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Comment Hegel conçoit la dialectique

mardi 13 novembre 2018, par Robert Paris

« Etablir une frontière, c’est toujours la franchir. »

Georg Wilhelm Friedrich Hegel

Comment Hegel conçoit la dialectique

Socrate à Glaucon dans « La République » de Platon :
« Seule la dialectique a cette puissance d’atteindre l’ultime réalité »

Hegel dans « Introduction à la philosophie de l’Histoire » :

« Je suis ce combat, je ne suis pas un des termes engagés dans le conflit, mais je suis les deux combattants et le combat lui même, je suis le feu et l’eau, qui entrent en contact et le contact est l’unité de ce qui absolument se fuit. »

Hegel dans « Phénoménologie de l’Esprit » :

« Ce qui fait progresser un ensemble donné de phénomènes, c’est le contenu même de cet ensemble, la dialectique que ce contenu a en lui-même. »

Hegel, Philosophie de la religion :

« La dialectique dite objective règne dans toute la nature et la dialectique subjective, la pensée dialectique, ne fait que refléter le règne de la nature entière, du mouvement par opposition des contraires qui, par leur conflit constant et par leur conversion finale l’un en l’autre ou en des formes supérieures, conditionnent précisément la vie de la nature. »

« La dialectique est ... l’âme de la recherche scientifique, et constitue l’unique principe à l’aide duquel le contenu de la science se voit conférer une liaison et une nécessité immanentes. S’écarter des déterminations rationnelles abstraites semble à la conscience commune une suggestion du simple bon sens, conformément à la maxime "vis et laisse vivre les autres", tout étant représenté comme également bon. Mais le fond de la chose consiste en ce que le fini n’est pas seulement limité du dehors, mais doit être détruit et transformé en son contraire, en vertu de sa propre nature interne. »

« Nous trouvons dans l’école des éléates (voir notamment Zénon) le commencement de la dialectique, c’est-à-dire précisément de pur mouvement du penser au travers de concepts ; et par là l’opposition entre le penser et le phénomène sensible ; dans l’essence de l’objet nous trouvons la contradiction qu’elle a en elle-même (la dialectique à proprement-parler). »

Hegel dans « Grande Logique » :

« Le nom de dialectique, nous le donnons au mouvement le plus haut de la raison, dans lequel des apparences absolument séparées passent l’une dans l’autre par elles-mêmes, par le fait d’être ce qu’elles sont et où la présupposition se dépasse. C’est la nature dialectique immanente des contraires apparents, l’être et le néant eux-mêmes, qu’ils démontrent comme leur vérité leur unité : « le Devenir ». »

Hegel dans « Introduction à la Petite Logique » :

« Que la dialectique soit une loi constitutive de la pensée, et que, comme entendement, la pensée se nie et se contredise elle-même, c’est là un des points essentiels de la logique. La pensée logique, désespérant de pouvoir tirer d’elle-même la conciliation des oppositions où elle s’est placée, s’adresse à l’esprit, à qui il appartient de fournir la solution de ces oppositions sous une autre forme.

Dans ce mouvement de la pensée, qui n’est au fond qu’un retour de la pensée sur elle-même, il semble que celle-ci ne devrait pas tomber dans cette sorte de misologie dont Platon eut un exemple devant lui, et prendre une attitude hostile vis-à-vis d’elle-même, ainsi que cela a lieu dans cette prétendue connaissance immédiate qu’on présente comme la seule forme légitime sous laquelle la vérité existe dans la conscience. »

Dans Philosophie du Droit :
« La proposition de Spinoza : « Toute détermination est négation. » est d’une importance infinie. »

Dans Science de la Logique
« La seule chose nécessaire pour obtenir la progression scientifique, et vers la compréhension de laquelle il faut essentiellement s’efforcer, - c’est la connaissance de cette proposition logique : le négatif est également positif, ce qui est contredit ne se résout pas en zéro, en néant abstrait, mais essentiellement en la négation de son contenu particulier (…) Elle est un concept nouveau, mais plus élevé, plus riche que le précédent, car elle s’est enrichie de sa négation, autrement dit de son opposé ; elle le contient donc, mais aussi plus que lui, elle est l’unité d’elle-même et de son opposé. »

LA DIALECTIQUE DU CONCEPT

Hegel dans « Les principes de la philosophie du droit » :

« Le principe moteur du concept, en tant qu’il produit les particularités de l’universel et ne se contente pas de les analyser, je l’appelle la dialectique. »

Hegel dans Phénoménologie de l’Esprit :

« La dialectique plus haute du concept consiste à concevoir la détermination non seulement comme limite et contraire, mais aussi à faire sortir d’elle le contenu et le résultat positifs, ce par quoi elle est développement et progression immanente. Dans ce cas, la dialectique n’est pas activité extérieure d’une pensée subjective, mais l’âme propre du contenu qui produit organiquement ses branches et ses fruits. (…) Considérer quelque chose rationnellement veut dire non pas apporter du dehors une raison à l’objet et l’élaborer. L’objet par lui-même est rationnel. »

LA DIALECTIQUE DU POSITIF ET DU NEGATIF

Hegel dans « Introduction à la Science de la logique » :

« La seule chose nécessaire pour obtenir la progression scientifique, et vers la compréhension de laquelle il faut essentiellement s’efforcer, c’est la connaissance de cette proposition logique : le négatif est également positif, autrement dit, ce qui se contredit ne se résout pas en zéro, en néant abstrait, mais essentiellement en la négation de son contenu particulier ; autrement dit encore, une telle négation n’est pas complète négation, mais négation de la chose déterminée. (…) Le résultant, la négation, étant négation déterminée, a un contenu. Elle est un concept nouveau, mais plus haut, plus riche que le précédent, car elle s’est enrichie de sa négation, autrement dit de son opposé (…) elle est l’unité d’elle-même et de son opposé. »

Hegel dans « Introduction à la Science de la logique » :

« D’habitude, on considère la dialectique comme une activité externe et négative, qui n’appartient pas à la chose elle-même, qui a son fondement dans un effort subjectif et vain pour ébranler et dissoudre le solide et le vrai, ou qui tout au moins n’amène qu’à la vanité de l’objet traité dialectiquement. »

Hegel dans "Die Verfassung Deutschlands" :

« Le sentiment que la nature est contradictoire avec la vie existante est le besoin que cette contradiction soit dépassée ; et elle l’est quand la vie existante a perdu sa puissance et toute sa dignité, quand elle est devenue purement négative. Tous les phénomènes de notre temps montrent que la satisfaction ne se trouve plus dans la vie traditionnelle ; cette vie se bornait à dominer sa propriété d’une façon ordonnée, à contempler et jouir de son petit monde complètement subordonné. »

Hegel :

« Ni la négation nue, ni la négation vaine, ni la négation sceptique, ni l’hésitation, ni le doute ne sont caractéristiques et essentiels dans la dialectique (...) la négation est conçue en tant moment de la liaison, moment du développement qui maintient le positif, c’est-à-dire sans aucune hésitation, sans éclectisme. »

Hegel dans Phénoménologie de l’Esprit :

« L’Esprit est le négatif. »

LA DIALECTIQUE DE LA CONSCIENCE

Hegel dans "Phénoménologie de l’Esprit" :

« La conscience fait en vérité l’expérience d’elle-même en tant que conscience qui se contredit à l’intérieur d’elle-même. »

Hegel dans son "Cours d’histoire de la philosophie" :

« Dans la conscience de Zénon, la simple pensée immobile disparaît et devient mouvement pensant ; en luttant contre le mouvement sensible il le donne à sa pensée. Que la dialectique ait en premier lieu attaqué le mouvement s’explique précisément par le fait que la dialectique elle-même est ce mouvement, en d’autres termes que le mouvement est lui-même la dialectique de tout l’existant. En tant qu’elle se meut, la chose est à elle-même sa dialectique ; dans le mouvement elle devient son autre, se dépasse. Aristote a écrit que Zénon a nié le mouvement parce qu’il contient une contradiction interne. Il ne faut pas interpréter cela comme la négation de l’existence du mouvement (...) Que le mouvement existe, que ce phénomène soit - cela ne peut être mis en question ; pour la certitude sensible le mouvement existe (...) Zénon n’a jamais eu l’idée de nier le mouvement dans ce sens-là. Ce qu’il s’agit de saisir, c’est sa vérité ; or, pour Zénon, le mouvement est non-vrai, parce qu’il est contradictoire... l faut de même comprendre les autres arguments de Zénon, non comme objections contre la réalité du mouvement, comme ils apparaissent à première vue, mais comme mode nécessaire de détermination du mouvement. ... Telle est donc la dialectique de Zénon. Il a saisi les déterminations contenues dans notre idée du temps et de l’espace ; il les a eues dans sa conscience et il y a montré la contradiction... La dialectique de Zénon a un sens plus objectif que la dialectique moderne. »

« La connaissance, c’est l’approche sans fin vers l’objet, par la pensée. Il faut comprendre le "reflet" de la nature dans la pensée humaine non pas d’une façon "morte", "abstraite", non pas sans mouvement, non pas sans contradictions, mais dans un processus sans fin de mouvement, de naissance de contradictions et de leur résolution. »

« Que la dialectique soit une loi constitutive de la pensée, et que, comme entendement, la pensée se nie et se contredise elle-même, c’est là un des points essentiels de la logique. »

LA DIALECTIQUE DE LA LIBERTE ET DE LA NECESSITE

Hegel dans « Introduction à la philosophie de l’histoire » :

« L’histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté - progrès dont nous avons à reconnaître la nécessité... La liberté elle-même n’existe que pour autant qu’elle est en lutte avec son contraire... On confond souvent la liberté avec l’arbitraire ; mais l’arbitraire n’est qu’une liberté irrationnelle, les choix et les décisions qu’il provoque étant dictés, non par la volonté raisonnable, mais par des impulsions accidentelles, par des mobiles sensibles extérieurs. »

Hegel dans « Petite Logique » :

« La réalité, développée, où cette alternance de l’interne et de l’externe vient se réunir en un seul et même terme, où le passage de ces mouvements opposés de l’un et l’autre terme ne fait plus qu’un seul et même moment, cette réalité est la nécessité. La nécessité a été définie, et avec raison, comme l’unité de la possibilité et de la réalité… La cause et l’effet constituent un seul et même contenu. (…) Tous les deux se présupposent et agissent l’un sur l’autre, tous les deux se précèdent et se posent l’un l’autre. Tous les deux sont le résultat de leur action réciproque. »

LA DIALECTIQUE DE LA CONNAISSANCE

Hegel dans « Science de la Logique » :

« L’application d’un instrument à une chose ne la laisse pas comme elle est pour soi, mais introduit en elle une transformation et une altération. Ou bien encore si la connaissance n’est pas l’instrument de notre activité, mais une sorte de milieu passif à travers lequel nous parvient la lumière de la vérité, alors nous ne recevons pas encore cette vérité comme elle est en soi, mais comme elle est à travers et dans ce milieu. Dans les deux cas nous faisons usage d’un moyen qui produit immédiatement le contraire de son but. »

Hegel dans « Science de la Logique » :

« Aucune chose composée ne consiste en parties simples ; il n’existe nulle part rien de simple. »

Hegel dans « Propédeutique Philosophique » :

« Chaque production d’un acte présuppose un état qui n’est pas encore actif. »

Hegel dans « Propédeutique Philosophique » :

« L’unité dont les moments, l’être et le néant, sont en tant qu’inséparables, est en même temps différente d’eux ; elle est ainsi vis-à-vis d’eux en troisième terme qui dans sa forme la plus particulière est « le Devenir ». La Transition est la même chose que le Devenir, seulement dans la transition les deux termes qui passent l’un en l’autre sont plutôt représentés comme en repos l’un en dehors de l’autre, et la transition comme passant entre eux. »

Hegel dans « Science de la Logique » :

« Toutes les choses sont en elles-mêmes contradictoires. (…) C’est pourtant un préjugé fondamental de la logique traditionnelle et de la pensée ordinaire que la contradiction ne serait pas une détermination aussi essentielle et aussi immanente que l’identité. (…) C’est seulement en tant qu’une chose a une contradiction en elle-même qu’elle se meut, qu’elle a une impulsion et une activité. Ordinairement, on éloigne la contradiction des choses ; on affirme qu’il n’y a « rien de contradictoire ». (…) En général, la contradiction passe pour quelque chose d’accidentel dans le réel aussi bien que dans la réflexion, comme si elle était une anormalité, un paroxysme morbide et passager. (…) Il faut considérer la contradiction non comme une anomalie qui n’apparaît que ça et là ; la contradiction est le négatif dans sa détermination essentielle, le principe de tout mouvement spontané qui ne fait pas autre chose qu’expliciter la contradiction. Il faut reconnaître avec les dialecticiens de l’antiquité (Parménide, Zénon, Socrate...) les contradictions qu’ils ont montrées dans le mouvement, mais il ne faut pas en conclure que le mouvement n’est pas ; au contraire, on doit en conclure que le mouvement est le contraire de son existence visible. »

LA DIALECTIQUE DU VRAI ET DU FAUX

Hegel dans « Phénoménologie de l’Esprit » :

« Le vrai et le faux appartiennent à ces idées déterminées qui sont considérées statiquement comme des essences séparées, isolées et fixées, sans aucun élément commun. Contre cette conception du vrai et du faux il faut affirmer que la vérité n’est pas une monnaie qui porte une empreinte toute faite et qu’on n’a plus qu’à empocher…

Le dogmatisme comme mode de pensée dans la connaissance et dans l’étude de la philosophie n’est pas autre chose que l’opinion selon laquelle le vrai consiste en une proposition qui est un résultat fixe ou encore qui est connue directement…

Il est précisément vrai que le carré de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés du triangle rectangle. Mais la nature d’une telle vérité diffère de la nature des vérités philosophiques.

Pour ce qui est des vérités historiques, pour les mentionner brièvement, dans la mesure où l’on considère leur élément purement historique, on admet volontiers qu’elles s’appliquent à l’existence particulière, aux aspects accidentels et arbitraires d’un contenu, à ses déterminations qui ne sont pas nécessaires…

Pour ce qui est des vérités mathématiques, on ne peut pas tenir pour un géomètre quelqu’un qui sait le théorème d’Euclide par cœur sans ses démonstrations… Bien que la preuve soit essentielle dans la connaissance mathématique, elle n’y a pas le sens et la nature d’être elle-même un moment du résultat ; dans le résultat, la preuve est plutôt laissée en deçà et disparue. Certes, en tant que résultat, le théorème est quelque chose de connu comme vrai ; cependant cette circonstance surajoutée ne concerne pas son contenu, mais seulement le rapport avec le sujet…

Pour le sens commun, l’opposition du vrai et du faux est quelque chose de fixe ; d’habitude il attend que l’on approuve ou bien que l’on rejette en bloc un système philosophique existant ; et dans une explication sur un tel système il n’admet que l’une ou l’autre de ces attitudes. Il ne conçoit pas la différence des systèmes philosophiques comme le développement progressif de la vérité ; pour lui, diversité veut dire uniquement contradiction. Le bourgeon disparaît dans l’éclosion de la fleur et l’on pourrait dire que celui-là est réfuté par celle-ci ; de même le fruit déclare que la fleur est une fausse existence de la plante, il se substitue à la fleur en tant que vérité de la plante. Non seulement ces formes se distinguent, mais encore elles se supplantent comme incompatibles. Cependant leur nature mouvante fait d’elles des moments de l’unité organique, en qui non seulement elles ne sont pas en conflit, mais où l’une est aussi nécessaire que l’autre ; et cette égale nécessité fait la vie de l’ensemble. Mais ordinairement, ce n’est pas ainsi qu’on comprend la contradiction entre systèmes philosophiques ; et de plus l’esprit qui saisit la contradiction ne sait pas d’habitude la libérer ou la conserver libre de son unilatéralité, et reconnaître dans la forme de ce qui semble se combattre et se contredire des moments mutuellement nécessaires…

Le fonds de la chose n’est pas épuisé dans sa fin, mais dans tout son accomplissement. Le résultat atteint n’est pas le tout concret ; il ne l’est qu’avec le processus dont il est le terme. La fin prise indépendamment du reste est l’universel mort, tout comme la tendance n’est qu’un simple effort, encore privé de réalisation ; et le résultat nu est le cadavre que la tendance a laissé derrière elle. De même, la différence est plutôt la limite de la chose ; elle est là où la chose cesse, c’est-à-dire qu’elle est ce que la chose n’est pas. S’occuper du but, des résultats ou encore des différences et des appréciations des uns et des autres, c’est plus facile que cela ne paraît peut-être. Car au lieu de porter sur la chose, une telle préoccupation est toujours en dehors d’elle ; au lieu de rester en elle et de s’oublier en elle, un tel savoir cherche toujours autre chose ; il n’arrive pas à se détacher de lui-même, il n’est pas dans la chose, ne s’abandonne pas à elle. Le plus facile est de prononcer des jugements sur ce qui a du contenu et de la solidité ; il est déjà plus difficile de la saisir ; mais le plus dur – et qui réunit les deux – c’est de l’exposer dans son développement…

Le phénomène est un processus d’avènement et de disparition, qui lui-même n’advient ni ne disparaît, mais est en soi et constitue l’actualité et le mouvement de la vérité vivante. Ainsi, le vrai est l’orgie bachique ; pas un membre qui ne soit ivre ; mais puisque chaque membre dès qu’il se met à part se dissout par-là même, cette orgie est aussi repos transparent et serein. »

LA DIALECTIQUE DU CONCRET ET DE L’ABSTRAIT

Hegel dans « Science de la Logique » :

« Suivant un préjugé courant la philosophie ne s’occupe que d’abstractions, de généralités vides ; au contraire, l’intuition, la conscience empirique, le sentiment de la vie sont des domaines définis en eux-mêmes – le concret en soi.

En fait, la philosophie est dans le domaine de la pensée, elle a affaire à des généralités, son contenu est abstrait, mais seulement selon sa forme, son élément ; en elle-même, l’Idée est essentiellement concrète, - elle est l’unité des déterminations distinctes. C’est par là que la connaissance rationnelle se distingue de la connaissance qui n’est que raisonnante ; il appartient à la philosophie de montrer contre l’entendement que le Vrai et l’Idée ne consistent pas en généralités vides, mais en un universel qui est en lui-même le particulier, le déterminé.

Si le vrai est absolument abstrait, il est non-vrai. Le bon sens va au concret. C’est seulement la réflexion de l’entendement qui est théorie abstraite, non-vraie, juste seulement dans la tête, - et en même temps non pratique. La philosophie est ce qu’il y a de plus hostile à l’abstrait, elle ramène au concret…

Pour éclairer davantage cette notion du concret, citons d’abord comme exemples des choses sensibles. Bien que la fleur ait des qualités diverses, comme l’odeur, le goût, la couleur, etc., elle est pourtant une. Aucune de ces qualités ne doit manquer dans une feuille de cette fleur ; chaque parcelle séparée de la feuille a toutes les propriétés de cette feuille entière.

De même, l’or contient dan chacune de ses particules toutes ses qualités à l’état inséparé et indivisible. Dans le sensible, nous admettons que ces diversités sont unies ; mais dans les choses de l’esprit, les distincts sont surtout saisis comme opposés.

Nous ne trouvons pas contradictoires et n’avons pas à objecter au fait que l’odeur et le goût de la fleur, bien qu’autres l’un par rapport à l’autre, soient pourtant dans l’un ; nous ne les opposons pas.

Mais l’entendement, la pensée raisonnante trouve incompatibles les « autres »…

Par exemple : « Ou bien la matière est continue, ou bien elle est discontinue » ; mais en fait elle a les deux déterminations.

De même, nous disons de l’homme qu’il est doué de liberté ; l’autre détermination est la nécessité ».

Inversement : « sa volonté, sa pensée sont déterminées par la nécessité et ne sont donc pas libres ». – « L’un, dit-on, exclut l’autre, »

Ici on prend les différences pour exclusives l’une de l’autre, on ne voit pas qu’elles forment un tout concret…

Ce n’est pas que l’abstrait n’existe pas du tout ; le rouge, par exemple, est une représentation sensible abstraite ; et quand la conscience ordinaire parle du rouge, elle ne croit pas avoir affaire à l’abstrait. Mais une rose qui est rouge est un rouge concret, dans lequel on peut distinguer et isoler plusieurs abstractions semblables.

La liberté peut aussi exister comme liberté abstraite sans nécessité ; cette fausse liberté est l’arbitraire, et par là elle est précisément le contraire d’elle-même, l’enchaînement inconscient, une pure illusion de liberté, - une liberté abstraite seulement formelle.

Le troisième terme, le fruit du développement, est un résultat du mouvement. Mais, en tant qu’il est seulement le résultat d’une étape, en tant qu’aboutissement de cette étape, il est aussi le commencement, le premier terme d’une nouvelle étape du développement.

Goethe dit donc avec justesse : « la forme devient toujours matière ». La matière qui est formée, qui a forme, est de nouveau matière pour une autre forme… Ce développement en tant que concret est une série de développements qui ne soit pas être représenté comme une ligne droite allant à l’infini abstrait, mais comme un cercle, comme un retour en soi. »

LA DIALECTIQUE DE LA PERCEPTION ET DE LA PENSEE LOGIQUE

Hegel dans « Introduction à la Petite Logique » :

« La vraie différence de la perception sensible et de la pensée consiste en ce que la détermination de la première est l’individualité, et comme l’individu, - pris ici isolément et pour ainsi dire à l’état d’atome – est en même temps un rapport avec les autres objets, les choses sensibles sont des existences placées les unes hors des autres, et n’ayant entre elles qu’un rapport de succession et de contigüité.

Le contenu de la représentation est bien aussi cette matière sensible, mais c’est une matière que je me suis appropriée, parce que ce contenu réside en moi, et qu’il y a revêtu une forme simple, générale et réfléchie.

Cependant, la représentation a aussi pour contenu une matière qu’elle tire d’une autre source que la perception sensible, c’est-à-dire de la pensée réfléchie. Telles sont les représentations du droit, de la moralité, de la religion et de la pensée elle-même, ce qui fait qu’on ne voit pas aisément en quoi consiste la différence de la représentation et de la pensée ; car ici le contenu est la pensée qui a une forme générale, forme que d’ailleurs ce contenu a déjà reçue par cela même qu’il est dans l’esprit, et qu’il en est une représentation. »

LA DIALECTIQUE DE LA CAUSE ET DE L’EFFET, DE LA LIBERTE ET DE LA NECESSITE

Hegel dans « Propédeutique philosophique » :

« L’antinomie qui concerne l’antithèse de la causalité selon les lois naturelles et la liberté

« Thèse : La causalité des lois naturelles n’est pas la seule causalité des phénomènes du monde ; il y a aussi une causalité de la liberté…

Antithèse : Il n’y a pas de liberté ; tout dans le monde se passe uniquement selon les lois de la nature…

Cette antinomie, considérée abstraitement, se base sur l’antithèse que la relation causale a en elle-même. Notamment, la cause est : 1° une cause originelle, une première cause, qui se meut elle-même ; 2° mais elle est conditionnée par ce sur quoi elle agit, et son activité passe dans son effet. Ainsi, il ne faut la regarder comme quelque chose d’originel, mais comme un posé. Si l’on s’en tient fixement au premier aspect, on assume une causalité absolue, une causalité de la liberté ; mais selon l’autre aspect, la cause devient quelque chose qui est arrivé, et avec elle on pose une série infinie de conditions.

La véritable solution de cette antinomie, c’est la « Réciprocité » ; une cause qui passe dans un effet a en lui de nouveau une réaction causale ; par ce moyen la première cause est de nouveau réduite à un effet ou à un posé. Cette réciprocité implique donc le fait qu’aucun de ces deux moments de la causalité n’est pour soi et absolu, mais que c’est seulement le cercle entier, la « Totalité », qui est en soi et pour soi.

Thèse : Un être absolument nécessaire existe dans le monde…

Antithèse : Il n’existe pas d’être absolument nécessaire, ni dans le monde, ni en dehors du monde comme sa cause…

Cette antinomie contient, dans ses grandes lignes, la même antithèse que la précédente. Avec le conditionnel, on pose une condition – une condition en tant que telle, une condition absolue, c’est-à-dire qui n’a pas sa nécessité dans autre chose. Mais puisqu’elle est connectée avec le conditionné, puisque le conditionné est impliqué dans son concept, elle appartient elle-même à la sphère du conditionné, est elle-même conditionnée. Du premier point de vue, on pose un être absolument nécessaire ; du second point de vue, cette nécessité est seulement relative, donc seulement « contingence ». « 

LA DIALECTIQUE DE L’ETRE ET DU NEANT, DE LA TRANSITION ET DU DEVENIR

Hegel dans « Phénoménologie de l’Esprit » :

« Le fond de la chose n’est pas épuisé dans sa fin, mais dans tout son accomplissement. Le « résultat » atteint n’est pas le tout concret ; il ne l’est qu’avec le processus dont il est le terme. La fin prise indépendamment du reste est l’universel mort, tout comme la tendance n’est qu’un simple effort, encore privé de réalisation ; et le résultat nu est le cadavre que la tendance a laissé derrière elle. (…) Le phénomène est un processus d’évènement et de disparition, qui lui-même n’advient ni ne disparaît, mais est en soi et constitue l’actualité et le mouvement de la vérité vivante. »

Hegel dans « Grande Logique » :

« L’unité dont les moments, l’être et le néant, sont en tant qu’inséparables, est en même temps différents d’eux ; elle est ainsi vis-à-vis d’eux ; elle est ainsi vis-à-vis d’eux un troisième terme qui dans sa forme particulière est « le Devenir ».

La « Transition » est la même chose que le Devenir. Seulement dans la transition les deux termes qui passent l’un en l’autre sont plutôt représentés comme en repos l’un en dehors de l’autre, et la transition comme passant entre eux. »

LA DIALECTIQUE DU FINI ET DE L’INFINI

« L’infini passe absolument pour l’Absolu, car il est déterminé expressément comme négation du fini…

Mais en fait on n’a pas ainsi ôté toute limitation et finitude à l’infini…

On arrive ainsi à la détermination réciproque du fini et de l’infini. Le fini est fini seulement dans le rapport avec le devoir être et l’infini – et l’infini n’est infini que dans le rapport avec le fini. Ils sont inséparables et en même temps complètement autres vis-à-vis l’un de l’autre, - chacun implique l’autre de lui dans lui ; ainsi chacun est l’unité de lui-même et de son autre, et dans sa détermination il est être déterminé à ne pas être ce qu’il est lui-même et ce qu’est son autre.

Cette détermination réciproque qui nie et elle-même et sa négation, est ce qui apparaît comme le « progrès à l’infini », qui dans tant de formes et d’applications passe pour quelque chose d’ « ultime », dont on ne sort plus.

La pensée ordinaire passe pour avoir atteint sa fin quand elle arrive à cette formule : « et ainsi de suite à l’infini ». Ce progrès apparaît partout où on pousse des déterminations « relatives » jusqu’à leur opposition, si bien qu’elles sont une unité inséparable, tout en attribuant à chacune vis-à-vis de l’autre une existence indépendante.

Ce progrès est donc la « contradiction » qui n’est pas résolue, mais est toujours déclarée comme « présente »…

La falsification que l’entendement opère sur le fini et l’infini et qui consiste à figer leur rapport réciproque comme différence qualitative, à les affirmer dans leur détermination comme séparés et notamment comme séparés absolument, se fonde sur l’oubli de ce qu’est pour lui-même le concept de ces moments. Selon ce concept, l’unité du fini et de l’infini n’est pas leur assemblage extérieur, ni une union incongrue, contraire à leur détermination, dans laquelle seraient liés des termes séparés et opposés en soi, - indépendants, existants vis-à-vis l’un de l’autre, et par là incompatibles.

Au contraire, chacun est en lui-même cette unité, et cela seulement en tant que son dépassement dans lequel aucun n’a sur l’autre l’avantage de l’être en soi et de l’existence affirmative.

Comme nous l’avons déjà montré, la finitude n’est qu’en tant que sortante au-delà de soi ; elle contient donc essentiellement son autre, et elle est par là dans elle-même l’autre d’elle-même. Le fini n’est pas dépassé par l’infini en tant que puissance existante au-delà de lui, mais c’est son infinitude que de se dépasser soi-même…

La solution de cette contradiction n’est pas la reconnaissance de l’égale justesse et de l’égale injustesse des deux affirmations, - cela n’est qu’une autre forme de la contradiction qui demeure, - mais l’idéalité des deux ; en tant qu’idéels ils sont seulement des « moments » quand on les comprend dans leur distinction, comme négations réciproques.

LA DIALECTIQUE DE LA QUANTITE ET DE LA QUALITE

Hegel dans « Grande Logique » :

« On se rabat avec facilité sur la catégorie de « gradualité » pour représenter ou pour expliquer la disparition d’une qualité ou de quelque chose, parce que de cette façon la disparition semble s’accomplir devant vos yeux ; en effet, la quantité étant déterminée comme limite extérieure, la transformation purement quantitative se comprend d’elle-même. Mais en fait on n’explique rien ; la transformation est essentiellement le passage d’une qualité en une autre, ou, plus abstraitement, d’un être déterminé en un non-être déterminé ; ce processus implique une détermination autre que la gradualité qui n’est qu’augmentation ou diminution, et qui s’en tient unilatéralement à la quantité…

Mais qu’un changement qui apparaît simplement quantitatif devienne aussi qualitatif, - déjà les Anciens l’ont noté et ils ont montré sur des exemples populaires les difficultés qui surgissent quand on ignore ce rapport.

On connaît les « elenches » (mot par lequel Aristote désigne des méthodes qui forcent à dire le contraire de ce qu’on a affirmé auparavant) – les paradoxes. Note M et R -, sur le « chauve » et sur le « tas ». On posait la question suivante : « est-ce que le fait d’arracher un cheveu d’une tête ou d’une crinière de cheval le rend chauve ? Est-ce qu’un tas cesse d’être un tas quand on enlève un grain ? »

Sans réfléchir, on peut répondre « non » puisqu’il s’agit d’une différence quantitative insignifiante ; alors, on enlève un cheveu à la tête et un grain au tas, et on répète l’opération, n’enlevant chaque fois qu’une unité ; à la fin le changement qualitatif apparaît ; la tête, la crinière sont chauves, le tas disparaît…

L’embarras, la contradiction qui se manifestent comme résultat, ne sont pas un sophisme dans le sens ordinaire de ce mot, comme si une telle contradiction était une illusion trompeuse.

Ce qui est faux, c’est le comportement de notre conscience ordinaire qui considère une quantité comme une limite indifférente seulement… Cette vue est confondue par la vérité à laquelle elle est amenée, d’être un moment de la mesure et en connexion avec la qualité ; ce qui est réfuté, c’est le maintien unilatéral de la détermination quantitative abstraite.

Ces exemples ne sont donc pas une plaisanterie vide ou pédantesque, ils sont exacts en eux-mêmes et sont produits par une conscience qui s’intéresse aux phénomènes de la pensée.

Une quantité prise comme limite indifférente est l’aspect de l’existence visible qui est exposée à une attaque soudaine et est détruit.

La « ruse » du concept consiste à saisir un être déterminé par le côté où sa qualité ne semble pas en jeu,- et cela si bien, que, par exemple, l’accroissement d’un Etat, d’une fortune, etc., qui amènent le malheur de cet Etat ou du propriétaire de cette fortune, peuvent sembler d’abord n’apporter que leur bonheur. »

Hegel dans « La Grande Logique » :

« D’une part, la disparition apparaît comme inattendue quand on peut changer la quantité sans toucher à la qualité et à la mesure, - d’autre part, on croit la rendre intelligible par l’idée de gradualité. On se rabat avec tant de facilité sur cette catégorie pour représenter ou pour expliquer la disparition d’une qualité ou de quelque chose, parce que de cette façon la disparition semble s’accomplir devant vos yeux ; en effet, la quantité étant déterminée comme limite extérieure, la transformation purement quantitative se comprend d’elle-même. Mais en fait on n’explique rien ; la transformation est essentiellement le passage d’une qualité en une autre. (...) Ce qui est faux, c’est le comportement ... de notre conscience ordinaire qui considère une quantité comme une limite indifférente seulement... La ruse du concept consiste à saisir un être déterminé par le côté où sa qualité ne semble pas entrer en jeu. »

Hegel dans « Petite Logique » :

« Le nombre est une pensée, mais il est la pensée en tant qu’être qui est extérieur à lui-même. (...) La mesure est la quantité qualitative. (...) La quantité spécifique est, d’une part, une pure quantité, et elle ne peut être diminuée ou augmentée, sans que la mesure, en tant que règle, soit pour cela détruite, et d’autre part, le changement de la quantité entraîne le changement de la qualité. »

LA DIALECTIQUE DE LA GRADUALITE ET DES BONDS

Hegel dans « Grande Logique » :

« La nature ne fait pas de bonds », dit-on ; et l’opinion ordinaire, quand il s’agit de comprendre l’avènement ou la disparition, s’imagine, comme nous l’avons vu, les comprendre ou se les représenter comme avènement ou disparition graduels. Mais il s’est déjà manifesté que les changements de l’être ne sont pas le passage d’une quantité en une autre quantité, mais le passage du qualitatif au quantitatif et inversement, la transition en un autre qui est une interruption du graduel et un changement qualitatif par rapport à l’être déterminé antérieur.

L’eau refroidie ne devient pas peu à peu dure, de façon à se gélifier et à durcir peu à peu jusqu’à la consistance de la glace, mais devient dure d’un seul coup ; ayant déjà atteint la température de la glace elle peut encore conserver son état liquide si elle demeure immobile, mais à la moindre secousse elle passe à l’état solide.

La gradualité de l’avènement est fondée sur l’idée que le « naissant » existerait déjà sensiblement ou actuellement, mais sans pouvoir être perçu à cause de sa petitesse ; de même, quand il s’agit de disparition graduelle, on s’imagine que le non-être ou l’autre qui émerge à sa place, existe également, mais sans encore être perceptible, - et notamment qu’il existe non dans ce sens qu’il est contenu implicitement dans l’autre donné, mais dans ce sens qu’il est « présent » en tant qu’ « existant explicite » mais imperceptible. »

Hegel dans « Science de la Logique » :

« On dit que la nature ignore les bonds (...) or le changement n’est pas seulement quantitatif mais aussi qualitatif et consiste dans quelque chose de nouveau, d’autre, dans la rupture de la forme ancienne de l’être. »

LA DIALECTIQUE DU POSITIF ET DU NEGATIF

Hegel dans « Grande Logique » :

« A l’opposition du positif et du négatif on donne surtout ce sens que celui-là (d’après son nom qui exprime l’être posé) est objectif, et celui-ci, subjectif, propre seulement à la réflexion externe, ne concernant pas l’objectif qui existerait sous une forme complètement réalisée, n’existant guère pour ce positif. »

LA DIALECTIQUE DES CONTRAIRES

Hegel dans « Grande Logique » :

« La détermination de l’opposition fut également énoncée sous forme de principe, qu’on nomme le « principe du tiers exclu ».

« Quelque chose est ou bien A ou bien non-A ; il n’y a pas de tiers. »

Ce principe implique tout d’abord que toute chose est un « opposé », un « déterminé », soit comme positif, soit comme négatif. C’est un principe important ; sa nécessité vient de ceci que l’identité passe en la différence, et celle-ci en l’opposition. Seulement, on ne l’entend pas ‘habitude de cette façon-là ; ordinairement, il est censé signifier qu’à une chose il convient d’appliquer, de tous les prédicats, soit ce prédicat lui-même soit son non-être…

De plus, le principe du tiers exclu se distingue du principe de l’identité et de la contradiction qui, plus haut, fut énoncée ainsi : « il n’existe rien qui soit à la fois A et non-A. » Le principe du tiers exclu implique qu’il n’y a pas un tiers indifférent à l’opposition. Mais en fait, ce tiers est dans ce principe même, ce tiers indifférent à l’opposition est A lui-même…

Les déterminations opposées sont posées dans quelque chose et dépassées dans cet acte même de position ; et le tiers qui ici a la forme d’un quelque chose mort, pris plus profondément, est l’unité de la réflexion, dans laquelle l’opposition retourne en tant que son fondement…

Si les premières déterminations réflectives, l’identité, la différence et l’opposition sont établies comme principes, alors on devrait à plus forte raison concevoir et établir comme principe la détermination en laquelle elles passent comme dans leur vérité, à savoir la contradiction : « Toutes choses sont en elles-mêmes contradictoires, et notamment en ce sens que ce principe, comparé aux autres, exprime la vérité et l’essence des choses…

C’est pourtant un préjugé fondamental de la logique traditionnelle et de la pensée ordinaire que la contradiction ne serait pas une détermination aussi essentielle et aussi immanente que l’identité ; mais à la vérité, s’il était question de hiérarchie, et si les deux déterminations devaient être maintenues séparément, il faudrait considérer la contradiction comme plus profonde et plus essentielle. Vis-à-vis d’elle, l’identité n’est que la détermination du simple immédiat, de l’être mort, tandis que la contradiction est la racine de tout mouvement et de toute vie ; c’est seulement en tant qu’une chose a une contradiction en elle-même qu’elle se meut, qu’elle a une impulsion et une activité.

Ordinairement, on éloigne la contradiction des choses, de l’être et du vrai ; on affirme qu’il n’y a « rien de contradictoire ». On la place dans la réflexion subjective qui la poserait par ses rapports et comparaisons. On prétend qu’elle n’est pas même dans cette réflexion, car on ne pourrait, croit-on, « ni penser, ni imaginer le contradictoire ». »

LA DIALECTIQUE DU MOUVEMENT

Hegel dans « Grande Logique » :

« En général, la contradiction passe pour quelque chose d’accidentel dans le réel aussi bien que dans la réflexion, comme si elle était une anormalité, un paroxysme morbide et passager…

Il faut considérer la contradiction non comme une anomalie qui n’apparaît que ça et là ; la contradiction est le négatif dans sa détermination essentielle, le principe de tout mouvement spontané qui ne fait pas autre chose qu’expliciter la contradiction. Le mouvement sensible extérieur lui-même est son existence immédiate.

Une chose se meut non seulement en tant qu’elle est dans une place à un certain instant, et dans une autre à un autre, mais aussi en tant qu’elle est et n’est pas dans la même place et dans le même instant.

Il faut reconnaître avec les dialecticiens de l’Antiquité les contradictions qu’ils ont montrées dans le mouvement, mais il n’en faut pas conclure que le mouvement est la contradiction dans son existence visible.

De même le mouvement spontané interne proprement dit, l’impulsion tout court consiste seulement en ceci qu’une chose en soi-même, et l’absence, le négatif de cette même chose sont au même titre…

Dans le mouvement, dans l’impulsion, etc., la contradiction est voilée par la pensée ordinaire, par la simplicité de ces déterminations ; mais dans les déterminations relationnelles, cette contradiction se manifeste directement…

Toute détermination, tout concept est essentiellement une unité de moments différents et différenciables qui passent en contradictoires par la différence déterminée, essentielle. »

LA DIALECTIQUE DE L’ACTUALITE ET DE LA POSSIBILITE

Hegel dans « Petite Logique » :

« L’actualité concrète est l’unité immédiate de l’essence et de l’existence, ou de l’interne et de l’externe.

La manifestation de l’actualité est aussi l’actualité ; car celle-ci se trouve d’une manière essentielle dans ses manifestations, et n’est elle-même une chose essentielle qu’autant qu’elle est une existence extérieure immédiate…

L’existence est l’unité immédiate de l’être et de la réflexion, et, par conséquent, phénomène…

L’Actuel pose cette unité, ce rapport où les termes sont devenus identiques…

La représentation conçoit la possibilité comme constituant la détermination la plus riche et la plus compréhensive, et la réalité, par contre, comme constituant la détermination la plus pauvre et la plus limitée.

D’où la proposition : est possible tout ce qui est, mais tout ce qui est possible n’est pas pour cela réel…

La possibilité et la contingence sont les moments de la réalité, l’interne et l’externe, posés comme simples formes qui constituent la sphère extérieure du réel. »

LA DIALECTIQUE DU HASARD ET DE LA NECESSITE

Hegel dans « Petite Logique » :

« Le contingent est ainsi constitué qu’il a la raison de son existence non en lui-même, mais dans un autre. C’est là la forme sous laquelle la réalité se présente d’abord à la conscience et qu’on confond souvent avec la réalité elle-même.

Cependant le contingent n’est que le réel sous la forme exclusive de la réflexion sur l’autre, ou, si l’on veut, c’est du réel qui n’a que la valeur du possible.

Nous considérons ainsi le contingent comme ce qui peut être ou ne pas être, qui peut être de telle façon ou de telle autre, et dont l’être ou le ne pas être, l’être de telle façon ou de telle autre, n’a pas son principe en lui-même mais dans un autre…

Cependant, on a souvent abusé, et surtout dans les temps modernes, de la contingence en lui attribuant, dans les choses de la nature aussi bien que dans celles de l’esprit, une valeur qui dans le fait ne lui appartient point…

Il est vrai de dire que la tâche de la science, et surtout de la philosophie, consiste à saisir la nécessité cachée sous l’apparence de l’être contingent.

Mais il ne faudrait pas cependant entendre la chose comme si la contingence n’était que le fait de notre représentation subjective, et comme si, pour atteindre à la vérité, il n’y avait qu’à l’écarter…

La contingence, en tant que réalité immédiate, est en même temps la possibilité d’une autre existence, non pas à titre de simple possibilité abstraite mais comme possibilité réelle…

La nécessité a été définie et avec raison comme l’unité de la possibilité et de la réalité. »

LA DIALECTIQUE DE L’EN-SOI ET DU POUR-SOI

Hegel dans « Grande Logique » :

« A propos de la notion de « développement », on peut poser la question : « Qu’est-ce qui se développe ? »

On s’imagine que le développement est activité formelle, sans contenu. Pourtant, l’acte n’a pas d’autre détermination que l’activité ; ainsi se détermine le caractère universel du contenu.

« L’en soi » et le « pour soi » sont les moments de l’activité : l’acte est ce qui contient ces moments distincts. Mais l’acte reste essentiellement un ; et c’est cela le concret.

Non seulement l’acte est concret, mais aussi l’ « en soi », le sujet de l’activité, le commencement – le produit tout autant que l’activité et le commencement.

La marche du développement est aussi son contenu, son Idée.

Il est l’un et l’autre, et les deux sont un ; c’est cela le troisième terme, - dans l’autre chacun est chez soi, non en dehors de soi.

Suivant un préjugé courant la philosophie ne s’occuperait que d’abstractions, de généralités vides ; au contraire l’intuition, la conscience empirique, le sentiment de la vie seraient des domaines définis en eux-mêmes – le concret en soi.

En fait, la philosophie est dans le domaine de la pensée, elle a affaire à des généralités, son contenu est abstrait, mais seulement selon sa forme, son élément ; en elle-même l’Idée est essentiellement concrète, - elle est l’unité de déterminations distinctes.

C’est là que la connaissance rationnelle se distingue de la connaissance qui n’est que raisonnante ; il appartient à la philosophie de montrer contre l’entendement que le Vrai et l’Idée ne consistent pas en généralités vides, mais en un universel qui est en lui-même le particulier, le déterminé.

Si le vrai est abstrait, il est non-vrai. Le bon sens va au concret. C’est seulement la réflexion de l’entendement qui est théorie abstraite, non-vraie, juste seulement dans la tête,- et en même temps non pratique.

La philosophie est ce qu’il y a de plus hostile à l’abstrait, elle ramène au concret…

Le concret doit devenir pour soi…

Pour éclairer davantage cette notion du concret, citons d’abord comme exemples des choses sensibles.

Bien que la fleur ait des qualités diverses, comme l’odeur, le goût, la couleur, etc., elle est pourtant une. Aucune de ces qualités ne doit manquer dans une feuille de cette fleur ; chaque parcelle séparée de la feuille a toutes les propriétés de la feuille entière…

Nous ne trouvons pas contradictoires et n’avons rien à objecter au fait que l’odeur et le goût de la fleur, bien qu’autres l’un par rapport à l’autre, soient pourtant dans l’un ; nous ne les opposons pas.

Mais l’entendement, la pensée raisonnante trouve incompatible les « autres »…

Par exemple : « Ou bien la matière est continue, ou bien elle est discontinue » ; mais en fait elle a les deux déterminations.

De même, nous disons de l’homme qu’il est doué de liberté ; l’autre détermination est la nécessité… L’un exclut l’autre, nous dit-on.

Ici on prend les différences pour exclusives l’une de l’autre, on ne voit pas qu’elles forment un tout concret….

L’Esprit est libre dans sa nécessité ; c’est dans sa nécessité qu’il trouve sa liberté, de même que sa nécessité n’est fondée que dans sa liberté…

Le rouge, par exemple, est une représentation sensible abstraite ; et quand la conscience ordinaire parle du rouge, elle ne croit pas avoir affaire à l’abstrait. Mais une rose qui est rouge est un rouge concret, dans lequel on peut distinguer et isoler plusieurs abstractions semblables. »

LA DIALECTIQUE DE L’ABSTRAIT ET DU CONCRET

Hegel dans « Esquisse de la Logique » :

« L’activité pensante est « abstraction » dans la mesure où la raison, en commençant par des intuitions concrètes, ne tient pas compte de l’une des déterminations multiples, en choisit une autre, et lui confère la simple forme de la pensée.

Explication. Si je ne tiens compte d’aucune des déterminations d’un objet, rien ne reste. Si, au contraire, j’en élimine une et choisis une autre, celle-ci est abstraite.

Par exemple, « le Moi » est une détermination abstraite. Je connais seulement « le Moi » dans la mesure où j’exclus de moi-même toutes les déterminations. C’est une méthode négative. Je nie mes déterminations, je me laisse en tant que tel, seul. L’abstraction est l’aspect de l’activité pensante. »

Hegel dans « Phénoménologie de l’Esprit » :

« Le fonds de la chose n’est pas épuisé dans sa fin, mais dans tout son accomplissement. Le « résultat » atteint n’est pas le tout concret ; il ne l’est qu’avec le processus dont il est le terme. La fin prise indépendamment du reste est l’universel mort, tout comme la tendance n’est qu’un simple effort, encore privé de réalisation ; et le résultat nu est le cadavre que la tendance a laissé derrière elle.

De même, la différence est plutôt la limite de la chose ; elle est là où la chose cesse, c’est-à-dire qu’elle est ce que la chose n’est pas… Pour saisir la chose, il faut l’exposer dans son développement… Le phénomène est un processus d’avènement et de disparition, qui lui-même n’advient ni ne disparaît, mais est en soi et constitue l’actualité et le mouvement de la vérité vivante. »

Hegel dans « Petite Logique » :

« La représentation conçoit la possibilité comme constituant la détermination la plus riche et la plus compréhensive, et la réalité, par contre, comme constituant la détermination la plus pauvre et la plus limitée.

D’où la proposition : tout est possible, mais tout ce qui est possible n’est pas pour cela réel.

Cependant, dans le fait, c’est-à-dire suivant la pensée, la réalité est plus compréhensive, parce qu’en tant que pensée concrète elle renferme en elle la possibilité comme un moment abstrait.

C’est ce que nous pouvons constater aussi dans notre conscience ordinaire, lorsque pour distinguer le possible du réel, nous disons du possible qu’il est « seulement » possible.

De la possibilité, on a l’habitude de dire qu’elle est pensable, et que c’est en cela qu’elle consiste. Par pensée, on n’entend ici qu’un contenu mais sous la forme de l’identité abstraite. Mais comme on peut appliquer cette forme à tout contenu, et qu’on peut séparer ces contenus des rapports où ils se trouvent placés, il n’y a pas de chose aussi absurde et aussi impossible…

La possibilité et la contingence sont les moments de la réalité… La contingence, en tant que réalité immédiate, est en même temps la possibilité d’une autre existence, non en tant que simple possibilité abstraite, telle que nous l’avons d’abord rencontrée, mais comme possibilité réelle…

Lorsqu’on parle de la condition d’une chose, on veut dire d’abord qu’on a une existence, un être immédiat, et ensuite qu’on a une détermination suivant laquelle cet être immédiat doit être supprimé pour servir à la réalisation d’autre chose.

La réalité immédiate comme telle n’est pas en général ce qu’elle doit être, mais elle est comme brisée ; c’est une réalité finie et c’est sa destinée de se consumer. »

LA DIALECTIQUE DU VRAI ET DU FAUX

Hegel dans Science de la Logique :

« Pour le sens commun, l’opposition du vrai et du faux est quelque chose de fixe ; d’habitude il attend que l’on approuve ou bien que l’on rejette en bloc un système philosophique existant ; et dans une explication sur un tel système il n’admet que l’une ou l’autre de ces attitudes. Il ne conçoit pas la différence des systèmes philosophiques comme le développement progressif de la vérité ; pour lui diversité veut dire simplement contradiction. Le bourgeon disparaît dans l’éclosion de la fleur et l’on pourrait dire que celui-là est réfuté par celle-ci ; de même le fruit déclare que la fleur est une fausse existence de la plante, il se substitue à la fleur en tant que vérité de la plante. Non seulement ces formes se distinguent, mais encore elles se supplantent comme incompatibles. Cependant leur nature mouvante fait d’elles des moments de l’unité organique, en qui non seulement elles ne sont pas en conflit, mais où l’un est aussi nécessaire que l’autre ; et cette égale nécessité fait la vie dans l’ensemble. Mais ordinairement, ce n’est pas ainsi qu’on comprend la contradiction entre système philosophiques ; et de plus l’esprit qui saisit la contradiction ne sait pas d’habitude la libérer ou la conserver libre de son unilatéralité, et reconnaître dans la forme de ce qui semble se combattre et se contredire des moments mutuellement nécessaires. »

Qu’est-ce que la dialectique ?

La dialectique du réel et du rationnel

En quoi la dialectique de Hegel est révolutionnaire ?

La dialectique de Hegel, peu connue en France, est-elle toujours d’actualité pour la pensée scientifique ?

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