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Les luttes de classe à Gaza : les rentes de la sous-traitance

mardi 16 novembre 2010, par Alex

Le bouclage de la bande de Gaza par l’armée Israélienne favorise la mise ne place de monopoles sur des circuits commerciaux, par une fraction de la bourgeoisie palestinienne qui s’enrichit sur le dos de la population.

La population de la bande de Gaza est soumise au blocus par l’armée israélienne, on ne peut être que pour la levée du blocus, du côté des palestiniens dans cette question. Mais des lignes de classes traversent la société palestinienne. En particulier, avant même que la revendication d’un Etat palestinien ait aboutit, un bourgeoise palestinienne existe bel et bien. Comme toute bourgeoisie, même snas avoir conquis la direction politique de l’Etat, elle exploite et prospère sur le dos d’autres couches de la population.

Cet aspect est souvent écarté par des militants pro-palestinien d’extrême gauche. Par exemple dans « Moyen-Orient 1945-2002 » de Théo Cosme (Edition Senonevero, 2002) écrit par des marxistes et qui est ailleurs très intéressant (analysna en termes de classe les rapports Gaza/Israël) parle de la possible apparition d’une bourgeoisie palestinienne .

Au contraire l’universitaire Laetita Bucaille dans « Gaza : la violence de la paix » donne une description très détaillée de circuits économiques à Gaza. Une petite-bourgeoisie par ses positions dans l’appareil d’Etat capte des rentes commerciales existant grâce au blocus d’Israel. Derrière les luttes idéologiques entre l« e Fatah nationaliste laïque » et l« e Hamas religieux » on devine la lutte entre des bourgeois concurrents. Cette petite bourgeoisie étatique qui écarte en partie les notables traditionnels fait penser à la petite bourgeoisie qui conquis sa place au soleil dans le sillage de Nasser en Egypte.

Voici le début du chapitre 4 de ce livre. (Mohamed Dahlan dont il est question est visible sur http://www.youtube.com/watch?v=JelZcZDfyhk

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Les rentes de la sous-traitance

Israël assigne à l’Autorité palestinienne la gérance partielle de sa sûreté. En amont, les appareils militaro-policiers palestiniens sont chargés d’éradiquer la violence islamiste visant l’État hébreu. En aval, l’armée israélienne, assistée d’un service de renseignement palestinien, assure la surveillance de la frontière qui enclôt les territoires autonomes. Le verrouillage des zones autonomes et occupées, consécutif aux attentats du Hamas et du Jihad islamique, altère les flux économiques et plonge les zones soumises au blocus dans le marasme. La gestion des règles sécuritaires procure à un petit groupe de militaires palestiniens, liés aux pôles de décision israéliens, les moyens de s’enrichir et de consolider leur pouvoir. La fonction d’intermédiaire qu’ils jouent entre l’extérieur et l’intérieur leur permet de tirer de larges bénéfices, qu’ils réinjectent dans des circuits alimentant leur propre force. Paradoxalement, l’étanchéité de la frontière procure une rente au pouvoir palestinien, totalement démuni de source de richesse ; et l’action terroriste du Hamas consolide la puissance du régime dont le système d’accaparement des pro¬fits commerciaux est raffermi par la permanence des mesures sécuritaires israéliennes.

La mainmise de quelques responsables de la hiérarchie mili¬taire sur les échanges commerciaux entraîne l’éviction des élites marchandes traditionnelles. Leur marginalisation correspond à la volonté conjointe des hommes de Tunis et de chefs de l’intérieur d’écarter la grande bourgeoisie traditionnelle des sphères économique et politique et de s’appuyer sur les classes popu¬laires. Un petit nombre de chebab de l’Intifada est ainsi brus¬quement propulsé parmi les circuits de distribution les plus lucratifs. Leur ascension fulgurante et inattendue assure aux dirigeants une loyauté sans faille de la part de leurs protégés. La grande masse des protagonistes du soulèvement tire parti plus modestement de l’édifice militaro-négociant. Les bénéfices accumulés permettent de financer leur salaire de policier.

Le rôle assigné aux appareils sécuritaires renforce l’emprise militaire sur la société palestinienne. Pourtant l’abondance des instruments d’exercice de la violence légitime masque la faiblesse d’une Autorité défiée par une partie de son opposition et bridée par les exigences israéliennes.
LA GESTION DE LA CONTRAINTE ISRAELIENNE, INSTRUMENT DE DOMINATION

La Sécurité préventive émerge du foisonnement d’institutions militaires créées par l’Autorité palestinienne. Dans la bande de Gaza, son chef, Mohamed Dahlan, a su exploiter les canaux lui permettant d’accumuler des avantages comparatifs considé¬rables. Partenaire privilégié des services de sécurité israéliens, il joue un rôle central dans la constitution d’une rente commer¬ciale, qui permet d’alimenter les réseaux de pouvoir de Yasser Arafat.

Sous-traitance sécuritaire

La création de la Sécurité préventive est l’aboutissement d’une rencontre entre Mohamed Dahlan, Jibril Rajoub et des chefs militaires israéliens à Rome, en janvier 1994. Cet appareil n’étant prévu ni dans les accords de Washington ni dans ceux du Caire, un arrangement verbal entre les deux parties permit aux deux représentants palestiniens d’organiser un corps de police armée supplémentaire dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Le choix de Dahlan et de Rajoub provient autant de
la confiance accordée à ces hommes par la direction palestinienne que celle qui émane de l’armée israélienne. Dany Rotschild, ancien coordinateur militaire des territoires occupés, affirme que Tsahal a accepté d’envisager une coopération en matière de sécurité parce qu’elle percevait leurs deux interlocuteurs comme des hommes disposant d’une assise personnelle à Gaza et en Cisjordanie, dotés d’une expérience politico-militaire. Aussi, misait-elle sur leur professionnalisme et leur efficacité ’. Les contacts entre services palestiniens et israéliens ont instauré une coopération, rarement suspendue, en termes de sécurité 2. Le démantèlement des réseaux islamistes armés a donné lieu à des échanges d’informations 3. Ces entrevues entre chefs de services des renseignements demeurent le dernier lien subsistant lorsque la tension monte entre les gouvernants de l’Autorité palestinienne et ceux de l’Etat juif. Depuis l’élection de Benyamin Nétanyahou, les militaires préservent des relations, dont l’existence atténue les effets de la détérioration du processus de paix.

L’affaire Waxman, en octobre 1994, a constitué un événe¬ment charnière en ce qui concerne l’évolution de la position des services de sécurité palestiniens. L’enlèvement du soldat israélien Nachon Waxman par un commando de l’aile armée du Hamas conduisit le gouvernement Rabin à exercer de fortes pressions sur l’Autorité palestinienne afin de localiser les responsables. Notamment, grâce aux forces de l’ordre palestiniennes — basées pour la majeure partie dans la bande de Gaza - qui arrêtèrent et interrogèrent des centaines de personnes liées aux milieux islamistes, la cache des ravisseurs des phalanges Azzedine al-Qassam fut découverte. Ce moment de tension entre l’Autorité palestinienne et l’État hébreu a révélé la nécessité d’alimenter un réseau de renseignement capable de faire face aux défis de l’opposition armée. Yasser Arafat accorda donc son feu vert pour augmenter les moyens de ces services. La Sécurité préventive et les Renseignements généraux acquirent alors un rôle prééminent et furent chargés en priorité — mais non exclusivement — de conduire la politique menée à l’égard des islamistes. La structure chapeautée par Mohamed Dahlan bénéficia de larges ressources. Les fonds furent utilisés pour construire des bâtiments spacieux et modernes qui incluent une prison spéciale, sur une aire isolée de la ville de Gaza, à Tell-al-Hawa. Les Renseignements généraux, les Renseignements militaires et la Police civile doivent se contenter des constructions vétustés et exiguës datant du mandat égyptien, utilisées par les Israéliens comme bureaux ou comme prisons. En outre, le déblocage de sommes de plus en plus importantes sert à payer les salaires du personnel, en progression continue. À cet égard, le nombre d’individus employés par la Sécurité préventive demeure un mystère entretenu par les responsables, même si ces derniers reconnaissent qu’ils disposent du plus vaste réseau de renseignement palestinien. Une source israélienne l’estimait, en 1995, à 2 000 pour la Cisjordanie et à un effectif supérieur pour la bande de Gaza ’. Ces estimations sont sans doute largement au-dessous de la réalité aujourd’hui et ne comprennent pas les « contractuels » qui rendent des services ponctuels.

La mise sur pied du dispositif militaro-policier palestinien vise à domestiquer les islamistes, à neutraliser les branches armées. La menace que celles-ci font peser sur Israël porte en elle les germes de l’affaiblissement de l’Autonomie et de ses dirigeants. Aussi, le danger terroriste à l’encontre de l’Etat hébreu est-il assimilé à un défi à la puissance de l’appareil militaro-politique palestinien.
La Sécurité préventive est un service de l’intérieur. À Gaza, elle emploie à 99 % des chebab de l’Intifada. Rachid Abou Che¬bak, le numéro deux du service, assure que le processus d’embauché a été particulièrement minutieux et strict au sein de la Sécurité préventive. Les chebab étaient choisis en raison des contacts personnels qu’ils avaient tissés pendant le soulèvement avec les patrons du service. Les autres ont été soumis à des
entretiens afin de les identifier et de tester leur motivation. « Nous avons été particulièrement vigilants pour choisir les chebab. Chez nous, il n’y a pas d’erreur. Nous avons choisi en priorité les anciens Faucons et les chebab qui sortaient de pri¬son. » Responsable des premiers groupes armés à Gaza en 1990, Rachid Abou Chebak participa, par la suite, à l’organisation des Faucons depuis Tunis. Ainsi disposait-il des moyens d’apprécier les qualités des candidats telles que le sens de la discipline, l’expérience du combat. La Sécurité préventive a permis de recycler les combattants du soulèvement en les mettant au service de la sécurité de l’Autorité palestinienne et de celle des Israéliens. Différentes sources font cependant état du fait que d’anciens collaborateurs palestiniens, qui travaillaient auparavant pour le Shin Beth, ont rejoint la Sécurité préventive : « En échange — et comme condition de leur amnistie — ils mettent les renseignements qu’ils possèdent au service [de leur nouvel employeur] ’. »

Les responsables de la structure tentent d’optimiser le succès de l’entreprise en maintenant une discipline stricte. C’est ainsi que Mohamed Dahlan présente les choses : « La discipline est très sévère dans notre service. Tous les jours, un comité se réunit pour juger les erreurs qui ont été faites. Les responsables de ces erreurs peuvent être renvoyés. Les jeunes se prennent facilement pour des chefs et croient qu’ils peuvent faire ce que bon leur semble. »

La Sécurité préventive, du fait qu’elle emploie presque exclusivement des recrues locales, se prévaut d’une intervention efficace dans les Territoires ; ses membres connaissent les lieux, les familles, les militants de l’opposition des zones où ils opèrent. La similarité de l’origine et du parcours des agents a permis à Mohamed Dahlan de se trouver à la tête d’un appareil à forte cohésion interne, dans lequel prédomine un esprit d’entreprise centré sur la réussite des missions confiées à leur équipe.

Le patron de la Sécurité préventive vise à munir son unité des atouts maximaux. Il a déclaré avoir recours aux consultations de services d’analyse et de sondage pourvoyant des informations sur la société palestinienne et sur l’état de l’opinion. Cette volonté d’utiliser des techniques modernes, de s’ancrer au cœur du politique témoigne des ambitions et de la perspicacité du colonel. Ces investissements et ce déploiement d’activités, dont jouit le service de Mohamed Dahlan, proviennent du contrôle économique qu’il exerce sur la bande de Gaza. Mettant à profit ses bonnes relations avec des responsables israéliens, le chef de la Sécurité préventive organise et inspecte les marchandises traversant la frontière israélo-gazaouite.

Régulation des flux et monopoles

Les conditions politiques et sécuritaires draconiennes, imposées par les Israéliens aux territoires autonomes, favorisent l’intervention de la Sécurité préventive, dont la marge de manœuvre découle des liens de confiance noués avec les militaires israéliens. L’appareil de Mohamed Dahlan organise les modalités pratiques des restrictions commerciales, le rationne¬ment des échanges, de manière à en tirer le maximum de profit. Ainsi, la contrainte israélienne devient l’instrument de domination de ce groupe. Chargée d’assurer une tâche dans le processus de protection de la sécurité de l’État hébreu, en l’occurrence l’inspection des marchandises et des hommes d’un côté de la frontière entre Israël et la bande de Gaza, la Sécurité préventive a développé un contrôle massif sur le transit des importations et des exportations. L’asphyxie territoriale réduit de manière drastique les opportunités économiques des entre¬preneurs palestiniens. Cette situation de rareté permet aux quelques opérateurs qui profitent de conditions d’exception d’en retirer un avantage comparatif considérable.

Il existe trois points de passage entre la bande de Gaza et Israël. Le barrage d’Erez — devenu, depuis la mise en place de l’Autonomie, un véritable poste frontière — est celui que franchissent les personnes : visiteurs étrangers de la bande de Gaza, officiels et travailleurs palestiniens, ces derniers étant soumis à des procédures spécifiques, ainsi qu’une partie des produits importés et exportés. Dans le sens Gaza-Ashquelon, des postes de police palestinienne précèdent celui de Tsahal, mais ils n’ont pas d’autorité réelle en ce qui concerne le droit de passage. Ce sont les soldats israéliens qui exercent strictement ce pouvoir.

Par Karni, transitent les biens marchands, en provenance ou à destination de la bande de Gaza : un double contrôle de sécurité est assuré par la Sécurité préventive et par Tsahal. À Rafah, ville frontière avec l’Egypte, les mouvements des personnes et des biens sont également sous la férule de l’armée israélienne.
Quel que soit le chemin emprunté, pour les individus ou pour les marchandises, l’accès est limité par les Israéliens qui fixent unilatéralement l’ampleur des flux, en fonction de critères sécuritaires. Une série d’instances de l’Autorité palestinienne assure la gestion de ce rationnement.

Les habitants des Territoires qui désirent sortir de l’enclave autonome dans laquelle ils résident pour se rendre à Jérusalem, dans une autre partie des territoires palestiniens, ou en Israël doivent solliciter une autorisation de l’administration civile israélienne ’. Depuis la mise en place de l’Autonomie, l’Autorité palestinienne transmet aux Israéliens les demandes de ses administrés et les récupère après acceptation ou refus de l’État hébreu pour remettre les réponses et les documents aux intéressés. De ce fait, pour la majorité des Palestiniens demandeurs, la procédure est devenue plus longue et plus opaque. Les « cartes VIP * » sont, en théorie, réservées aux membres « seniors » de l’Autorité palestinienne. Toutefois, les officiers palestiniens peuvent attirer l’attention de leurs homologues israéliens sur certaines requêtes, négocier des cartes supplémentaires pour des
personnalités de leur choix : des hommes d’affaires par exemple. Mohamed Dahlan, en contact permanent avec l’administration militaire israélienne, est extrêmement bien placé pour obtenir des autorisations temporaires de sortie et de nouvelles « cartes VIP ».

Pour le commerçant ou l’entrepreneur gazaouite, l’importation ou l’exportation de marchandises ne se fait pas librement non plus. Des transporteurs spéciaux, accrédités par les Israé¬liens, acheminent les produits. À Karni, les camions palestiniens déchargent leur cargaison pour l’entreposer dans des véhicules israéliens qui assurent la suite du voyage. La procédure inverse s’effectue dans l’autre sens. Les poids lourds de Gaza qui traversent Erez forment un convoi sous l’escorte de voitures militaires israéliennes.

La complexité de l’acheminement des importations et des exportations alourdit les coûts des commerçants palestiniens et provoque une augmentation des prix des produits importés dans la bande de Gaza.

Le trafic est limité par les Israéliens, qui, lorsqu’ils considèrent qu’une menace pèse sur la sécurité de l’Etat hébreu, peuvent interrompre entièrement le négoce drainé par ces check points l. Les hommes d’affaires gazaouites doivent solliciter l’octroi de véhicules pour transporter leurs marchandises. Une scène dans le bureau du directeur du ministère de l’Industrie et du Commerce, Nasser Sarraj, rassemblant quelques hommes d’affaires, fut élo¬quente. La petite assemblée se disputait l’octroi de camions susceptibles de transporter les denrées que chacun cherchait à ache¬miner à Gaza. Au mois de janvier 1996, période de basse tension et par conséquent de relative ouverture, 700 camions traversaient quotidiennement la frontière entre Gaza et Israël, nombre insuffisant pour couvrir le volume des échanges 2. En 1977, le trafic se réduit : la moyenne mensuelle s’élève à 157 véhicules destinés à l’exportation, 518 à l’importation. Les jours de bouclage ren-
forcent les difficultés d’approvisionnement et d’écoulement de la production.

La parcimonie avec laquelle est régulé le commerce fournit aux décideurs palestiniens de multiples opportunités d’exercer des pressions diverses sur les hommes d’affaires qui nécessitent leur intervention. L’Autorité peut faciliter ou empêcher les déplacements à l’extérieur des territoires autonomes, rendre plus ou moins aisé l’accès aux moyens de transport des marchandises, bloquer ou accélérer le passage des biens par Karni. Les limitations imposées par le système israélien permettent au pouvoir palestinien de dominer l’ensemble du dispositif commercial.

Pour resserrer son emprise l’Autorité palestinienne a imposé un monopole d’importation sur un certain nombre de produits. Ce monopole répond au modèle suivant : un contrat d’exclusivité est signé entre la firme israélienne exportatrice et le four¬nisseur palestinien dans les Territoires. Il en est ainsi pour l’essence que l’entreprise israélienne Dor Energy écoule dans les Territoires, pour une valeur de 100 millions de dollars annuels l. Le marché a été fermé aux entreprises concurrentes. Les responsables palestiniens affirment que cet accord a été conclu, car la firme Dor Energy était celle qui offrait les conditions les plus avantageuses en termes de prix. À la chambre israélienne de commerce, un responsable affirme que le contrat garantit une ponction financière systématique, prélevée sur chaque quantité de produit versée au négociant palestinien par le partenaire israélien. Les rentrées financières, drainées par les agents de l’Autorité palestinienne, sont d’autant plus considérables que ces derniers ont investi dans des domaines lucratifs. Les monopoles rapporteraient entre 100 et 400 millions de dol¬lars par an à l’Autorité palestinienne2. Les matériaux de construction comme le ciment, l’acier, le gravier, la peinture sont également soumis à l’exclusivité d’un importateur de l’appareil d’État. Ce secteur est extrêmement rentable, étant donné le rythme effréné de la construction à Gaza et en Cisjordanie. Khaled Abdel Chafi, directeur du PNUD dans la bande de Gaza remarque que le prix de la plupart des matériaux de construction a doublé depuis que le pouvoir en assure la distribution et que ce gonflement inflationniste n’est pas seulement une conséquence de la forte hausse des coûts du trans¬port l. Des aliments, tels que la farine, le sucre, la viande sur¬gelée et les cigarettes, sont soumis à des monopoles d’importation. Les produits de première nécessité n’échappent pas à une tension sur leur prix de vente à Gaza : la farine est ainsi vendue plus chère qu’en Cisjordanie où l’emprise monopolistique est moindre 2 et les coûts de transport moins élevés.

Une entreprise baptisée al-Bahar, basée à Gaza, gère une partie de l’écoulement de la production. En outre, elle multiplie les investissements dans les branches les plus florissantes. La firme se serait ainsi imposée dans les secteurs de l’informatique et des assurances. Agissant sur le mode de la pression, voire de la menace et de l’extorsion, al-Bahar conquiert des participations au sein d’entreprises privées palestiniennes. Les liquidités immédiates dont elle dispose constituent, également, un argument de poids pour les entrepreneurs qui cherchent à financer des projets d’investissement.

NÉGOCE ET CONTRÔLE MILITAIRE L’EFFET MULTIPLICATEUR

Mohamed Dahlan, du réfugié au chef militaire

Avant de pénétrer dans le spacieux bureau capitonné du chef de la Sécurité préventive, le visiteur est fouillé. Couteau suisse et téléphone mobile lui sont retirés. Mohamed Dahlan déclenche, à l’aide d’un bouton, l’ouverture du verrou de la porte capitonnée de la pièce, sans bouger de son siège. Une télévision branchée sur des chaînes étrangères est allumée, le téléphone ne cesse de sonner. Secrétaires et subordonnés se
relaient pour présenter requêtes, messages et documents. Les murs paraissent suffisamment calfeutrés pour que rien ne filtre des conversations entre Abou Fadi ’ et ses interlocuteurs.
Cet homme, aujourd’hui puissant et craint, est né en 1961 dans le camp de réfugiés de Khan Younes, situé au centre de la bande de Gaza. Ses parents sont originaires de Hammama, village de la Palestine de 1948 dans la région d’Ashquelon. Pour nourrir sa famille nombreuse, le père de Mohamed émigré en 1962 en Arabie Saoudite où il travaille dans l’agriculture. Il ne revient définitivement chez lui que seize années plus tard. Dès l’âge de 15 ans, pendant les vacances, Mohamed travaille comme ouvrier en Israël où il apprend ses premiers rudiments d’hébreu. « Tout le monde a étudié dans la famille. C’est très important dans les familles modestes d’aller à l’Université. Même s’ils n’ont pas les moyens, les gens se débrouillent. Ils possèdent une grande volonté d’apprendre. »

De 1979 à 1987, le fils de réfugiés fréquente les bancs de l’Université islamique de Gaza. Son engagement politique au sein du Fath l’accapare pleinement et l’empêche d’acquérir un diplôme quelconque. Il devient un des responsables de la Chabiba dès les premières années du mouvement. L’objectif de cette organisation est d’attirer le maximum de jeunes auprès du Fath par le biais d’activités estudiantines, syndicales ou de travail volontaire.
« Au bout de deux ans, nous avions réussi à réunir 15 000 membres. La répression s’est abattue rapidement sur le mouvement. Pendant cette période, il ne se passait pas une année sans que je sois arrêté. En entrant en prison, les jeunes devenaient des experts en politique ; il n’y avait pas moins de cinq heures consacrées aux études par jour. Au début des années quatre-vingt, la rue a commencé à remuer, le mouvement national était fort. Il existait une grande riva¬lité entre les partis pour contrôler les Territoires. La Chabiba a choisi de ne pas se focaliser sur l’idéologie mais plutôt sur la lutte contre l’occupation israélienne. »

En 1987, Mohamed Dahlan est expulsé par l’État hébreu. Il transite par la Jordanie où il est arrêté, puis par l’Egypte, et enfin il parvient en Irak. Depuis Bagdad, il travaille avec Abou
Jihad dans le but d’accompagner et d’organiser le soulève-ment. À la mort de ce dernier, il gagne Tunis où il est intégré au comité de l’Intifada. Dès le début de l’année 1994, Dahlan entreprend d’établir avec Jibril Rajoub — son homologue pour la Cisjordanie - le service de la Sécurité préventive. En mai 1994, il entre dans la bande de Gaza et s’installe dans la métropole « afin d’être à proximité de son travail et d’Arafat ». « Je demeure fidèle à tous mes amis. » Cette remarque d’Abou Fadi illustre une des facettes caractéristiques du personnage.

Son aptitude à tisser des liens au sein de plusieurs réseaux est déterminante dans son parcours. Lorsqu’il milite au sein de la Chabiba dans les années quatre-vingt, Dahlan se lie d’amitié avec Sami Abou Samhadana2, Zacharia Talmos 3, Abou Ali Chahin4 et Sofiane Abou Zeidah ’. Les uns et les autres se croisent entre deux séjours dans les geôles israéliennes. Ses premiers contacts avec les Israéliens datent des années d’interrogatoire et d’emprisonnement. « Nous ne pouvons faire autrement que dialoguer. Nous avons commencé lorsque nous étions en prison. Nous avions des discussions avec l’administration », commente-t-il. C’est à Tunis qu’il fait la connaissance de Rachid Abou Chebak, lui-même originaire de Gaza, emprisonné de 1972 à 1987, et qui a rejoint la base d’Arafat en 1990.

Dahlan, pendant ces cinq années qu’il passe dans la capitale tunisienne, s’introduit auprès de Yasser Arafat et au sein des cercles de Tunis. Même s’il n’est pas devenu l’ami ou l’allié des caciques de l’OLP, Mohamed Dahlan a pu, au moins, décrypter leur mode de fonctionnement en politique.

La connaissance de plusieurs milieux permet à Mohamed Dahlan d’être à la jonction des pôles sur la scène politique et d’occuper une position stratégique. Son activité militante de premier plan, dès la fin des années soixante-dix, lui confère une certaine popularité auprès des Gazaouites ainsi que l’estime des dirigeants et des militants du Fath. Lors de son passage à Tunis, il a su gagner la confiance d’Abou Ammar qui l’a chargé de missions importantes. Les militaires israéliens lui accordent également leur crédit. Pour mettre sur pied l’appareil militaire qu’il commande, il s’est appuyé sur Rachid Abou Chebak, doté d’une solide conscience militaire, pointilleux sur la discipline. Originaire d’un quartier populaire de la ville de Gaza, le numéro deux de la Sécurité préventive s’est engagé à l’âge de 17 ans dans le combat politique. Prisonnier pendant dix-sept années, chef d’un groupe armé du Fath pendant l’Intifada, ayant participé au comité de l’Intifada depuis Tunis, il connaît les arcanes des réseaux de combattants de la bande de Gaza.

Mohamed Dahlan a été suffisamment astucieux pour saisir et exploiter les opportunités qui se présentaient à lui. Bril¬lant, il a su devenir un des hommes de confiance d’Arafat, sans toutefois lui porter ombrage. Il fait partie de cette génération de militants qui ont semé les germes de l’Intifada l. D’origine modeste, issu d’une famille de réfugiés, il est par¬venu au sommet de l’échelle politique. Son parcours représente l’exemple le plus spectaculaire de réussite de cette jeune génération du Fath de l’intérieur. S’il a entraîné certains de ses compagnons d’origine semblable dans son sillage, il incarne, plutôt qu’un mouvement collectif, une trajectoire individuelle et spécifique.

Son avenir politique est prometteur ’, certains le désignent déjà comme successeur d’Arafat. Dahlan ne règne que sur la bande de Gaza, il n’a pas acquis une envergure nationale. Son soutien serait sans doute nécessaire au candidat qui briguera, le moment venu, le poste de la présidence de l’Autorité palestinienne. L’assise du chef de la Sécurité préventive est suffisamment solide pour qu’il marque discrètement sa différence ou sa distance vis-à-vis d’Abou Ammar : « Je peux dire non à Arafat si je ne suis pas d’accord. »
Mohamed Dahlan est régulièrement épingle par les observateurs étrangers qui lui attribuent une grande part de responsabilité dans le processus de spoliation économique, tant dans la protection des monopoles que dans l’organisation de la corruption, sous forme de passe-droits, par exemple. Se fondant sur une image de bon vivant, la rumeur insinue qu’il s’est enrichi depuis qu’il occupe cette fonction au sein de l’appareil d’Etat, prenant à témoin les dimensions de sa villa en construction. Il reconnaît lui-même qu’il a un goût prononcé pour les belles automobiles. Certains observateurs estiment qu’il a pris un peu trop d’assurance et qu’il est devenu un brin arrogant. D’autres ironisent sur ses contacts trop étroits avec les Israéliens et sur ses soirées à Tel-Aviv, alors même que Gaza subit un siège total et que le processus de paix est suspendu.

Au-delà des jugements de valeur, Dahlan se révèle un fin politique. Il justifie l’existence de monopoles par un choix de politique économique que le gouvernement palestinien ne serait pas le premier à mettre en place, faisant référence à des régimes socialistes ou d’économie mixte. Il n’adopte pas les attitudes du vétéran paranoïaque des services secrets. Cela le rend rassurant du moins en comparaison de ses collègues. Homme à poigne, Mohamed Dahlan affirme son adhésion à la démocratie et à la coexistence avec Israël.

En février 1997, alors que la politique du gouvernement Nétanyahou ne cesse de décevoir les Palestiniens, il précise son approche de la paix non comme un idéal mais comme un objectif nécessaire et incontournable pour les deux peuples, aboutissement d’une démarche volontariste des deux parties.

« À long terme, nous devons vivre ensemble, que les Israéliens le veuillent ou pas, que nous le voulions ou non. Nous allons parvenir à un accord définitif mais cela prendra du temps. Les Israéliens ne sont pas prêts. Personnellement, je me contente d’un État en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. C’est la position des négociateurs palestiniens mais tout peut être négocié. »

II répond aux critiques dirigées contre l’Autorité palesti-nienne :
« Ce n’est pas une démocratie complète ici, ce n’est pas possible, cette Autonomie aux pouvoirs limités existe depuis trois ans, qu’attend-on de nous en si peu de temps dans les conditions politiques actuelles ? Cela prend du temps de construire une démocratie. Begin en Israël était un dictateur avec son peuple. Il faut nous laisser quelques années. Franchement, moi, je trouve que l’on ne se débrouille pas trop mal. Regardez l’Irak, l’Egypte, la Jordanie. Est-ce que dans l’un de ces pays, les députés peuvent, comme ici, dire publiquement ce qu’ils pensent au Parlement ? Israël est le principal obstacle à la construction de la démocratie palestinienne, en nous imposant tellement de choses. »

Le chef de la Sécurité préventive dessine les contours de la formule palestinienne qui devrait se construire progressivement.
« J’aspire à un État démocratique et laïc. Je souhaite un Etat indépendant sans confédération avec les Israéliens ou les Jordaniens... »
Reconnu et apprécié parmi les chebab de l’Intifada, honni par une partie des commerçants exclus des nouveaux circuits économiques, Dahlan n’a jamais atteint le taux d’impopularité de certains responsables de l’Autorité palestinienne venus de Tunis. Moussa Arafat, chef des Renseignements militaires dans la bande de Gaza, est couramment accusé de cruauté à l’égard des prisonniers ; Ghazi Jabali, son homologue pour la Police civile, est, quant à lui, vilipendé pour ses « mœurs immorales ». Malgré son implication dans les opérations de capture et de répression des islamistes, Dahlan demeure auréolé de son prestige de militant politique et n’a pas épuisé son crédit nationaliste, y compris au-delà des murs de Tell-al-Hawa. Pour s’assurer une popularité qui s’inscrirait dans le long terme, Mohamed Dahlan aurait besoin de développer des relais au sein de la population, en dehors du service de la Sécurité préventive.

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