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Guinée : il pleut des balles sur Conakry

9 octobre 2009, 12:50

Le grand meeting populaire le 28 septembre à Conakry avait été annoncé dans tous les médias privés à travers de nombreux communiqués et même lors d’une conférence de presse. Nous avions convenu que si le stade en tant que tel nous était interdit, nous irions sur l’esplanade du même édifice. Mais, dès 6 heures du matin, les militaires tiraient déjà dans les quartiers, tapaient les enfants... Quand un ministre est allé rencontrer les leaders au cours de la marche pour leur demander de faire arrêter la...marche, il lui a été répondu que ce n’était pas possible. Et quand les jeunes ont appris que leurs leaders avaient été arrêtés pour les empêcher d’arriver au stade, ils ont brisé les barrages et ont affronté les policiers, ils ont cassé les locaux de la Police du quartier et sont arrivés au stade. Quand le Premier ministre a vu que la marée humaine le dépassait, c’est lui-même qui a pris la décision de faire entrer les leaders dans le stade. Et, à partir de ce moment, nous nous sommes dits qu’il n’y aurait plus rien de grave, que les risques étaient écartés. Le calme était revenu, les jeunes dansaient, chantaient dans le stade, sur les gradins, tout cela pendant un tour d’horloge. C’est à cet instant que les portes du stade ont été fermées. Fermées pour tirer sur la population, sur tout ce qui bougeait. C’était une opération préméditée. Des militaires tiraient et tuaient, d’autres tapaient et battaient des personnes désarmées. Des soldats égorgeaient des gens comme on le ferait avec des animaux, d’autres préféraient violer des femmes qu’ils déshabillaient auparavant ou pas, sur le sol boueux. Demandez-moi par quel miracle je suis sortie vivante du stade, je ne vous le dirai pas ! car je ne le sais pas jusqu’à présent. Ils tiraient de tous les côtés, comme au cinéma. C’était organisé pour tuer, et surtout tuer le maximum de personnes.

Quand les hommes de Dadis ont commencé à tirer, tous les leaders se sont regroupés sur la pelouse du stade. Aucun d’eux n’a cherché à fuir. Ils se sont regroupés en formant un bloc. Et, de manière générale, les personnes les moins sévèrement blessées sont celles qui s’étaient regroupées en masses compactes. A l’intérieur du stade, j’ai été piétinée par deux fois, car je courais dans tous les sens. J’étais habillée d’un jean noir très solide, et c’est en partie grâce à cet accoutrement que j’ai survécu. Toutes les femmes qui portaient des pagnes ou tenues légères, je les voyais courir les seins nus, car leurs vêtements s’étaient déchirés. Les militaires ont déshabillé de grandes dames, ils les ont violées devant tous ceux qui étaient capables de les voir, au milieu de tout et de rien. Ils jetaient les femmes par terre et montaient sur elles pour faire leurs sales besognes ! Ces images me hantent et me traumatisent. Plusieurs dizaines de personnes me sont tombées dessus quand j’étais à terre. Cela m’a causé des ecchymoses partout sur le corps.

Le drame est que, en courant, personne ne savait où aller. On mitraillait de partout et toutes les issues étaient cernées, les portes du stade hermétiquement fermées. En fait, il n’y avait nulle part où se cacher. Il ne me restait que la foule, et comme je ne voulais pas subir de viol, j’ai toujours fait en sorte d’être là où il y avait beaucoup de monde, une foule compacte. Quand je me suis relevée et que j’ai constaté qu’il n’y avait aucune issue, j’ai remarqué un jeune militaire qui était très propre par rapport à ses collègues. Il était à cent mètres de moi. J’ai fait le suprême effort de me traîner jusqu’à lui, je me suis jetée sur lui. Il m’a demandé : "Mme, vous êtes journaliste ?", je lui ai répondu : "Oui, je suis journaliste. Prends tout mon argent, mais sauve-moi". Je lui ai ouvert le sac que j’avais autour du cou. Il l’a pris, et au moment où il cherchait ce qu’il y avait dedans, ses copains nous ont aperçus et sont venus nous rejoindre. "Mais c’est qui celle là" ?, demande l’un d’entre eux qui braquait son arme sur moi. Le jeune soldat prit ma défense après avoir récupéré tout l’argent : "Non il ne faut pas la tuer, c’est une journaliste", a-t-il dit. Alors, l’autre a commencé à me frapper avec son arme sur le corps. Moi je me protégeais la tête avec mes bras, c’est cela qui m’importait. Un autre avait un gros gourdin. "Le jeune militaire m’a quand même sauvée en m’extirpant des griffes de ses collègues, il m’a jetée dans la cour d’une maison juste en face du stade. J’étais en lambeaux.
La famille qui était là m’a récupérée. Ce qui est terrible et qui n’a pas été dit à ma connaissance, c’est qu’on a demandé aux jeunes qui avaient survécu aux massacres de ramasser les corps et de les mettre dans les camions des militaires. C’est une femme de cette famille qui est venue nous le dire à l’intérieur de la maison. Après, il faut voir si ces jeunes n’ont pas été tués pour qu’ils n’aillent pas raconter ce qu’ils ont vu et ce qu’on leur a demandé de faire.

Par chance, une voiture de la Croix-rouge est passée devant la maison. J’ai pu y prendre place tout en craignant d’être amenée dans un camp militaire. A l’hôpital, il n’y avait presque rien comme médicament. C’est là que j’ai appris que les militaires faisaient le tour des structures hospitalières pour ramasser les blessés, et amener les femmes pour les violer encore. Donc j’ai appelé ma sœur, elle est venue rapidement car elle n’habite pas loin. C’était pour avertir mon mari à Dakar. Il m’a envoyé un billet d’avion pour que je retourne dans la capitale sénégalaise. Pour quitter Conakry, j’ai dû bénéficier de complicités certaines. Tout à l’heure, quelqu’un m’a dit depuis la Guinée que les gens se demandent encore comment j’ai pu sortir du territoire. Dadis et les militaires me connaissent bien, ils savent que je ne vais pas me taire. Mais tant que ce régime assassin gouvernera la Guinée, je n’y retournerai pas.

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