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Physique quantique et causalité

lundi 16 août 2010, par Robert Paris

Physique quantique et causalité : lire ici

La physique quantique supprime la causalité ou plutôt elle produit une toute nouvelle « causalité quantique »…

Avertissement :

On peut lire bien des auteurs qui parlent, à propos de la physique quantique, de double causalité, de rétro-causalité, de thèse spiritualiste, mystique, idéaliste, subjectiviste. Pourtant, depuis la théorie quantique des champs et notamment les travaux de Feynman et la théorie de la décohérence, la causalité et le déterminisme sont préservés, avec un sens nouveau…

Maurice Jacob répond à la question dans « Au cœur de la matière » :

« On dispose d’un formalisme qui combine la théorie quantique et la relativité, c’est la théorie quantique des champs. Ce formalisme permet aussi de maintenir la causalité, un effet ne pouvant jamais précéder sa cause, et cela malgré les fluctuations quantiques permettant des variations de l’énergie au cours de petits intervalles de temps et malgré la relativité qui introduit une malléabilité du cours du temps selon les vitesses relatives. Pour préserver la causalité, la théorie des champs impose l’existence d’antiparticules correspondant aux particules connues. Chaque particule (caractérisée par une masse et un spin) a une antiparticule, de même masse et de même spin, mais dont les variables internes ont la valeur opposée. Si la particule a une charge négative comme l’électron, l’antiparticule (le positron) aura une charge positive. »

A ses débuts, la physique quantique a cultivé de nombreux points de vue indéterministes, subjectivistes, contre la causalité, etc.

Déterminisme et physique quantique se sont d’abord opposés

Ecole de Copenhague de la Physique quantique

Heisenberg :

« La mécanique quantique établit l’échec final de la causalité ».

Bohr dans « Théorie atomique et description de la nature » :

« Il n’y a pas pour le moment d’occasion de parler de causalité dans la nature, parce qu’il n’y a pas d’expérience qui indique sa présence. »

Erwin Schrödinger :

« La durée de vie d’un atome radioactif est encore moins prévisible que celle d’un moineau en bonne santé. »

Max Born :

« Il est clair que le dualisme onde-corpuscule et l’incertitude essentielle qu’il implique nous obligent à abandonner tout espoir de conserver une théorie déterministe. La loi de causalité… n’est plus valable, du moins au sens de la physique classique. Quant à la question de savoir s’il existe encore une loi de causalité dans la nouvelle théorie, deux points de vue sont possibles. Soit, on persiste à envisager les phénomènes à l’aides images d’onde et corpuscule, alors la loi de causalité n’est plus valable… La loi de causalité est donc sans contenu physique ; la nature des choses impose que la physique soit indéterministe. »

Niels Bohr dans son article suite à la conférence de Côme de septembre 1927, publié dans Nature le 14 avril 1928 :

« Pour résumer, on pourrait dire que les concepts d’état stationnaire et de processus individuel de transition, dans leur propre domaine d’application, possèdent à peu près autant ou aussi peu de "réalité" que l’idée même de particules individuelles. Dans les deux cas nous avons affaire à une exigence de causalité complémentaire à la description spatio-temporelle, dont l’application adéquate est seulement limitée par les possibilités restreintes de définition et d’observation. »

John von Neumann :

« En physique macroscopique, aucun expérience ne peut prouver la causalité, car l’ordre causal apparent n’y a pas d’autre origine que la loi des grands nombres, et cela tout à fait indépendamment du fait que les processus élémentaires, qui sont les véritables processus physiques, suivent ou non des lois causales… C’est seulement à l’échelle atomique, dans les processus élémentaires eux-mêmes, que la question de la causalité peut réellement être mise à l’épreuve : mais, à cette échelle, dans l’état actuel de nos connaissances, tout parle contre elle, car la seule théorie formelle s’accordant à peu près avec l’expérience et la résumant est la mécanique quantique qui est en conflit avec la causalité… Il ne subsiste aujourd’hui aucune raison permettant d’affirmer l’existence de la causalité dans la nature. »

Heisenberg :

« Ce qui a été réfuté dans la loi exacte de causalité, selon laquelle quand nous connaissons le présent avec précision, nous pouvons prédire le futur, ce n’est pas la conclusion mais l’hypothèse ».

Niels Bohr dans « Théorie atomique et description de la nature » :

« La mécanique quantique est en contradiction logique avec la causalité (...) Il n’y a pas pour le moment d’occasion de parler de causalité dans la nature, parce qu’il n’y a pas d’expérience qui indique sa présence. »

Cassirer dans « Déterminisme et Indéterminisme dans la physique moderne » :

« Mach avait raison quand il affirmait qu’il n’y a plus de cause et d’effet dans la nature. »

Bohr écrit en 1931 :

« On a parfois dit que la théorie quantique laissait entièrement de côté l’idée de causalité. Je crois qu’il faudrait plutôt dire que nous essayons, dans le cadre de la théorie quantique, d’exprimer certaines lois qui se situent si profond qu’elles ne peuvent pas être visualisées, ou bien dont on ne peut pas rendre compte au moyen de la description ordinaire en termes de mouvement. Cet état de choses conduit au fait que nous devons utiliser dans une large mesure des méthodes statistiques et parler des choix que fait la nature entre les possibles. »

Werner Heisenberg, dans « La partie et le tout, le monde de la physique atomique » :

« Effectivement, Grete Hermann pensait être en mesure de prouver en toute rigueur que la loi de causalité – dans la forme que lui avait donnée Kant – devait rester entièrement valable. La nouvelle mécanique quantique, cependant, remettait tout de même en question, dans une certaine mesure, cette forme de la loi de la causalité ; et c’est sur ce point que la jeune philosophe était décidée à mener le combat jusqu’au bout. La première discussion qu’elle eut à ce sujet, avec Carl von Weizsäcker et moi-même a pu commencer par la remarque suivante : « Dans la philosophie de Kant, la loi de causalité n’est pas une affirmation empirique qui pourrait être soit justifiée soit réfutée par l’expérience ; elle est au contraire la condition de toute expérience, elle fait partie de ces catégories de pensée que Kant appelle « a priori ». En effet, les impressions sensorielles qui nous sont communiquées par le monde extérieur ne constitueraient qu’un ensemble subjectif de sensations, auxquelles ne correspondrait aucun objet, s’il n’existait pas une règle en vertu de laquelle les impressions résultent d’un processus qui les a précédées. Cette règle, à savoir la connexion univoque entre la cause et l’effet, doit donc être admise a priori si l’on veut affirmer que l’on a éprouvé ou expérimenté quelque chose, que ce soit un objets ou un processus. D’un autre côté, la science traite d’expériences, et précisément d’expériences objectives ; seules les expériences qui peuvent également être contrôlées par d’autres, qui sont donc objectives dans ce sens précis, peuvent faire l’objet de la science. Il s’ensuit obligatoirement que toute science doit supposer la loi de causalité, et que la science ne peut exister que dans la mesure où la loi de causalité existe. Cette loi est donc en un certain sens l’outil de notre pensée, à l’aide duquel nous essayons de transformer le matériau brut de nos impressions sensorielles en expérience. Et ce n’est que dans la mesure où nous réussissons à effectuer cette transformation que nous possédons un objet pour notre science. Comment peut-il donc se faire que la mécanique quantique tende d’un côté à rendre moins stricte la loi de causalité, et d’un autre côté prétende encore rester une science ? »

Niels Bohr, La théorie atomique et les principes fondamentaux à la base de la description de la nature, 1929 :

« La résignation en ce qui concerne la visualisation et la causalité, à laquelle nous sommes ainsi contraints dans notre description des phénomènes atomiques, pourrait aussi bien être considérée comme une frustration des espoirs qui formaient le point de départ des conceptions atomiques. Toutefois, au stade actuel de la théorie atomique, nous devons considérer cette renonciation même comme un progrès essentiel dans notre compréhension. »

Louis de Broglie, dans « Le dualisme des ondes et des corpuscules dans l’œuvre d’Albert Einstein » :

« La nouvelle interprétation était très révolutionnaire : elle renonçait aux descriptions précises dans le cadre de l’espace et du temps, elle abandonnait la causalité et le déterminisme des phénomènes physiques. Bientôt M. Bohr allait la résumer en introduisant la curieuse, mais un peu trouble, notion de « complémentarité » suivant laquelle le corpuscule et l’onde sont des « aspects complémentaires de la réalité » qui se complètent en s’excluant, chacun de ces deux aspects ne se manifestant dans l’expérience qu’au détriment de l’autre. En s’orientant vers de telles conceptions, on s’éloignait évidemment complètement de la représentation synthétique des corpuscules et des champs dans le cadre de l’espace et du temps qu’avait rêvée Einstein. »

Introduction de Louis de Broglie à la seconde édition de « Physique nouvelle et quanta » :

« Un doute s’est glissé dans mon esprit au sujet de l’exactitude de la nature indéterminée et acausale qu’on avait été amené à attribuer aux phénomènes micro-physiques et que je m’étais résigné à admettre contrairement à mes convictions primitives. (…) »

Louis de Broglie, dans la préface de septembre 1955 à « Nouvelles perspectives en microphysique » :

« J’avais cherché pendant plusieurs années, de 1923 à 1927, à obtenir une interprétation conforme à l’idée de causalité et utilisant, suivant la tradition des physiciens, une représentation de la réalité physique (…) Les difficultés que j’avais rencontrées en développant cette tentative, l’hostilité qu’elle avait suscitée de la part des autres théoriciens de la Physique m’ont conduit en 1928 à l’abandonner et je me suis rallié pendant près de 25 ans à l’interprétation probabiliste issue des travaux de MM. Born, Bohr et Heisenberg qui était devenue la doctrine officielle de la Physique théorique. (…) J’ai été amené à reprendre ma tentative d’autrefois et à me demander si ce n’était pas elle qui indiquait la bonne voie à suivre pour parvenir à une véritable compréhension du dualisme des ondes et des corpuscules et à une interprétation vraiment intelligible de la Mécanique ondulatoire. »

Georges Lochak dans sa préface à « La physique nouvelle et les quanta » :

« Louis de Broglie, comme presque tous les physiciens, avait succombé à la fascination des idées de Bohr sur l’indéterminisme. Il avait même cédé à cette étrange délectation qu’éprouvent beaucoup de physiciens de notre siècle à découvrir que les choses ne sont pas claires et à se sentir plus humains parce qu’ils se sentent plus ignorants. (…) Car c’est à cette même époque que Niels Bohr, grand physicien habité par d’étranges démons philosophiques, fit de la non-réponse à cette question (pourquoi les objets quantiques nous apparaissent tour à tour sous l’aspect d’ondes ou sous celui de corpuscules) un système philosophique et verrouilla le problème dans un discours épistémologique dont le maître mot était : « complémentarité ». Idée séduisante mais nébuleuse qu’un élève de Bohr, Léon Rosenfeld, exprima un peu pompeusement en disant que « la crise a été résolue sur un plan plus élevé de la théorie de la connaissance ». C’est ce qui fait encore aujourd’hui que, pour beaucoup de physiciens, le problème du dualisme onde-corpuscule n’est pas seulement difficile, ni même insoluble : il n’est pas convenable d’en parler parce que ce n’est pas un problème. L’idéologie de l’Ecole de Copenhague, de Broglie s’y était rallié sous la pression ambiante (…) En 974, Louis de Broglie considérait à nouveau l’interprétation en vigueur, celle de Bohr, comme une entrave à l’imagination. »

Max Born :

« La mécanique quantique de Schrödinger donne une réponse précise à la question de l’effet d’une collision, mais il ne s’agit pas d’une relation causale. On ne répond pas à la question quel est l’état après la collision mais quelle est la probabilité d’obtenir un effet donné après la collision (...) Ici se pose tout le problème du déterminisme. Du point de vue de notre mécanique quantique, il n’existe pas de grandeur qui, dans un cas particulier, déterminerait causalement l’effet d’une collision ».

F. London et E. Bauer dans leur ouvrage « Exposés de Physique Générale » de 1939 :

« D’après certains, ce caractère statistique serait un symptôme de ce que notre connaissance des lois atomiques est encore incomplète : il resterait à trouver des « paramètres cachés », déterminant les processus que, provisoirement, nous nous contentons de décrire en langage statistique. A les en croire, on pourrait espérer réussir quelque jour à refondre la théorie dans un moule déterministe. D’autres comprennent que c’est « l’action de l’observateur » qui est en jeu. Ils pensent parfois que celle-ci serait une action causale, mais incomplètement connue, parce qu’on ne sait jamais exactement dans quel état se trouve l’observateur. De là résulterait la dispersion statistique des mesures, dont il serait peut-être possible de prévoir les résultats exacts, si l’on pouvait mieux tenir compte de l’intervention de l’observateur. On a dit aussi que la loi de causalité serait peut-être valable mais inapplicable, parce qu’il n’y aurait aucun moyen de reproduire deux fois les conditions identiques. La discussion de ces questions n’est point un objet de spéculation, c’est un problème positif, qu’on doit traiter en appliquant la théorie quantique au processus même de mesure, sur lequel elle fournit des précisions essentielles. On peut se convaincre que les distributions statistiques, telles qu’elles sont données par la mécanique quantique et confirmées par l’expérience, ont une structure telle qu’elles sont données par la mécanique quantique et confirmées par l’expérience, ont une structure telle qu’elles ne peuvent pas être réduites à l’aide de paramètres cachés. Il ne s’agit pas, comme on l’a souvent prétendu, d’une question d’interprétation philosophique : la mécanique quantique devrait être « fausse objectivement », si les processus atomiques étaient déterminés en réalité et seulement connus incomplètement… C’est un trait assez général de la physique moderne que souvent ses conquêtes ne sont obtenues que par le sacrifice de certaines de nos convictions philosophiques traditionnelles… »

Max Planck, dans « Initiation à la physique » résistait à cette tendance comme allait le faire aussi Einstein :

« A l’heure actuelle, il y a des physiciens qui seraient très portés à retirer au principe de causalité strict son rôle dans le système physique de l’univers. (...) Mais, autant que je puis m’en rendre compte, il n’y a, pour le montent, aucune nécessité de se résigner à l’indéterminisme. (...) Il est toutefois certain que cette façon d’envisager le déterminisme diffère quelque peu de celle qui était habituelle en physique classique. »

« L’indétermination quantique, ce crédo est-il définitif ? Je crois qu’un sourire vaut mieux qu’une réponse », répondait Einstein…

Jean-Marc Lévy-Leblond dans « La quantique à grande échelle », article de l’ouvrage collectif « Le monde quantique » :

« L’approche philosophique et culturelle des problèmes de la mécanique quantique devait tout naturellement privilégier les discussions sur le déterminisme… »

Richard Feynman dans son « Cours de Physique – Mécanique 1 » :

« Un changement très intéressant, apporté par la mécanique quantique aux idées et à la philosophie de la science, est le suivant : il n’est possible, en aucune circonstance, de prédire exactement ce qui va se produire. Par exemple, il est possible de mettre un atome en état d’émettre de la lumière, et nous pouvons mesurer l’instant où il émet cette lumière en détectant une particule appelée photon, que nous décrirons bientôt. Nous ne pouvons pas cependant prédire « quand » il va émettre de la lumière ou, si on dispose de plusieurs atomes, « lequel » va émettre de la lumière. Vous allez dire que ceci est peut-être dû à certains « rouages » internes encore insuffisamment étudiés. Non, il n’y a pas de mécanismes cachés ; la nature, comme nous la comprenons aujourd’hui, se comporte de telle manière qu’il est « fondamentalement impossible » de faire une prédiction de « ce qui va exactement se passer » dans une expérience donnée. C’est horrible ; auparavant, les philosophes disaient qu’une des conditions fondamentales de la science est que chaque fois que vous établissez les mêmes conditions, la même chose doit se passer. Ceci est tout simplement faux, ce n’est pas une condition fondamentale de la science. Le fait est que la même chose ne se réalise pas, que nous ne pouvons trouver ce qui se passe qu’en moyenne et statistiquement. Malgré cela, la science ne s’est pas complètement effondrée. Les philosophes, incidemment, ont dit beaucoup de choses sur ce qui est « absolument nécessaire » à la science, et c’est toujours, pour autant que l’on puisse le savoir, plutôt naïf et probablement faux. Par exemple, l’un ou l’autre parmi ces philosophes a dit qu’il est fondamental pour l’effort scientifique que si une expérience est réalisée, disons à Stockholm, et que la même expérience soit réalisée par exemple à Quito, « les mêmes résultats » doivent être obtenus. Ceci est tout à fait faux. Il n’est pas nécessaire que la science réalise cela. C’est peut-être un fait d’expérience mais ce n’est pas nécessaire. Par exemple, si l’une des expériences consiste à regarder le ciel et à observer une aurore boréale à Stockholm, vous ne la verrez pas à Quito ; c’est un phénomène différent… Quelle est l’hypothèse fondamentale de la science, sa philosophie fondamentale ? Nous l’avons dit dans le premier chapitre : la seule vérification de la validité d’une idée est l’expérience. S’il apparaît que la plupart des expériences donnent la même chose à Quito et à Stockholm, alors ces « très nombreuses expériences » seront utilisées pour formuler quelques lois générales, et nous dirons que si les expériences donnent la même chose à Quito et à Stockholm, alors ces « très nombreuses expériences » seront utilisées pour formuler quelques lois générales, et nous dirons que si les expériences ne donnent pas les mêmes résultats, cela est dû aux conditions extérieures qui ne sont pas les mêmes à Stockholm. Nous inventerons certaines manières de résumer les résultats expérimentaux, mais il ne faut pas qu’on nous dise à l’avance quelle sera cette manière. Si on nous dit que la même expérience va toujours produire le même résultat, c’est très bien, mais si nous essayons et que ce n’est pas le cas, eh bien ce n’est pas le cas. Nous ne devons considérer que ce que nous voyons, et exprimer tout le reste de nos idées en fonction de notre expérience réelle. »

http://www.scientiaestudia.org.br/associac/paty/pdf/Paty,M_2002g-PhQCausBohm.pdf

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article1331

Le matérialisme dialectique n’est pas surpris par les découvertes quantiques :

Une certaine conception mythique de la causalité est tombée du fait de la découverte du fonctionnement de la matière à l’échelle microscopique : la physique quantique. Le déterminisme, ou la causalité, érigés en religion n’ont plus cours mais ce n’est pas un mal. C’était une conception étroite et non dynamique des lois de la matière.

Elle n’avait pas été celle de nombreux auteurs, pourtant adversaires de la thèse du pur hasard, de l’indéterminisme, de l’agnosticisme, la conception d’une nature acausale le relativisme, le subjectivisme toutes formes de théorisation de l’incapacité de connaître le réel,.

Pour Hegel, « La loi est le reflet de l’essentiel dans le mouvement de l’univers. » Mais il rajoute aussitôt : « Le phénomène est plus riche que la loi. »

Il précise : « La loi est le durable dans le phénomène. »

Ou encore : « La loi est l’identique dans le phénomène. »

Hegel :

« L’effet ne contient... en principe rien que ne contienne la cause »
« C’est la même chose qui se présente une première fois comme cause, une autre fois comme effet, là comme subsister propre, ici comme être posé, c’est-à-dire comme détermination dans un autre »
« Or par le mouvement du rapport déterminé de causalité il est maintenant advenu ceci que la cause ne fait pas que s’éteindre dans l’effet, et par là même l’effet — comme dans la causalité formelle — mais au contraire que la cause dans son extinction devient à nouveau dans l’effet, que l’effet disparaît dans la cause mais tout autant devient à nouveau en elle. Chacune de ces déterminations s’abroge dans son poser et se pose dans son abroger ; il n’y a pas là un passage extérieur de la causalité d’un substrat sur un autre, mais au contraire son devenir autre est en même temps son propre poser. La causalité se présuppose donc elle-même ou se conditionne »
« L’action réciproque se présente tout d’abord comme une causalité réciproque de substances présupposées, se conditionnant l’une l’autre ; chacune est à l’égard de l’autre substance active et en même temps substance passive »
« Dans l’action réciproque, la causalité originaire se présente comme un naître à partir de sa négation, de la passivité, et comme un disparaître en celle-ci, comme un devenir... Nécessité et causalité y ont donc disparu, elles renferment l’une et l’autre l’identité immédiate, en tant que liaison et relation, et l’absolue substantialité des distingués, par conséquent leur absolue contingence ; elles renferment l’unité originaire des différences substantielles, donc la contradiction absolue. La nécessité est l’être, parce qu’il est ; l’unité de l’être avec soi-même, qui est lui-même son propre fondement. Mais inversement parce qu’il a un fondement il n’est pas être ; il n’est qu’apparence, relation ou médiation. La causalité est ce passage posé de l’être originaire, de la cause, dans l’apparence ou simple être-posé et, inversement, de l’être-posé dans l’originaire ; mais l’identité même de l’être et de l’apparence est encore la nécessité interne. Cette intériorité ou cet être en soi abroge le mouvement de la causalité ; par là se perd la substantialité des aspects qui sont en rapports et la nécessité se démasque. La nécessité ne devient pas liberté parce qu’elle disparaît, mais bien parce que son identité encore intérieure se manifeste seule »
« Sans doute l’action réciproque est, à dire vrai, la vérité la plus proche du rapport de cause et effet et elle se tient, pour ainsi dire, au seuil du concept. C’est justement la raison pourquoi on ne peut pas se contenter de l’application de ce rapport quand il s’agit de la connaissance conceptuelle. Si l’on s’en tient là, pour ne considérer un contenu donné que sous le simple aspect de l’action réciproque, c’est en réalité une démarche d’où la compréhension est tout à fait absente ; on a alors simplement affaire à un fait sec et l’exigence de la médiation, dont il s’agit justement tout d’abord dans l’application du rapport de causalité, reste à nouveau insatisfaite. Considéré plus précisément, ce rapport au lieu de valoir comme un équivalent du concept, veut être lui-même d’abord compris ; et cela n’a lieu qu’autant que les deux aspects de ce rapport ne sont pas laissés comme des immédiatement donnés, mais au contraire, comme il a été montré dans les paragraphes précédents, sont connus comme les moments d’un troisième, plus élevé, qui est précisément le concept. Si, par exemple, nous considérons les mœurs du peuple spartiate comme l’effet de sa constitution et, inversement, celle-ci comme l’effet de ses mœurs, cette considération peut bien être exacte à tout coup sans procurer pour autant une satisfaction définitive, car en réalité ni la constitution ni les mœurs ne sont comprises par là. Cette compréhension ne peut avoir lieu qu’autant que ces deux aspects et tout autant tous les autres aspects particuliers que montrent la vie et l’histoire du peuple Spartiate sont connus en tant que fondés dans son concept. »

« Cette antinomie (entre la cause et l’effet), considérée abstraitement, se base sur l’antithèse que la relation causale a en elle-même. Notamment, la cause est une cause originelle, une première cause, qui se meut elle-même. Mais elle est conditionnée par ce sur quoi elle agit, et son activité passe dans son effet. Ainsi, il ne faut pas la considérer comme quelque chose d’originel… La véritable solution de cette antinomie, c’est la réciprocité ; une cause qui passe dans un effet e a en lui de nouveau une réaction causale ; par ce moyen la première cause est de nouveau réduite à un effet… »

Engels dans l’Anti Dühring

« Il n’y a dans la nature ni cause ni effet. »

Friedrich Engels :

« Ce qu’on affirme nécessaire est composé de purs hasards et le prétendu hasard est la forme sous laquelle se cache la nécessité. La causalité linéaire est suffisante pour des phénomènes simples. Mais cette forme simpliste de détermination ne suffit lorsqu’on se trouve devant des systèmes complexes et sensibles. (...) Le hasard n’est pas la négation de la causalité et du déterminisme ; il est la négation dialectique de la nécessité, expression de la richesse des déterminations des systèmes physiques. »

Friedrich Engels dans "Dialectique de la nature" :

« Sur le plan de la théorie, la science de la nature s’est obstinée d’une part dans la pauvreté de la métaphysique selon Wolff qui veut que quelque chose soit ou bien nécessaire ou bien contingent, mais non les deux à la fois et d’autre part, dans le déterminisme mécaniste à la pensée à peine moins pauvre, qui supprime en bloc le hasard par une négation verbale pour le reconnaître en pratique dans chaque cas particulier. (...) En face de ces deux conceptions, Hegel apparaît avec des proportions absolument inouïes jusque-là : « Le contingent a un fond parce qu’il est contingent, et aussi bien il n’a pas de fond parce qu’il est contingent ; le contingent est nécessaire et la nécessité elle-même se détermine comme contingence, tandis que d’autre part, cette contingence est plutôt la nécessité absolue ». (Logique : L.II, Section III, ch. 1, La Réalité.)

« La contingence jette pardessus bord la nécessité telle qu’on l’a conçue jusqu’ici . L’idée de nécessité qu’on avait jusqu’ici fait fiasco. La conserver signifie dicter pour loi à la nature la détermination humaine arbitraire qui entre en contradiction avec elle-même et avec la réalité ; cela signifie donc nier toute nécessité interne dans la nature vivante, proclamer d’une manière universelle le règne chaotique du hasard comme loi unique de la nature vivante. (…) La première chose qui nous frappe lorsque nous observons de la matière en mouvement, c’est la liaison réciproque des mouvements individuels des corps individuels, leur conditionnement l’un par l’autre. Or nous trouvons non seulement que tel mouvement est suivi de tel autre, nous trouvons aussi que nous pouvons produire tel mouvement déterminé en créant les conditions dans lesquelles il s’opère dans la nature ; et même nous sommes en mesure de produire des mouvements qui ne se produisent pas du tout dans la nature (Industrie), - du moins pas de cette manière, - et nous pouvons donner à ces mouvements une direction et une extension déterminées à l’avance. C’est grâce à cela, grâce à l’activité de l’homme que s’établit la représentation de la causalité, l’idée qu’un mouvement est la cause d’un autre. A elle seule, la succession régulière de certains phénomènes naturels peut certes engendrer l’idée de la causalité : ainsi la chaleur et la lumière qui apparaissent avec le soleil ; cependant cela ne constitue pas toujours une preuve, et, dans cette mesure, le scepticisme de Hume aurait raison de dire que la régularité du post hoc ne peut jamais fonder un propter hoc. Mais l’activité de l’homme est la Pierre de touche de la causalité. Si, à l’aide d’un miroir concave, nous concentrons en un foyer les rayons du soleil et leur donnons la même action que celle des rayons d’un feu ordinaire, nous prouvons par là que la chaleur vient du soleil. Si nous introduisons dans un fusil amorce, charge explosive et projectile et qu’ensuite nous tirions, nous escomptons un effet connu d’avance par expérience, parce que nous pouvons suivre dans tous ses détails le processus d’allumage, de combustion, d’explosion provoquée par la transformation brusque en gaz, la pression du gaz sur le projectile. Et ici le sceptique ne peut même pas dire que, de l’expérience passée, il ne résulte pas qu’il en sera de même la fois suivante. Car, en fait, il arrive que parfois il n’en soit pas de même, que l’amorce rate ou que la poudre fasse long feu, que le canon du fusil éclate, etc. Mais c’est précisément cela qui prouve la causalité, au lieu de la réfuter, car pour chacune de ces exceptions à la règle nous pouvons, en faisant les recherches appropriées, trouver la cause : décomposition chimique de l’amorce, humidité, etc., de la poudre, défectuosité du canon., etc., de sorte qu’ici la preuve de la causalité est pour ainsi dire administrée deux lois. Jusqu’ici la science de la nature, et de même la philosophie, ont absolument négligé l’influence de l’activité de l’homme sur sa pensée. Elles ne connaissent d’un côté que la nature, de l’autre que la pensée. Or, c’est précisément la transformation de la nature par l’homme, et non la nature seule en tant que telle, qui est le fondement le plus essentiel et le plus direct de la pensée humaine, et l’intelligence de l’homme a grandi dans la mesure où il a appris à transformer la nature. »

Engels dit dès le premier chapitre de l’Anti Dühring :

« Pour connaître ces détails » (ou les particularités du tableau d’ensemble des phénomènes universels), « nous sommes obligés de les détacher de leur enchaînement naturel (natürlich) ou historique et de les étudier individuellement dans leurs qualités, leurs causes et leurs effets particuliers » (pp. 5 6). Il est évident que ces rapports naturels, rapports entre les phénomènes de la nature, ont une existence objective. Engels souligne particulièrement la conception dialectique de la cause et de l’effet : « Cause et effet sont des représentations qui ne valent comme telles qu’appliquées à un cas particulier, mais que, dès que nous considérons ce cas particulier dans sa connexion générale avec l’ensemble du monde, elles se fondent, elles se résolvent dans la vue de l’universelle action réciproque, où causes et effets permutent continuellement, où ce qui était effet, maintenant ou ici, devient cause ailleurs ou ensuite, et vice versa » (p. 8). Ainsi, le concept humain de la cause et de l’effet simplifie toujours quelque peu les liaisons objectives des phénomènes de la nature, qu’il ne reflète que par approximation en isolant artificiellement tel ou tel aspect d’un processus universel unique. Si nous constatons la correspondance des lois de la pensée aux lois de la nature, cela devient compréhensible, dit Engels, dès que l’on considère que la pensée et la conscience sont « des produits du cerveau humain et que l’homme est lui même un produit de la nature ». On comprend que « les productions du cerveau humain, qui en dernière analyse sont aussi des produits de la nature, ne sont pas en contradiction, mais en conformité avec l’ensemble de la nature (Naturzusammenhang ») (p. 22). Les liaisons naturelles, objectives, entre les phénomènes du monde ne font pas de doute. Engels parle constamment des « lois de la nature », de la « nécessité de la nature » (Naturnotwendigkeiten) et ne juge pas indispensable d’éclairer plus spécialement les thèses généralement connues du matérialisme. Nous lisons de même dans son Ludwig Feuerbach : Les « lois générales du mouvement, tant du monde extérieur que de la pensée humaine », sont « identiques au fond, mais différentes dans leur expression en ce sens que le cerveau humain peut les appliquer consciemment, tandis que, dans la nature, et, jusqu’à présent, en majeure partie également dans l’histoire humaine, elles ne se fraient leur chemin que d’une façon inconsciente, sous la forme de la nécessité extérieure, au sein d’une série infinie de hasards apparents » (p. 38). Engels accuse l’ancienne philosophie de la nature d’avoir remplacé « les rapports réels encore inconnus » (entre les phénomènes de la nature) « par des rapports imaginaires, fantastiques » (p. 42) La reconnaissance des lois de la causalité et de la nécessité objectives, dans la nature est très nettement exprimée par Engels, qui souligne par ailleurs le caractère relatif de nos reflets humains, approximatifs, de ces lois en telles ou telles notions. »

E. Bitsakis écrit dans « Physique et matérialisme » :

« Les transformations des particules élémentaires ne suivent pas en général une voie unique. Dans le cas d’un proton et d’un antiproton, par exemple, on peut avoir un pion positif, un négatif et un neutre, ou trois mésons positifs et trois négatifs, ou encore deux mésons positifs, deux négatifs et deux neutres, ou trois positifs, trois négatifs et un neutre, ou enfin, six mésons neutres. Dans les transformations des particules élémentaires, on observe en général plusieurs « canaux », et l’on peut souvent calculer la probabilité pour chaque voie. (…) D’une manière analogue, on a la désintégration d’un méson éta en trois pions, ou deux pions et un photon, et on peut mesurer l’analogie entre les deux voies de désintégration. Ici aussi on peut obtenir de la même particule des produits différents. Ces produits ne sont pas contenus dans la particule initiale. La particule ne se désintègre pas en ses constituants ; elle se transforme en des êtres différents, selon des mécanismes plus ou moins inconnus. Il est évident que, dans ces cas, la conception linéaire, univalente de la causalité n’est pas suffisante. Il nous faut ici un cadre plus large. A la place de la relation causale au sens classique, avec son résultat unique, il convient d’utiliser le concept de potentialité, c’est-à-dire d’obtenir des résultats différents dans les « mêmes » conditions initiales. (…) Heisenberg écrivait ainsi dans « Physique et philosophie » : « Les atomes, ou les particules élémentaires elles-mêmes, ne sont pas réels ; ils constituent un monde de potentialités ou de possibilités plutôt qu’un monde de choses ou de faits. » Heisenberg découvre ici un germe de dialectique mais, en même temps et surtout, il s’efforce de justifier une négation de la dialectique objective, quand il parle de la possibilité d’une réalité et, encore plus, quand il rejette toute idée d’une réalité objective. (…) La dichotomie introduite par Heisenberg est conforme à la contradiction formelle entre le potentiel et le réel. (…) Heisenberg a développé systématiquement des conceptions idéalistes et platoniciennes, et ses idées ont eu une grande influence sur ses contemporains. Parlant des conséquences extrêmes de ces idées, A. Landé a dit : « Il n’est pas étonnant que Sir James Jeans, après avoir étudié Bohr et Heisenberg, soit arrivé à la conclusion triomphale que la matière consiste ondes de connaissance, ou en absence de connaissance dans notre esprit. » (…) La pensée mécaniste sépare l’objet des conditions de son existence. La pensée positiviste (mécaniste d’un point de vue diamétralement opposé) prend la position inverse, quand elle affirme que « l’objet n’existe pas avant l’interaction avec l’instrument » et que « la réalité est création de nos moyens d’observation ». Mais la pensée positiviste contient dans ce cas un germe de vérité. En réalité, l’objet n’a pas d’existence en dehors de conditions concrètes, en dehors de son milieu et de ses relations concrètes avec ce milieu. De ce point de vue, l’instrument d’observation « crée » la particule. Mais il ne la crée pas du néant, il la transforme, et d’un être initial donné, dans des conditions concrètes, il crée divers êtres, selon la nature de la particule initiale et les conditions de l’expérience. Les interactions de la particule avec le milieu, ou avec l’appareil de la mesure, transforment certains de ses éléments de réalité en des éléments différents. Ainsi la particule passe d’un état à un autre, ou se transforme en autre chose. Ce dynamisme interne de la matière a été considéré comme une preuve de non existence ! (…) Devant les faits qui montrent que les particules du niveau quantique ne sont pas « élémentaires » au sens classique, beaucoup de physiciens n’accordent aucune valeur au critère d’élémentarité. Werner Heisenberg, par exemple, écrivait, en 1957, qu’il n’y a pas de critère objectif d’élémentarité, et qu’il dépend de notre libre arbitre de déterminer quelle particule peut être considérée comme élémentaire, et quand. Louis de Broglie aussi écrivait dès 1961 : « Il semble bien, en effet, qu’on ne peut donner aucune définition univoque du corpuscule élémentaire et que, par suite, il vaut sans doute mieux ne pas introduire cette expression en physique quantique. (…) Le critère d’élémentarité est relatif, au sens dialectique et non pas au sens agnostique du terme. On peut considérer élémentaire un être au niveau quantique, s’il a des propriétés et des interactions définies, dans des conditions définies. (…) Les concepts du complexe et du simple au sens de la logique formelle ne sont pas applicables aux êtres de la physique quantique. Mais ils sont applicables au sens dialectique, comme des contraires qui s’excluent et se transforment mutuellement. (…) Les états stationnaires de la physique sont en réalité des états d’équilibre dynamique : d’unité des contraires. Mais une perturbation peut détruire la symétrie existante et la dissymétrie momentanée conduit à un ou plusieurs nouveaux états. Ainsi un atome émet du rayonnement chaque fois qu’il est excité par le quantum de rayonnement électromagnétique. Un neutron peut détruire l’équilibre d’un noyau : le résultat est la désintégration du noyau initial, et la formation de nouveaux noyaux à partir de l’ancien. Et cela, car le noyau est une totalité contradictoire et sa cohérence est assurée par le jeu d’échanges des différents champs physiques, surtout du champ fort et du champ électromagnétique. Ainsi, une perturbation extérieure peut provoquer la rupture de cet équilibre dynamique et conduire à une désintégration ou transmutation. Deux particules forment pendant une collision une totalité momentanée et contradictoire, qui donne naissance à d’autres particules. Ainsi, les anciennes formes, à travers un processus de fusion et de séparation, donnent naissance à d’autres formes. L’état intermédiaire est la négation de l’état initial. La négation de la négation est l’émergence de nouvelles formes. (…) Au niveau de la microphysique on peut imaginer le mouvement simple dans l’espace comme disparition de la particule en un point et réapparition en un autre point voisin. (…) Le mouvement est ainsi analysé en une série de recréations et de destructions dont le résultat total est le changement continu de la particule dans l’espace. (…) »

Dans ses « Cahiers philosophiques », Lénine relève qu’Hegel ne défendait pas le règne non dialectique du déterminisme absolu : « Le concept de loi est un des degrés de la connaissance par l’homme de l’unité et de la liaison, de l’interdépendance et de la totalité du processus universel. (…) Ici Hegel est en lutte contre l’absolutisation du concept de loi, contre sa simplification, sa fétichisation. »

Lénine rajoute dans ses cahiers : « La loi prend ce qui est « calme » dans les phénomènes – et par là la loi, toute loi, est étroite, incomplète, approchée. »

Bitzakis dans « Physique et matérialisme » :

« A un moment donné la particule entre en interaction avec un appareil de mesure. L’appareil est un système macroscopique qui transforme l’action du micro-objet en événement macroscopique. Mais pendant l’interaction particule-appareil, l’état de la particule change. Une nouvelle fonction d’onde va décrire l’état nouveau, s’il en existe un, parce que très souvent la particule est absorbée par l’appareil… Ainsi on dit souvent que l’interaction entre la particule et l’appareil est « acausale ». Pourtant, le changement de l’état initial de la particule est dû à une cause très concrète : le quantum d’action. Le changement est inévitable, car le quantum d’action est du même ordre de grandeur que la microparticule. Au lieu donc de parler d’une interaction acausale (la contradiction logique de cette expression est évidente), on devrait parler plutôt d’une interaction particule-appareil, d’une unité contradictoire et momentanée de deux parties de l’expérience, donnant une série de résultats en général prévisibles... L’interaction particule-appareil est quantifiée. Le caractère discontinu des interactions est à la base des changements qualitatifs qui se réalisent pendant la mesure. On dit que le quantum d’action crée une limite et qu’au-delà de cette limite règne l’indéterminisme. Mais la cause de l’ « indéterminisme » est bien déterminée ! »

Peut-on conserver la causalité en physique quantique ? Et quel type de causalité ?

Schrödinger écrivait encore :

« Si j’observe une particule ici et maintenant, et si j’observe une particule identique un instant plus tard et à un endroit qui est très proche de l’endroit précédent, non seulement je ne peux pas être assuré qu’il s’agit de « la même » particule, mais un énoncé de ce genre n’aurait aucune signification absolue. Ceci paraît être absurde. Car nous sommes habitués de penser que, à chaque instant, entre les deux observations, la première particule doit avoir été « quelque part », qu’elle doit avoir suivi une « trajectoire », que nous connaissions celle-ci ou non. Et de même nous sommes habitués de penser que la seconde particule doit être venue de quelque part, doit avoir « été » quelque part au moment de notre première observation. (…) En d’autres termes, nous supposons – en nous conformant à une habitude de pensée qui s’applique aux objets palpables (note de matière et révolution : c’est ce que croyait Schrödinger avant que l’on montre que nous ne voyons rien en continu, même à notre échelle) – que nous aurions pu maintenir notre particule sous une observation « continue » et affirmer ainsi son identité. C’est cette habitude de pensée que nous devons rejeter. Nous ne devons pas admettre la possibilité d’une observation continue. Les observations doivent être considérées comme des événements discrets, disjoints les uns des autres. Entre elles il y a des lacunes que nous ne pouvons combler. Il y a des cas où nous bouleverserions tout si nous admettions la possibilité d’une observation continue. C’est pourquoi j’ai dit qu’il vaut mieux ne pas regarder une particule comme une entité permanente, mais plutôt comme un événement instantané. Parfois ces événements forment des chaînes qui donnent l’illusion d’être des objets permanents, mais cela n’arrive que dans des circonstances particulières et pendant une période de temps extrêmement courte dans chaque cas particulier. (…) »

Paul Langevin :

« Nous avons vu, dans les électrons et dans les autres particules, une sorte d’extrapolation jusqu’à une ténuité extrême des objets auxquels nous sommes habitués. Nous avons cru pouvoir suivre, au moins par la pensée, ces objets, parler de leurs positions et de leurs mouvements. L’expérience nous répond qu’on ne peut pas connaître avec précision à la fois la position et la vitesse d’un corpuscule, que la question ainsi posée n’a pas de sens. Alors, tout de suite nous concluons : les lois de la nature comportent une indétermination fondamentale. Pourquoi ne pas admettre plutôt que notre conception corpusculaire est inadéquate, qu’il n’est pas possible de représenter le monde intra-atomique en extrapolant jusqu’à l’extrême limite notre conception macroscopique du mobile ? Du fait que la nature ne répond pas de façon précise quand nous lui posons une question concernant le mobile corpusculaire, c’est beaucoup de prétention de notre part de conclure : il n’y a pas de déterminisme dans la nature. Il est plus simple de dire : c’est que la question est mal posée, et que la nature ne connaît pas de mobile corpusculaire. »

Pour la théorie de la décohérence, l’effondrement de la fonction d’onde n’est pas spécifiquement provoquée par un acte de mesure, mais peut avoir lieu spontanément, même en l’absence d’observation et d’observateurs. Ceci est une différence essentielle avec le postulat de réduction du paquet d’onde qui ne spécifie pas comment, pourquoi ou à quel moment a lieu la réduction, ce qui a ouvert la porte à des interprétations mettant en jeu la conscience et la présence d’un observateur conscient. Ces interprétations deviendront sans objet si la théorie de la décohérence devient suffisamment complète pour préciser ces points.

Murray Gell-Mann dans « Le quark et le jaguar » :

« Quelle est l’explication sous-tendant la décohérence, quel est le mécanisme qui, faisant que la somme des termes d’interférence est nulle, permet d’assigner des probabilités ? C’est l’enchevêtrement de ce qui est suivi dans les histoires à gros grain avec ce qui est ignoré ou sursommé. (...) La mécanique quantique nous dit que que, dans la sommation, sous des conditions appropriées, les termes d’interférence disparaissent entre histoires impliquant des destins différents pour ce qui est ignoré. (...) Prenez l’exemple de la célèbre expérience dans laquelle un photon en provenance d’une source minuscule a la liberté de passer par l’une ou l’autre des deux fentes d’un écran sur son trajet vers un point donné d’un détecteur - ces deux histoires interfèrent et on ne peut leur assigner de probabilités. Dire par quelle fente est passée le photon n’a donc aucun sens. (...) Nous pouvons (...) illustrer la généralité de la décohérence avec un autre exemple : une description approximative de l’orbite d’un objet dans le Système solaire. La taille de l’objet peut aller de la grosse molécule à la planète (...) Considérez des histoires à gros grain dans lesquelles les destins de toutes les autres choses de l’Univers sont sursommées, comme le sont les propriétés internes de l’objet lui-même, ne laissant que les positions de son centre de masse à tout instant, de sorte que seules de petites régions de l’espace soient considérées et que toutes les possibilités de position au sein de chacune de ces régions soit sursommée. Enfin, supposez que l’histoire à gros grain sursomme tout ce qui se produit la plupart du temps, pour ne suivre que la position approximative de l’objet sur une séquence discrète d’instants séparés par de cours intervalles de temps. (...) Les histoires (qui spécifient les positions du centre de masse de l’objet dans le Système solaire à certains instants particuliers du temps) décohèrent à cause des interactions répétées de l’objet avec des choses sursommées, comme les photons du rayonnement de fond. (...) Puisque la mécanique quantique est correcte, pourquoi la planète mars n’est-elle pas répandue de manière diffuse sur toute son orbite ? (...) Les photons en Provenance du Soleil que Mars disperse sont également sursommés, contribuant à la décohérence des différentes positions de la planète, et ce sont justement ces photons qui permettent aux humains de voir Mars. (...) des mécanismes de décohérence de ce genre rendent possible l’existence du domaine quasi classique qui inclut notre expérience commune. Ce domaine se compose d’histoires à gros grain décohérentes, que l’on peut envisager comme formant une structure arborescente. (...) la décohérence (donnant naissance à une ramification d’histoires en éventualités distinctes avec des probabilités bien définies) n’est pas l’unique propriété importante du domaine quasi classique qui inclut notre expérience quotidienne. (...) Comment la planète mars peut-elle suivre une orbite déterministe classique alors que les volées aléatoires de photons qu’elle rencontre ne cessent de la souffleter ? La réponse est que plus lourd sera l’objet, moins il manifestera un comportement erratique et plus il suivra son petit bonhomme d’orbite. »

Maurice Jacob répond à la question dans « Au cœur de la matière » :

« On dispose d’un formalisme qui combine la théorie quantique et la relativité, c’est la théorie quantique des champs. Ce formalisme permet aussi de maintenir la causalité, un effet ne pouvant jamais précéder sa cause, et cela malgré les fluctuations quantiques permettant des variations de l’énergie au cours de petits intervalles de temps et malgré la relativité qui introduit une malléabilité du cours du temps selon les vitesses relatives. Pour préserver la causalité, la théorie des champs impose l’existence d’antiparticules correspondant aux particules connues. Chaque particule (caractérisée par une masse et un spin) a une antiparticule, de même masse et de même spin, mais dont les variables internes ont la valeur opposée. Si la particule a une charge négative comme l’électron, l’antiparticule (le positron) aura une charge positive. Si la particule a une couleur comme le quark rouge, l’antiparticule aura l’anticouleur correspondante, soit antirouge et ainsi de suite pour les variables internes qu’il faut introduire pour caractériser la particule et que l’on appelle globalement ses « nombres quantiques »… La théorie des champs permit… à Fermi, en analogie avec l’électrodynamique et ses émissions de photons, de décrire la désintégration béta comme résultant de la création d’une paire électron-antineutrino au cours de la transformation d’un neutron en proton… Un photon ainsi produit peut se propager jusqu’à un autre point où il se couple de nouveau de la même façon au champ de l’électron. On a ainsi la base de l’interaction électromagnétique entre deux électrons, ce que l’on traduit par le graphe de Feynman. Nous voyons cependant maintenant qu’il décrit aussi bien la façon dont deux électrons ricochent l’un sur l’autre en échangeant un photon que la production d’une paire électron-positron suivant l’annihilation d’une autre paire en un photon, selon qu’on le lit de gauche à droite ou de haut en bas… Le photon échangé n’est pas un véritable photon. C’est ce qu’on appelle une particule « virtuelle » qui résulte d’une fluctuation quantique permise durant le temps très court entre l’émission et l’absorption. »

Claude Cohen-Tannoudji rajoute à cette citation dans « Matière-espace-temps » que « C’est cette nouvelle conception des phénomènes qui est peut-être l’innovation la plus importante apportée par la théorie quantique. Les concepts quantiques ne se rapportent plus à l’objet en soi, mais ils se rapportent à des phénomènes. Un phénomène est une réalité physique placée dans des conditions bien définies d’observation. La définition de ces conditions d’observation implique la maîtrise complète de toutes les étapes de l’acte de mesure : la préparation du système et de l’appareil, la détermination de tous les états expérimentalement observables et la détection des signaux émis lors du couplage entre le système et l’appareil. Le phénomène quantique ainsi conçu est tout le contraire d’un événement passivement observé, c’est un fait expérimental consciemment construit et élaboré. »

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