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Etre sans destin d’Imre Kertesz

vendredi 23 octobre 2009, par Alex

Certains livres valent la peine d’être connus et discutés, surtout par les révolutionnaires .

Récemment des amis hongrois de Budapest m’ont conseillé de lire "Etre sans destin" de l’ écrivain hongrois Imre Kertesz. Ils sont plutôt catholiques de droite, mais résolument contre le racisme (antisémite, anti-tsigane) et le nationalisme (ils emploient ce terme explicitement) qui montent en Hongrie.

Ces livres sont autobiographique. Né en 1929, année du krach boursier, Kertesz, juif hongrois de Budapest, a été déporté à Auschwitz à l’âge de 15 ans, il en est ressorti vivant et a reçu le prix Nobel de littérature en 2002.

"Etre sans destin", c’est un de ces livres qui changent une vie m’a dit un de ces amis hongrois. Dans les « diners en villes » beaucoup de hongrois disent plutôt : Kertesz n’est pas le meilleur écrivain hongrois, ce prix Nobel a été mal attribué ! et changent de sujet.

Le fait qu’un livre coupe un pays en deux, qu’il soit un point appui pour les hongrois qui sont préoccupés par le racisme dans leur pays mérite d’être compris. Il couperait sans doute tout autre pays, et même toute organisation révolutionnaire en deux !

Un n-ième livre sur la Shoah ? Le lire uniquement parce que Kertesz a reçu le prix Nobel en 2002 ? Une polémique Hungaro-hongroise ? Non, il y une d’autres raison qui méritent de faire connaitre ce livre. C’est le dernier chapitre du livre qui est le plus choquant. On y lit « Pourtant là-bas aussi, parmi les cheminées, dans les intervalles de souffrance, il y avait quelque chose qui ressemblait au bonheur. Tout le monde me pose des questions à propos des vicissitudes, des ‘horreurs’ : pourtant en ce qui me concerne, c’est peut-être ce sentiment là qui restera le plus mémorable. Oui, c’est de cela, du bonheur des camps de concentration, que je devrais parler la prochaine fois, quand on me posera des questions. Si jamais on m’en pose. Et si je ne l’ai pas moi-même oublié. »

Curieusement, ces dernières lignes de son livre, si choquantes, qu’on pourrait attribuer à un antisémite, à un négationniste s’il ne s’agissait de Kertesz, ne sont pas mentionnées dans la plupart des résumés ou critiques du livre. Voir par exemple un point de vue très différent sur le même livre sur

http://culture.revolution.free.fr/c...

Mais elles illustrent le fait que ce qui a le plus traumatisé Kertesz, c’est qu’à la sortie du camp, il a compris que l’extermination des juifs n’a pas été le seul fait d’Hitler, qu’elle avait ses racines dans son propre pays, avant et après la deuxième guerre mondiale.

Dans "Le Refus", livre qui est la suite d’ "Etre sans destin" et décrit le refus des éditeurs hongrois de publier ce manuscrit d’ "Etre sans destin", il décrit ses années d’écolier : « Ainsi donc quand je suis venu au monde (rappel : 1929), le soleil était dans le signe de la plus grande crise économique jamais connue, depuis l’Empire State Building jusqu’aux aigles de l’ancien pont François Joseph, du haut de tous les points élevés du globe les hommes se jetaient à l’eau dans le vide, sur le pavé, selon les circonstances ; un chef de parti du nom d’Adolf Hitler m’a montré un visage extrêmement hostile d’entre les pages de son livre intitulé Mein Kampf, la première loi hongroise anti-juive appelée numerus clausus était au zénith de ma constellation, avant d’être remplacée par les suivantes. Tous les signes de la terre (je ne sais rien des signes du ciel) témoignaient du caractère superflu de ma naissance. (…) Avant les leçons je récitais cette prière : « Je crois en un seul dieu, je crois en une seule patrie, je crois en la résurrection de la Hongrie ». Je lisais sur les murs la légende de la carte aux frontières rouge sang : « Petite Hongrie n’est pas un pays, Grande Hongrie c’est le paradis » (…) Avec des paroles aimables ou avec des avertissements sévères, tout doucement j’étais amené à maturité pour être supprimé. Je ne me suis jamais défendu, je me suis toujours efforcé de faire tout mon possible : avec une bonne volonté quelque peu indolente, je sombrais dans la névrose de ma bonne éducation. J’étais un membre du complot silencieux qui se tramait contre ma vie ».

La carte que mentionne Kertesz évoque le Traité de Trianon, annexe du traité de Versailles, qui a fait de la Hongrie un petit pays en 1918, des morceaux du Royaume de Hongrie ayant été attribués aux alliés de la France ( Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Roumanie). Ce thème et cette carte sont encore au premier plan de la politique en Hongrie, on voit encore la carte de la Grande Hongrie dans toutes les librairies, sur des T-shirts. La France est encore accusée (à juste titre) de ce charcutage dans la chair des peuples. Les Jobbik, parti hongrois d’extrême droite, on fait une percée aux récentes élections européennes (15%) notamment grâce à ce thème. A côté des juifs et des Tsiganes, les français sont montrés du doigt par cette extrême droite.

Ces conséquences du traité de Versailles jusqu’à nos jours sont peu connues en France, ou toute évocation du problème des frontières en Europe de l’est est souvent écartée d’un sourire supérieur, au nom de la condamnation des nationalismes, même par des révolutionnaires qui ne se rendent pas compte qu’ils ne font que défendre l’impérialisme français et son traité de Versailles en ignorant ces problèmes.

Lorsqu’il revient d’Auschwitz, en habit de prisonnier, Kertesz est menacé d’une amende dans le tramway car il n’a pas pu acheter de ticket, lorsqu’il revient chez ses parents, l’appartement est occupé par ses anciens ‘amis’ qui étaient des voisins. Parler d’Auschwitz est tabou : « Chez nous, nous allons construire une nouvelle patrie » lui dit un futur cadre de la nouvelle république. C’est de cela qu’a souffert Kertesz. Ses livres sont donc autant une dénonciation de l’antisémitisme latent et profond qu’il a subit avant sa déportation mais aussi à son retour, que des camps d’extermination.

Or cette Europe issue de la « Libération » en 1945 est encore celle dans laquelle nous vivons, dont un des mythes politiques fondateurs est la fiction de la guerre des Démocraties contre le Nazisme.

Conclusion : Quand Kertesz parle de la nostalgie qu’il a éprouvée à sa sortie du camp, c’est sans doute pour dire combien il a été plus difficile pour lui de comprendre que des voisins, des amis, des « démocrates » ont préparé son extermination, autant que les nazis, desquels il ne pouvait rien attendre d’autre.

« Oui, c’est de cela, du bonheur des camps de concentration, que je devrais parler la prochaine fois, quand on me posera des questions. Si jamais on m’en pose. Et si je ne l’ai pas moi-même oublié » : cette phrase déjà citée plus haut, qui est la dernière du livre, sous-entend que sans doute beaucoup ne voudront pas lui poser de questions sur les camps, et qu’il oubliera peut-être plus vite le camp que son errance désespérante dans la Hongrie « socialiste » d’après guerre où ses écrits sont restés et restent largement tabous.

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