noeud, sans âge ;
    Le bas du genre humain qui s’écroule en nuage ;
    Ceux qu’on ne connaît pas, ceux qu’on ne compte pas,
    Ceux qui perdent les mots, les volontés, les pas.
    L’ombre obscure autour d’eux se prolonge et recule ;
    Ils n’ont du plein midi qu’un lointain crépuscule,
    Car, jetant au hasard les cris, les voix, le bruit,
    Ils errent près du bord sinistre de la nuit.

    Quoi ! ne point aimer ! suivre une morne carrière
    Sans un songe en avant, sans un deuil en arrière,
    Quoi ! marcher devant soi sans savoir où l’on va,
    Rire de Jupiter sans croire à Jéhova,
    Regarder sans respect l’astre, la fleur, la femme,
    Toujours vouloir le corps, ne jamais chercher l’âme,
    Pour de vains résultats faire de vains efforts,
    N’attendre rien d’en haut ! ciel ! oublier les morts !
    Oh non, je ne suis point de ceux-là ! grands, prospères,
    Fiers, puissants, ou cachés dans d’immondes repaires,
    Je les fuis, et je crains leurs sentiers détestés ;
    Et j’aimerais mieux être, ô fourmis des cités,
    Tourbe, foule, hommes faux, coeurs morts, races déchues,
    Un arbre dans les bois qu’une âme en vos cohues !

  • « Je trahirai demain, pas aujourd’hui » de Marianne Cohn, 1943

    Je trahirai demain pas aujourd’hui.
    Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles,
    Je ne trahirai pas.

    Vous ne savez pas le bout de mon courage.
    Moi je sais.
    Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
    Vous avez aux pieds des chaussures
    Avec des clous.

    Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
    Demain.
    Il me faut la nuit pour me résoudre,
    Il ne faut pas moins d’une nuit
    Pour renier, pour abjurer, pour trahir.

    Pour renier mes amis,
    Pour abjurer le pain et le vin,
    Pour trahir la vie,
    Pour mourir.

    Je trahirai demain, pas aujourd’hui.
    La lime est sous le carreau,
    La lime n’est pas pour le barreau,
    La lime n’est pas pour le bourreau,
    La lime est pour mon poignet.

    Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
    Je trahirai demain.

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