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Education et révolution

vendredi 7 avril 2017, par Robert Paris

Les tâches de l’éducation communiste

Léon Trotsky

18 juin 1923


On prétend souvent que la tâche de l’instruction communiste consiste dans l’éducation de l’homme nouveau. Ces mots ont quelque chose d’un peu trop vague, d’un peu trop déclamatoire, et nous devons faire preuve d’une vigilance toute particulière pour ne permettre aucune interprétation humanitariste informe de la conception de « l’homme nouveau » ou des tâches de l’édification communiste. Il n’y a aucun doute que l’homme futur, le citoyen de la commune sera un être extrêmement intéressant et attrayant et que sa psychologie (le futuriste me pardonnera, mais j’aime à croire que l’homme de l’avenir aura une psychologie) sera très différente de la nôtre. Notre tâche actuelle, malheureusement ne peut consister à éduquer l’être humain de l’avenir. Le point de vue utopique et psychologique humanitaire est que le nouvel homme doit d’abord être formé et qu’il créera alors les nouvelles conditions. Nous ne pouvons croire cela. Nous savons que l’homme est le produit des conditions sociales. Mais nous savons aussi qu’entre les êtres humains et les conditions existe une rapport mutuel, compliqué et agissant. L’homme lui-même est un instrument de ce développement historique et non le moindre. Et dans cettte interaction historique compliquée des conditions expérimentées par des êtres humains actifs, nous ne créons pas le citoyen abstraitement harmonieux et parfait de la commune ; nous formons les êtres humains concrets de notre époque, qui ont encore à lutter pour la création des conditions capables de faire surgir le citoyen harmonieux de la commune. c’est là quelque chose de très différent, bien sûr, pour la simple raison que notre arrière petit-fils, le citoyen de la commune ne pas révolutionnaire.

« L’homme nouveau » et le révolutionnaire

A première vue cela paraît être faux, cela paraît même une insulte. Et pourtant c’est ainsi. La notion de « révolutionnaire » est imbue du plus haut idéal et de la morale la plus élevée que nous ayons pu hériter de toute l’époque antérieure d’évolution culturelle. Ainsi peut-il sembler que nous calomnions notre postérité lorsque nous ne la voyons par révolutionnaire. Mais nous ne devons pas oublier que le révolutionnaire est le produit de conditions historiques déterminées, un produit de la société de classes. Le révolutionnaire n’est pas une abstraction psychologique. La révolution en soit n’est pas un principe abstrait mais un fait historique matériel naissant des antagonismes de classes, naissant de l’assujettissement violent d’une classe par une autre. Ainsi le révolutionnaire est un type historique concret, et par conséquent temporaire. Nous sommes fiers d’appartenir à ce type d’hommes. Mais par notre travail nous créons les conditions d’un ordre social où il n’y aura pas d’antagonismes de classes, pas de révolutions et donc pas de révolutionnaires. Il est vrai que nous pouvons élargir le sens du mot « révolutionnaire » jusqu’à ce qu’il englobe toute l’activité consciente de l’homme tendue vers la domination sur la nature et vers l’extension des conquêtes techniques et culturelles. Mais rien ne nous autorise à opérer une telle abstraction, un tel élargissement sans limites de la conception du « révolutionnaire », puisque nous n’avons nullement rempli notre tâche historique révolutionnaire concrète : le renversement de la société de classes. En conséquence nous sommes loin de la tâche d’éducation du citoyen harmonieux de la commune, consistant à le former par un travail soigneux de laboratoire au cours d’un stade transitoire de la société très peu harmonieux. Une telle entreprise serait une utopie d’un puérilité pitoyable. Ce que nous voulons faire, c’est des lutteurs, des révolutionnaires, qui hériteront et complèteront nos traditions historiques que nous n’avons pas encore menées à leur terme.

Révolution et mysticisme

Quelles sont les caractéristiques essentielles du révolutionnaire ? Il faut souligner que nous n’avons pas le droit de séparer le révolutionnaire de la base sociale sur laquelle il a évolué et sans laquelle il n’est rien. Le révolutionnaire de notre époque, qui ne peut être lié qu’à la classe ouvrière, a ses particularités psychologiques propres, particularités d’entendement et de volonté. Si cela est nécessaire et possible, le révolutionnaire brise les obstacles historiques, ayant recours à la force pour réaliser son objectif. Si cela n’est pas possible, alors il fait un détour, creuse une sape, et écrase avec patience et détermination. Il est un révolutionnaire par ce qu’il n’a pas peur de briser les obstacles et d’employer la force implacablement ; en même temps il reconnaît la valeur historique. C’est son but permanent que de maintenir son travail, destructif et créateur, à son plus haut degré d’activité, c’est-à-dire de tirer de conditions historiques données le maximum de rendement possible pour la marche en avant de la classe révolutionnaire.

Le révolutionnaire ne connait que des obstacles extérieurs à son activité et aucun obstacles intérieur. C’est-à-dire : il doit développer en lui-même, la capacité d’apprécier le champ de son activité dans tout son contenu concret, avec ses aspects positifs et négatifs et d’en tirer un bilan politique correct. Mais s’il est empêché intérieurement par des obstacles subjectifs à son action, s’il manque de compréhension ou de volonté, s’il est paralysé par un désaccord intérieur, par des préjugés religieux, nationaux ou corporatifs, alors il est tout au plus un demi-révolutionnaire. Il y a trop d’obstacles rien que dans les conditions objectifs pour que le révolutionnaire puisse s’offrir le luxe de multiplier les obstacles et les frottements de caractère objectif par d’autres de caractère subjectif. Eduquer le révolutionnaire doit donc consister, par-dessus tout, à l’affranchir de ces vestiges d’ignorance et superstition que l’on trouve souvent dans une conscience très « sensible ». Nous adoptons donc une attitude tout à fait irréconciliable vis-à-vis de tous ceux qui prononcent un seul mot sur la possibilité de combiner le mysticisme et la sentimentalité religieuse avec le communisme. La religion est irréconciliable avec le point de vue marxiste.

Nous pensons que l’athéisme, en tant qu’élément inséparable de la conception matérialiste de la vie, est une condition nécessaire de l’éducation théorique du révolutionnaire. Celui qui croit à un autre monde ne peut concentrer toute sa passion sur la transformation de celui-ci.

Darwinisme et Marxisme

Même si Darwin, comme il le déclara lui-même, ne perdit pas sa croyance en Dieu malgré son rejet de la théorie biblique de la création, le darwinisme lui-même n’en est pas moins inconciliable avec cette croyance. En cela, comme par d’autres aspects, le darwinisme est un avant-coureur, une préparation au marxisme. Pris dans un large sens matérialiste et dialectique, le marxisme est l’application du darwinisme à la société humaine. Le libéralisme de Manchester a tenté d’adapter le darwinisme mécaniquement à la sociologie. De telles tentatives n’ont mené qu’à des analogies enfantines voilant une perfide apologie bourgeoise : les antagonismes vus par Marx étaient expliqués comme la loi « éternelle » de la lutte pour la vie. Ce sont des absurdités. C’est seulement la liaison qui permet de saisir le développement vivant de l’être dans sa liaison primitive avec la nature inorganique, dans son individualisation et son évolution ultérieures dans sa dynamique, dans la différenciation des besoins vitaux chez les premières espèces élémentaires des règnes végétal et animal — dans ses luttes — dans l’apparition du « premier » homme ou anthropoïde, utilisant le premier outil, — dans le développement de la coopération primitive associant des moyens — dans la stratification ultérieure de la société par suite du développement des moyens de production, c’est-à-dire des moyens de maîtriser la nature, — dans la guerre des classes, et enfin dans la lutte pour le dépassement des classes.

Comprendre le monde d’un point de vue aussi large signifie émanciper pour la première fois la conscience de l’homme des résidus du mysticisme et lui assurer un ferme point d’appui. Cela signifie être clairement convaincu que pour l’avenir il n’y a pas d’empêchements subjectifs à la lutte, mais que seuls les obstacles et oppositions existants sont extérieurs et doivent être surmontés d’une façon ou d’une autre suivant les conditions du conflit.

Nous avons souvent dit : « La pratique a le dessus en fin de compte ». Cela est juste dans le sens que l’expérience collective d’une classe, et de tout l’humanité, rejette graduellement les illusions et fausses théories basées sur des généralisations hâtives. Mais on peut dire avec autant de raison que « la théorie a le dessus en fin de compte », lorsque nous entendons par là que « la théorie englobe en réalité l’expérience de toute l’humanité. Vue sous cet angle l’opposition entre la théorie et la pratique disparaît, car la théorie n’est rien d’autre que la pratique correctement considérée et généralisée. La théorie en fait pas échouer la pratique ; mais l’attitude irréfléchie, empirique et grossière vis-à-vis de celle-ci. Afin de pouvoir faire une estimation correcte des conditions de la lutte, de la situation de notre propre classe, nous devons avec une méthode sûre d’orientation politique et historique. Cette méthode est le marxisme, ou, pour l’époque récente, le léninisme.

Marx et Lénine, tels sont nos deux guides suprêmes dans le domaine des recherches sociales. Pour la jeune génération la voie vers Marx passe par Lénine. La voie directe devient de plus en plus difficile, car trop longue est la période qui sépare la génération montante du génie de ceux qui fondèrent le socialisme scientifique, Marx et Engels. Le léninisme est la plus haute incarnation et concentration du marxisme pour l’action révolutionnaire directe dans la période impérialiste d’agonie mortelle de la société bourgeoise. L’Institut Lénine à Moscou, doit devenir une académie supérieure de stratégie révolutionnaire. Notre parti communiste est imbu du puissant esprit de Lénine. Son génie révolutionnaire est avec nous. Nos poumons révolutionnaires aspirent l’air élevé qu’ait produite le développement antérieur de la pensée humaine. Voilà pourquoi nous sommes si profondément convaincus que les lendemains sont à nous.

Messages

  • Les tâches de l’éducation communiste

    Léon Trotsky

    18 juin 1923


    On prétend souvent que la tâche de l’instruction communiste consiste dans l’éducation de l’homme nouveau. Ces mots ont quelque chose d’un peu trop vague, d’un peu trop déclamatoire, et nous devons faire preuve d’une vigilance toute particulière pour ne permettre aucune interprétation humanitariste informe de la conception de « l’homme nouveau » ou des tâches de l’édification communiste. Il n’y a aucun doute que l’homme futur, le citoyen de la commune sera un être extrêmement intéressant et attrayant et que sa psychologie (le futuriste me pardonnera, mais j’aime à croire que l’homme de l’avenir aura une psychologie) sera très différente de la nôtre. Notre tâche actuelle, malheureusement ne peut consister à éduquer l’être humain de l’avenir. Le point de vue utopique et psychologique humanitaire est que le nouvel homme doit d’abord être formé et qu’il créera alors les nouvelles conditions.

  • « En général, les parents ne se doutent pas de l’agonie infligée à l’âme de l’enfant… Celui-ci – être encore exempt de tout préjugé et qui obéit uniquement à ses instincts – sent l’abîme s’ouvrir devant ses premiers pas dans la vie, se révolte et contracte une haine implacable, aussi bien contre son patron que contre sa propre famille.

    Tout enfant est un révolutionnaire. Par lui, les lois de la création se renouvellent et foulent aux pieds tout ce que l’homme mûr a édifié contre elles : morale, préjugés, calculs, intérêts mesquins. L’enfant est le commencement et la fin du monde ; lui seul comprend la vie parce qu’il s’y conforme, et je ne croirai pas à un meilleur avenir que le jour où la révolution sera faite sous le signe de l’enfance.

    Sorti de l’enfance, l’homme devient monstre ; il renie la vie en se dédoublant hypocritement. …

    Créature fragile, toute vibrante d’émotivité, toute assoiffée de vie, l’enfant est encore livré aux brutes humaines, ignorantes et crevant d’égoïsme, qui lui cassent les reins dès qu’il tombe en leur pouvoir. Comment saurait-elle, cette face bestiale, que l’enfant est un début de vie friand de la lumière du jour, du bruissement des arbres, du clapotis des vagues, de la brise caressante, du gazouillement des oiseaux, de la liberté des chiens et des chats qui courent la rue, de la campagne embaumée, de la neige qui le brûle, du soleil qui l’étonne, de l’horizon qui l’intrigue, de l’infini qui l’écrase ? Comment se douterait-il que l’enfance est la plus douce des saisons de la vie, et que l’on peut seulement pendant cette saison-là jeter les fondations de cet édifice humain dont l’existence sera précaire dans le bonheur même ? Fondations qui doivent être faites de bonté, si l’on ne veut pas que tout l’édifice dégringole dans l’abîme !

    Et comment la base de la vie serait-elle de cette trempe quand la majorité de l’humanité passe son enfance à recevoir des coups et à vivre dans la privation, dans la mortification et dans les assommantes forteresses dressées par les lois ? Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que la terre foisonne de voleurs, de criminels, d’escrocs, de maquereaux, de paresseux et d’ennemis de l’ordre, quand votre « ordre », ô maîtres, n’est fondé que sur des cruautés incompatibles avec les lois naturelles ?

    Et vous êtes des législateurs – ô ogres de la belle enfance ! ô cabaretiers, épiciers, manufacturiers, grands détenteurs de terres, noires comme votre âme ! – et vous avez des académies, et des chaires de morale, et des Eglises qui prêchent la pitié au son de cloches assourdissantes, et des Parlements, et vous ignorez ce que renferme la poitrine d’un enfant, comme vous ignorez tout de cette vie qui pourrait être belle et que vous estropiez. »

    Panaït Istrati dans « La jeunesse d’Adrien Zograffi »

  • Lire Marx et Engels sur l’éducation : ici

  • Bonjour,

    Le LSU n’est pas qu’un gadget de plus de l’Education nationale, entraînant une surcharge de travail, c’est à la fois un instrument de fichage des élèves sur le long terme et un outil de contrôle des enseignants, par une normalisation des pratiques pédagogiques concernant l’évaluation des élèves et la conformité des contenus de nos enseignements avec les nouveaux programmes dont il y a beaucoup à redire.

    En ce moment même dans le primaire et dans le secondaire, la hiérarchie met les bouchées doubles pour imposer la mise en place du LSU, réunion de "formation", injonction, courrier...

    Pourquoi cette précipitation ? Tout simplement parce que le gouvernement est aux abois, il ne lui reste que très peu de temps pour parachever son "œuvre".

    Dans ces conditions une opposition résolue à ce livret a toutes les chances d’aboutir.

    PS : vous trouverez au lien ci-dessous un texte qui pose la problématique d’ensemble concernant le LSU.
    http://www.sudeducation.org/ Contre-le-livret-scolaire.html

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