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Débat ouvert sur la signification de la crise mondiale systémique

jeudi 24 septembre 2009, par Robert Paris

Le point de vue de Matière et révolution

1- Parler de crise n’est pas une avancée de la compréhension de la situation du monde ni de ses perspectives. En effet, ce que fait le système mondial depuis nombre d’années, c’est au contraire d’empêcher la crise cyclique par des interventions financières, politiques et militaires, des USA et des autres Etats impérialistes. La crise aurait dû éclater à l’échelle mondiale au moins depuis 2000. La guerre qui a suivi le 11 septembre a permis d’y pallier.

2- Pour éviter les crises cycliques, le système a pourvu le grand capital de revenus de plus en plus fictifs. C’est la source de la situation dans laquelle s’est enferré le système en titrisant des dettes. Le capital ne peut pas supporter de ne plus avoir des revenus de son capital. Cette méthode lui en a donné malgré le recul économique créant une reprise artificielle, dont la seule reprise réelle était celle de la course aux armements.

3- En intervenant massivement face à la crise de 2007-2009, avec des injections invraisemblables de fonds publics, les Etats, à commencer par les USA, continuent cette politique consistant à fournir des profits au capital, même si ces profits n’ont plsu rien de commun avec des réalités économiques : échanges, crédit, investissements, ventes et production. Alors que la production et les investissements s’effondrent produisant un chômage massif, les Etats, à coups de dons massifs, provoquent de nouveaux profits fictifs qui redressent momentanément les bourses. Mais le caractère fictif de ces profits n’en est qu’accru. Il est évident que les lendemains seront des effondrements des monnaies à commencer par le dollar. Et encore cela n’aura éviter durablement ni l’effondrement des banques ni celui des bourses. L’effondrement de la confiance n’en aura été que retardé.

4- Les années de profits en grande partie artificiels de la période de la mondialisation et de la financiarisation n’ont fait que faire croitre la masse des capitaux privés dans des proportions inconnues jusque là. Mais la contrepartie de ce succès des années 2000, c’est justement cette masse de capitaux qui ne correspondent pas à des investissements productifs possibles. Au point que l’on a atteint en 2007 un niveau de capitalisation tel qu’il n’est plus possible de faire marche arrière. Ce n’est pas une crise de surproduction de marchandises (ou de sous consommation) mais une crise de surproduction ... de capital ! La suraccumulation du capital a pris des proportions telles que le seul moyen trouvé par les Etats pour éviter une ffondrement total et immédiat du capitalisme en 2008 a été de continuer à faire croitre les capitaux privés en injectant des centaines de milliards des banques centrales et institutions financière sinternationales... Ce qui est reculer pour mieux sauter ! Ils ont ainsi accru la taille du problème tout en étendant aux etats l’endettement... Il n’y a pas de possibilité pour le capitalisme de s’en sortir par des moyens classiques, par des politiques économiques. l’effondrement du système a été retardé mais ce n’est que partie remise.

5- La crise n’est donc même pas une reproduction de la crise de 1929. le capitalisme a atteint un niveau beaucoup plus élevé, de moyens, de richesses, de mondialisation et, en même temps, l’impasse où parvient le système est bien plus bloquée qu’en 1929.

6- Toutes les propositions de changement radical du fonctionnement du système ne sont que poudre aux yeux. le seul changement que le système va produire n’est ni sa moralisation, ni la fin de la financiarisation mais l’attaque massive, sociale et politique contre la classe ouvrière et contre les peuples. La bourgeoisie mondiale va se servir du répit que lui donnent les interventions financières des Etats pour s’y préparer.

7- L’économie n’est pas et n’a jamais été seulement de l’économie. Elle est une politique de classes dirigeantes contre la classe exploitée. Et aujourd’hui cette politique signifie inévitablement un recul sans précédent, social, économique et politique. Il n’y a pas de "solution économique". Il n’y a pas de solution en dehors de la révolution prolétarienne !

Robert Paris

DEBAT SUR CRISE ACTUELLE

La Crise financière et la crise économique ou comment faire simple quand c’est réellement compliqué
Danielle Bleitrach

Première idée forte, cette crise financière était annoncée depuis pas mal de temps. Comme une épidemie de furonculose ou pour donner dans le sinistre les bubons de la peste, elle s’est posée d’abord sur les pays du sud et du sud-est, ce que Samir Amin appelle les périphéries du système monde capitaliste. Souvenez-vous, en 1994, le Mexique, c’est le moment de la signature de l’Alena, mais déjà une réaction populaire, celle de la révolte de Chiapas et moins médiatisés les manifestations contre l’endettement des petits propriétaires de logement. Puis ce fut en 1997, la crise asiatique (Corée du Sud, taiwan, Malaisie), avec un peuple très remuant, les Coréens du Sud, toujours en ébullition comme les Français. Ca s’enchaîne en 1998, avec la Russie et le Brésil mais elle s’abat avec une violence inouïe en 2001 sur l’Argentine jusque là considéré comme le meilleur élève du FMI.

La nouveauté de la crise actuelle est qu’elle n’est plus reportée vers les périphéries mais qu’elle est au « centre » dans le ventre même du monstre les Etats-Unis. Mais essayons de comprendre “l’évolution” du système et les liens complexes entre bulles financières et économie réelle.

Bref rappel de l’historique de la crise actuelle

A chaque fois les superprofits financiers se gonflent dans une bulle, le miracle asiatique, les nouvelles technologies et aujourd’hui l’immobilier étasunien. Les bulles peuvent être comme dans le cas de la furonculose ou du bubon de la peste, un moyen de vider les mauvaises humeurs spéculatives et donc de repartir vers une nouvelle croissance. Oui mais c’est là que les économistes divergent, les fanatiques du marché comme Christine Lagarde pensent que la santé de l’économie est liée à ces purges, ces vidanges de la spéculation. Mais d’autres économistes qui remettent en cause sérieusement cette utopie d’un marché s’autorégulant notent au contraire qu’il s’agit de vagues dont le ressac apparent vient alimenter celle qui suit pour en multiplier les effets.

Et la meilleure preuve en est la croissance poussive et le maintien du chômage y compris quand ça repart la crise financière étant dite purgée. Et encore les chiffres mondiaux sont dopés par l’exception des grands pays émergents, la Chine en particulier.

Mais revenons en à la crise financière. Souvenez-vous il y a presque un an au début août 2007, une banque française BNP-Paribas suspend l’activité de fonds spéculatifs très engagés dans les placements immobiliers à risque étasuniens. C’est la chute des cours boursiers, les liquidités se font rares parce que personne ne prête plus. Il y a des raisons à cela, tout le système financier a lancé des traites de cavalerie, acheté des placements à risque et plus personne ne sait exactement la valeur de ce qu’il a dans le portefeuille. Face à cela les Banques centrale, l’européenne la BCE, l’étasunienne, la FED, et la japonaise injectent en quelques semaines 350 milliards de dollars, c’est beaucoup mais moins que les pertes que l’on découvre lors du bilan annuel, 700 milliards de dollars se sont évaporés. Malgré cette intervention, les marchés boursiers vont pendant tout le dernier trimestre de 2007 ressembler à des lapins apeurés. Les mauvaises nouvelles ne manquent pas et la découverte des pertes monumentales des secteurs bancaires obligent les Etats à venir renflouer les banques en déroute (aux Etats-Unis Citigroup et Northern Rock en grande Bretagne qui finira par être nationalisée en février 2008 ) .

La mauvaise nouvelle à la fin janvier 2008, repart encore de France, avec la découverte d’une fraude gigantesque à la Société générale. Aussitôt cela se traduit par un vent de panique le 21 janvier. Vous remarquerez que la France que l’on nous présente comme un agneau menacé par les vampires des fonds souverains, est en fait caractérisée par un type d’accumulation : les capitaux français se sont détournés de l’industrie sauf celles où l’Etat lui garantit des subventions fortes comme l’armement, et ils vont jouer la spéculation sur la planète, un capital financier usurier complètement imbriqué aux fonds spéculatifs. Et quand on découvre aujourd’hui que nous avons le Président le plus atlantiste de la planète, au point de paraître une créature de la CIA, qui est en train d’intégrer la Défense française et européenne dans l’OTAN, nous nous ébaudissons. Mais ce fait là a été précédé par l’entente financière, par un capitalisme complètement intégré à celui qui domine aux Etats-Unis. Et donc si la crise part de la BNP, puis rebondit en janvier au moment des bilans sur la société générale, ce n’est pas un hasard, il s’agit de la structure capitalistique de la France.

Ils sont passés des billets dans la lessiveuse aux usines à gaz des montages financiers en conservant la même mentalité égoïste, radine, et profiteuse. C’est si vrai que notre Sarkozy entre temps a vu la solution dans la poursuite des cadeaux aux riches, l’aide à la concurrence débridée et faire travailler plus pour compenser le blocage de fait des salaires pour plaire à ce monde de rats. Harpagon continue à veiller sur sa cassette et veut charger les pauvres d’éponger les deniers volatilisés.

Donc face à la crise de janvier, un autre avare timoré G.W.Bush a proposé un plan de sauvetage de l’économie menacée de recsssion parce que les pauvres endettés n’ont plus les moyens de consommer, mais comme il rogne sur les mesures, un chèque pour consommer plus, quelques petites aides au remboursement pour les revenus les plus aisés… Un emplâtre sur une jambe de bois qui ne pouvait que déboucher sur la récession dans un pays où le blocage des salaires a prétendu être compensé par l’endettement sans frein des ménages. la dégtradation s’élargit. Dans le seul mois de juin 2008, 62 mille postes de travail ont été perdus, et le nombre de personne qui ont recours à la Charité pour s’alimenter a augmenté de 20% selon David Brooks (correspondant de la Jornada, journal mexicain ;3 juillet).

Cecorrespondant à New York note qu’en ce moment ” Déferlent les nouvelles qui illustrent la fin du bon temps (si celui-ci a réellement existé et ne fut pas une illusion financée par les cartes de crédit) et avec des centaines de millier de travailleurs sans bonne occasion, moins de demande de de voyages de vacances, et un pays qui depend chaque fois plus du crédit étranger pour se maintenir stable.”

Le gouvernement fédéral a annoncé pour la fête nationale qu’il a disparu 62 mille emploi de plus en juin, c’est le sixième mois consécutif que disparaissent des emplois. Et le taux de désemploi réel (en incluant ceux on renoncé à chercher un emploi) a atteint 9,9% selon l’économiste Jared Bernstein del Economic Policy Institute.

Et ce n’est pas fini. La Chaîne Starbucks a annoncé cette semaine qu’elle fermait 600 de ses cafeterias. Hier .American Airlines a informé qu’elle reduirait son personnel de 7000 emploi ; les trois entreprises fabriquant des automobiles étasuniennes ont annoncé qu’elle suspendaient plus de 25.000 travailleurs par suite de l’effondrement des ventes en particulier des grosses cylindrées. .

les lignes aériennes ont suspendu des trajets entiers et rognent sur tout- valises, aliments- pour affronter les hausses dans les coûts liés au prix des combustibles (le coût additionnel seulement pour cette année pour les aérolignes étasuniennes est de 20 mille millions) : il y a plus d’habitations vacantes que jamais dans ce pays à cause de la crise hypothécaire ; plus de faim face à une inflation sans précédent des prix des aliments basiques comme le mais et le lait, et les indications que des milliers de travailleurs immigrants sont en train de retourner dans leur pays comme conséquence de l’effondrement économique.

Les statistiques sont là :le nombre de personnes qui va aux « banques des aliments (charité) a augmenté de 20% par rapport à l’année passée . par suite de la crise hypothécaire les investisseurs qui avaient acheté des montages de dette à haut risque ont perdu 600 millions de dollar ; la réserve fédérale a voulu nettoyer les finances des banques de new York avec une infusion de 200 mille millions , plus 30 mille millions supplémentaire pour sauver la banque d’investissement Bear Stearns ; et cela peut continuer jusqu’à l’épuisement du salariat à tout le moins… A moins qu’une bonne guerre…

Qu’est-ce que la crise ?

Marx l’a déjà montré dans le manifeste puis le Capital, il y a une sorte de fonctionnement normal du capital à la crise. Crise de surproduction du temps du manifeste, aujourd’hui doublées de crises financières.

En ce qui concerne les crises financières, il y surracumulation d’argent. Il y a eu dérégulation des institutions dites de Bretton Wood mises en place à la fin de la seconde guerre mondiale et ce dans les années 1970, d’abord avec la fin de l’étalon or, au profit du dollar, les Etats-Unis pouvaient actionner selon leurs besoins la machine à billet. Cela se doublait du petro-dollar, de la nécessité d’acheter l’énergie en dollar. Bref les Etats-Unis étaient en situation de faire travailler le monde pour eux.

Durant le même temps on a vu la création de produits financiers dits « dérivés », on les appelle ainsi parce qu’ils dérivent d’autres titres d’actifs et de contrats sur des achats futurs dont les prix sont donc fixés à l’avance et réalisables plus tard, et on peut les vendre entre temps.

Ces produits dérivés on fait se déplacer le système capitaliste vers le financier au sein de marchés globalisés. Le cœur du système est ainsi un système de crédit qui regroupe les banques , les Bourses,les compagnies d’assurances, les fonds de pensions, les fonds d’investissements spéculatifs, du souverain au vautour, bref des ensemble qui s’imbriquent et qui sont le lieu d’un capital totalement fictif, mais qui doit à un moment se convertir en capital bancaire, actions boursières et dettes publiques.

Il y a eu effectivement dans les années 1960-70 une crise de suraccumulation du capital argent très bien analysée par paul Boccara. Elle se combinait avec la fin de l’étalon or, le primat du dollar et les petro-dollars. Le cœur du système, la FED étasunienne en profita pour procéder à une hausse drastique des taux d’intérêts, et les effets de cette politique brutale furent déportés vers l’Amérique latine, le Mexique en particulier avec une crise de la dette extérieure impossible alors à rembourser.

C’est le moment où Fidel Castro annonce une crise terrible et propose aux pays du Sud une alliance pour ne pas rembourser une dette plusieurs fois de fait remboursée mais dont ils ne peuvent même plus payer les intérêts avec la hausse des taux d’intérêts, et la pression sur la capacité d’investissement endogènes de ces pays. Notons le parallélisme avec la crise actuelle où ce sont dans les pays du nord les ménages endettés à qui on demande de faire les frais de la crise de suraccumulation argent qui est structurelle et pas seulement liée à l’intervention des Banques centrales en 2007.

Ce qu’il faut comprendre c’est que pour sortir de cette crise brutale des années 1980, le système prôna une politique de dérégulation financière. « En 2005, nous dit Remy Herrera, le total des dettes externes consolidées de l’ensemble des pays du monde était estimé à 5260 milliards de dollars (…) La plupart des dettes en question sont transformées en capital fictif et marchandisées, tandis que les réserves sont converties en prêts et drainées pour l’essentiel vers les Etats-Unis, afin de couvrir leurs abyssaux déficits intérieurs et extérieurs. Mais les montants moyens échangés sur le compartiment devises des marchés de produits dérivés seraient de 3200 milliards dollars par jour, et les ventes quotidiennes de dérivés négociés directement entre agents privés de 4200 milliards. A titre de comparaison, en 2007, le produit intérieur brut mondial atteignait 65 820 milliards de dollars étasuniens, et les exportations et les importations totales respectivement de 13 720 et 13640 milliards. » (1)

Donc il est clair que nous avons une suraccumulation du capital argent, et cela est du au fait que la capital fictif dépasse de très loin celui nécessaire à la reproduction du capital productif. Et pourtant c’est ce capital fictif qui engendre les profits les plus élevés et revient de ce fait gonfler la suraccumulation du capital fictif parasitaire.

Donc les bulles qui détruisent une part de ce capital fictif son bien aussi nécessaire que la soupape de la cocotte minute ou la pression de la furonculose, mais elles ne soignent pas le système.

Toutes les crises sont l’éclatement d’une bulle financière où la pression du capital fictif est devenue trop forte. La crise dite des subprimes est lié à l’octroi de prêts à des ménages nord-américains, non solvables mais pas seulement. Des crédits hypothécaires leur ont été accordés, et ils ont été titrisés, ces titres sont rentrés dans des « produits dérivés » ce qui était un avantage momentané pour tout le monde, le prêteur avait une garantie en mêlant des créances douteuses à des produits plus sûrs, les ménages empruntaient ce que leur salaire ne permettait pas, l’immobilier grimpait, grimpait, stimulant la construction, et engendrant une fausse prospérité. C’était bien pendant un ou deux ans où l’emprunt était à 1 et 2 % et puis le taux grimpait à 10 et plus.

Les institutions financières faisaient de leur côté des « pochettes surprises » qu’elles cédaient pour se re-financiariser. Comme les agences de notation appartenaient au même monde, elles surnotaient les produits, leur attribuant des brevets de fiabilité que les dits produits étaient loin de mériter ; on mesure l’entente entre gens du même monde qu’il faut pour aboutir à cela, aussi clair que les principes d’aventuriers qui créent les traders.

Tout ce beau monde s’auto-entretient jusqu ‘à ce qu’une masse critique de gens n’arrivent plus à rembourser les traites. Et cette masse critique intervient d’autant plus rapidement que la pression sur les salaires, les pensions ne cesse de s’accroître avec toujours l’aide à l’endettement.

Surtout si, comme cela s’est passé les guerres en Afghanistan puis en Irak ont d’énorme besoins d’investissement que la FED prétend attirer en haussant ses taux d’intérêt. Alors là surgit la masse critique des non remboursement d’abord des subprimes puis des primes les solvables et de la contamine le crédit mais là-dessus je vous renvoie à mon analyse « la crise financière pour les nuls, expliquée par les nuls ».

Pourtant ce qu’il faut comprendre c’est que les facteurs réels de la crise ne sont pas financiers, ce que nous venons de voir sur l’éclatement de la bulle dite des subprimes nous a montré comment le financier éclatait parce qu’il y avait de plus en plus pression sur les salaires combinés avec une incitation à l’endettement. Là-dessus le capital parasitaire prenait systématiquement jusqu’à ce que le malade soit exsangue sa livre de chair et de sang, la plus value étant détourné des secteurs productifs pour venir nourrir le capital fictif. C’est là ce qui reproduit une crise et qui fait que la purge ne soigne pas, parce qu’elle concerne seulement le capital fictif et son fonctionnement interne.

Mais nous avons un phénomène comparable dans l’échange inégal entre le nord et le sud, en particulier sur le plan agricole avec le protectionnisme du nord et la destruction de l’agriculture vivrière du sud . Ce qui se double des phénomènes spéculatifs de titrisation et de produits dérivés qui se sont portés sur les matières première et les céréales. Par exemple, toujours selon Rémy Herrera : « entre 1980 et 2006, 675 milliards de dollars ont été extorqués au continent africain, le plus pauvre du monde pour financer le flux de la dette. En moyenne annuelle sur la période cela correspond à 25 milliards de dollars. A peine plus de la moitié de cette sommes suffirait, selon l’organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) à éradiquer la faim sur terre ». (1)

Résultat l’endettement des pays du sud croît alors que ces pays ont déjà largement payé leurs dettes au nord, entre 1980 et 2006, ils ont déjà (Russie comprise) payé quelque 7674 milliards de dollars au service de leur dette extérieure.

Il y a dans le système le même mécanisme de renforcement des inégalités, entre la masse des salariés des pays du nord et leur classe dominante, entre pays du nord et pays du sud. Comment peut-on imaginer que les bénéficiaires du système aient à cœur de mettre en place des régulations financières qui iraient a contrario de ces accumulations ?

La seule chose qui rend incertain le scénario est la montée de grands pays du Sud comme le brésil, l’Inde et surtout la Chine. Cette dernière pourrait couler l’économie des Etats-Unis mais elle ne le fait pas parce que ce serait détruire ses propres réserves, sa propre capacité d’action. Beaucoup en déduisent que la Chine est le prochain grand leader mondial. C’est un peu hâtif parce que malgré sa formidable croissance et l’effort de tout un peuple, la manière dont elle entraîne dans la paix et les avantages réciproques bien des pays du sud et ses voisins asiatiques, la Chine demeure partiellement un pays sous développé qui doit résoudre ses propres contradictions de sous développement.

Mais chacun mesure bien, à commencer pas les impérialistes, que sa présence plus la lutte des peuples est dans une certaine mesure une contre- tendance à ce qui se joue en matière d’issue à la crise pour les capitalistes (2) : une pression à la hausse du taux d’exploitation de la force de travail des pays du sud qui ne peut que peser à son tour sur la pression sur les travailleurs du nord. Comment dans de telles conditions peut-on considérer que la solution à l’immigration est la criminalisation de l’immigré.

Des solutions existent, elles sont en train d’être mises en place dans les pires difficultés, sous menace constante d’intervention militaire, de séparatisme, voir d’assassinat de chef d’Etat . Elles cherchent à créer des unions régionales construites sur les solidarités, mettant des bornes à l’accumulation du capital fictif et privilégiant les réinvestissement productif et le financement du développement humain ,santé, éducation. A travers ces unions, il est espéré pour les pays du sud un nouvel accès aux marchés et aux prêts financiers internationaux, la stabilisation des taux de change, Le contrôle de la fuite des capitaux, la taxation de leurs mouvements et pour cela les pays souverains doivent retrouver les instruments de leur souveraineté, industrielle, financière.

(1) Rémy Herrera, dossier de Afrique Asie, de mai 2008, dossier la faim mondialisée, p.70

(2) Cf. notre livre Danielle Bleitrach, Viktor Dedaj, Maxime Vivas. Les Etats-Unis de mal Empire, ces leçons de résistance qui nous viennent du Sud. 2005 Aden

http://socio13.wordpress.com/2008/07/06/la-crise-financiere-et-la-crise-economique-ou-comment-faire-simple-quand-c%e2%80%99est-reellement-complique-par-danielle-bleitrach/
États-Unis : une sortie de crise en forme d’impasse
Isaac Johsua [*]

1
La bulle des valeurs technologiques a éclaté, l’Amérique a plongé dans la récession, l’économie de l’Union européenne navigue au ras du sol, sans compter le Japon, qui se débat toujours entre reprises syncopées et rechutes. Aux États-Unis, tout l’arsenal de mesures a été déployé, les leviers budgétaire et monétaire ont été actionnés, à fond. Les résultats, pour le moment, sont incertains. Tirer le bilan de la politique économique mise en œuvre dans ce pays est l’objet de cet article. Ce qui implique de mieux comprendre les ressorts d’une crise toujours présente.
2
C’est un indicateur souvent oublié qu’il faut mettre (comme l’avait fait Marx) au point de départ de l’analyse : le taux de profit. Rien d’étonnant pour un système dans lequel le capital et sa mise en valeur sont les seules choses qui comptent vraiment. Le taux de profit est défini, rappelons-le, comme le rapport, pour une période de temps, entre la masse de profit et l’avance de capital qu’il a fallu faire pour l’obtenir. Dans la plupart des cas, on prend en compte le stock de capital fixe, constitué de machines, d’équipements, de bâtiments, etc. Une décomposition de ce taux de profit montre qu’il peut s’écrire comme la multiplication de trois facteurs : tout d’abord, la part des profits dans la valeur ajoutée (la richesse produite) ; puis la productivité en volume du capital fixe (c’est-à-dire le produit obtenu par unité de capital fixe) ; enfin le rapport prix du produit/prix du capital. La formule peut paraître compliquée, mais tout le monde comprendra que le taux de profit se portera mieux si la part des profits dans la valeur ajoutée s’élève, si la productivité du capital augmente et si les prix des biens d’investissement achetés par l’entrepreneur s’accroissent moins vite que les prix auxquels il vend ses produits.
• Un cycle standard sous influence
3
À première vue, la fluctuation de la « nouvelle économie » se présente comme l’une des phases du cycle standard de l’économie américaine. Dans ce cas de figure, depuis longtemps décrit par Marx, un taux de profit orienté à la hausse entraîne une accélération de la croissance de l’accumulation (du capital), de la production et de l’emploi. L’augmentation de l’emploi pousse les salaires réels vers le haut, d’autant plus vite qu’on est plus près de l’utilisation intégrale de la population active disponible. S’ensuit une dégradation de la part des profits dans la valeur ajoutée (si les salaires réels s’accroissent plus vite que la productivité du travail), qui fait chuter le taux de profit, réduit le rythme de l’accumulation, de la production, de l’emploi, et, en recréant l’« armée de réserve industrielle », suscite une baisse ou une décélération des salaires réels. Ce mouvement fait remonter le taux de profit (les salaires réels s’accroissant, cette fois, moins vite que la productivité du travail) et après une phase de basses eaux, nous entrons à nouveau dans une période de haute activité.
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Le cycle récent de l’économie américaine se décompose en deux phases, de montée du taux de profit (de 1992 à 1997), puis de chute de ce taux (de 1998 à 2001). Au cours de chacune de ces phases, le cycle standard est à l’œuvre. N’oublions pas qu’en 1992 nous sortons à peine de la récession de 1991, avec un chômage à la hausse. La part des salaires dans la valeur ajoutée chute, ce qui entraîne une hausse correspondante de la part des profits, elle-même encouragée par une baisse de la part des intérêts versés. Au cours de la seconde phase, au contraire, la part des salaires augmente, avec un certain retard, mais fortement, sous l’impact du plein emploi. Là encore, le mouvement est accompagné par une hausse de la part des intérêts (découlant de la double montée de l’endettement et des taux d’intérêt). La productivité du capital, qui fait toujours preuve d’une forte sensibilité pro-cyclique, accompagne l’oscillation, dans un sens et dans l’autre, avec un certain retard.
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Le cycle standard, bien présent, est cependant fortement déformé : c’est un cycle « sous influence », en l’occurrence sous influence des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication). Nous avons déjà considéré le rôle joué par deux éléments composant le taux de profit : la part des profits dans la valeur ajoutée et la productivité du capital. Reste à prendre en compte le troisième élément, celui qui compare, pour les entreprises, les prix auxquels elles vendent leurs produits aux prix auxquels elles achètent les biens d’investissement. Or, à partir de 1992, l’évolution de ce rapport leur est extrêmement favorable. Tel est en particulier le cas du matériel informatique. Parmi les biens d’investissement, ce sont les seuls dont les prix baissent, ceux des bâtiments et de l’équipement industriels étant orientés à la hausse. De 1985 à 1992 (soit en 7 ans), les prix de computers and peripheral equipment ont été divisés par 2,3 ; de 1992 à 1999 (à nouveau en 7 ans), ils ont été divisés par 4,8. Une chute des prix qui s’explique par les extraordinaires gains de productivité enregistrés dans la production du matériel des industries de l’information, en particulier dans la production d’ordinateurs. 1992 est l’année charnière : le taux de croissance annuel moyen de la productivité par tête de la branche electronic and other electric equipment double pratiquement entre les périodes 1987-92 et 1992-98, passant de 9,5 % à 18,1 %.
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L’impact macroéconomique de cette évolution est considérable. D’une part, elle incite les entreprises à renouveler massivement leur matériel informatique. La part de information processing equipment and software dans le total de l’investissement en equipment and software passe de près de 30 % en 1987 à plus de 50 % en 1999. D’autre part, elle aide à la hausse du taux de profit, qui grimpe bien plus vite qu’il ne l’aurait fait lors d’un cycle normal. On assiste alors à une formidable explosion des investissements des entreprises : en volume, de 1991 à 2000, ceux-ci font plus que doubler. Sous cette impulsion, l’expansion économique se fait à un rythme accéléré.
• Spéculation, suraccumulation, surendettement
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Les NTIC ont donc joué un rôle central dans le bouillonnement des années 1990. La forte expansion de marché est au rendez-vous, qu’il s’agisse de l’informatique (avec l’effort d’équipement des entreprises), des télécommunications (avec l’envolée du téléphone portable) ou du Net (avec la multiplication des sites). Tout cela a un effet d’entraînement direct mais surtout indirect sur le reste de l’économie : confiance, optimisme en l’avenir, conviction que les gains de productivité ne sont pas limités au seul secteur des NTIC, qu’ils se diffuseront au reste de l’économie par l’introduction des nouvelles technologies dans les autres branches.
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Les sociétés phares des NTIC enregistrent des profits en montée très rapide. Sur cette croissance (comme sur l’essor plus général des profits dans l’économie américaine) vient se greffer une formidable envolée boursière, dont on peut, approximativement, dater les débuts en 1995. De 1994 à 1999, les cours de l’ensemble des actions américaines croissent à l’extraordinaire rythme annuel moyen de 23,6 %. Le seul précédent comparable est celui des années 1920, précédant le fameux krach d’octobre 1929 : de 1926 à 1929, le cours des actions s’était accru, en moyenne annuelle, pratiquement au même taux, soit 24,4 %. L’indice du NASDAQ (regroupant les valeurs technologiques) grimpe de 130 % sur le court laps de temps séparant le début de 1999 du 10 mars 2000. De 1994 à 1999 les profits des sociétés augmentent au taux annuel moyen de 6,7 %. Bien qu’il s’agisse là d’une allure rapide, il n’en demeure pas moins que les cours des actions augmentent trois fois et demie plus vite sur le même laps de temps. Il est vrai que les prix des actions sont supposés refléter des perspectives d’avenir plutôt que d’enregistrer l’état du présent. Mais ces prix avaient atteint des niveaux tels qu’ils ne pouvaient correspondre à aucune évaluation raisonnable des profits futurs des sociétés cotées, ce qui est la définition même d’une bulle spéculative. Un vent de folie souffle, attisé par l’appât du gain. Tout est possible, proclame-t-on, et ceux qui émettent des doutes sont rabroués, car les anciennes lois de l’économie ne sont plus en vigueur et l’expérience du passé n’est plus de mise. Assise sur le mythe de la « nouvelle économie », l’euphorie emporte tout.
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Or, la bulle boursière a joué un rôle essentiel en ce qu’elle a fait perdre, en matière d’investissements, tout sens de la mesure aux entrepreneurs et drainé vers les nouveaux secteurs des masses énormes et disproportionnées de capitaux. Le cycle standard est toujours à l’œuvre, mais il est chevauché par une crise que l’on n’avait plus observée depuis la fin du xixe siècle : la suraccumulation, c’est-à-dire une accumulation du capital qui s’effectue à un rythme tel qu’elle ne peut maintenir, dans la durée, le taux de profit escompté par ceux qui fournissent les fonds. Le stock net de capital fixe des entreprises non financières américaines croît en 2000 près de trois fois plus vite qu’en 1991.
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Contrairement au discours alors fort répandu, la « nouvelle économie », loin d’être « immatérielle », suppose de lourds investissements en biens durables (équipements de réseau Internet, téléphones mobiles et réseaux correspondants, ordinateurs et leurs périphériques, microprocesseurs et mémoires, etc.). Malgré une obsolescence particulièrement rapide, ces matériels n’échappent pas à leur caractère durable : ils ne s’usent que dans la durée, leurs propriétaires ne sont pas contraints de les remplacer à dates données. La demande correspondante peut donc être soumise à des fluctuations de grande ampleur, une période de renouvellement intense (comme celle constatée au cours des années 1990) pouvant être suivie d’une chute brutale des commandes. La suraccumulation peut se manifester de diverses façons : encombrement des marchés, surcapacités, guerre des prix, mises de fonds erronées ou disproportionnées, le tout menant à la chute des profits. Les entrepreneurs qui ont précipité leurs décisions d’investissement n’éprouvent pas le besoin d’en rajouter. Ceux qui seraient malgré tout tentés d’investir y sont dissuadés par la multiplication des signes de trop-plein. Les stocks de téléphones portables ou d’ordinateurs s’accumulent. Quant aux entreprises de service sur la Toile, leur nombre s’avère trop important par rapport aux dimensions réelles du marché et au prix que les utilisateurs acceptent de payer.
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Comme souvent dans le passé, suraccumulation et surendettement marchent la main dans la main. Un incroyable endettement est accumulé dans l’euphorie boursière, à coups d’enchères, de rachats et d’acquisitions d’entreprises à des prix défiant toute concurrence. Les sociétés américaines ploient sous le fardeau de dettes dont le montant est clairement excessif quand il est comparé à des prévisions raisonnables de profits futurs. Les charges financières s’accroissent en proportion, pesant de plus en plus lourdement sur les bilans.
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Malgré l’ivresse boursière, une prise de conscience se fait jour peu à peu sur le caractère excessivement optimiste des prévisions. Suraccumulation et surendettement manifestent leurs effets, alors que (cycle standard) les salaires accélèrent leur poussée. Les profits des sociétés non financières entament leur chute au premier trimestre 1998. Pourtant, le monde des affaires s’accroche à son rêve et l’investissement des entreprises ne fait, dans un premier temps, que décélérer, et encore le fait-il avec un an de décalage, à partir du premier trimestre de 1999. Le ralentissement de la machine économique précède donc le krach boursier et le prépare. Le NASDAQ culmine en mars 2000, l’indice général des actions fléchit au cours du quatrième trimestre de 2000. Cet effondrement joue cependant le rôle de révélateur. Il marque un véritable tournant, le recul de l’investissement des entreprises commençant au cours de ce dernier trimestre. Ce qui n’a rien d’étonnant, vu la place qu’avait occupée la spéculation boursière dans la phase de montée.
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La crise est profonde : la chute des profits des entreprises s’étale sur quatre ans (de 1998 à 2001), ce qui, depuis 1973, n’avait jamais été observé aux États-Unis. L’investissement des entreprises mène la danse, une évolution caractéristique d’une situation de suraccumulation : il baisse sans discontinuer sur deux ans, du dernier trimestre de 2000 au troisième de 2002. Sont en cause la dégradation des taux de profit, les surcapacités déjà existantes (qui n’incitent pas à en créer de nouvelles), la réduction prioritaire de l’endettement avant toute nouvelle dépense, les difficultés de financement suscitées par la crise elle-même, tant par émission de titres sur des marchés en chute libre qu’auprès de banques réticentes. L’affaissement de l’investissement des entreprises tire vers le bas toute l’activité et l’économie américaine entre en récession en 2001.
• Le cycle de la « nouvelle économie » en perspective
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Comment, au total, comprendre le cycle de la « nouvelle économie » ? Une économie où le salariat est largement prépondérant est foncièrement instable : c’est ce que la crise américaine de 1929 avait dramatiquement révélé. Pour éviter la répétition de tels événements, un autre mode de fonctionnement avait alors été mis en place, tournant autour d’un nouveau rôle de l’État. Mais l’encadrement de l’activité n’était accepté par les entrepreneurs que tant que les taux de profit se situaient à des niveaux élevés. Or la chute de ces taux commence aux États-Unis dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Au cours des années 1960, c’est le tour de l’Europe, une fois épuisés les effets de la reconstruction et du rattrapage de l’avance technique américaine. Leur coût apparaissant désormais comme excessif, réglementations et garde-fous sont jetés par-dessus bord lors de la « révolte néolibérale » des années 1980. Depuis, laissé à lui-même, le système va de crise en crise, celles-ci gagnant à chaque fois en gravité : Mexique en 1994-95, Asie du sud-est en 1997, Moscou en 1998 (prolongée en crise latino-américaine) et enfin aujourd’hui, le centre, les États-Unis. Nous retrouvons à ces occasions les traits qui caractérisaient si fortement les crises de la fin du xixe siècle ou des débuts du xxe siècle et que l’on n’a plus observé depuis : spéculation, suraccumulation, surendettement.
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Les mesures prises à partir des années 1980 ont entraîné un essor sans précédent des marchés financiers, et il y a un lien évident entre cet essor et le fantastique gonflement de la bulle spéculative des valeurs technologiques. N’est-il pas significatif de constater que le seul précédent comparable à cette bulle (tant dans son ampleur que dans ses effets) est celui de 1929, et que, depuis, il s’est écoulé plus de soixante-dix ans sans qu’on puisse en observer de semblable ? Or, il est difficile de contester que cette bulle a joué un rôle important (pour ne pas dire essentiel) dans le surgissement de la double crise de suraccumulation et de surendettement. En favorisant les marchés financiers et les spéculations qui l’accompagnent, le grand mouvement de financiarisation des économies est donc au point de départ de la dynamique qui a mené à l’effondrement d’aujourd’hui. Si le cycle standard de la « nouvelle économie » nous apparaît toujours comme un cycle « sous influence », il s’agit plutôt, on le voit, de l’influence d’un nouveau modèle (celui du néolibéralisme) que de l’influence d’une nouvelle technologie (celle des NTIC).
• Qu’en est-il des politiques mises en œuvre ?
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La récession ne s’est pourtant pas transformée en véritable dépression : 2002 est une année de croissance, au taux de 2,4 % pour le PIB en volume. L’explication se trouve du côté des dépenses des ménages, qui résistent. Dans un premier temps (en 1999 et 2000), alors que l’investissement des entreprises décélère, la consommation continue à croître à un rythme élevé. Dans un deuxième temps, alors que l’investissement des entreprises entre dans sa phase de recul, accompagné d’un brutal mouvement de déstockage, la consommation poursuit sur sa lancée, quoique à un rythme plus modéré. Parallèlement, de 1999 à 2002, les achats de logements par les particuliers continuent à augmenter, bien qu’avec d’importantes fluctuations.
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Pourtant, la spirale à la baisse est très vite en place : le volume de l’emploi diminue à partir du deuxième trimestre de 2001, entraînant une chute de la masse salariale, qui aurait pu se traduire par une baisse des dépenses des ménages, accentuant la récession, elle-même menant à de nouvelles réductions d’emploi, etc. Il n’en a rien été. Les ménages ont poussé leur taux d’épargne à un niveau très bas, le plus bas historiquement (2,3 % en 2001), favorisant la consommation. Surtout, les vannes monétaire et budgétaire ont été ouvertes à fond. La première est pilotée par la Federal Reserve (banque centrale américaine). Par un mouvement d’une extraordinaire ampleur, la Fed ramène son principal taux directeur de 6 % à 1 %, entraînant l’ensemble des taux dans le mouvement, avec un impact certain sur la consommation. Ainsi, le crédit pour l’achat d’une voiture neuve, situé à 6,66 %, en moyenne, en 1999 est rabaissé jusqu’à 2,71 % en octobre 2001, de nombreux crédits étant en réalité accordés à taux zéro par les compagnies automobiles. Quant aux taux pratiqués pour les crédits hypothécaires, ils subissent une baisse sensible au cours de l’année 2001, soutenant les dépenses de construction résidentielle.
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La politique budgétaire opère une stupéfiante volte-face. Dans un premier temps, le confortable excédent de 224,8 milliards de dollars de 2000 s’effondre, passant à 40,7 milliards en 2001. Puis, en 2002, cet excédent est lui-même remplacé par un imposant déficit de 254 milliards. À l’évidence, nous ne sommes pas seulement en présence d’un basculement « naturel », découlant de la récession par assèchement des recettes. Il s’agit d’une politique volontariste, où les remises d’impôts jouent un rôle important.
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Nous voilà loin des discours sur l’équilibre spontané de marchés laissés à eux-mêmes. Les politiques menées sont clairement interventionnistes. Sont-elles pour autant keynésiennes ? On peut en douter. Dans l’optique keynésienne, la baisse des taux d’intérêt devrait relancer l’investissement des entreprises, une mécanique qui ne peut fonctionner lors d’une crise de suraccumulation et de surendettement. Quel effet peut avoir une telle baisse sur un entrepreneur confronté aux nombreuses sociétés qui ne font que des pertes, aux stocks vendus à des prix de liquidation ou aux surcapacités encombrant l’horizon, alors qu’il cherche surtout à se désendetter ? La résorption d’une crise de suraccumulation ne passe pas par des taux d’intérêt de plus en plus bas, mais par une destruction de valeur, destruction d’entreprises, de stocks, de capacités de production. Dans le cas actuel, la baisse des taux d’intérêt favorise surtout l’accroissement des dépenses des ménages, ce que fait également la politique budgétaire, tournée vers le soutien au revenu disponible de ces derniers.
• Une crise stockée dans les déséquilibres accumulés
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Peut-on dire que la crise est terminée ? Cela reste à voir. La croissance du second trimestre 2003 est satisfaisante : 3,1 % (en rythme annuel, comme les pourcentages qui suivent). Mais elle est soutenue par un exceptionnel accroissement des dépenses militaires : + 46 % ! Le seul élément réellement nouveau est le rebond de l’investissement des entreprises : + 8 %. Attendu depuis longtemps, il n’est pas possible de dire si c’est l’amorce d’une remontée ou un simple sursaut, comme il y en a déjà eu depuis le début de la crise (+ 2,3 % au quatrième trimestre 2002). Une crise économique est une purge. Il s’agit, au fond, d’un processus de destruction de valeur : destruction de marchandises, de moyens de production, de créances et de titres, par le biais desquelles peuvent se redresser les prix, se rétablir la rentabilité, se reconstituer les circuits financiers. Si ce processus n’est pas mené jusqu’au bout, on peut assister à l’allongement d’une sorte de période intermédiaire, où la purge incomplète fait le redressement incomplet. Ce risque existe aujourd’hui aux États-Unis, alors que les marges de manœuvres encore offertes par les politiques budgétaire et monétaire sont désormais extrêmement restreintes.
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Pour autant, telle n’est pas la plus grande menace. La violence de la crise n’a pas disparu, elle est stockée dans les déséquilibres accumulés. La faiblesse de l’épargne des ménages a permis de soutenir la consommation, mais elle subsiste et ne peut remonter rapidement sans grands risques. Or, s’ils anticipent une baisse de leur revenu futur, les Américains peuvent être tentés d’accroître leur épargne, réduisant leur consommation, et ils risquent de le faire d’autant plus brutalement qu’ils partent de plus bas. Ajoutons qu’à la fin des années 1990 l’épargne publique compensait le bas niveau de celle des ménages ; en 2003, le taux d’épargne de ces derniers est encore plus faible qu’à cette époque, mais l’épargne publique a disparu, remplacée par un déficit croissant, situé aujourd’hui à 3,7 % du PIB. La contrepartie de ces phénomènes est un énorme besoin de financement de l’économie américaine, qui se manifeste dans un déficit de la balance des transactions courantes dépassant le taux record de 5 % du PIB. Les États-Unis sont à la merci d’un brutal retrait des capitaux étrangers, entraînant des ventes massives de dollars sur les marchés des changes. Il pourrait s’ensuivre un nouveau krach boursier, une hausse des taux d’intérêt, ainsi qu’une compression (tout à fait contre-indiquée) de la demande intérieure.
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Nous mesurons ici à nouveau la distance séparant les politiques mises en œuvre aux États-Unis de l’option keynésienne. Pour Keynes, la crise avait pour origine un excès d’épargne non investie : il s’agissait alors de mobiliser, par le biais de l’État, une part de cette épargne nationale pour la reverser dans le circuit de la dépense. Aux États-Unis, à l’heure actuelle, l’épargne nationale n’est pas en excès mais, au contraire, insuffisante – c’est l’épargne étrangère qui est mobilisée. Si, de cette façon, la transformation de la récession en véritable dépression est évitée, c’est grâce à une constante aggravation des déséquilibres extérieurs.
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Les dépenses des ménages américains ont été soutenues par la faiblesse de leur épargne, mais également par le gonflement de leur endettement. Celui-ci atteint désormais d’extraordinaires montants, allant jusqu’à représenter 115 % de leur revenu disponible au deuxième trimestre 2003. 0,7 points par an du taux d’endettement ainsi calculé ont été gagnés en moyenne de 1970 à 1980, puis 1,5 points de 1980 à 1990, et enfin 1,8 points de 1990 à 2000. Au cours des deux seules années 2001 et 2002, le simple fait de faire face à la récession a fait bondir le taux de 3,7 points, en moyenne et par an. Une telle montagne de dettes fragilise tout l’édifice. Il y a d’abord les risques assumés par les organismes prêteurs. Mais surtout, en cas de retournement conjoncturel, les ménages américains, soucieux de faire face à leurs engagements, peuvent être amenés à réduire leur consommation à un rythme plus élevé que celui exigé par la seule baisse de leur revenu courant. On le voit : les politiques utilisées pour éviter la catastrophe n’ont pas été sans conséquences. Des déséquilibres majeurs, déjà présents, ont été aggravés, d’autres s’y sont rajoutés. À l’origine de cet engrenage, nous trouvons le modèle néolibéral. La résorption en douceur des dysfonctionnements est une hypothèse de moins en moins probable au fur et à mesure que le temps passe sans changement de cap. •

Critique de Jean Bastien du livre de Isaac Joshua : « La grande crise du XXIème siècle »

Sommes-nous dans une crise financière, une crise des débouchés ou une crise de suraccumulation ? L’auteur penche pour la dernière option. Sa démonstration n’emporte toutefois pas totalement la conviction, ni les mesures qu’il préconise.

L’instabilité du capitalisme et sa fuite en avant

L’auteur s’emploie dans le premier chapitre à montrer que le capitalisme est par nature instable lorsqu’il est livré à lui-même. Une instabilité d’autant plus forte que celui-ci occupe désormais tout l’espace social, avec la généralisation du salariat et la mondialisation de la production, et qui est encore accrue par la financiarisation de la consommation. Le deuxième chapitre décrit “la fuite en avant” des États-Unis contraints, une fois la régulation fordiste démantelée, “pour maintenir la demande lorsque la récession menace [de] pousser à toute force les dépenses des ménages vers le haut par la réduction de leur épargne et l’accroissement de leur endettement.” . Ce qui oblige parallèlement l’économie américaine à trouver à l’étranger les capitaux nécessaires à son financement, auprès des pays, la Chine en tête, auxquels elle offre à la fois d’importants débouchés et un moyen de placement de leur épargne (dollar oblige). Non sans risque que n’éclate tôt ou tard une crise de surendettement, qui affecterait en premier lieu le dollar. “La crise actuelle est celle de la nouvelle économie qui continue, car cette crise n’a pas été surmontée, mais seulement stockée dans les déséquilibres accumulés.” , explique l’auteur.

Les liens entre la finance et l’économie réelle

La suite nous met au cœur du sujet. “Un petit détour par Le Capital” et les deux circuits A-P-A’ et A-A’ que distingue Marx permet à l’auteur de préciser les liens complexes qu’entretiennent la finance et l’économie réelle. “A-A’ est centré sur l’argent, A-P-A’ sur la production et, le fond de l’affaire, c’est l’unité et la contradiction entre les deux formules. Il y a unité, car le capital n’est accumulé qu’en vue de son accroissement (A-A’), mais (à une échelle sociale) il ne peut obtenir cet accroissement qu’en produisant, c’est-à-dire en suivant le chemin A-P-A’. Il y a contradiction, car le capital tend en permanence vers A-A’ […] tout en étant constamment ramené vers A-P-A’” , explique l’auteur. En définitive, la finance et les crises financières en particulier dépendent de l’économie réelle. “Bien que le circuit financier (A-A’) tende en permanence à s’autonomiser par rapport au circuit de production, c’est quand même ce dernier qui, au bout du compte, dicte ses conditions.” . C’est parce que la régulation fordiste a été démantelée (pour cause de baisse des taux de profits), qu’“il a fallu mettre en place une nouvelle façon de réagir aux défaillances de la conjoncture (le “pilotage par les taux d’intérêt”) et inventer, dans la foulée, une nouvelle finance qui permette de répondre aux sollicitations de taux d’intérêt poussés au plancher.” . Ainsi balayée (probablement un peu rapidement) l’idée que la crise actuelle trouve son origine dans la finance, on peut s’attaquer à l’idée qu’il s’agit d’une crise des débouchés.

Une crise des débouchés ?

La thèse selon laquelle nous serions en face d’une crise des débouchés (liée à une baisse avérée de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis le début des années 1980) qui aurait alors été combattue par l’accroissement de l’endettement des ménages, n’est pas totalement convaincante. En effet, si l’on considère uniquement les États-Unis, entre 1980 et 2005, c’est plutôt la chute du taux d’épargne (que l’accroissement de l’endettement) qui aura soutenu la consommation, explique l’auteur. En outre, les données existantes pour les années 1990 révèlent “que la chute du taux d’épargne global des ménages est presque entièrement due à la réduction du taux d’épargne des […] 20% de la population disposant des revenus les plus élevés” . Mais les données utilisées s’arrêtent en 2000.
Ceux qui défendent cette hypothèse de “crise des débouchés” expliquent que ce partage inégal de la valeur ajoutée a également entraîné une surabondance de profits à la recherche des placements rémunérateurs, qui se sont alors reportés sur la spéculation financière. Mais, là encore, les données disponibles ne semblent pas conforter cette thèse, dans la mesure où l’on n’observe pas de baisse de la part des profits investis sur la période . Finalement, “la thèse des profits abandonnant l’investissement pour la finance ne paraît pas très assurée. Celle d’une crise des débouchés non plus” .

Une crise de suraccumulation, mal digérée

L’auteur défend alors la thèse d’une crise de suraccumulation, soit “d’une accumulation de capital qui s’effectue à un tel rythme qu’elle ne peut maintenir dans la durée le taux de profit escompté par les apporteurs de capitaux” , qui est la forme que prend, dans la plupart des cas, l’instabilité capitaliste, selon lui. Mais en faisant remonter cette crise non plus au début des années 1980 mais à la “nouvelle économie” et donc à la seconde moitié des années 1990 (l’auteur évoque des crises intervenant selon une périodicité de sept à dix ans). Marx a plutôt fait porter ses analyses sur les crises de sous-consommation (ou de débouchés) ou, si l’on considère le long terme, sur les crises de profitabilité (ou de valorisation). “Pourtant, mettre en avant la crise de suraccumulation, c’est en quelque sorte revenir aux fondamentaux” marxistes, aux circuits du capital (cf. ci-dessus) et à la contradiction qu’ils révèlent, écrit l’auteur. “Les conditions de la production (donc A-P-A’) disent qu’il faut arrêter d’accumuler mais, tout à son rêve, le capitalisme préfère oublier ce message déprimant, et faire comme si cette contrainte n’existait pas […]. C’est ainsi que nous entrons dans la crise de suraccumulation […] Dire la crise capitaliste, ce n’est dont qu’une autre façon de dire la tension entre (A-P-A’) et (A-A’), véritable contradiction constitutive du capital.” , conclut l’auteur.

Les trois derniers chapitres appellent peu de commentaires. Ils sont consacrés à l’explication de la crise financière et de son déroulement depuis l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis, aux mécanismes de transmission de celle-ci à l’économie réelle qui se sont mis en branle, et aux plans de sauvetage et de relance décidés par les États. Ils traitent en effet de choses que l’on a pu lire ailleurs dans des termes qui ne sont guère différents.
Des préconisations radicales

La conclusion tire les conséquences de la discussion concernant la nature de la crise dont nous avons rendu compte ci-dessus. Elle le fait comme si le diagnostic dictait les mesures à prendre, sans examiner autrement leurs effets probables. Elle écarte les mesures de relance de la demande (sur lequelles l’auteur sera passé extrêmement rapidement) pour se concentrer sur des mesures davantage structurelles. “Il faut, tout d’abord, maîtriser la finance” , explique l’auteur, qui se montre partisan de mesures particulièrement sévères à son endroit, qui comprendraient notamment l’interdiction de la titrisation, la renationalisation d’un nombre significatif de banques en position dominante et une limitation drastique du rôle des Bourses. Il faut reréguler l’économie réelle, de façon à “modérer la flexibilité à la baisse” qui joue en cas de crise, et donc stabiliser le marché du travail (en rétablissant la prépondérance des CDI et en encadrant strictement les licenciements), revoir le partage de la valeur ajoutée, garantir le pouvoir d’achat des salariés (y compris par l’instauration d’une échelle mobile) et reconstituer des services publics dignes de ce nom . Enfin, la crise actuelle rend nécessaire, selon l’auteur, la remise en cause de la propriété privée des entreprises, le retour à une planification en matière économique, qui prenne en compte les contraintes environnementales. Elle appelle également une nouvelle définition des échanges internationaux et un encadrement des flux commerciaux .
Le lecteur pourra penser que des mesures de cette ampleur auraient certainement besoin d’une justification plus forte que celle que nous livre l’auteur. Mais sa position a le mérite d’être exprimée clairement, et même si on ne partage pas toutes ses thèses, ce petit livre, agréable à lire, devrait permettre d’aider tout un chacun à se contruire son point de vue (à condition de ne pas s’en tenir à lui)

Louis Gill

“À l’origine des crises :
surproduction ou sous-consommation ?”.

Un article publié dans la revue Carré rouge, avril 2009.

Introduction
I - Suraccumulation du capital et surproduction de marchandises

- Pénurie de plus-value et surabondance de marchandises
- Rentabilité déficiente ou déséquilibre de marché ?
- Phénomène permanent, la sous-consommation ne peut expliquer les crises
- Sous-consommation et excès de plus-value : les précurseurs

II - La nature de la crise actuelle
III- Relancer l’accumulation par la consommation ?

- Des dépenses publiques improductives pour le capital
- Une nécessaire prise en main par l’État
- La timidité des plans de relance

INTRODUCTION

Dans un article intitulé « La récession mondiale : moment, interprétations et enjeux de la crise » [1], François Chesnais critique l’interprétation en vogue de la crise en cours comme une crise de sous-consommation causée par une contraction des salaires qu’on se serait efforcé de compenser par une forte expansion du crédit. Il traite en particulier de la variante de cette interprétation présentée par Alain Bihr dans un article intitulé « Le triomphe catastrophique du néolibéralisme » [2] et exprime son désaccord avec la thèse d’une « plus-value en excès » qu’y développe Bihr. Il la caractérise comme un renversement complet de la compréhension du capitalisme héritée de Marx, selon laquelle le capital se heurte non pas à un excès mais à une insuffisance chronique de plus-value dont la tendance à la baisse du taux de profit est la manifestation.

Le fait que cette pénurie de plus-value soit perçue sous la forme de difficultés de réalisation « traduit une cécité face aux contradictions du système », écrit Chesnais, qui renvoie à mon livre Fondements et limites du capitalisme[3] pour « une présentation très claire de ces contradictions et de cette cécité ». Fort sensible à cette référence élogieuse, je me suis senti invité à relever le défi de faire un exposé synthétique des développements pertinents de ce livre afin de contribuer au débat. C’est le but du présent article. Il comporte trois sections.

La première établit que les crises telles que comprises par Marx sont des crises de suraccumulation de capital et de surproduction de marchandises et non des crises de sous-consommation dont l’origine se trouverait dans l’insuffisance des salaires. La deuxième montre que la crise actuelle est bien une crise de surproduction et que sa dimension financière ne saurait se réduire à une question de crédit aux ménages venu compenser des revenus salariaux insuffisants. La troisième pose la question suivante : si l’origine des crises ne se trouve pas dans la sous-consommation, leur résorption peut-elle reposer sur la stimulation de la demande globale, qui est au centre des plans de relance actuels des gouvernements ? La réponse à cette question, qui découle de la nature improductive pour le capital des dépenses publiques, permet de comprendre la timidité des plans de relance de l’économie réelle et les hésitations à les mettre en œuvre, alors que le secteur financier a spontanément bénéficié d’une colossale générosité.

I – Suraccumulation du capital
et surproduction de marchandises

Il faut d’abord rappeler les incidences contradictoires d’une hausse de la productivité sur la production de valeurs d’usage et sur la production de valeurs. Le progrès de la technique, qui donne lieu à une substitution de moyens de production à la force de travail, augmente la productivité du travail vivant et sa puissance matérielle de production de valeurs d’usage, mais limite simultanément sa puissance sociale de création de valeur nouvelle en réduisant son poids relatif dans la production de la valeur, dont une part croissante est de la valeur transmise sous forme de travail passé, incorporé dans les moyens de production. La baisse du poids relatif de la source de plus-value qu’est le travail vivant se traduit ainsi pour le capital en une difficulté croissante de se valoriser.

Soulignons donc d’entrée de jeu ce phénomène particulier de la production capitaliste, où une hausse de la productivité matérielle, permettant une production accrue de valeurs d’usage, prend la forme sociale spécifique d’une production restreinte de plus-value. Et cela, en dépit d’une hausse du taux de plus-value, c’est-à-dire d’une augmentation de la plus-value par rapport au capital variable (du surtravail par rapport au travail nécessaire) ou, inversement, d’une réduction de la part du capital variable dans la valeur nouvelle créée par la force de travail, ce qu’Alain Bihr désigne comme une réduction de la part des salaires dans la « valeur ajoutée ». Cette augmentation de la part de la plus-value dans la nouvelle valeur créée ne signifie nullement qu’elle soit « en excès » comme le soutient Bihr. Le fait qu’elle augmente à un rythme décroissant au fur et à mesure que la productivité augmente met au contraire en évidence la difficulté croissante du capital de se valoriser, en d’autres termes le défaut de plus-value.

En somme, pour se valoriser, le capital doit se transformer en moyens de production et accroître la productivité du travail, mais sa valorisation, qui est déterminée par le rapport entre travail nécessaire et surtravail, est de plus en plus difficile à mesure que la capacité productive se développe, comme l’écrit Marx :

[…] plus le capital est développé et a déjà créé de surtravail, plus il lui faut développer la force productive pour ne se valoriser, c’est-à-dire ne s’ajouter de la plus-value, que dans une proportion de plus en plus petite […] Plus la fraction qui revient au travail nécessaire est déjà petite et plus le surtravail est grand, moins un quelconque accroisse-ment de la force productive pourra diminuer de façon sensible le travail nécessaire [...] L’autovalorisation du capital devient d’autant plus difficile que celui-ci est déjà plus valorisé. [M, I, 280] [4]

Cette réalité de la production capitaliste qui est révélée ici au niveau d’abstraction du Livre I du Capital, celui du « capital en général » faisant face au « travail en général », se manifeste au niveau d’abstraction du Livre III, celui des capitaux particuliers et de la concurrence, sous la forme d’une tendance à la baisse du taux de profit. Un taux de profit suffisant pour que la production ait lieu est le point de départ d’une accumulation dont le résultat est une tendance à la baisse du taux de profit. Celle-ci à son tour provoque une accélération de l’accumulation dont l’objectif est de rétablir les conditions d’une production rentable, mais qui entraîne une nouvelle tendance à la baisse du taux de profit. Si la baisse ne se réalise pas comme telle en permanence dans la réalité, elle apparaît par contre continuellement sous la forme d’une tendance à accumuler. Baisse du taux de profit et accélération de l’accumulation, écrit Marx, « ne sont que les expressions différentes d’un même processus, en ce sens que toutes deux expriment le développement de la productivité » [C, VI, 254].

Cela met en lumière le fait singulier que le taux de profit tend à baisser, non pas parce que le travail devient moins productif, mais parce qu’il devient plus productif. La tendance à la baisse du taux de profit est, comme le dit Marx, « tout simplement une façon, propre au mode de production capitaliste, d’exprimer le progrès de la productivité sociale du travail » [C, VI, 227]. La difficulté croissante de valorisation du capital s’exprime ultimement dans une chute effective du taux de profit, dans un ralentisse­ment ou un arrêt de l’accumulation, dans « la surproduction, la spéculation, les crises, la constitution de capital excédentaire à côté d’une population en excédent » [idem, 255].

Pénurie de plus-value et surabondance de marchandises

Le point de départ de la compréhension des crises chez Marx se trouve dans leur analyse au niveau d’abstraction du « capital en général », qu’il développe dans les Manuscrits de 1857-1858 ou « Grundrisse ». En voici les traits essentiels.

La circulation du capital A-M-A’ est l’unité contradictoire des deux moments distincts que sont la production et la circulation, dont la séparation ouvre la possibilité d’une crise. Le processus de valorisation du capital qui n’est achevé qu’au terme de l’accomplissement de son cycle complet, c’est-à-dire de ses phases de production et de circulation, passe d’abord, dans sa phase de production, par une dévalorisation du capital. Converti de capital-argent en moyens de production matériels et en force de travail, c’est-à-dire en capital productif, il a de ce fait perdu la forme de la valeur, celle de la richesse universelle qu’est l’argent. Au terme de la phase de production, il existe sous la forme de capital-marchandise, une marchandise qui possède idéellement un prix, mais la valeur accrue qu’elle contient doit encore être réalisée par la vente qui permettra au capital de reprendre la forme de l’argent ou de la richesse universelle. « Supposons que ce procès échoue », écrit Marx, « et la seule séparation suffit à rendre cet échec possible..., alors l’argent du capitaliste se sera transformé en un produit dénué de valeur, non seulement n’aura pas accru sa valeur, mais aura perdu sa valeur initiale » [M, I, 342]. Dans le procès de production comme tel, la valorisation du capital apparaissait comme ne dépendant que de la relation entre travail vivant et travail objectivé ou travail mort, entre travail salarié et capital. Dans le procès de circulation, la valorisation apparaît comme une simple relation entre la quantité produite d’une marchandise et le besoin social solvable de cette marchandise.

La question qui se pose alors est la suivante : la valorisation du capital dans la production implique-t-elle sa valorisation dans la circulation ? [idem, 350]. Dans sa réponse à cette question, explique Marx, l’économie politique classique se divise en deux camps, celui de Ricardo [5] pour qui il est dans la nature du capital de surmonter les obstacles à sa fructification, obstacles qu’il considère comme purement contingents, et celui de Sismondi [6] pour qui ces obstacles sont dûs au capital lui-même et qui a l’intuition que les contradictions qui en découlent conduisent nécessairement le capitalisme à sa perte. Sismondi, écrit Marx, a « plus profondément saisi le caractère borné de la production fondée sur le capital », alors que Ricardo a « compris l’essence positive du capital avec plus de justesse et de perspicacité », même s’il n’a « jamais compris les crises modernes réelles » [idem, 350]. Pour Marx, qui retient en quelque sorte les apports positifs des deux écoles, la production capitaliste est unité du procès de travail et du procès de valorisation, une unité qui n’est pas directe ou immédiate, mais qui est elle-même un processus [idem, 346] par lequel les contradictions entre production et valorisation sont à la fois surmontées (« l’essence positive » du capital mise en évidence par Ricardo) et continuellement reproduites à une échelle plus large, expression du caractère limité, historique et transitoire du capitalisme (pressenti par Sismondi).

Cette limite, inhérente non à la production en général mais à la production fondée sur le capital, se manifeste périodiquement dans des crises de surproduction [idem, 354]. Elle trouve son origine dans le rapport fondamental de la production capitaliste, l’échange entre capital et travail salarié, et dans la seule finalité de cet échange qu’est l’extraction de la plus-value. Le travail salarié n’existe qu’en fonction de la plus-value qu’il rapporte, le travail nécessaire n’existe que comme condition du surtravail ; le capital n’a besoin du travail que dans la mesure où il lui permet de se mettre en valeur, de produire de la plus-value. Il a donc tendance à restreindre le travail nécessaire pour augmenter le surtravail et la plus-value qui en est l’expression en valeur, à restreindre le travail vivant et par conséquent la création de valeur.

Il en résulte une tendance simultanée à restreindre tant la sphère de l’échange que la création de valeur. L’insuffisance de plus-value, cause ultime de la crise localisée dans la production, se manifeste sur le marché de manière inversée, sous la forme d’une surabondance de marchandises (invendables). La tendance du capital à se valoriser sans limites « est identique au fait de poser des limites à la sphère de l’échange... à la réalisation de la valeur posée dans le procès de production » [idem, 362]. Au-delà d’un certain point, l’éclatement de la crise réalise une « dévalorisation générale, ou destruction de capital », provoque une diminution de la production, jusqu’à ce que soit « reconstitué le rapport entre travail nécessaire et surtravail qui est, en dernier ressort, à la base de tout » [idem, 385-386].

Rentabilité déficiente ou déséquilibre de marché ?

Au niveau d’abstraction du livre III du Capital où le problème de la valorisation est envisagé non plus dans les termes abstraits du « capital en général » et du rapport entre travail nécessaire et surtravail, mais dans les termes des capitaux particuliers et des profits qu’ils obtiennent, les crises se présentent comme des moments nécessaires de l’accumulation du capital et de l’évolution du taux de profit qui en est le principe moteur.

Elles sont l’expression de la course contre la montre entre la baisse tendancielle du taux de profit et la hausse du taux de plus-value et de la composition organique du capital. Elles sont la manifestation périodique d’une valorisation insuffisante du capital. Elles marquent un arrêt ou un ralentissement de l’accumulation, dont la fonction est de rétablir les conditions d’une rentabilité suffisante du capital et de permettre le redémarrage de l’accumulation. Pour reprendre la caractérisation de John Fullarton [7], citée par Marx, les crises sont « le correctif naturel et nécessaire d’une opulence excessive et hypertrophiée, la vis medicatrix (la vertu médicinale, la médication), qui permet à notre système social tel qu’il est constitué actuellement de se soulager d’une pléthore qui revient sans cesse menacer son existence, et de retrouver un état sain et solide » [M, II, 343]. Ainsi comprises, comme nous venons de le voir, elles sont un phénomène dont l’origine se situe au niveau de la production de plus-value et non au niveau du marché où s’écoulent les marchandises et se réalisent les valeurs produites, même si elles se manifestent nécessairement comme un phénomène de marché.

Cette compréhen­sion de la théorie marxiste des crises n’est pas unanime­ment partagée. Diverses interprétations se confrontent en effet. Elles s’expliquent notamment par le fait que Marx analyse les crises à divers niveaux d’abstraction qui sont autant d’étapes successives d’une explication unique et qu’il localise leur possibilité générale en production capitaliste dans la séparation de la production et de la circulation. De nombreux auteurs toutefois ont cru découvrir chez Marx diverses théories des crises. Il les expliquerait soit comme étant le résultat d’une chute du taux de profit, soit par l’impossibilité de réaliser la totalité de la production sur le marché. A leur tour, les crises de ce deuxième type ou « crises de réalisation » s’expliqueraient soit par une capacité de consommation trop faible par rapport à la production existante, soit par des disproportionnalités donnant lieu à des productions excédentaires pour certains produits, déficitaires pour d’autres.

Mais les crises ne peuvent être expliquées ainsi. Disproportionnalité entre les secteurs et déséquilibre entre production et consommation ne sont pas des faits exceptionnels en économie marchande, des déréglages momentanés qui précipiteraient l’économie dans des crises. Ils sont au contraire la règle et existent en permanence. C’est plutôt exceptionnellement et par pur hasard que l’équilibre est réalisé dans une économie où « l’interdépendance de l’ensemble de la production s’impose aux agents de la production comme une loi aveugle au lieu d’être une loi que la raison associée des producteurs aurait comprise et dominée, ce qui leur aurait permis de soumettre le procès de production à leur contrôle collectif ». Dans un tel cadre, « la proportionnalité des secteurs de production particuliers apparaît comme naissant de leur disproportionnalité par un procès constant » [C, VI, 269]. Des crises « partielles » causées par les disproportionnalités entre les secteurs peuvent certes survenir. Ce type de crises, qui peuvent se résorber par la simple redistribution du capital et du travail entre secteurs [TPV, II, 620-21], est toutefois différent de la crise générale de surproduction dont la résorption nécessite un rééquilibrage d’une autre nature, le rétablissement d’un autre type de proportionnalité, qui « en dernier ressort est à la base de tout », soit le rapport entre travail nécessaire et surtravail, comme nous l’avons vu plus tôt.

Phénomène permanent, la sous-consommation
ne peut expliquer les crises

La faiblesse de la consommation de la masse de la population ne peut non plus être vue comme la cause des crises capitalistes. Comme l’explique Engels dans Anti-Dühring :

La sous-consommation des masses [...] n’est pas du tout un phénomène nouveau. Elle a existé depuis qu’il y a eu des classes exploiteuses et des classes exploitées [...] [Elle] est une condition nécessaire de toutes les formes de société reposant sur l’exploitation, donc aussi de la société capitaliste ; mais seule la forme capitaliste de la production aboutit à des crises. La sous-consommation [...] ne nous explique pas plus les causes de l’existence actuelle des crises que celles de leur absence dans le passé. [8]

Dans la production capitaliste, écrit Marx, la sous-consommation est un phénomène permanent engendré par le processus même de l’accumulation du capital :

La fin du capital étant la production de profit et non la satisfaction des besoins, […] il doit nécessairement y avoir sans cesse discordance entre les dimensions restreintes de la consommation sur la base capitaliste et une production qui sans cesse tend à franchir cette barrière qui lui est immanente. [C, VI, 269]

Un phénomène permanent de la production capitaliste ne peut être invoqué comme explication des incidents passagers que sont les crises. La sous-consommation est, non pas la cause des crises, mais une condition de l’accumulation. On le constate à partir du double rôle des travailleurs salariés, comme producteurs de plus-value et comme consommateurs. D’un côté, l’accroissement de leur pouvoir d’achat apparaît comme une garantie de l’écoulement des produits sur le marché. De l’autre, la restriction de leur salaire est la condition de la valorisation du capital :

Chaque capitaliste, sachant qu’il n’occupe pas face à son ouvrier la position du producteur face au consommateur, cherche à limiter au maximum la consommation de l’ouvrier, c’est-à-dire sa capacité d’échanger, son salaire. Il souhaite naturellement que les travailleurs des autres capitalistes consomment le plus largement possible sa marchandise. Mais le rapport entre chaque capitaliste et ses ouvriers est tout simplement le rapport du capital et du travail, le rapport essentiel. Et c’est précisément de là que naît l’illusion de tout capitaliste, persuadé que, à part ses propres ouvriers, tout le reste de la classe ouvrière se présente à lui comme consommateur et échangiste, comme dépenseur d’argent, et non comme ouvrier. [M, I, 359-60]

Le rapport essentiel étant le rapport du capital au travail salarié, la proportionnalité dont le rétablissement par la crise est de nature à assurer la reprise est celle qui établit la quantité adéquate de surtravail fournie par une quantité donnée de travail nécessaire. Le rapport entre travail et capital est donc une proportionnalité d’un type particulier, différente de celle qui caractérise l’équilibre entre production et consommation ou l’échange entre secteurs de production et la répartition des capitaux qui y sont investis (et du travail qui leur fait face). La crise se dévoile donc comme le moyen de rétablir de force une proportionnalité adéquate entre travail nécessaire et surtravail [M, II, 238].

L’explication des crises de surproduction par l’insuffisance de la consommation finale, c’est-à-dire de la consommation de biens de consommation équivaut à considérer surproduction et sous-consommation comme deux expressions équivalentes d’un même phénomène. Or, la surproduction générale de marchandises qui caractérise la crise n’est pas uniquement une surproduction de biens de consommation ; elle est également surproduction de moyens de production. La sous-consommation de biens de consommation n’est donc qu’une des dimensions de la surproduction générale qui est également surproduction de moyens de travail :

[...] on produit périodiquement trop de moyens de travail et de subsistances pour pouvoir les faire fonctionner comme moyens d’exploitation des ouvriers à un certain taux de profit. On produit trop de marchandises pour pouvoir réaliser et reconvertir en capital neuf la valeur et la plus-value qu’elles recèlent dans les conditions de distribution et de consommation impliquées par la production capitaliste, c’est-à-dire pour accomplir ce procès sans explosions se répétant sans cesse. [C, VI, 270]

L’interruption de l’accumula­tion du capital dans ses composantes constante et variable, qui entraîne une chute de la demande de moyens de production et de biens de consommation, apparaît ainsi au niveau du marché comme une insuffisance de la demande globale, intermé­diaire et finale, et non des seuls biens de consommation.

La question se résume en fait à déterminer si les crises sont le résultat d’un déséquilibre du marché, surmontables par un réajustement approprié, c’est-à-dire par un équilibrage de l’offre et la demande et des proportionnalités entre les secteurs, ou le résultat des difficultés croissantes de valorisation du capital, surmontables par le seul rétablissement de la rentabilité, par une production suffisante de plus-value. Même si elles se manifestent toujours extérieurement comme des phénomènes de marché, elles s’expliquent à partir des conditions de fructification du capital, c’est-à-dire de production de plus-value, qui, sans être immédiatement perceptibles, sont néanmoins le moteur de la production capitaliste. De nouveau se trouve confirmée cette réflexion de Marx à l’effet que « toute science serait superflue si l’essence des choses se confondait avec leur apparence » [C, VIII, 196].

Sous-consommation et excès de plus-value :
les précurseurs

Pour l’économie politique classique, comme pour la théorie néoclassique, les crises sont des incidents dont l’existence est attribuée au hasard ou à des causes extérieures au fonctionnement normal de l’économie marchande. Le principe économique de base de ces deux écoles est l’équilibre du marché. Chez les classiques, en particulier chez Ricardo, il s’incarne dans la loi de Say [9] selon laquelle l’économie de marché est un système d’équilibre où l’offre induit une demande correspondante. Selon cette conception, une offre ou une demande excédentaire de telle marchandise ou dans tel secteur peut évidemment se produire de manière momentanée, mais elle provoque alors un réajustement des prix qui tend à rétablir l’équilibre, de sorte qu’une surproduction généralisée est vue comme impossible. Comme de telles crises se produisent néanmoins, pour ainsi dire malgré la théorie, des théoriciens ont été amenés à tourner le dos à la théorie classique et à son explication des crises comme résultat de causes externes au fonctionnement normal du système. Pour Sismondi, les crises de surproduction sont causées par la sous-consommation engendrée par une répartition inéquitable du revenu. On peut ainsi le considérer comme le fondateur de la théorie sous-consommationniste des crises capitalistes.

L’analyse de Sismondi a été reprise par son contemporain Thomas Robert Malthus (1766-1834), puis quelque cent ans plus tard au début du 20ème siècle par John Hobson (1858-1940) dans le contexte du capitalisme entrant dans sa phase avancée, celle de l’impérialisme, dans un ouvrage de 1902 intitulé Imperialism. Pour lui, la volonté de conquérir de nouveaux marchés, pour écouler tant la production excédentaire que l’épargne qui ne peut s’investir sur le marché intérieur, est à l’origine de l’impérialisme. La production et l’épargne excédentaires s’expliquent à leur tour par une sous-consommation ouvrière qui n’arrive pas à absorber toute la production et pose de ce fait une limite aux investissements rentables, entraînant des crises périodiques. Annonçant les thèses de John Maynard Keynes, Hobson voit l’intervention de l’État en faveur d’une redistribution des revenus et d’une stimulation de la demande comme le moyen de surmonter les difficultés de l’économie capitaliste.

Dans le riche débat qui a eu cours au sein de la Social-démocratie internationale à la charnière des 19ème et 20ème siècles, l’interprétation sous-consommationniste de la théorie marxiste des crises a également eu ses défenseurs. Tout en acceptant que le défaut de proportionnalité entre les secteurs de production puisse être à leur origine, Karl Kautsky (1854-1938) [10] défendait le point de vue selon lequel la raison ultime des crises se trouve dans la sous-consommation. D’autres participants au débat, parmi lesquels Conrad Schmidt et Heinrich Cunow, ont également défendu cette thèse. C’est Rosa Luxemburg (1871-1919) toutefois qui demeure la principale représentante du courant sous-consommationniste de l’époque. La valeur produite ne pouvant, selon elle, être écoulée en totalité sur un marché capitaliste incapable de l’absorber, celle-ci doit être réalisée par un échange avec « le milieu non capitaliste » (artisans, paysans, etc..) à l’intérieur des pays capitalistes, et par l’exportation des marchandises vers les pays où le capitalisme ne s’est pas encore implanté.

L’explication des crises par la sous-consommation a également eu ses défenseurs modernes. On la trouve exposée en particulier par Paul Baran (1910-1964) et Paul Sweezy (1910-2004), notamment dans un ouvrage qui a connu une large diffusion, intitulé Monopoly Capital [11] publié en 1966. Le rôle prédominant des monopoles dans la phase avancée du capitalisme et leur influence sur le niveau des prix ont à leurs yeux pour effet d’accroître la masse de valeur captée sous la forme de la plus-value, dont la quantité excèderait en conséquence les capacités de l’accumulation. Nous serions ainsi en présence de difficultés d’accumulation attribuables non pas à une insuffisance, mais à une surabondance de plus-value, terme auquel les auteurs préfèrent substituer celui de surplus. Nous trouvons là une anticipation de la thèse de la « plus-value en excès » énoncée par Alain Bihr. Pour Baran et Sweezy, la résorption de la crise et de la stagnation repose alors sur l’absorption de ce surplus par divers moyens dont la dépense publique, « l’effort de vente » ou les dépenses de publicité, le gaspillage pur et simple, le militarisme et l’impérialisme, autant de manières d’utiliser les capacités excédentaires pour résoudre le problème de l’insuffisance de la demande globale, créer de l’emploi et générer des revenus. Ils aboutissent ainsi à des conclusions qui rejoignent quant au fond celles de l’analyse keynésienne.

II – La nature de la crise actuelle

Au-delà des variantes, l’interprétation sous-consommationniste de la crise actuelle peut être résumée comme suit :

- son origine se trouve dans une répartition des revenus devenue de plus en plus défavorable aux salaires et favorable aux profits ;

- faute d’investissements rentables dans l’industrie et le commerce, ces profits ont été massivement investis dans les marchés financiers ;

- l’insuffisance des revenus salariaux a poussé les ménages à s’endetter dans des proportions excessives sur ces marchés financiers, en particulier pour accéder à la propriété de leur logement, ce qui a mené à la crise ;

- une modification de la répartition des revenus en faveur des salaires permettrait de résoudre ce problème de sous-consommation.

Elle est exprimée ainsi pour l’essentiel par Alain Bihr dans son article déjà mentionné, « Le triomphe catastrophique du néolibéralisme », qui s’appuie en particulier sur la thèse formulée par Michel Husson d’un taux d’accumulation « qui ne suit plus le taux de profit » [12]. Elle est également exprimée dans ces termes par Jean-Jacques Chavigné dans « Le système capitaliste en crise. Le prétendu plan de relance de Sarkozy » [13], ainsi que, au Québec, par Éric Pineault dans un article intitulé « Les origines profondes de la crise » [14].

S’il est incontestable que la relance de l’économie des États-Unis par l’immobilier et de très faibles taux d’intérêt a artificiellement stimulé la demande par l’endettement des ménages après l’éclatement de la bulle technologique en 2001-2002, et que les prêts hypothécaires à risque élevé ont été le déclencheur de la crise financière actuelle, un coup d’œil sur les processus qui ont mené au désastre ne peut que conduire au rejet de l’hypothèse qui en situe l’origine dans l’insuffisance des revenus salariaux et l’endettement qui en a découlé.

Loin d’être l’expression d’une aspiration légitime de consommateurs démunis à acquérir ce bien de consommation essentiel qu’est le logement au prix d’un endettement hypothécaire à long terme, la formidable bulle immobilière qui s’est développée de 2001 à 2006 aux États-Unis, mais aussi dans plusieurs autres pays dont l’Angleterre, l’Espagne et l’Irlande et qui a éclaté en 2007, est le résultat d’une puissante spéculation qui a transformé le logement de lieu de résidence en actif financier revendable avec profit. Cette spéculation a donné lieu à un fort surinvestissement dans la construction de logements et en conséquence à une énorme surproduction qui ne saurait être assimilée à une quelconque sous-consommation découlant d’une contraction, bien réelle par ailleurs, du pouvoir d’achat des salariés.

Sous la forte incitation de pourvoyeurs de crédit et de promoteurs immobiliers prédateurs agissant dans un univers déréglementé, un nombre de plus en plus grand de ménages, en particulier de ménages non solvables, se sont laissés convaincre que des maisons sans rapport avec leur pouvoir d’achat leur étaient désormais accessibles, que leurs prix ne pouvaient que continuer à croître, qu’ils pourraient très tôt s’ils le souhaitaient revendre avec profit leur logement nouvellement acquis et en acheter immédiatement un autre, plus spacieux, plus luxueux et plus cher, dans un mouvement d’enrichissement sans fin et que, s’il leur devenait impossible de rembourser leur hypothèque, ils pourraient toujours s’en libérer par la revente avec profit de leur propriété. Lorsque la saturation a été atteinte, la surproduction s’est manifestée par l’effondrement des prix des logements et une défaillance massive des prêts hypothécaires à risque.

Déjà en baisse de 23 % au début de 2009 depuis leur sommet atteint en 2007, les prix des logements pourraient encore diminuer de 15 % aux États-Unis avant de se stabiliser, selon une étude de Merrill Lynch [15], en raison de ce qu’elle désigne comme le niveau insoutenable des stocks de maisons neuves invendues, qui ne sauraient être écoulés qu’au terme d’un délai de près d’un an. Pour liquider les restes imposants de cette surproduction, elle évoque l’hypothèse draconienne d’une réduction de l’offre de maisons neuves par l’imposition d’un moratoire de la construction.

La crise immobilière s’est développée en crise financière, puis en crise de l’économie réelle, la surproduction se manifestant par une réduction générale de la production manufacturière mondiale qui a chuté à un rythme annuel de 20 % au cours du dernier trimestre de 2008 [16]. Commentant la situation particulière de l’industrie automobile où General Motors et Chrysler font aujourd’hui face à une faillite imminente, alors que Toyota, Honda, Nissan et Mazda envisagent de réclamer elles aussi l’aide gouvernementale pour surmonter la crise, l’hebdomadaire The Economist la caractérise comme une situation de « surcapacité chronique », l’industrie pouvant produire 94 millions de véhicules par année à l’échelle mondiale alors que la demande n’atteint que 60 millions de véhicules et que, néanmoins, la construction de dizaines de nouvelles usines était encore récemment planifiée dans les pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine)[17]. Il en est de même en particulier de l’industrie électronique dont les fleurons japonais que sont Sony, Panasonic, Hitachi, Toshiba, NEC, Canon et Sharp sont toutes contraintes de procéder à de nombreuses fermetures d’usines et à des licenciements massifs, pour avoir construit d’immenses surcapacités de production dans une course effrénée pour la conquête des marchés et l’élimination des concurrents.

Peut-on concevoir cette surproduction générale comme l’image inversée d’une sous-consommation et caractériser la crise actuelle comme une « crise de surproduction par sous-consommation relative des salariés », pour reprendre l’expression d’Alain Bihr [18] ? C’est plutôt le contraire que la réalité met en évidence. La première puissance économique du monde, celle des États-Unis où la crise actuelle a été déclenchée, a été depuis au moins les quinze dernières années le lieu du déploiement, non pas d’une sous-consommation, mais d’une forte surconsommation, en particulier de biens importés, qui a entraîné un déficit chronique de sa balance courante des paiements avec l’étranger. Ce déficit a atteint 6 % du PIB en 2006. Il a été financé par les abondants surplus de pays comme le Japon et la Chine, leur venant des revenus des marchandises exportées en grande partie aux États-Unis, produites par leurs capacités productives qui sont elles-mêmes des composantes de la surcapacité mondiale.

De 2000 à 2008, 5 700 milliards de dollars, soit 40 % du PIB de 2007, sont ainsi entrés aux États-Unis, qui ont vu l’épargne étrangère financer leur énorme consommation excédentaire. La Grande-Bretagne, l’Espagne et l’Irlande, frappées également par des bulles immobilières, ont aussi connu d’importants déficits courants, découlant d’une consommation excédentaire que l’épargne étrangère a rendue possible. Au cours de la même période, de 2000 à 2008, elles ont ainsi bénéficié d’apports de fonds étrangers représentant respectivement 20 %, 50 % et 20 % de leur PIB de 2007 [19].

Il va sans dire que l’épargne étrangère qui a financé la surconsommation de ces pays a été réalisée au détriment de la consommation dans des pays dont l’économie est fondée sur les exportations. La Chine en est le meilleur exemple avec des exportations représentant 35 % de son PIB. Elle est aussi devenue à la fin de 2008 le premier créancier des États-Unis, devant le Japon. Loin d’être un handicap confinant à la crise, les très bas salaires et la faible consommation à laquelle ils donnent accès y ont plutôt été, comme cela est naturel sous le capitalisme, un puissant facteur de croissance et d’accumulation. Mieux encore, la part des salaires dans le PIB en Chine a chuté de 53 % en 1998 à 40 % en 2007 [20], période au cours de laquelle le taux de croissance du PIB est passé de 8 % à 13 %.

Attirés par ces bas salaires et leur capacité de compenser la pénurie de plus-value à laquelle ils font face dans les pays développés, les capitaux étrangers s’y sont massivement investis en moyens de production, multipliant le PIB par dix en trente ans depuis le virage historique vers le capitalisme entrepris sous la direction de Deng Xiaoping en 1978, et propulsant la Chine au rang de troisième puissance économique mondiale. Au cœur de la crise actuelle, les dizaines de milliers de fermetures d’usines et les millions de pertes d’emplois qui y alimentent la crise sociale sont la manifestation locale éclatante de ce que cette composante désormais majeure de l’économie globale est au cœur de la crise mondiale de surproduction de marchandises et de suraccumulation de capital.

Cette situation de surproduction de marchandises et de suraccumulation de capital sous la forme de moyens de production, qui atteint tous les secteurs et tous les pays, ne peut que soulever des interrogations quant à la conclusion de Michel Husson selon laquelle « la baisse continue de la part des richesses produites qui revient aux salariés […] a permis un rétablissement spectaculaire du taux de profit à partir du milieu des années 1980, mais ce surcroît de profit n’a pas été utilisé pour investir plus » [21].

Tout aussi peu crédible que l’hypothèse de la sous-consommation est l’hypothèse corollaire qui situe la source de la crise financière dans le seul crédit à risque accordé aux ménages. Le capital investi dans le crédit aux ménages ne constitue en effet que la portion congrue de la masse gigantesque de capital fictif qui circule librement dans le monde au gré des perspectives de profit et de la spéculation. C’est dans ce capital artificiellement gonflé et menacé de liquidation à tout moment que se trouve la source profonde de la crise financière. Une expression de son gigantisme est la valeur mondiale des produits dérivés de tout type transigés de gré à gré, qui était à la fin de 2008 de l’ordre de 700 000 milliards de dollars [22], soit environ 14 fois le Produit mondial brut. Rappelant que la valeur des actifs des fonds communs de placement a perdu 2400 milliards de dollars aux États-Unis en 2008 et que la capitalisation boursière mondiale a chuté de 30 000 milliards, l’hebdomadaire The Economist du 6 décembre 2008 écrit que des pertes d’une telle ampleur laissent dans l’ombre les pertes encourues par les titres reliés au crédit aux ménages qui ont déclenché la crise financière en 2007.

Dans un numéro hors-série intitulé « The World in 2009 », le même hebdomadaire prévoit que l’année 2009 sera marquée par des faillites massives d’entreprises et de banques, en raison notamment de leur recours à grande échelle à des emprunts à haut risque (obligations de pacotille) qui sont pour les entreprises l’équivalent des emprunts hypothécaires à risque contractés par les ménages. Comme les ménages, les entreprises ont cédé au cours des dernières années à l’attrait des faibles taux d’intérêt et à l’incitation des prêteurs, pour refinancer leurs emprunts. Les deux tiers des prêts accordés aux entreprises en 2007 étaient des prêts à risque, précise l’hebdomadaire. Ces prêts venant à échéance en grand nombre en 2009, de forts taux de défaillance sont à prévoir. Cela aura, entre autres, une sévère incidence sur le marché de 55 000 milliards de dollars des titres de garantie contre le risque de défaillance des emprunteurs (credit default swaps), transformant en amplificateurs de la crise ces titres dont la fonction était de la prévenir. Avec des conséquences évidentes sur l’économie réelle.

III- Relancer l’accumulation
par la consommation ?

Si l’origine des crises ne se trouve pas dans la sous-consommation, leur résorption peut-elle reposer sur la stimulation de la demande globale, qui est au centre de la politique économique keynésienne mise de l’avant par l’ensemble des gouvernements et organismes internationaux pour tenter de surmonter la crise actuelle ? Partout, en effet, on a annoncé des programmes de relance fondés sur des stimulants monétaires et fiscaux destinés à promouvoir la croissance de la production et de l’emploi par la demande de biens de consommation et l’investissement public et privé : baisses des taux d’intérêt, réductions d’impôts, hausses du salaire minimum, aide aux chômeurs, aux plus démunis et aux retraités, subventions aux entreprises en difficulté et travaux d’infrastructure.

Ces moyens sont ils aptes à réaliser les buts qu’on leur assigne ? Pour qu’ils le soient, il faudrait qu’ils puissent résoudre le problème qui est à l’origine de leur utilisation, à savoir le blocage de l’accumulation. Les dépenses publiques stimulent l’activité économique. La production induite par elles, en particulier par le biais des travaux publics, de la construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux, etc., augmente la demande globale au moyen d’achats à l’entreprise privée et lui rapporte des profits. Les autres dépenses publiques, en créant des revenus qui seront dépensés, ont également une incidence sur le système productif en augmentant la demande globale. Tout laisse donc croire que ces dépenses auront pour effet d’augmenter la quantité globale de profit qui revient au capital privé, lui fournissant ainsi les ingrédients nécessaires pour surmon­ter ses difficultés d’accumulation. Mais avant de tirer des conclusions, il faut s’interroger sur la source du financement des dépenses publiques et sur l’usage, productif ou improductif, auquel elles sont destinées.

Le financement des dépenses publiques provient de revenus gouvernementaux qui, directement ou indirectement, se réduisent tous, au-delà de leurs formes particulières, aux deux sources que sont les prélèvements sur les revenus du capital et sur les revenus du travail salarié, c’est-à-dire au sens large sur les profits et sur les salaires, les emprunts étant équivalents à des impôts différés. Tout impôt sur les profits est une réduction de leur part accumulable (capitalisable). Les sommes prélevées en impôt sur les profits peuvent, en tout ou en partie, revenir au capital par le biais de subventions aux entreprises en difficulté. Globalement, le capital récupère alors des sommes qui sont de nouveau disponibles pour l’accumulation. Les sommes prélevées en impôt sur les profits lui reviennent également de manière indirecte par l’intermédiaire des services que fournit l’État aux entreprises privées. Mais le seul apport net est celui qui provient de l’impôt sur les salaires.

La production induite par l’État n’améliore la situa­tion du point de vue du profit global que si son financement provient d’une ponction sur les salaires. En fait, la condition qui permet l’amélioration est essentiellement celle dont dépendent en géné­ral la production et l’accumulation capitalistes, à savoir le rapport entre travail salarié et capital, entre salaire et profit, en d’autres termes la possibilité pour le capital d’extirper davantage de la force de travail par l’intermédiaire de l’État. La dépense publique et l’augmentation de la demande globale à laquelle elle donne lieu ne jouent finalement ici qu’un rôle d’intermédiaire ; leur effet, s’il doit être positif, repose sur des fondements situés en dehors d’elles. La production induite par l’État est, par elle-même, inapte à remédier aux difficultés de l’accumulation.

Mais ce n’est là que la première dimension d’un processus qui, au bout du compte, ne sera pas nécessairement favorable à l’accu­mulation. Tout dépend de ce à quoi seront affectées les sommes perçues par l’État. Remises à l’entreprise privée en subventions directes ou sous la forme de soutiens de divers types à son activité rentable, elles influenceront favora­blement l’accumulation. Versées en allocations aux sans-emploi, aux retraités, aux assistés sociaux, ou affectées au financement des services publics (santé, éducation, transport, réseau routier, installations sanitaires, défense, sécurité publique, etc.) et des travaux publics, en un mot dépensées improductivement, elles constituent un poids pour l’accumulation. Pour être productive au sens capitaliste du terme, il faut que la dépense publique soit non pas productive « en général » ou productrice de biens utiles, mais productive pour le capital ou génératrice de profit.

Des dépenses publiques improductives pour le capital

Versées à une population exclue de l’activité productive, les diverses allocations d’aide aux chômeurs, assistés sociaux, retraités, etc., ne sont pas l’équivalent de salaires versés en tant que capital variable à des salariés actifs dont la fonction est de faire fructifier le capital. Elles sont dépensées par l’État à même les revenus perçus par l’imposition des salaires et des profits de la fraction active de la population. Elles serviront finalement à l’achat de biens de consommation, compensant ainsi la réduction de la consommation finale et intermédiaire résultant des impôts perçus sur les salaires et les profits. Mais du point de vue du capital et de son accumulation, les dépenses publiques qui ont permis cette consommation n’ont pas la même incidence que la somme équivalente versée en salaires à des travailleurs actifs. Étant consommées de manière improductive, elle sont perdues pour l’accumulation. Et pour le capital, rien d’autre ne compte. Du point de vue du capital, elles sont improductives.

Il en est de même des dépenses affectées au financement des services publics et des travaux publics. Un investissement public dans les infrastructures est un investissement au sens général du terme, dans la mesure où l’État met sur pied des équipements matériellement et socialement nécessaires. Par contre, si on comprend le terme « investissement » non plus dans ce sens général et social, mais dans le sens qui est le sien en économie capitaliste, celui d’investissement du capital, c’est-à-dire d’investissement dont la finalité est de fructifier, on ne peut plus parler des dépenses publiques d’infrastructure comme d’un investissement, parce qu’un tel « investissement » est improductif pour le capital, c’est-à-dire non-producteur de profit. Une fois réalisée, la production induite par l’État, comme une nouvelle route par exemple, est mise à la disposition du public. En tant que bien de consommation publique, elle est d’accessibilité générale et sans frais. La dépense publique effectuée pour la réaliser ne donne donc pas lieu à un revenu.

Un investissement productif est un investissement qui fructifie. Faisant des petits, il est en mesure de « payer pour lui-même », de produire lui-même les fonds nécessaires à l’amortissement de son coût initial, à sa conservation et à son fonctionne­ment et le cas échéant à sa propre reproduction à une échelle plus grande. Ce n’est pas le cas de la dépense publique qui retient notre attention ; celle-ci est improductive. L’investissement public auquel elle donne lieu ne fructifie pas. Il ne « paie pas pour lui-même ». Son amortissement de même que ses dépenses courantes de fonctionnement, d’entretien et de réparation, doivent être financés à partir des revenus annuels de l’État qui lui viennent d’une autre source, celle des impôts et des emprunts. Il en serait de toute évidence autrement dans le cas d’une autoroute à péage dont les frais d’utilisation seraient établis de manière à assurer non seulement l’autofinancement, mais aussi la rentabilité d’une dépense qui serait ainsi un investissement au sens propre. Nous serions alors en présence d’une consommation de type privé, rentable, et non d’une consommation publique.

La seule activité génératrice d’un profit global accru est celle qui proviendrait de la relance de l’investissement privé ou de l’investissement public rentable, de la création de nouvelles capacités productives dont les produits sont destinés non pas à la consommation publique non rentable, mais à la consommation privée rentable. Là se trouve l’épine dorsale de l’activité en régime capitaliste. Le but ultime de la politique keynésienne et des gouvernements qui y recourent aujourd’hui est précisément d’en arriver par l’intervention étatique à rétablir les conditions de la rentabilité privée et de préserver le statu quo ante.

Une nécessaire prise en main par l’État

Ne jurant hier encore que par le marché, les gouvernements sont intervenus massivement à coup de milliards de dollars de fonds publics, notamment pour acquérir sur une base temporaire et sans revendiquer de droit de regard sur leurs décisions, une partie du capital de grandes banques, de sociétés d’assurance et d’autres établissements privés, dans le but d’en assurer le sauvetage aux frais de la collectivité et de jeter les bases d’un retour intégral à l’initiative privée rentable, par conséquent à l’anarchie qui en est le fondement et aux crises à venir qui ne pourront qu’en découler. Ils invoquent pour ce faire l’argument du « too big to fail » (expression consacrée du jargon financier anglophone qui signifie « trop gros pour faire faillite ») et agitent l’épouvantail des risques encore plus grands pour l’économie et l’emploi, qui résulteraient d’un refus des pouvoirs publics d’intervenir.

Si ces interventions de l’État n’ont rien de la « socialisation » que certains ont voulu y voir, elles mettent clairement en évidence l’impasse à laquelle le système de la propriété privée mène lorsqu’il est livré à lui-même, et l’obligation qui s’impose à lui de chercher la voie de sortie de cette impasse à l’extérieur de ses propres cadres, c’est-à-dire à l’extérieur du cadre de l’initiative privée en faisant appel à l’État. La crise actuelle met éminemment en relief les limites de ce système, l’incompatibilité, comme le disait Marx, entre la taille de plus en plus grande, c’est-à-dire de plus en plus sociale, des moyens de production et le caractère de plus en plus privé et concentré de leur propriété. Une incompatibilité qui désigne la nécessité de leur prise en main par la collectivité et de leur planification démocratique en tant que biens publics dotés d’une mission de service public, mais qui pointe aussi du doigt, dramatiquement, le degré actuel de déculturation politique produit par trente ans de néolibéralisme et d’impréparation de la population travailleuse appelée à relever ce défi. D’où l’urgence de s’atteler à la tâche.

Pour aller de l’avant, il faut d’abord prendre conscience de ce qu’une entreprise privée qui serait jugée « too big to fail » et dont la survie reposerait sur le soutien de l’État devrait être considérée comme « too big to remain private », trop grosse pour demeurer propriété privée, sous gestion privée et source de profits privés. La politique minimale qui découle de ce corollaire devrait être le refus de tout octroi de fonds publics qui ne s’accompagnerait pas d’une prise de possession au moins partielle sinon complète par l’État, sur une base permanente et avec un contrôle déterminant de leur gestion, des établissements au secours desquels il se porte.

On note à cet égard que le très conservateur Financial Times [23] de Londres a évoqué en novembre dernier l’éventuelle nécessaire reprise en main par l’État des grandes banques rescapées par les fonds publics qui continueraient à refuser de jouer leur rôle social de dispensatrices de crédit à la population en destinant à d’autres usages l’argent public mis à leur disposition. Cette idée n’a cessé par la suite d’être reprise par des dirigeants politiques et les milieux financiers devant le constat d’échec des plans de sauvetage déjà mis en œuvre, en précisant toutefois clairement leur point de vue selon lequel la nationalisation, si on devait y recourir in extremis, devrait être un rachat par l’État à la « juste valeur de marché » et non une expropriation, dans la perspective expresse de remettre dès que possible dans les mains du capital privé des entreprises redevenues rentables grâce au renflouement public.

La mise sous propriété publique des grandes banques et des établissements de crédit garantirait l’exercice de cette fonction sociale qui est la leur et bannirait la spéculation, la fraude et les indécentes rémunérations des dirigeants qui gangrènent le système. Elle serait un outil clé du contrôle à conquérir par la collectivité sur l’organisation générale de l’activité productive et distributive. Pour reprendre les termes d’Engels dans Anti-Dühring, ce processus constitue une « nécessité économique objective » qui pousse le « représentant officiel de la société capitaliste, l’État », à prendre la direction de grandes entreprises à ce stade de leur développement, lorsqu’elles sont devenues « réellement trop grandes pour être dirigées par les sociétés à actions ». Une telle étatisation, précisait-il, « signifie un progrès économique, même si c’est l’État actuel qui l’accomplit ». Elle signifie « qu’on atteint à un nouveau stade, préalable à la prise de possession de toutes les forces productives par la société elle-même » [24].

La timidité des plans de relance

Les conclusions précédentes quant à la nature, improductive pour le capital, des dépenses publiques ne sauraient être interprétées comme suggérant que les mesures auxquelles elles donnent lieu ne devraient pas être mises en œuvre. Tout au contraire, des programmes de recyclage et de formation des travailleurs mis à pied par la crise, de soutien aux chômeurs, aux plus démunis et aux retraités dont les régimes de retraite capitalisés se sont fortement dépréciés avec la chute des cours boursiers, ainsi que des hausses salariales et des travaux publics de grande envergure devraient être la priorité des gouvernements. De vastes programmes de rénovation et de remplacement des infrastructures devraient en particulier fournir l’occasion d’une réorientation majeure fondée sur des objectifs de protection de l’environnement et du milieu de vie en général.

L’analyse qui a été faite du caractère improductif des dépenses publiques permet précisément de comprendre pourquoi les programmes de dépenses publiques axés sur la relance de l’économie qui ont été annoncés jusqu’ici à grand renfort de publicité sont aussi timides et tardent à être mis en œuvre, alors qu’un soutien financier aux banques et au secteur financier en général a été massivement octroyé et de toute urgence.

Aux États-Unis, des engagements cumulés de 8 400 milliards de dollars [25], soit plus de 50 % du Produit intérieur brut (PIB), ont été annoncés dès l’éclatement de la crise financière au cours de l’année 2008. Le « Plan de stabilisation financière » de 2 500 milliards de dollars rendu public le 10 février 2009 par le secrétaire au Trésor de Barak Obama y a ajouté quelque 1 000 milliards de nouveaux fonds publics [26], le solde devant provenir de capitaux privés. Adopté au terme d’un laborieux processus, le plan Obama de relance de l’économie réelle, de 787 milliards de dollars sur deux ans dont 282 milliards (36 %) en avantages fiscaux et 150 milliards (19 %) en investissements publics, ne représente quant à lui que 9,4 % du plan de sauvetage du secteur financier.

Les proportions sont du même ordre en France où le plan de relance est de 26 milliards d’euros sur deux ans, dont plus de 11 milliards en avantages fiscaux pour la grande entreprise et seulement 11 milliards en investissements publics, alors que les banques ont été gratifiées de 360 milliards d’euros. Son ampleur, de 0,7 % du PIB en moyenne par année [27], est toutefois nettement moindre en proportion de la taille de l’économie que celle du plan Obama qui est de 2,8 %. D’autant plus que l’administration Obama a par ailleurs annoncé pour les années 2009 et 2010 d’importantes dépenses budgétaires supplémentaires qui vont entraîner un déficit de plus de 12 % du PIB la première année et presque autant la deuxième.

L’Allemagne, après avoir décidé à reculons, dans un premier temps, d’un plan de 31 milliards d’euros sur deux ans, s’est vue contrainte de l’augmenter de 50 milliards en janvier 2009, le nouveau plan de 81 milliards d’euros représentant en moyenne pour chacune des deux années 1,7 % du PIB annuel. La Grande-Bretagne, qui a massivement investi dans le sauvetage des banques, se distingue par la faiblesse de ses mesures de relance de l’économie réelle.

Le montant total auquel se sont engagés les pays de l’Union européenne a été évalué à 400 milliards d’euros pour 2009 et 2010 par la Commission européenne, soit un pourcentage annuel moyen de 1,65 % de leur PIB pour les deux années. Ce montant inclut les plans nationaux de relance des divers gouvernements, mais aussi l’augmentation des dépenses sociales induites par la crise, par l’effet de ce qu’on appelle les « stabilisateurs automatiques », comme l’assurance-chômage et l’assistance sociale. Malgré les appels à un effort budgétaire supplémentaire lancé au début de mars en vue du sommet du G20 du 2 avril à Londres par les États-Unis surtout préoccupés de mettre en œuvre des mesures de soutien à l’activité mondiale, les pays de l’Union européenne ont déclaré qu’il était exclu d’en faire plus, affirmant vouloir surtout axer le sommet de Londres sur une réforme du système financier international.

Au Canada, ce n’est qu’à la faveur d’une crise parlementaire qui a menacé de renversement le gouvernement conservateur minoritaire que celui-ci, après avoir nié la nécessité d’un programme de relance, a dû pour se maintenir au pouvoir proposer un programme de 40 milliards de dollars canadiens sur deux ans, dont 12 milliards pour les infrastructures et le reste en allégements fiscaux divers. Ce programme, dont le montant réel serait de 32 et non de 40 milliards selon le Directeur parlementaire du budget [28], ne représente que 1,3 % du PIB en moyenne par année, alors que 200 milliards de dollars ont été destinés au « renforcement du système financier ».

Après avoir dévoilé un premier plan de relance de 120 milliards de dollars en août 2008, le Japon en a dévoilé un deuxième en octobre, puis un troisième en décembre, portant le total à cette date à 550 milliards de dollars. Quant à la Chine, elle a lancé en novembre 2008 un plan de 585 milliards de dollars, soit 16 % de son PIB de 2007, comportant des investissements d’infrastructures répartis sur plusieurs années dont bon nombre étaient déjà prévus. Elle a par la suite annoncé un supplément de 125 milliards de dollars sur trois ans pour améliorer les soins de santé, ainsi que diverses mesures destinées à favoriser la consommation. Même si le montant réel du plan de relance est évalué à la moitié du montant officiel [29], son envergure témoigne de la vive préoccupation des dirigeants politiques devant la montée du mécontentement social.

Aux États-Unis, le plan Obama a pour objectif de créer ou de sauvegarder entre 3 et 4 millions d’emplois, ce qui est nettement insuffisant lorsqu’on sait qu’au cours des quatre derniers mois de 2008, le nombre de pertes d’emplois s’est élevé à 2 millions et qu’on en prévoit 5 millions d’autres en 2009. L’insuffisance des moyens mis de l’avant par Obama a été soulignée par de nombreux économistes parmi lesquels Paul Krugman, lauréat en 2008 du « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » [30], dans un article paru dans le New York Times du 13 janvier 2009. S’appuyant sur des prévisions du Congressional Budget Office des États-Unis, il évalue à 2 100 milliards, soit plus de 2,5 fois les 787 milliards du plan Obama, le montant minimal nécessaire pour que la production soit maintenue au niveau de son potentiel. Le lauréat du même prix en 2001, Joseph Stiglitz, a émis les mêmes réserves, soulignant en particulier que le tiers du plan de relance consiste en réductions fiscales dont la majeure partie sera économisée plutôt que dépensée par une population menacée par un chômage en rapide augmentation, la croissance de l’endettement et l’effet d’appauvrissement provoqué par la chute des cours boursiers et de la valeur des maisons [31].

À des fins de comparaison, il est utile de rappeler l’expérience du New Deal lors de la dépression des années 1930. Sous la présidence de Franklin Delano Roosevelt, le gouvernement avait employé 60 % des chômeurs du pays dans de vastes travaux publics comme la plantation d’un milliard d’arbres, la construction ou la rénovation de dizaines de milliers d’écoles, de milliers d’hôpitaux, d’aéroports, de ponts et de parcs, de plus d’un million de kilomètres de routes, sans compter d’importants projets comme celui de la Tennessee Valley Authority (travaux d’irrigation, de lutte contre l’érosion, production hydroélectrique, développement industriel, etc.). On sait qu’en dépit de l’ampleur de ces mesures, le taux de chômage aux États-Unis, qui était de plus de 30 % en 1933 et avait été réduit à 13 % en 1936, était toujours de 10 % en 1940. Ce n’est qu’à la faveur de la Deuxième Guerre mondiale que le chômage a finalement été éliminé, chutant à 1 % dès 1941, et que l’activité économique a été vigoureusement relancée.

[1] Carré rouge, numéro 39, décembre 2008.

[2] À Contre-courant, numéro 199, novembre 2008.

[3] Montréal, Boréal, 1996.

[4] Pour diminuer le nombre de notes de bas de page, les nombreuses références aux travaux de Marx sont incorporées dans le texte selon la notation suivante. Les deux tomes des Manuscrits de 1857-1858 ou « Grundrisse », publiés aux Éditions sociales en 1980, sont identifiés par la lettre M, suivie du numéro du tome en chiffres romains (I ou II) et du numéro de page : [M, I, 280] renvoie donc à la page 280 du tome I des Manuscrits. Le principe est le même pour les huit tomes du Capital (Éditions sociales, 1960), identifiés par la lettre C, et pour les Théories sur la plus-value (Éditions sociales, 1974), identifiées par TPV.

[5] David Ricardo (1772-1823) : un des principaux représentants de l’économie politique classique.

[6] Jean-Charles Sismonde de Sismondi (1773-1842) : opposant de Ricardo.

[7] John Fullarton (1780-1849) a été, dans le débat sur les mécanismes de l’expansion monétaire au 19e siècle, un représentant du « principe du crédit bancaire » (banking principle), en opposition aux tenants du « principe monétaire » (currency principle) influencés par Ricardo et ancêtres des monétaristes d’aujourd’hui.

[8] Friedrich Engels, Anti-Dühring (1877-1878). Traduction française publiée aux Éditions sociales en 1971, p. 324.

[9] Jean-Baptiste Say (1767-1832) : représentant de l’économie politique classique. [Voir les œuvres de cet auteur dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[10] Dirigeant de la IIe Internationale, il est avec Eduard Bernstein et Rudolf Hilferding un représentant du courant « révisionniste » qui s’y est développé à la charnière des 19e et 20e siècles.

[11] Publié en français sous le titre Le capitalisme monopoliste, Paris, Maspero, 1970.

[12] Voir « La finance et l’économie réelle », sur le site hussonet.free.fr/attacris.pdf.

[13] Article paru dans Démocratie et socialisme. Mensuel pour ancrer le Parti socialiste à gauche, numéro 159-160, Paris, décembre 2008, p. 25.

[14] Paru dans La Presse, Montréal, 20 décembre 2008.

[15] La Presse Affaires, Montréal, 19 janvier 2009, p. 2.

[16] The Economist, Londres, 17 janvier 2009, p. 13.

[17] Idem, p. 68.

[18] « Le triomphe catastrophique… », p. 10.

[19] The Economist, Londres, 24 janvier 2009, « A special report on the future of finance », p. 3, 4.

[20] The Economist, Londres, 31 janvier 2009, « Troubled tigers », p. 77.

[21] « La finance et l’économie réelle », article cité, p. 1, 2.

[22] The Economist, Londres, 31 janvier 2009, p. 83. Ce montant a été multiplié par 9 en une décennie.

[23] Édition du 21 novembre 2008.

[24] Anti-Dühring, ouvrage cité, p. 314. [Livre disponible dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

[25] Soit 5 555 milliards de mesures diverses de la Réserve fédérale, 1 400 milliards de la Société fédérale de garantie des dépôts bancaires, 300 milliards de garanties de prêts hypothécaires et 1 145 milliards de fonds du Trésor, dont les 700 milliards du plan Paulson de l’administration Bush (Source : Desjardins Études économiques, La courbe de rendement, Montréal, 28 novembre 2008, p. 5)

[26] Ces nouveaux fonds publics consistent en 100 milliards de contribution à un partenariat public-privé de rachat d’actifs toxiques, 75 milliards destinés à mettre fin aux saisies de maisons et à favoriser la renégociation de prêts hypothécaires, et 800 milliards d’ajouts à un programme de 200 milliards déjà prévu de stimulation de la demande par l’endettement titrisé des consommateurs, des petites entreprises et des hypothèques commerciales, ce qui est remarquable lorsqu’on sait le rôle qu’a joué ce type d’endettement dans le développement de la crise actuelle.

[27] En principe, les trois quarts du montant de 26 milliards doivent être dépensés la première année.

[28] Bureau du Directeur parlementaire du budget, Les perspectives économiques et financières du budget 2009 – enjeux principaux, Ottawa, 5 février 2009, p. 2.

[29] The Economist, Londres, 31 janvier 2009, p. 79.

[30] Ce prix est communément mais incorrectement désigné comme le « prix Nobel d’économie », n’étant pas décerné, comme les prix Nobel de sciences, par l’Académie royale des sciences de Suède.

[31] Joseph Stiglitz, « Comment rater la relance », La Presse, Montréal, 10 mars 2009, p. A23.

Texte de CCI

La première crise mondialisée

Confondre les effets et les causes, les conséquences et l’origine, est une des formes les plus fréquentes de la fausse conscience. La crise financière et économique présente en est une illustration parfaite, dans son analyse, son explication et les remèdes proposés. Rien en cela de surprenant tant les « experts », les gouvernements et les agents économiques eux-mêmes ne peuvent aller au delà des apparences et de la description empirique des faits.

Les faits, il est vrai, s’imposent avec une violence inédite et se déroulent avec la rigueur d’une tragique fatalité. Non pas que cette crise soit dans ses modalités originale, mais outre sa gravité, elle se singularise par son extension et par le paradoxe d’éclater et de se développer en raison même de ce qui visait à la prévenir. N’a-t-on pas assez dit que Ben Bernanke, successeur à la FED4 du « génie » Alan Greenspan, était un spécialiste de la crise de 1929 qu’il avait étudiée si intensément qu’il savait quelles erreurs ne pas commettre et comment la résoudre ? Quant à son génial prédécesseur il se vantait d’avoir découvert le secret d’une croissance ininterrompue, même si mezzo voce il s’était parfois inquiété de « l’exubérance irrationnelle des marchés »

Pourtant à partir de défaillances assez localisées, les crédits hypothécaires à risque (« subprime ») et d’une technique financière banalisée (« titrisation »), se sont succédés crise immobilière, crise bancaire, crise boursière, hausse puis effondrement des matières premières, chute des profits, de la consommation, du commerce international, puis récession et chômage, et ce n’est encore qu’un début.

Comment comprendre cet enchaînement implacable ? Tout ce que la bourgeoisie compte de politiques, économistes, universitaires, journalistes, s’essaye à cette tâche, chacun partant d’une partie des faits constatés, et brouillant à l’occasion les frontières idéologiques et politiques.

Les plus véhéments sont ceux qui dénoncent les « dérives » de la financiarisation, de l’économie financière opposée à l’économie réelle, au fond le bon capitalisme, celui qui produit, contre le mauvais, celui qui spécule. Même Sarkozy a embouché ces trompettes. Et en effet la financiarisation est une réalité. Le secteur financier, aux États Unis d’abord puis dans l’ensemble des pays industrialisés, a pris une place majeure. Il a pu représenter un poids apparemment disproportionné dans les profits des entreprises (30% aux USA) et a multiplié les « innovations financières » au travers de modèles mathématiques aussi raffinés qu’incompréhensibles. La titrisation si souvent citée en étant une, mais pas des plus complexes, même si par la mutualisation des risques elle a provoqué la panique (à retardement !) des investisseurs en raison de l’opacité de certains de ses montages. La rentabilité (apparente) de ces « produits financiers » (terme révélateur du fétichisme monétaire !) a justifié les salaires, bonus, stock options et autres parachutes dorés que se sont généreusement attribués dirigeants et acteurs de ces marchés, que seule la crise a fait, hypocritement, juger « immoraux ». Qui peut croire que le rôle et les mobiles des activités financières n’outrepassent pas la cupidité des individus et ne participent pas d’une unité fonctionnelle du capital ?

D’autres critiques, non moins virulents, vilipendent la politique irresponsable des États-Unis qui ont laissé s’accroître un endettement inconsidéré en contrepartie de déficits abyssaux. Nul en effet ne peut douter ni des dettes ni des déficits. Encore faut-il y regarder de plus près. L’endettement est général, pas seulement américain, et dans ses masses globales peu différent d’un pays à l’autre, bien que le rapport entre endettement public et privé puisse s’inverser, le premier l’emportant en France ou en Allemagne, le second en Grande-Bretagne ou en Espagne. Et par ailleurs il ne faut pas oublier qu’à tout déficit correspond un excédent et à toute dette une créance (ce qui est rarement rappelé quand on affirme laisser aux générations futures des dettes en omettant les créances, et sans dire que ceux qui remboursent ne sont pas ceux qui perçoivent les intérêts). Aussi tout dépend du point de vue. L’énorme déficit américain serait le signe d’un déclin de l’hégémonie des États-Unis. Mais on peut tout aussi bien affirmer en regardant la balance des paiements par l’autre côté que le non moins énorme excédent de la balance des capitaux exprime la domination maintenue et la confiance persistante des investisseurs dans cette même hégémonie. La preuve en serait que dans cette période de crise, d’origine si évidemment américaine, les capitaux continuent à s’investir dans les Bons du Trésor US, et que le dollar se renforce, à la surprise de tous les observateurs superficiels qui ne voient pas que la géopolitique commande la finance. Ainsi tous les excédents, certes chinois et moyen-orientaux, mais aussi russes, vénézuéliens, algériens ou ceux de tout ce qui dénonce « l’impérialisme américain », viennent contribuer à accroître sa dette et ne craignent rien tant qu’un affaiblissement du dollar ! Et ce alors même qu’ils ne peuvent douter que leurs créances qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars sont une épargne forcée qu’ils thésaurisent sans grand espoir de pouvoir un jour la convertir en valeurs réelles…

Autre thème qui rejoint le précédent par la référence anglo-saxonne, les méfaits du néo ou ultralibéralisme, coupable de ne se fier qu’aux « anticipations rationnelles », à « l’autorégulation des marchés » et à la bonté infinie de la « main invisible »5. Mais qu’en est-il vraiment ? Jamais les réglementations (la « régulation ») n’ont été aussi larges et précises dans l’histoire du capitalisme. Les marchés boursiers sont contrôlés, les banques sont soumises à des batteries de ratios, les normes comptables ont été renforcées et presqu’unifiées, la création monétaire est sous l’emprise de banques centrales indépendantes, l’OMC veut discipliner le commerce et même ces agences de notation si souvent montrées du doigt ont été soutenues, célébrées comme outils indispensables, par ceux là mêmes qui les vouent aux gémonies. Que ces réglementations n’aient pas été efficaces ou aient été contournées, peut-être, mais les poser, en plus ou en moins, comme origine de la crise est pure mystification. Cela permet de développer deux argumentations contraires (mais au fond complémentaires), l’une dominante sur la nécessité du retour de l’État, du retour du politique, l’autre, plus discrète mais certainement appelée à plus de séduction dans le futur, sur l’excès et l’inefficacité de l’État.

L’État sauveur suprême, incarnation de la raison dans les marchés, est, des keynésiens revendiqués aux tenants inavoués du capitalisme d’État, la chanson partout entonnée. Les milliers de milliards de dollars ou d’euros, des États-Unis à l’Asie, de l’Europe à la Russie, soudainement sortis d’un chapeau magique, se répandent pour sauver les banques, les assurances et demain les industries stratégiques. Tous deviendraient « socialistes », voire reconstitueraient le Kremlin soviétique sur les rives du Potomac. Et les partis de gauche (là où ils ne sont pas au pouvoir) hésitent entre l’approbation honteuse et l’irritation de voir leurs « idées » pillées.

Sur le revers de la médaille les vrais libéraux se lamentent d’un injuste procès. Non sans arguments, ils désignent les interventions de l’État, alors même qu’il était prétendu absent. La financiarisation a été nourrie et soutenue par l’émission de titres d’État qui en forment le compartiment le plus sûr, le plus actif, celui sur lequel s’appuie l’extension des innovations dont ils sont le socle et la garantie. Si les financiers ont usé et abusé des effets de levier et des crédits à risque c’est que la politique monétaire des banques centrales maintenait artificiellement bas les taux d’intérêt. Pour que les subprime se multiplient, il a fallu la volonté délibérée des Pouvoirs publics d’étendre la propriété aux populations les plus modestes, ainsi aux États–Unis, le Community Reinvestment Act et les garanties accordées par ces institutions parapubliques Fanny Mae et Freddy Mac, qui ont dû être ensuite sauvées (d’autant que les chinois y avaient investi une part considérable de leurs dollars !). Et c’est sur cette base que les crédits aux ménages ont pu, grâce au système dit HELOC (Home Equity Line of Credit ) qui adosse la dette aux prix croissants de l’immobilier, prendre une ampleur explosive (près de 95% du PIB, plus de deux fois le niveau français). Enfin les réglementations comptables et bancaires, si contraires selon les libéraux au sens de la responsabilité et à la crainte des sanctions naturelles du marché, ont eu pour effet pervers d’exciter l’imagination toujours fertile des financiers à trouver des techniques de contournement tout en se sentant protégés par le si étrangement nommé « aléa moral », c’est-à-dire la certitude d’être couvert par l’État (les contribuables !) des conséquences éventuelles des erreurs commises. Ce qui, à l’exception de Lehman Brothers sacrifiée sans doute non à la morale mais à l’intérêt bien compris de ses concurrents, s’est entièrement vérifié.

Car l’État, n’en déplaise à nos sociaux-démocrates ou sociaux-libéraux qui font semblant de croire qu’il représente l’intérêt général, n’est que l’instrument chargé d’assurer la pérennité de l’ordre existant. Selon les circonstances et les époques, il adapte son action, modeste ou arrogante, aux besoins des rapports sociaux, capable d’être pompier après avoir été pyromane, autoritaire après avoir été laxiste, se donnant même parfois la prétention de bousculer ses mandants quand les troubles sociaux menacent. Si quiconque en doutait encore, les acrobaties idéologiques de MM Paulson, Sarkozy ou autres Brown, nationalisant à qui mieux mieux, devraient convaincre les plus incrédules. En dépit des apparences et des discours, ce sont les financiers qui imposent leur stratégie et non les politiques qui affirmeraient leur autorité et leur détermination

Comment dans cette grande confusion des idées (et encore aurait-il été bon de dire un mot des ricardiens6 qui ne cessent de dénoncer un « capitalisme sans capital », qui savent qu’il n’y a de valeur que du travail, mais ne voient nulle part l’exploitation), remettre un semblant d’ordre, essayer de remonter la chaine des causes ? Pour cela il faut reconstituer le puzzle de ces pièces dispersées et en découvrir le principe d’organisation, ce qui implique analyse formelle et rappel historique

Directement ou indirectement toute crise se révèle par une surabondance de crédit, ou différemment dit, par un excès de création monétaire par rapport à la production marchande. Mais le crédit n’est pas une aberration, il est consubstantiel au capitalisme et indispensable à son accumulation. De la monnaie au crédit et du crédit au capital financier mondialisé la trajectoire fut aussi logique que nécessaire. La monnaie a cette spécificité d’un caractère double, d’où, au fond, tout découle. Elle est moyen de l’échange, donc équivalent immédiat entre les biens dont elle n’exprime que les valeurs relatives, et instrument de conservation de la valeur, donc équivalent dans le temps où elle doit assurer le maintien absolu de la valeur. Dès lors que le temps intervient dans l’échange, le crédit apparaît, et avec le crédit sa matérialisation sous forme de traites, billets à ordre, lettres de crédit, etc.., chacune de ces matérialisations pouvant servir auprès de prêteurs ou de banques, de garantie pour un nouveau crédit. Ainsi sur une même valeur produite se multiplient les titres de créances qui sont une anticipation sur une valeur future, potentielle. La généralisation de ce système de crédit, qui est une création monétaire, conduit dans le cours historique du capitalisme, par étapes successives vers l’autonomisation de la monnaie, sous des formes de plus en plus virtuelles et au travers de crises récurrentes, à la financiarisation généralisée. Ce caractère double de la monnaie expliquera aussi les politiques monétaires, apparemment concurrentes, mais qui ne font que mettre l’accent sur l’une ou l’autre de ses fonctions.

En moins d’un siècle la monnaie se libérera de sa matérialité métallique, or et argent, d’abord après la Première Guerre mondiale, puis définitivement en 1971 quand Nixon supprimera toute référence du dollar en or et toute possibilité de conversion. Alors seront créées les conditions d’une multiplication illimitée des titres, de toutes formes, de toutes durées, de toute liquidité, qui, avec l’aide des technologies de l’information, assureront une presque parfaite fluidité et flexibilité du capital. Dès lors la monnaie apparaitra comme une richesse en soi, capable de s’auto-valoriser, indépendamment du travail et de la production sociale. Le capital financier devient dominant et s’unifie dans un même fétichisme. Les taux d’intérêt, la valeur actualisée des placements, semblent déterminer l’ensemble des évolutions et des équilibres économiques. Les banques et les institutions financières, publiques, privées ou internationales, répartissent le capital entre les différentes activités, les différents pays, en fonction des rendements attendus, des risques estimés, le déplaçant quasi instantanément, non sans, à l’occasion provoquer des crises brutales et localisées (Asie en 1997) ou des bulles dévastatrices (internet en 2001).

Mais malgré ses limites, cette mobilité du capital, expression de la prééminence du capital financier, est à la fois condition et produit de la mondialisation. Financiarisation et mondialisation ont partie liée, résultats d’un même développement historique. Ils forment un ensemble structuré qui tend à réaliser l’allocation des ressources la mieux adéquate à l’accumulation. Mais ce système, dans lequel il serait vain de chercher une frontière entre « économie réelle » et financière, est affecté d’un vice constitutif. La faculté du crédit à se gonfler démesurément, d’une façon qui apparaît rationnelle tant que l’ensemble des titres, actions, obligations, produits dérivés et autres signes des dettes entassées continuent à percevoir leur rémunération , alors même qu’ils se détachent de la production réelle de valeur, aboutit au développement d’un capital fictif. Et ce caractère fictif ne se révèle que lorsque, à un point quelconque de la chaîne des créances et des dettes, un débiteur insolvable, un investissement sinistré, inverse les anticipations et entraîne ventes précipitées et panique. Rien d’autre ne s’est produit avec les subprime et l’enchaînement qui s’en est suivi. Si la crise est à la fois bancaire, boursière et monétaire c’est que le capital financier a unifié la monnaie et le capital. Aussi se manifestant dans la sphère de la circulation, les mesures proposées pour réduire la crise dans sa racine ne dépassent pas la surface des choses et restent cantonnées à la simple énumération de réglementations, contrôles et autres moralisations.

Mais dans l’urgence il faut bien colmater les brèches. Un des effets les plus singuliers de la financiarisation est l’inversion des qualités : tout doit être fait pour sauver les banques, perpétuer les échanges monétaires, mais des secteurs industriels productifs peuvent être abandonnés ! La représentation abstraite et virtuelle importe plus que le travail humain concret. Aussi faut-il aller au delà des phénomènes monétaires et financiers. Que s’est-il passé pour que ce « modèle » du capitalisme s’instaure ? Habituellement le point d’inflexion est posé au début des années 80, quand les « trente glorieuses » s’achèvent avec ce que les économistes appelaient le compromis fordiste, époque bénie du keynésianisme. Ces années, cela est bien connu et largement décrit, avaient vu s’articuler une forte croissance de la productivité du travail, un taux de profit élevé, des salaires nominaux en progression et une inflation persistante. Cependant une telle configuration ne pouvait être durable. La productivité du travail déclinant, donc les prix réels exprimés en heures de travail augmentant, la croissance nominale des revenus ne suffisait plus à soutenir le niveau de vie des salariés. Le taux d’inflation tendait alors à s’élever au delà de ce qui était supportable en terme de masse de profit accumulable. Car l’inflation n’est pas seulement, comme il est parfois dit, un « impôt sur la monnaie », elle est aussi une sorte de faillite étalée dans le temps. La question de la valorisation du capital se posait donc de façon aiguë. Le temps était venu, celui de Reagan et Thatcher, de reconstituer, au prix d’une violente attaque contre la classe ouvrière, les taux et la masse des profits. Le « coût du travail » a été brutalement réduit, et bien au delà de ce qu’indique le partage salaires/profit de la valeur ajoutée : le rendement du capital, par toute une série d’innovations, a pris la forme privilégiée de plus values qui en comptabilité nationale s’inscrivent en patrimoine. Des théories financières dites « modernes » ont été élaborées qui ne distinguaient plus fonds propres et dettes et qui, grâce à une politique monétaire de taux d’intérêt sous évalués, ont justifié effets de levier, OPA hostiles ou non, rachat de leurs actions par les sociétés. Car évidemment, et contrairement à l’opinion répandue, la rentabilité effective du capital n’atteignit jamais les 15% « exigés » par les investisseurs. Il s’agissait de pures manipulations qui permirent de concentrer la richesse en un nombre toujours plus réduit de mains. Concentration de richesse mais aussi concentration du capital et constitution de groupes monopolistiques, dont moins de 500 contrôlent les deux tiers du commerce mondial. Dans le même temps la mondialisation devenait le thème à la mode. Non que ce soit une nouveauté pour le capitalisme, mais sa mise en avant permettait de masquer sa réalité profonde : une redoutable division internationale du travail. La mobilité du capital, les techniques de production de masse, la réduction du prix des transports, la rapidité des communications, autorisèrent de déplacer vers des pays à prix du travail misérable la production matérielle à faible valeur ajoutée. Et non tant par délocalisations d’industries existantes que par développement de produits nouveaux imposés à coup de campagnes mondiales de marketing.

Les pays du centre du capitalisme, les États-Unis en premier lieu, trouvèrent dans les pays d’Asie, d’Amérique Latine des complices consentants. Complices qui acceptèrent de dévaloriser leur travail national autant par une exploitation forcenée que par le dumping monétaire. Il ne faut pas en effet s’y tromper : les milliers de milliards de dollars accumulés en Chine, Russie ou autres ne sont pas le signe d’un enrichissement mais d’un appauvrissement. Ces excédents sont la contrepartie de la sous-valorisation de leurs produits et du sacrifice de la consommation et de l’investissement imposé à leur population. Il en est de même, bien que ce soit contre intuitif, pour les pays producteurs de pétrole ou de matières premières, qui gaspillent leur richesse et la vendent au dessous de son prix réel de rente (prix de substitution). Par cela s’effectue un transfert massif de valeur vers les pays industrialisés, et c’est bien leur capacité à capter une part majeure de la richesse mondiale qui fonde l’hégémonie des USA et du dollar, donc qui en font, et sans doute pour longtemps encore, le centre directeur du marché mondial. La crise, si surprenante par l’étroitesse de sa cause et l’extension de ses conséquences, est le résultat circonstanciel (toute autre cause aurait pu en être l’origine) de cette organisation du capital.

La financiarisation, c’est-à-dire l’autonomie de la monnaie comme indifférente à la production des biens tout en restant dépendante des valeurs réelles, qui permet à la fois création monétaire privée indéfinie et fluidité internationale du capital, articulée sur un procès de valorisation toujours plus difficile, produit un mélange explosif au moindre incident dans la chaine des crédits. Que l’endettement soit celui des États, des banques, des ménages ou des entreprises a peu d’importance, au bout du compte c’est l’ensemble du capital qui doit être dévalorisé, quel que soit le lieu où la crise prend naissance.

Aussi la « sortie de crise » est-elle problématique. Une simple socialisation des pertes, donc un ajustement par la baisse des salaires, le chômage, l’impôt, ne saurait être suffisant, si loin d’être à la mesure la globalité et de l’internationalisation de la crise. L’injection de « liquidités », par les États nationaux dans les banques, par le FMI dans les de plus en plus nombreux pays insolvables, ne sauraient que repousser les solutions recherchées, puisque la crise ne provient pas d’un manque de liquidités mais au contraire d’un excès, liquidités qui ne circulent plus (la « trappe à liquidités » de Keynes) et qui ne sont que le symptôme d’un capital qui ne peut se valoriser. Les réponses sont toujours les mêmes. Les économistes « classiques » libéraux défendent que la « purge » doit aller à son terme, que l’urgence est de préserver la stabilité et la valeur de la monnaie (son rôle de conservation) et donc d’en détruire le surplus sans contrepartie. Mais la brutalité du remède tuerait le malade, disent les « anti-monétaristes » keynésiens. Pour éviter que la crise ne devienne sociale, il faut des plans de relance, du déficit budgétaire et au bout du compte l’inflation, qui aboutit aussi à une dévalorisation du capital, mais de façon dissimulée et indolore.

En l’absence de toute perspective politique radicale (peut être faudra-t-il encore quelques crises majeures pour qu’elle s’ouvre) le retour de l’État keynésien, ou dit tel car il est douteux que Keynes s’y reconnaisse, est le plus probable. Outre les conséquences internationales -sans doute une nouvelle répartition des forces mais toujours contrairement à ce qui s’écrit partout sous direction américaine, fut-elle plus subtile- dans chaque pays l’État deviendra plus interventionniste, dans la répression et non dans la providence, la politique monétaire plus active et l’inflation acceptée. L’Europe pourrait en exploser et l’euro vivre des jours difficiles. L’hétérogénéité économique des pays européens devrait leur imposer de retrouver une liberté monétaire pour compenser les inévitables différentiels d’inflation. Les banques centrales de chaque pays entreraient en contradiction avec la BCE, qui en tout état de cause ne serait plus capable de définir et de mener une politique commune. Avec le retour au seigneuriage monétaire, le triomphe des souverainistes accompagnerait le renforcement du rôle du dollar et une période d’incertitudes politiques dont nul ne peut dire si elle serait favorable ou défavorable à une lutte des classes qui serait paradoxalement plus encore internationalement déterminée.

Galar

Débat sur la crise avec les révolutionnaires

Messages

  • la beauté d’un texte ou d’un ché d’oeuvre artistique ne reside pas seulment sur ce qu’on voi mais aussi sur ce qu’on ne voie pas sur ce qu’on peut en dire et ce qu’on peut en pensé dans le font et la forme d’autant plus que font et forme sont strictement lié.vive la joie de la pensé dans la passion .je plein ce qui ne son pas passionné par des pensés révolutionnaire communiste prolétarien . .6- L’économie n’est pas et n’a jamais été seulement de l’économie. Elle est une politique de classes dirigeantes contre la classe exploitée. Et aujourd’hui cette politique signifie inévitablement un recul sans précédent, social, économique et politique. Il n’y a pas de "solution économique". Il n’y a pas de solution en dehors de la révolution prolétairenne !

    Le point de vue de Matière et révolution

    1- Parler de crise n’est pas une avancée de la compréhension de la situation du monde ni de ses perspectives. En effet, ce que fait le système mondial depuis nombre d’années, c’est au contraire d’empêcher la crise cyclique par des interventions financières, politiques et militaires, des USA et des autres Etats impérialistes. La crise aurait dû éclater à l’échelle mondiale au moins depuis 2000. La guerre qui a suivi le 11 septembre a permis d’y pallier.

    2- Pour éviter les crises cycliques, le système a pourvu le grand capital de revenus de plus en plus fictifs. C’est la source de la situation dans laquelle s’est enferré le système en titrisant des dettes. Le capital ne peut pas supporter de ne plus avoir des revenus de son capital. Cette méthode lui en a donné malgré le recul économique créant une reprise artificielle, dont la seule reprise réelle était celle de la course aux armements.

    3- En intervenant massivement face à la crise de 2007-2009, avec des injections invraisemblables de fonds publics, les Etats, à commencer par les USA, continuent cette politique consistant à fournir des profits au capital, même si ces profits n’ont plsu rien de commun avec des réalités économiques : échanges, crédit, investissements, ventes et production. Alors que la production et les investissements s’effondrent produisant un chômage massif, les Etats, à coups de dons massifs, provoquent de nouveaux profits fictifs qui redressent momentanément les bourses. Mais le caractère fictif de ces profits n’en est qu’accru. Il est évident que les lendemains seront des effondrements des monnaies à commencer par le dollar. Et encore cela n’aura éviter durablement ni l’effondrement des banques ni celui des bourses. L’effondrement de la confiance n’en aura été que retardé.

    4- La crise n’est donc même pas une reproduction de la crise de 1929. le capitalisme a atteint un niveau beaucoup plus élevé, de moyens, de richesses, de mondialisation et, en même temps, l’impasse où parvient le système est bien plus bloquée qu’en 1929.

    5- Toutes les propositions de changement radical du fonctionnement du système ne sont que poudre aux yeux. le seul changement que le système va produire n’est ni sa moralisation, ni la fin de la financiarisation mais l’attaque massive, sociale et politique contre la classe ouvrière et contre les peuples. La bourgeoisie mondiale va se servir du répit que lui donnent les interventions financières des Etats pour s’y préparer.

    6- L’économie n’est pas et n’a jamais été seulement de l’économie. Elle est une politique de classes dirigeantes contre la classe exploitée. Et aujourd’hui cette politique signifie inévitablement un recul sans précédent, social, économique et politique. Il n’y a pas de "solution économique". Il n’y a pas de solution en dehors de la révolution prolétairenne !

  • Les lois économiques obéissent à des contradictions dialectiques
    Dernier ajout : 29 mars.

    "Comme les corps célestes une fois lancés sur leurs orbites semblent les suivent indéfiniment, de même la production sociale une fois jetée dans ce mouvement alternatif d’expansion et de contraction le répète par une nécessité mécanique. Mais les effets deviennent causes à leur tour, et des péripéties, d’abord irrégulières et en apparence accidentelles, affectent de plus en plus la forme d’une périodicité normale."

    Karl Marx dans "Le Capital", tome un

    « Les forces productives engendrées par le mode de production capitaliste moderne, ainsi que le système de répartition des biens qu’il a créé, sont entrés en contradiction flagrante avec le mode de production lui-même, et cela à un degré tel que devient nécessaire un bouleversement du mode de production et de répartition éliminant toutes les différences de classes, si l’on ne veut pas voir toute la société moderne périr. »

    Friedrich Engels dans "Anti Dühring"

    « Même dans la complexité de la concurrence, même dans l’anarchie générale, il y a évidemment des lois invisibles mais rigoureuses… autrement la société capitaliste serait déjà en morceaux. Tout le sens de l’économie en tant que science et, en particulier, le but conscient de la doctrine économique marxiste c’est la détermination des lois occultes qui conditionnent l’ordre et l’unité du complexe social parmi la confusion des économies privées. »

    Rosa Luxemburg dans "L’accumulation du capital"

  • 7- L’économie n’est pas et n’a jamais été seulement de l’économie. Elle est une politique de classes dirigeantes contre la classe exploitée. Et aujourd’hui cette politique signifie inévitablement un recul sans précédent, social, économique et politique. Il n’y a pas de "solution économique". Il n’y a pas de solution en dehors de la révolution prolétarienne !

    Robert Paris

  • 5- La crise n’est donc même pas une reproduction de la crise de 1929. le capitalisme a atteint un niveau beaucoup plus élevé, de moyens, de richesses, de mondialisation et, en même temps, l’impasse où parvient le système est bien plus bloquée qu’en 1929.

  • Dès 1894, polémiquant contre le populiste Mikhailovski, Lénine affirmait : « Il est parfaitement exact qu’il n’y a pas unanimité complète chez les marxistes. [...] Cette absence d’unanimité ne révèle pas la faiblesse, mais la force des social-démocrates russes. […] L’unanimité des gens qui se satisfaisaient de l’acceptation unanime de « vérités rassurantes », cette tendre et touchante unanimité a été remplacée par des désaccords entre gens qui veulent une explication de l’organisation économique réelle, de l’organisation économique présente de la Russie, [...] une explication de sa réelle évolution économique, de son évolution politique et de celle de ses autres superstructures »

  • moshe a s de bko...O K SEYDO J’AI BIEN EU TON MSG QUI ME PARAI RICHE DANS LE SENS DE LA TANTATIVE DE LA COMPREHENSION DE L’ECONOMIE. NOUS ESSAIRONT DE TE DONNER DES AVIES. J’USTE POUR TE DIRE QU’il YA PAS D’ARTICLES SUR LE SITE. A BIENTOT.

    • ok c’est très important ce message,mais en faite moi je ne comprends pas le fonctionnement du système financier dans son ensemble et cette crise en particulier.car selon moi c’est paradoxsale que la crise fasse son retour après tant de plans de sauvetage promulgués par les dirigéants mondiaux,mais bref !!!!!
      j’aimérais savoir la vraie source de cette crise.
      si elle s’explique par l’échec du système par QUI ?
      pourquoi la classe ouvrière est la prémière victime de cette crise ?
      à savoir les licenciements sauvages dans les sociétés,la suppression des postes.!!!!!!!vive le communisme

    • MOSHE A O SEYDO DE BKO J’IMAGINE QUE TA DEJA LU TON PREMIER MSG QUE J’AI PUBLIER AVEC PLEIN DE BIZARERI INCOMPREHENSIBLE DE MA PART OUI J’AI BIEN EU TON MSG QUI ME PARAI RICHE DANS LE SENS DE LA TANTATIVE DE LA COMPREHENSION DE L’ECONOMIE. NOUS ESSAIRONT DE TE DONNER DES AVIES. J’USTE POUR TE DIRE QU’il YA PAS MAL D’ARTICLES SUR LE SITE. A BIENTOT. ET VOICI LA PUBLICATION DE L’INTEGRALITER DE TON MSG JE M’EXCUSE POUR TOUS CES MIG MAG COMME TU LA DIT. MAIS TU AURA DES REPOSES SANS BLEME.<< j'aimérais savoir la vraie source de cette crise.
      si elle s'explique par l'échec du système par QUI?
      pourquoi la classe ouvrière est la prémière victime de cette crise?
      à savoir les licenciements sauvages dans les sociétés,la suppression des postes.!!!!!!!vive le communisme >>>>tu peux cliqer ici
      je te demande si tu peux de cliqer ici ?

    • L’échec du système ne provient pas du fait qu’il soit attaqué par quelqu’un mais du fait que les capitalistes ont désormais intérêt à produire des instruments financiers qui sont destructeurs pour le système et que ce sgens-là sont incapables de ne pas agir dans leur intérêt personnel

    • Tu as raison de souligner que les travailleurs sont les premières victimes de cette crise mais, même si cela nous choque comme toi, cela ne nous étonne pas. la crise est celle de la classe dirigeante et elle la fait payer aux opprimés.

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