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Syndicats et partis politiques, une longue histoire

dimanche 14 novembre 2010, par Robert Paris

La Charte d’Amiens de la CGT

La Charte d’Amiens et les origines du réformisme syndical en France

La Charte d’Amiens de 1906 est la pierre angulaire dans le mouvement ouvrier français réformiste en ce qui concerne les relations entre le parti et les syndicats. Tout le monde pratiquement s’en réclame. Le point fondamental auquel font référence les gens qui parlent de la Charte d’Amiens, c’est l’indépendance complète des syndicats vis-à-vis des partis politiques. C’est-à-dire que le parti s’active au parlement, mais il n’interfère pas le moins du monde dans les luttes syndicales, sinon peut-être pour les soutenir de l’extérieur. Réciproquement le syndicat ne se mêle pas des campagnes politiques. La Charte d’Amiens demande par exemple au syndiqué de « ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au-dehors ». Cette conception est évidemment tout d’abord anti-historique, comme si le mouvement ouvrier français n’avait pas été fondamentalement affecté depuis 1906 par la trahison d’août 1914 (quand les social-démocraties allemande et française ont trahi le prolétariat en soutenant leur propre bourgeoisie dans la Première Guerre mondiale), la révolution d’Octobre 1917 en Russie, et ensuite la dégénérescence puis la destruction finale de l’Union soviétique. Ensuite, la Charte d’Amiens sert de couverture aux trahisons de toutes ces organisations depuis des dizaines d’années.

De proclamer la Charte d’Amiens comme l’alpha et l’oméga de la question des relations entre parti et syndicat, c’est faire preuve d’une étroitesse nationale tout à fait française. Les relations entre les partis et les syndicats sont très variées suivant les pays et l’époque. En Grande-Bretagne le Parti travailliste a émergé il y a une centaine d’années comme l’expression politique propre de la bureaucratie syndicale ; c’est les syndicats qui ont créé le parti. En Allemagne au contraire c’est le SPD qui a construit les syndicats et qui continue à les contrôler. Aux Etats-Unis le noyau principal des syndicats industriels – par exemple l’UAW, le syndicat des travailleurs de l’automobile – est apparu dans les années 1930 grâce à l’influence du Parti communiste ; il fallait une direction prête à lutter pour intégrer les Noirs et les Blancs dans un seul syndicat, et seuls les communistes pouvaient faire cela. La construction des Teamsters (le syndicat des camionneurs) comme un puissant syndicat sur une base industrielle, était le résultat d’une politique lutte de classe à l’initiative des trotskystes qui ont dirigé la grève générale de Minneapolis de 1934.

Pour en revenir à la Charte d’Amiens il faut comprendre la situation du mouvement ouvrier de l’époque pour expliquer sa genèse. En 1905 les différentes cliques parlementaires se réclamant du socialisme se sont unifiées. Il y avait notamment une aile ouvertement non marxiste, les jauressistes, et une aile qui se réclamait du marxisme, dirigée par Jules Guesde. Guesde voulait que les marxistes influencent le syndicat, Jaurès s’y opposait (pour lui il fallait laisser aux bureaucrates syndicaux la lutte économique, et aux parlementaires petits-bourgeois la lutte politique). Le réformisme était manifestement très puissant dans la SFIO, la social-démocratie de l’époque : le « socialiste » Millerand, quelques années auparavant, avait participé à un gouvernement bourgeois pour la première fois dans l’histoire. C’est pourquoi les syndicalistes révolutionnaires ont fait un bloc avec Jaurès pour préserver l’indépendance du syndicat par rapport à la social-démocratie. Le résultat de ce bloc c’était la Charte d’Amiens.

Sur le fond les syndicalistes révolutionnaires cherchaient à s’opposer à l’influence de la social-démocratie qu’ils percevaient à juste titre comme réformiste. Mais c’est Guesde lui-même, représentant de l’aile « marxiste » de la SFIO, anti-jauressiste, qui entrera dans le gouvernement capitaliste pendant la Première Guerre mondiale. Il faut noter que l’indépendance de la CGT par rapport à la SFIO ne la préservera pas de la trahison : dès début août 1914 l’organe officieux de la CGT, la Bataille syndicaliste, commencera à soutenir la guerre de sa propre bourgeoisie contre le Kaiser allemand Guillaume II. Un an plus tard la Bataille syndicaliste devenait la Bataille. A cette époque-là Monatte démissionnait de la Commission administrative de la CGT pour protester contre leur position chauvine. Trotsky écrivait (21 octobre 1929) :

« Son départ du centre syndical n’était au fond qu’une scission. Mais, à cette époque-là, Monatte croyait – avec raison – que les tâches historiques fondamentales du prolétariat sont à placer au-dessus de l’unité avec les chauvins et les laquais de l’impérialisme. C’est en cela précisément que Monatte fut fidèle aux meilleures traditions du syndicalisme révolutionnaire. »

Trotsky explique que la conception des syndicalistes révolutionnaires d’une « minorité agissante » au sein de la CGT « était, par essence, une théorie incomplète du parti prolétarien. Dans toute sa pratique, le syndicalisme révolutionnaire était un embryon de parti révolutionnaire ; de même, dans sa lutte contre l’opportunisme, le syndicat révolutionnaire fut une remarquable esquisse du communisme révolutionnaire. » C’est donc notamment avec les syndicalistes révolutionnaires comme Monatte que l’Internationale communiste voulait former la section française. Pour cela il fallait dépasser la Charte d’Amiens. Appliquer la Charte d’Amiens après la révolution d’Octobre, c’était s’opposer à l’influence communiste dans les syndicats et donc dans la classe ouvrière. Le Quatrième Congrès de l’Internationale communiste a adopté en 1922 une résolution qui disait : « L’autonomie sous toutes ses formes, qu’elle soit anarchiste ou anarcho-syndicaliste, est une doctrine anticommuniste et la résistance la plus décidée doit lui être opposée ; le mieux qu’il puisse en résulter, c’est une autonomie par rapport au communisme et un antagonisme entre syndicats et partis communistes ; sinon c’est une lutte acharnée des syndicats contre le parti communiste, le communisme et la révolution sociale. »Le bolchevik

suite à venir

R. Luxemburg : Grève de masse, parti et syndicat
Rosa Luxemburg

Dans la période des grandes luttes qui s ’ouvrira tôt ou tard pour le prolétariat allemand, une des conditions les plus importantes du succès sera, outre une tactique résolue et conséquente, l’unité la plus étroite possible dans l’aile marchante du prolétariat, la social-démocratie, unité qui seule permet un maximum d’efficacité. Pourtant, dès les premières tentatives timides pour entreprendre une action de masse d’une certaine importance, on a vu se révéler un état de fait fâcheux la division et l’autonomie complète des deux organisations du mouvement ouvrier, le parti social-démocrate d’une part, et les syndicats d’autre part. En regardant attentivement les grèves de masse en Russie ainsi que la situation allemande, on voit clairement qu’il est impossible d’envisager une action de masse importante, quelle qu’elle soit - à moins qu’elle ne se limite à une manifestation brève et unique - selon les critères de ce qu’on a coutume d’appeler une grève politique de masse. Une telle action réclamerait la participation des syndicats tout autant que du parti socialiste et ceci non pas - comme se le figurent les dirigeants syndicaux - parce que le Parti, disposant d’une organisation numériquement inférieure aux syndicats serait obligé de recourir à la collaboration du million et quart de syndiqués, sans lesquels il ne pourrait rien faire, mais pour une raison beaucoup plus profonde parce que toute action de masse et toute période de luttes de classe violentes auraient un caractère à la fois politique et économique. Qu’il se produise en Allemagne, à telle ou telle occasion, à tel ou tel moment, de grandes luttes politiques, des grèves de masse, elles inaugureront simultanément une période de violentes luttes syndicales, sans que l’histoire demande aux dirigeants syndicaux leur approbation ou leur désapprobation. Si les dirigeants syndicaux devaient rester en marge du mouvement, ou même s’y opposer, leur attitude n’aurait qu’une seule conséquence ils seraient laissés de côté par la vague des événements, et les luttes économiques ou politiques de la masse se poursuivraient sans eux ; il en serait de même, dans un cas analogue, des dirigeants du parti. En effet, la distinction entre la lutte politique et la lutte économique, l’autonomie de ces deux formes de combat ne sont qu’un produit artificiel, quoique historiquement explicable, de la période parlementaire. D’une part, dans l’ordre « normal » de la société bourgeoise la lutte économique est dispersée, morcelée en une infinité de luttes partielles dans chaque entreprise, dans chaque branche de production. D’autre part, ce ne sont pas les masses elles-mêmes qui mènent la lutte politique par une action directe, mais conformément aux normes de l’Etat bourgeois, l’action politique s’exerce par voie représentative, par une pression opérée sur les corps législatifs. Dès l’ouverture d’une période de luttes révolutionnaires, c’est-à-dire dès que ces masses apparaissent sur le champ de bataille, cette dispersion des luttes économiques cesse, ainsi que la forme parlementaire indirecte de la lutte politique : dans une action révolutionnaire de masse, la lutte politique et la lutte économique ne font plus qu’un, et les barrières artificielles élevées entre le syndicat et la social-démocratie considérés comme deux formes distinctes parfaitement autonomes du mouvement ouvrier tombent purement et simplement. Mais ces phénomènes qui se manifestent avec une évidence frappante au cours des mouvements révolutionnaires de masse sont une réalité objective, même en période parlementaire. il n’existe pas deux espèces de luttes distinctes de la classe ouvrière, l’une de caractère politique, et l’autre de caractère économique, il n’y a qu’une seule lutte de classe, visant à la fois à limiter les effets de l’exploitation capitaliste et à supprimer cette exploitation en même temps que la société bourgeoise. S’il est vrai qu’en période parlementaire les deux aspects de la lutte de classe se distinguent pour des raisons techniques, ils ne représentent pas pour autant deux actions parallèles, mais seulement deux phases, deux degrés de la lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière. La lutte syndicale embrasse les intérêts immédiats, la lutte politique de la social-démocratie les intérêts futurs du mouvement ouvrier. Les communistes, est-il écrit dans le Manifeste communiste, défendent en face des groupes d’intérêts divers (nationaux ou locaux) les intérêts communs au prolétariat tout entier, et à tous les stades de développement de la lutte de classe l’intérêt du mouvement dans son ensemble, c’est-à-dire le but final : l’émancipation du prolétariat. Les syndicats représentent l’intérêt des groupes particuliers et un certain stade du développement du mouvement ouvrier. La social-démocratie représente la classe ouvrière et les intérêts de son émancipation dans leur ensemble. Le rapport des syndicats au parti socialiste est donc celui d’une partie au tout, si la théorie de « l’égalité » des droits entre le syndicat et la social-démocratie trouve tant d’écho parmi les dirigeants syndicaux, cela provient d’une méconnaissance foncière de la nature des syndicats et de leur rôle dans la lutte générale pour l’émancipation de la classe ouvrière.

Cette théorie de l’action parallèle du Parti et des syndicats et de leur « égalité de droits » n’est pourtant pas tout à fait une invention gratuite elle a des racines historiques. Elle se fonde en effet sur une illusion née dans la période calme et « normale » de la société bourgeoise où la lutte politique de la social-démocratie semble se borner à la lutte parlementaire. Mais la lutte parlementaire, parallèle et complémentaire de la lutte syndicale, se met, comme cette dernière, sur le terrain de l’ordre social bourgeois. Elle est par nature un travail de réforme politique comme la lutte syndicale est un travail de réforme économique. Elle représente un travail politique au jour le jour, tout comme les syndicats accomplissent un travail économique au jour le jour. Elle est comme la lutte syndicale une simple phase, un simple stade dans la lutte de classe prolétarienne globale dont le but final dépasse aussi bien, et dans la même mesure, la lutte parlementaire et la lutte syndicale. La lutte parlementaire est à la politique du parti social-démocrate dans le rapport d’une partie au tout, exactement comme le travail syndical. Le parti social-démocrate est précisément le point de rencontre de la lutte parlementaire et de la lutte syndicale. Il réunit en lui ces deux aspects de la lutte de classe qui visent la destruction de l’ordre social bourgeois.

La théorie de « l’égalité des droits » entre les syndicats et le parti socialiste n’est donc pas un simple malentendu, une pure confusion théorique : elle exprime cette tendance bien connue de l’aile opportuniste du Parti qui prétend effectivement réduire la lutte politique de la classe ouvrière à la lutte parlementaire et entend transformer le caractère révolutionnaire prolétarien de la social-démocratie pour en faire un parti réformiste petit-bourgeois [1], si le parti socialiste acceptait la théorie de « l’égalité des droits », il accepterait par là même indirectement et implicitement cette transformation de son caractère que cherchent depuis longtemps les représentants de la tendance opportuniste.

Cependant, un tel changement des rapports de forces à l’intérieur du mouvement ouvrier allemand est moins concevable que dans n’importe quel autre pays. Le rapport théorique qui fait des syndicats une simple partie de la social-démocratie trouve en Allemagne une illustration classique dans les faits, dans la pratique vivante ; il s’y manifeste de trois manières :

1° Les syndicats sont le produit direct du parti socialiste : c’est lui qui est à l’origine du mouvement syndical allemand, c’est lui qui a veillé à sa croissance, qui lui fournit aujourd’hui encore ses dirigeants et ses militants les plus actifs.

2° Les syndicats allemands sont encore un produit du parti social-démocrate en ce sens que la doctrine socialiste anime la pratique syndicale ; ce qui donne aux syndicats une supériorité par rapport à tous les syndicats bourgeois et confessionnels, c’est l’idée de la lutte de classe ; leurs succès matériels, leur puissance sont dus au fait que leur pratique est éclairée par la théorie du socialisme scientifique et s’élève ainsi bien au-dessus d’un empirisme mesquin et borné. La force de la « politique pratique » des syndicats allemands réside dans leur intelligence des causes profondes, des conditions sociales et économiques du régime capitaliste ; or cette intelligence, ils la doivent uniquement à la théorie du socialisme scientifique sur laquelle se fonde leur pratique. En ce sens, lorsque les syndicats cherchent à s’émanciper de la théorie social-démocrate, lorsqu’ils sont en quête d’une nouvelle « théorie syndicale » opposée à celle de la social-démocratie, ils se livrent là à une véritable tentative de suicide. Détacher la pratique syndicale de la théorie du socialisme scientifique équivaudrait pour les syndicats allemands à perdre immédiatement toute leur supériorité par rapport à tous les syndicats bourgeois, et à descendre au niveau d’un empirisme plat et tâtonnant.

3° Enfin, bien que leurs dirigeants en aient peu à peu perdu conscience, les syndicats sont aussi, quant à leur puissance numérique, un produit du mouvement et de la propagande socialistes. Sans doute la propagande syndicale précède-t-elle dans bien des endroits la propagande du parti, et partout le travail syndical prépare la voie au travail du parti. Du point de vue de l’action sur les masses, le parti et les syndicats travaillent la main dans la main. Mais si l’on considère la lutte des classes en Allemagne dans son ensemble et dans ses rapports plus profonds, les choses changent. Bien des dirigeants syndicaux contemplent du haut de leur million et quart d’adhérents, non sans un certain sentiment de triomphe, les quelque cinq cent mille adhérents inscrits au Parti, se plaisent à leur rappeler le temps, il y a dix ou douze ans, où dans les rangs du Parti on envisageait l’avenir syndical sous des couleurs sombres. Mais ils ne voient pas qu’entre ces deux faits : le chiffre élevé des syndiqués et le chiffre inférieur des membres inscrits au parti socialiste, il y a un rapport direct de cause à effet. Des milliers et des milliers d’ouvriers n’adhèrent pas aux organisations du Parti précisément parce qu’ils entrent dans les syndicats. En théorie tous les ouvriers devraient être doublement organisés : assister aux réunions des deux organisations, payer double cotisation, lire deux journaux ouvriers, etc. Mais une telle activité implique un degré d’intelligence et un idéalisme qui, conscient des devoirs envers le mouvement ouvrier, ne reculerait devant aucun sacrifice quotidien de temps ou d’argent ; elle implique enfin un intérêt passionné pour la vie du Parti proprement dite, qui ne peut se satisfaire qu’en adhérant à son organisation. Tout ceci se rencontre dans la minorité la plus éclairée et la plus intelligente des ouvriers socialistes des grandes villes où la vie du Parti est riche et attrayante, où le niveau de vie des ouvriers est assez élevé. Mais dans les couches les plus larges de la population ouvrière des grandes villes, de même qu’en province, dans les localités de modeste importance, où la politique locale, loin d’être indépendante ne fait que refléter les événements de la capitale, où la vie du Parti est pauvre et monotone, où le niveau d’existence des ouvriers est généralement misérable, on rencontre très difficilement cette double appartenance à l’organisation syndicale et au Parti

Pour la masse des ouvriers qui ont des convictions socialistes le problème est résolu de lui-même : ils adhèrent à leur syndicat. Pour satisfaire aux intérêts immédiats de la lutte revendicative il n’y a pas d’autre solution, en effet, de par la nature même de la lutte, que d’adhérer à une organisation professionnelle. La cotisation que l’ouvrier paie, souvent au prix de lourds sacrifices, lui apporte des avantages immédiats. Quant à ses convictions socialistes, il peut les exprimer même sans appartenir à une organisation spécifique du Parti : par son bulletin de vote électoral, en assistant à des réunions publiques du parti socialiste, en suivant les comptes rendus des discours socialistes au Parlement, en lisant la presse du Parti, - il suffit de comparer le nombre des électeurs socialistes et celui des abonnés au Vorwärts [2] avec le nombre des membres inscrits au Parti à Berlin. Et, point décisif : l’ouvrier moyen qui a des sympathies socialistes, qui, en homme simple, n’entend rien aux théories compliquées et subtiles des « deux âmes [3] » a le sentiment d’appartenir à une organisation socialiste en étant inscrit au syndicat. Même si les fédérations syndicales n’arborent pas l’enseigne officielle du Parti, l’ouvrier moyen de chaque ville, grande ou petite, voit à la tête de son syndicat comme dirigeants les plus actifs précisément les mêmes collègues dont il sait dans la vie publique qu’ils sont membres du parti social-démocrate ; qu’ils soient députés au Reichstag ou au Landtag [4], ou élus municipaux, ou encore qu’ils soient hommes de confiance du Parti, présidents de comités électoraux, rédacteurs de journaux, secrétaires des organisations du Parti ou tout simplement orateurs et propagandistes du Parti. Il retrouve dans les thèmes de propagande évoqués dans son syndicat les mêmes idées familières qui lui sont chères sur l’exploitation capitaliste et les rapports de classe ; bien plus, la plupart des orateurs et les plus populaires qui prennent la parole dans les réunions syndicales, sont des sociaux-démocrates connus.

Ainsi, tout concourt à donner à l’ouvrier conscient moyen le sentiment qu’en adhérant à une organisation syndicale il adhère également à son parti ouvrier, à l’organisation social-démocrate. Et c’est en cela précisément que résident la force d’attraction et le pouvoir de recrutement des syndicats allemands. Ce n’est pas l’apparence de la neutralité, c’est leur caractère véritablement socialiste qui a permis aux fédérations syndicales d’atteindre à leur puissance actuelle. Ce fait est simplement confirmé par l’existence même de différents syndicats bourgeois d’appartenance politique ou confessionnelle : syndicats catholiques, syndicats de Hirsch-Duncker [5], etc., par laquelle on veut prouver la nécessité de cette prétendue « neutralité » politique.

Quand l’ouvrier allemand qui est libre d’adhérer à un syndicat chrétien, catholique ou évangélique, ou encore libéral, ne choisit aucune de ces organisations, mais opte pour le « syndicat libre », quitte l’une des premières pour adhérer à ce dernier, c’est parce qu’il voit dans les fédérations syndicales des organisations de la lutte de classe moderne ou, ce qui revient au même, des syndicats socialistes. Bref, l’apparence de neutralité, dont font état beaucoup de dirigeants syndicaux, n’existe pas pour la masse des adhérents du syndicat. Et c’est bien là la grande chance du mouvement syndical. Si cette apparence de neutralité, si cette distance prise par rapport à la social-démocratie devait se réaliser et surtout si elle devenait réelle aux yeux de la masse des prolétaires, les syndicats perdraient immédiatement tout leur avantage par rapport aux organisations concurrentes de la bourgeoisie et, par-là même, leur pouvoir d’attraction, la flamme qui les anime. Ce que nous venons de dire est démontré par des faits universellement connus. L’apparence de « neutralité » politique des syndicats pourrait en effet exercer une certaine force d’attraction dans un pays où la social-démocratie n’aurait aucun crédit auprès des masses, où son impopularité nuirait plus qu’elle ne servirait une organisation ouvrière aux yeux de la masse, où, en un mot, les syndicats devraient recruter leurs troupes au sein d’une masse absolument inéduquée dont les sympathies iraient à la bourgeoisie. Au siècle dernier, et aujourd’hui encore dans une certaine mesure, le modèle exemplaire d’un tel pays est l’Angleterre. Mais en Allemagne, la situation du parti est tout autre. Dans un pays où le parti socialiste est le plus puissant, où sa force d’attraction est attestée par une armée de plus de trois millions de prolétaires, il est ridicule de parler d’une impopularité qui détournerait les masses de la social-démocratie, et de la nécessité, pour une organisation de combat de la classe ouvrière, de garder un caractère de neutralité. Il suffit de comparer le chiffre des électeurs socialistes avec le chiffre des organisations syndicales en Allemagne pour convaincre même un enfant, que les syndicats allemands ne recrutent pas leurs troupes, comme en Angleterre, dans les masses inéduquées aux sympathies bourgeoises, mais au sein d’un prolétariat déjà éclairé par la social-démocratie et acquis à l’idée de la lutte de classe dans la masse des électeurs socialistes. Beaucoup de dirigeants syndicaux repoussent avec indignation - corollaire obligé de la théorie de la « neutralité » - l’idée des syndicats qui seraient des écoles de recrutement pour le socialisme. En fait, cette hypothèse qui leur paraît si insultante et qui, en réalité, serait extrêmement flatteuse, est purement imaginaire, parce que la situation est généralement inverse : c’est la social-démocratie qui, en Allemagne, constitue une école de recrutement pour les syndicats. Le travail d’organisation syndicale est certes encore difficile et pénible ; pour que la récolte soit abondante, il faut non seulement - sauf dans certains cas et certaines régions - que le terrain ait été défriché au préalable par la social-démocratie, mais il faut encore que la semence syndicale et même que les semeurs soient socialistes, soient « rouges ». Si nous comparons donc le chiffre des syndiqués non pas avec celui des militants socialistes, mais avec celui des électeurs socialistes - seule comparaison exacte - on arrive à une conclusion fort éloignée de l’idée généralement répandue. Il apparaît en effet que les « syndicats libres » ne représentent actuellement en Allemagne qu’une minorité de la classe ouvrière consciente, puisque avec leur million et quart d’adhérents, ils n’atteignent même pas la moitié de la masse touchée par la social-démocratie. La conclusion la plus importante que nous pouvons tirer des faits exposés ici est celle-ci : l’unité complète du mouvement ouvrier syndical et socialiste, indispensable aux futures luttes de masse en Allemagne, est d’ores et déjà réalisée ; elle est concrètement incarnée par l’énorme masse qui constitue à la fois la base du parti socialiste et celle des syndicats ; les deux aspects du mouvement ouvrier sont confondus dans l’unitéspirituelle que constitue la conscience de cette large masse. Dans cet état de choses la prétendue opposition entre Parti et syndicats se réduit à une opposition entre le Parti et un certain groupe de dirigeants syndicaux ; mais cette opposition elle-même existe à l’intérieur des syndicats, entre le groupe des dirigeants et la masse des ouvriers syndiqués.

L’énorme développement du mouvement syndical en Allemagne au cours des quinze dernières années, et notamment dans la période de prospérité économique qui va de 1895 à 1900, a tout naturellement entraîné une autonomie plus grande des syndicats, une spécialisation de ses méthodes de lutte et de sa direction, créant ainsi une véritable caste de fonctionnaires syndicaux permanents.

Tous ces phénomènes sont le résultat historiquement explicable de la croissance des syndicats pendant quinze ans, ils sont le produit de la prospérité économique et de l’accalmie politique en Allemagne. Quoique inséparables de certains inconvénients ils n’en sont pas moins un mal nécessaire. Cependant la dialectique de l’évolution veut que ces moyens indispensables au développement du syndicat, se changent, lorsque la situation historique a atteint un certain degré de maturité, en leur contraire et deviennent un obstacle à la continuation de ce développement.

Les fonctionnaires syndicaux, du fait de la spécialisation de leur activité professionnelle ainsi que de la mesquinerie de leur horizon, résultat du morcellement des luttes économiques en périodes de calme, deviennent les victimes du bureaucratisme et d’une certaine étroitesse de vues. Ces deux défauts se manifestent dans des tendances diverses qui peuvent devenir tout à fait fatales à l’avenir du mouvement syndical. L’une d’elles consiste à surestimer l’organisation et à en faire peu à peu une fin en soi et le bien suprême auquel les intérêts de la lutte doivent être subordonnés. Ainsi s’expliquent ce besoin avoué de repos, cette crainte devant un risque important à prendre et devant de prétendus dangers qui menaceraient l’existence des syndicats, cette hésitation devant l’issue incertaine d’actions de masse d’une certaine ampleur et enfin la surestimation de la lutte syndicale elle-même, de ses perspectives et de ses succès. Les dirigeants syndicaux, continuellement absorbés par la lutte économique quotidienne, et qui se donnent pour tâche d’expliquer aux masses le prix inestimable de la moindre augmentation de salaires, ou de la moindre réduction du temps de travail, en viennent peu à peu à perdre le sens des grands rapports d’ensemble et de la situation générale. Ainsi s’explique, par exemple, que beaucoup de dirigeants syndicaux aient mis l’accent avec tant de complaisance sur les succès des quinze dernières années, sur les millions de marks d’augmentations de salaires au lieu d’insister au contraire sur les revers de la médaille : l’abaissement simultané et considérable du niveau de vie des ouvriers, dû au prix du pain, à toute la politique fiscale et douanière, à la spéculation sur les terrains, qui fait monter les prix de manière exorbitante, bref sur toutes les tendances objectives de la politique bourgeoise qui ont partiellement annulé les conquêtes de quinze ans de luttes syndicales. Au lieu de s’attacher à la vérité socialiste globale qui, tout en soulignant le rôle et la nécessité absolue du travail quotidien, met l’accent surtout sur la critique et les limites de ce travail, on ne défend ainsi qu’une demi-vérité syndicale, en ne relevant que l’aspect positif de la lutte quotidienne. Et, en fin de compte, l’habitude de passer sous silence les limites objectives tracées par l’ordre social bourgeois à la lutte syndicale, devient une hostilité ouverte contre toute critique théorique qui soulignerait ces limites et rappellerait le but final du mouvement ouvrier. On considère comme le devoir de tout « ami du mouvement syndical » d’en faire un panégyrique absolu et de montrer un enthousiasme illimité à son égard. Mais comme le point de vue socialiste consiste précisément à combattre cet optimisme syndical inconditionnel, de même qu’il combat l’optimisme parlementaire inconditionnel, on s’attaque finalement à la théorie socialiste elle-même : on cherche à tâtons une nouvelle théorie syndicale, une théorie qui, contrairement à la doctrine socialiste, ouvrirait aux luttes syndicales sur le terrain même de l’ordre capitaliste, des perspectives illimitées de progrès économique. A vrai dire, une telle théorie existe depuis longtemps : c’est celle du professeur Sombart [6] ; elle fut inventée tout exprès dans le but de semer la discorde entre les syndicats et le parti social-démocrate allemand, et d’attirer les syndicats dans le camp de l’ordre bourgeois. Ces tendances théoriques sont accompagnées d’un changement dans les relations entre les dirigeants et la masse. On substitue à la direction collégiale par des comités locaux - qui certes présentaient des insuffisances incontestables - une direction professionnelle par des fonctionnaires syndicaux. L’initiative et le jugement deviennent alors pour ainsi dire des compétences techniques spécialisées, tandis que la masse n’a plus qu’à exercer la discipline passive de l’obéissance. Ces inconvénients du fonctionnarisme s’étendent même au parti ainsi cette innovation récente de l’institution de secrétaires locaux du parti ne serait pas sans danger si la masse des adhérents ne veillait constamment à ce que les secrétaires restent de purs organes exécutifs sans jamais être considérés comme des spécialistes chargés des initiatives et de la direction de la vie locale du parti. Mais, dans la social-démocratie, par la nature même des choses, et par le caractère de la lutte politique elle-même, le bureaucratisme est nécessairement enfermé dans des limites plus étroites que dans la vie syndicale. Dans celle-ci, la spécialisation technique des revendications salariales - citons entre autres l’élaboration d’accords compliqués sur les tarifs - fait qu’on dénie à la masse des ouvriers syndiqués la possibilité d’avoir une « vue d’ensemble de la vie corporative » ; on se fonde là-dessus pour constater son incapacité de juger la situation. La logique de cette conception a pour résultat l’absurdité suivante : toute critique théorique des perspectives et des possibilités de la pratique syndicale est à bannir, car elle constituerait un danger pour la dévotion aveugle des masses dans les syndicats. On se fonde sur cet argument que seule une foi aveugle et puérile dans la lutte syndicale, unique moyen de salut, peut gagner et conserver à l’organisation les masses ouvrières. C’est tout l’opposé du socialisme, qui fonde son influence sur l’intelligence et le sens critique des masses, leur révélant les contradictions de l’ordre existant et la nature compliquée de son évolution, et exigeant d’elles une attitude critique à tous les moments et à tous les stades de leur propre lutte de classe ; au contraire, d’après la fausse théorie syndicale, les syndicats fondent leur influence et leur puissance sur l’absence de jugement et de sens critique des masses : il faut maintenir intacte la « foi du peuple ». C’est de ce principe que partent nombre de fonctionnaires syndicaux pour qualifier d’attaque contre le mouvement syndical toute analyse critique des insuffisances de ce mouvement. A la fin, ultime résultat de cette spécialisation et de ce bureaucratisme, citons une forte tendance à l’autonomie et à la « neutralité » des syndicats par rapport au parti socialiste. L’autonomie externe de l’organisation syndicale est le produit naturel de sa croissance, elle est née de la division technique du travail entre les formes de lutte politique et syndicale. La « neutralité » des syndicats allemands est, de son côté, un produit de la législation réactionnaire sur les associations et du caractère policier de l’Etat prussien. Avec le temps, ces deux éléments ont changé de nature. De la neutralité politique des syndicats, état de fait imposé par la contrainte policière, on a tiré après coup une théorie de leur neutralité volontaire dont on a fait une nécessité fondée prétendument sur la nature même de la lutte syndicale. Et l’autonomie technique des syndicats, fondée sur une division du travail pratique à l’intérieur d’une lutte de classe unique, de caractère socialiste, a conduit au séparatisme des syndicats qui se sont détachés du parti social-démocrate, de ses idées et de sa direction, invoquant une prétendue « égalité de droits » avec le parti.

Or cette autonomie et cette égalité apparente entre les syndicats et le parti s’incarnent tout particulièrement dans les fonctionnaires syndicaux, elles sont concrétisées par l’appareil administratif des syndicats. Extérieurement, l’existence de tout un corps de fonctionnaires, de comités centraux absolument indépendants, de journaux corporatifs nombreux et de congrès syndicaux donne l’illusion parfaite d’un parallélisme avec l’appareil administratif du parti social-démocrate, de son bureau directeur, de sa presse et de ses congrès. Cette apparence d’égalité et de parallélisme entre parti et syndicats a entraîné cette conséquence monstrueuse que les congrès du parti et les congrès syndicaux discutant d’ordres du jour analogues, aboutissaient sur le même problème à des résolutions différentes, voire absolument opposées. Les tâches respectives du congrès du Parti - qui est de défendre les intérêts généraux de l’ensemble du mouvement ouvrier - et de la Conférence des syndicats - dont le domaine beaucoup plus étroit est celui des intérêts et problèmes particuliers de la lutte corporative au jour le jour - ont cessé d’être du ressort d’une division naturelle du travail ; on a creusé un fossé artificiel entre une prétendue conception syndicale des choses et une conception socialiste à propos des mêmes problèmes et des intérêts généraux du mouvement ouvrier. Ainsi s’est créé cet étrange état de fait : le même mouvement syndical qui, à la base, dans la vaste masse prolétarienne ne fait qu’un avec le socialisme, s’en sépare nettement au sommet dans la superstructure administrative : il se dresse en face du parti socialiste comme une seconde grande puissance autonome. Le mouvement ouvrier allemand revêt ainsi la forme étrange d’un. double pyramide dont la base et le corps sont constitués par une même masse mais dont les deux pointes vont en s’éloignant l’une de l’autre.

De ce qui a été exposé plus haut, les conclusions s’imposent avec évidence : on voit par quelle méthode, la seule naturelle et efficace, peut être créée cette unité compacte du mouvement ouvrier allemand qui est absolument nécessaire en vue des luttes politiques futures et dans l’intérêt même du développement ultérieur des syndicats. Rien ne serait plus faux et plus illusoire que de vouloir établir cette unité par le moyen de négociations sporadiques ou régulières entre la direction du parti et la centrale syndicale sur des questions particulières du mouvement ouvrier. Ce sont précisément les instances supérieures des organisations des deux formes du mouvement ouvrier qui incarnent, nous l’avons vu, leur autonomie et leur séparation ; ce sont ces instances qui donnent l’illusion de l’égalité des droits et de la coexistence parallèle du parti socialiste et des syndicats. Vouloir réaliser l’unité des deux organisations par le rapprochement du Bureau du Parti et de la Commission générale des syndicats, ce serait vouloir édifier un pont là où le fossé est le plus large et le passage le plus difficile. Ce n’est pas en haut, au sommet des organisations, dans une sorte d’alliance fédérative, c’est à la base, dans la masse des prolétaires organisés, que se trouve la garantie d’une unité véritable du mouvement ouvrier. Dans la conscience de millions de syndiqués, le parti et les syndicats ne font qu’un, ils incarnent la lutte d’émancipation socialiste du prolétariat sous des formes différentes. D’où la nécessité, pour supprimer les frottements qui se sont produits entre le parti socialiste et une partie des syndicats, de faire coïncider leurs rapports réciproques avec la conscience qu’en ont les masses prolétariennes, autrement dit, il s’agit de subordonner de nouveau les syndicats au parti. En agissant ainsi on ne fera qu’exprimer la synthèse de l’évolution des faits : les syndicats, d’abord annexés au parti socialiste, s’en sont détachés pour préparer ensuite, à travers une période de forte croissance aussi bien des syndicats que du parti, la période future des grandes luttes de masse ; ce fait même implique la nécessité de réunir Parti et syndicats dans l’intérêt même des deux organisations. Il ne s’agit pas, bien entendu, de détruire toute la structure syndicale dans le Parti ; mais il s’agit de rétablir entre la direction du Parti socialiste et celle des syndicats, entre les congrès du Parti et ceux des syndicats, un rapport naturel qui corresponde au rapport de fait entre le mouvement ouvrier dans son ensemble et ce phénomène particulier et partiel qui s’appelle le syndicat. Un tel bouleversement ne se fera pas sans provoquer l’opposition violente d’une partie des dirigeants syndicaux. Mais il est grand temps que la masse ouvrière socialiste montre si elle est capable de jugement et d’action, il est temps qu’elle manifeste sa maturité pour les périodes des grandes tâches et des grandes luttes à venir ; dans ces périodes c’est elle, la masse, qui sera le chœur agissant et les directions ne joueront le rôle que de porte-parole, d’interprètes de la volonté de la masse.

Le mouvement syndical n’est pas le reflet des illusions, explicables certes, mais erronées, d’une minorité de dirigeants syndicaux ; il traduit la réalité vivante existant dans la conscience des prolétaires conquis à l’idée de la lutte des classes. Dans cette conscience, le mouvement syndical est un élément partiel de la social-démocratie. « Qu’il ose donc paraître ce qu’il est [7]. »

Notes

[1] Comme l’existence d’une telle tendance à l’intérieur du Parti socialiste allemand est généralement niée, il faut rendre hommage à la franchise avec laquelle l’aile opportuniste a récemment défini ses objectifs et ses vœux. Dans une réunion du Parti tenue à Mayence le 10 septembre dernier, le Dr David a présenté la résolution suivante qui fut adoptée :

« Considérant que le parti social-démocrate conçoit la notion de « révolution » non pas au sens de bouleversement violent mais au sens pacifique d’évolution, c’est-à-dire de mise en place d’un nouveau système économique, l’assemblée du Parti réunie à Mayence, récuse tout « romantisme révolutionnaire ».

L’assemblée ne voit dans la conquête du pouvoir politique rien d’autre que la conquête de la majorité de la population aux idées et aux exigences de la social-démocratie, conquête qui se fera non par la violence, mais par la révolution dans les esprits, au moyen d’une propagande idéologique et d’un travail concret de réforme dans tous les domaines de la vie politique, économique et sociale.

Convaincue que la social-démocratie a bien plus à gagner en employant les méthodes légales que par les méthodes illégales et le bouleversement violent, l’assemblée rejette le principe tactique de l’action directe de masse et s’en tient au principe de l’action parlementaire pour la réforme autrement dit, elle souhaite que le Parti continue à s’efforcer d’atteindre nos objectifs progressivement par la voie législative et l’évolution organique.

Le postulat fondamental de cette méthode de lutte pour la réforme est évidemment qu’il ne soit pas porté atteinte à la possibilité pour les masses non possédantes de participer à la législation du Reich et les différents Länder, mais au contraire qu’il y ait une extension de cette participation jusqu’à une égalité de droits parfaite.

Pour cette raison l’assemblée regarde comme un droit imprescriptible pour les ouvriers d’arrêter le travail pour un laps de temps plus ou moins long en protestation contre les atteintes portées à ses droits légaux ou en vue d’obtenir des droits plus étendus, si tous les autres moyens de défense se révèlent insuffisants.

Mais comme la grève politique de masse ne peut être couronnée de succès que si elle est maintenue dans des voies strictement légales et que l’attitude des grévistes ne donne pas le prétexte à une intervention armée, l’assemblée estime que la seule préparation à l’usage de ce moyen de lutte est l’extension de l’organisation politique, syndicale et coopérative. Car c’est seulement ainsi que pourront être créées dans la masse du peuple les conditions qui garantissent le succès d’une grève de masse : une discipline consciente de ses objectifs et un soutien économique approprié ».

[2] Le Vorwärts : organe central du Parti Social-Démocrate allemand.

[3] Allusion à un vers célèbre de Faust : « Deux âmes habitent hélas ! dans ma poitrine ».

[4] Parlement du Land (Prusse, Saxe, etc.)

[5] Hirsch, homme politique (1832-1905). Co-fondateur du parti progressiste, avec Duncker et Schulze-Delitzsch. Fonda en 1868 les Deutsche Gewerkvereine ou syndicats.

[6] Werner SOMBART, économiste et sociologue (1863-1941). A fait des travaux sur le Capitalisme moderne. Spécialiste du socialisme au début, plus ou moins influencé par le marxisme, il en devint plus tard un adversaire acharné.

[7] Allusion à la phrase de Bernstein à propos de la révision nécessaire de la doctrine du Parti : celui-ci doit, écrit-il, avoir « le courage de paraître ce qu’il est aujourd’hui en réalité un parti réformiste démocrate socialiste » (Voraussetzungen, p.162)

Messages

  • Le manifeste du Parti communiste
    K. Marx - F. Engels

    II. Prolétaires et communistes

    Quelle est la position des communistes par rapport à l’ensemble des prolétaires ?

    Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers.

    Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat.

    Ils n’établissent pas de principes particuliers sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier.

    Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points : 1. Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat. 2. Dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité.

    Pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien.

    Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat.

    Les conceptions théoriques des communistes ne reposent nullement sur des idées, des principes inventés ou découverts par tel ou tel réformateur du monde.

    Elles ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d’un mouvement historique qui s’opère sous nos yeux. L’abolition des rapports de propriété qui ont existé jusqu’ici n’est pas le caractère distinctif du communisme.

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