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La catastrophe nucléaire n’arrête pas la logique capitaliste

11 mars 2014, 17:41

Naoto Matsumara est le dernier homme à vivre près de la centrale de Fukushima-Dati, bravant les ordres d’évacuation. Portrait de cet homme hors du commun.

Cet homme est devenu une icône. Celle du combat pour le retour à la vie. Refusant les ordres d’évacuation, il habite seul dans la zone contaminée par l’explosion de la centrale. Chaque jour, il nourrit les animaux abandonnés. Il était à Paris hier, pour témoigner.
Naoto en visite à Paris

D’un pas tranquille, Naoto, 54 ans, remonte l’allée principale du Jardin des plantes à Paris. Il s’arrête devant les arbres, les touche, gratte leur écorce. Soudain, il se fige. La sirène des pompiers du premier mercredi du mois vient de retentir. On le rassure en plaisantant : « Non, il ne faut pas évacuer les lieux, tout va bien. »

Naoto en rigole et s’assoit sur un banc public. Après tout, il en a vu d’autres... Depuis des générations, la famille Matsumura vivait près de Fukushima. « C’est la terre de mes ancêtres, elle était belle, je la respecte. »

Avant le drame de mars 2011, Naoto cultivait le riz. Un séisme, puis « un accident nucléaire majeur » ont tout balayé. Il vit désormais dans un paradis perdu saturé de radioactivité.
Après la catastrophe, "nous ne savions pas trop où aller"

« Le 21 mars, Tepco (la compagnie qui gère les centrales) a donné l’ordre d’évacuer la zone. Avec mon père et ma mère nous ne savions pas trop où aller. » Cap au sud, ils ont frappé à la porte d’une tante et de sa famille. Ils sont restés dehors un bon moment.

« Quand ils nous ont laissé entrer, j’ai vu dans leurs yeux la peur panique d’être contaminés. Ils ne souhaitaient qu’une seule chose, que nous partions dans un centre d’évacuation. » Comme des milliers d’autres réfugiés jetés, hagards, dans des baraquements de fortune.
"Je me suis retrouvé seul"

Naoto a vu son honneur et son humanité bafoués. Lui, l’homme de la terre, a senti monter, comme dans des racines, la sève de la colère. Refusant cette condition de pestiféré, il est rentré chez lui à Tomioka. La petite ville de 17 000 habitants, nichée à 12 km du site de Fukushima, n’est plus qu’un désert humain.

Un décor apocalyptique de cinéma catastrophe peuplé de carcasses de voitures. « Je me suis retrouvé seul ». Il découvre la puissance du « silence absolu », l’angoisse de la solitude et l’ampleur du drame.
"Avant, le nucléaire ne me faisait pas peur"

« Avant la catastrophe, je n’étais pas du tout un militant écologiste. Le nucléaire ne me faisait pas peur, j’avais totalement confiance. »

La défense des animaux n’était pas non plus sa priorité. « En marchant dans la ville et la campagne avoisinante, j’ai vu les cadavres des chiens, du bétail... Mais aussi tous les animaux qui avaient survécu et qui se retrouvaient complètement abandonnés. »

Depuis trois ans, Naoto s’en occupe tous les jours. Dans sa philosophie, leur vie vaut celles des hommes.
« Je pissais du césium »

6 h 30 tous les matins, le voilà debout. Il enfile sa combinaison bleue et entame sa longue tournée. Elle emplit sa journée. Chats, chiens, sangliers, vaches, poneys, il soigne et nourrit tout le monde. « J’ai même des autruches... » Ironie de l’histoire, elles étaient les mascottes de Tepco.

Depuis un an, l’électricité est revenue sur la zone. « Avant, je m’éclairais à la bougie. » Naoto se nourrit de plats cuisinés qu’on lui envoie par colis. « J’ai renoncé à manger mes propres cultures, elles sont trop contaminées. Et moi aussi ! » Il éclate de rire. « Au début, je pissais et je chiais du césium ! » (Un élément radioactif).
Le cancer ? "Je m’en fous"

Une fois, une seule, il est allé à l’université de Tokyo pour faire un bilan de santé. « Ils m’ont collé dans une espèce de four durant une bonne vingtaine de minutes. Quand je suis sorti de là, le médecin n’arrêtait pas de me fixer. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit : vous avez le plus haut niveau de radioactivité du Japon ! »

La peur du cancer, de la leucémie ont agité ses premières nuits. « Maintenant, je m’en fous. »
L’ermite de Fukishima

Avant l’accident nucléaire, Naoto avait divorcé et ses grands enfants sont loin. Il est devenu l’ermite de Fukushima. Cette infime trace de vie dans un univers de désolation.

Il sourit aux animaux mais sa fureur gronde contre Tepco qui les a plongés dans l’enfer, contre le gouvernement qui laisse encore vivre des personnes dans des centres de réfugiés. « Les personnes âgées sont déboussolées, stressées. Beaucoup en meurent. »Avec ses cheveux blancs et sa fine moustache, Naoto est devenu un défenseur acharné de la vie. Accompagné du journaliste Antonio Pagnotta qui fut l’un des premiers à le rencontrer sur place, il voyage pour la première fois en Europe.

Soutenu par des associations écologistes, il diffuse un message simple. « Moi, l’accident nucléaire, je n’y croyais pas. Maintenant, je sais... »

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