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Révolte au Mali contre Moussa Traore

2 septembre 2009, 18:16

Le premier signe annonciateur de l’accélération des événements qui allaient définitivement changer le cours de l’histoire de notre pays, a été donné le 21 mars 1991. Ce jeudi là, les boulangers de Bamako, Koulikoro, Ségou, Sikasso, Kayes et Mopti, las des fausses promesses et des manœuvres dilatoires de l’administration face à leurs revendications pour une taxation plus juste de la farine de blé, déclenchaient une grève de 72 heures. Une démarche précipitée du ministre des Finances et du Commerce de l’époque allait désamorcer le mouvement qui s’arrêta au bout de 24 heures.
Si à Bamako régnait un calme précaire (l’Association des élèves et étudiants ayant reporté sa marche du mercredi 20 mars au vendredi 22 mars), la contestation avait gagné du terrain à l’intérieur du pays. Des marches étaient organisées à Sikasso, Bougouni, Kita, Kayes, Ségou et Dioïla. Dans toutes ces localités, ces démonstrations de rue furent brutalement réprimées. La tragédie survint à Sikasso où un jeune élève de la 9è fondamentale fut tué. Le choc de cette mort de trop (il y avait déjà eu deux morts deux mois plutôt lors du mouvement estudiantin des 20 et 21 janvier) allait être douloureusement ressenti par toute la population.
La journée du 22 mars marquera pour les Bamakois le début d’un cauchemar qu’ils n’auraient jamais imaginé vivre. Dès le petit matin, les élèves et étudiants dressèrent des barricades dans les quartiers de la capitale et se regroupèrent, bien déterminés à démontrer leur opposition à un régime de plus en plus décrédibilisé. Leurs premières actions furent dirigées vers tout ce qui symbolisait une autorité qu’ils ne reconnaissaient plus : domiciles des dignitaires, commerces supposés appartenir à des prête-noms ou à des soutiens du parti unique, organismes d’État etc. La répression qui s’ensuivit fut sanglante parce qu’à partir des camions et des engins blindés, policiers et même soldats (déployés pour le maintien d’ordre) ouvrirent le feu sur les manifestants. Au milieu de la matinée, les premiers corps commencèrent à affluer à l’hôpital Gabriel Touré très vite débordé.
L’opinion publique qui était en état de choc total (39 morts avaient été recensés au bout de cette journée) attendait une déclaration du président de la République dès la mi-journée. Mais ce ne fut qu’à 18h que Moussa Traoré s’adressa à la nation. Il prononça un discours totalement en déphasage avec la réalité du terrain. Il expédia ses regrets aux familles des victimes mais s’employa surtout à fustiger les saccages causés par les manifestants en insistant sur la nécessité de rétablir l’ordre. Il ne fit aucune proposition d’ouverture. Après avoir maintenu sa référence au 4è congrès de l’UDPM prévu les 26, 27 et 28 mars 91 qui devait décider de la marche à suivre quant à la démocratisation du pays, il décréta l’état d’urgence un couvre feu de 21h à 5 heures du matin. Au cours de la matinée du 23 mars, des milliers de Bamakois, dans le sillage des mères pourtant le deuil de leurs enfants tombés sous les balles, bravèrent le pouvoir à travers une marche gigantesque. Ils le firent au mépris de toute prudence et au nom de leur intime conviction que les choses devaient changer. C’est que l’indignation avait gonflé au matin du 23 mars alors que se répandaient les détails de la tragédie de la veille. Des femmes avaient sillonné les services et les logis pour bousculer les dernières hésitations des hommes. Une foule, grossie par un extraordinaire bouche à oreille, avait rallié la Bourse du travail. La consigne de marcher sur le palais de Koulouba avait alors jailli de manière spontanée dans l’immense flot humain qui s’ébranla vers le palais présidentiel. L’écrasante majorité des manifestants de ce jour là n’appartenait à aucune association démocratique. Au niveau du ministère de la Défense, un barrage des forces de sécurité et une pluie de grenades lacrymogènes coupèrent la route de Koulouba aux manifestants. Mais la machine populaire était lancée et plus rien ne pouvait l’arrêter.
Le dimanche 24 mars lors d’un meeting aussi impressionnant que le précédent, le comité de coordination des associations et organisations qui s’était formé, composé de l’UNTM, l’AEEM, l’AMDH, l’ADIDE, l’AJDP, la JLD, l’ADEMA et le CNID, informait l’opinion publique dans un communiqué du déclenchement d’une grève générale illimitée. Il posait comme condition la dissolution du gouvernement, celle de l’assemblée nationale et dans le même document, la coordination demandait la démission du président de la République. Elle prônait la mise en place d’un Comité de Salut Public qui serait chargé de gérer la transition politique jusqu’à l’organisation d’élections libres et démocratique.
Une délégation se rendit à Koulouba pour remettre ce manifeste au général Moussa Traoré qui avait reçu, auparavant, une délégation des chefs religieux. Les positions étaient trop tranchées pour être conciliées. L’entourage du chef de l’état tenta néanmoins, désespérément, de transformer l’après-entrevue en séance de négociation. Les délégués s’y refusèrent, se limitant strictement à leur rôle de messagers.
Dans la même journée, le secrétaire politique du Bureau exécutif central de l’Union démocratique du peuple malien (le parti unique au pouvoir), Djibril Diallo, faisait remettre au général Moussa Traoré sa lettre de démission des instances du parti. Il rappela à l’occasion qu’il avait toujours prôné une ouverture politique qui aurait épargné à notre pays des violences regrettables.
Dans la soirée le président Moussa Traoré fit une seconde déclaration à la Nation. Ce message s’avéra aussi déphasé que la première adresse du chef de l’État. Les événements allaient désormais se précipiter en dehors de son contrôle. Dans l’après-midi du 24 mars, une commission ad hoc composée de membres du BEC et du gouvernement rencontrait à la Bourse du travail le comité de coordination des associations et des organisations et arrêtait,
de commun accord avec lui, des mesures susceptibles de ramener le calme dans le pays. Parmi ces mesures, il y avait la levée de l’état d’urgence et du couvre feu (ouvertement bafoués à Bamako et à l’intérieur du pays), la libération de tous les prisonniers arrêtés lors des événements du 21 et 22 janvier qui marquent le point de départ de la contestation estudiantine contre le pouvoir de Moussa Traoré et ceux des 22, 23 et 24 mars 1991.
La commission ad hoc demandait naturellement la cessation des actes de violence. Mais le président, qui avait préalablement enregistré son discours, ne fit mention d’aucune de ces mesures. Tout se passait comme si de son palais de Koulouba, il était coupé du reste du pays et étranger aux flots démontés de l’histoire qui battaient à ses pieds. Le 25 mars se tint le troisième meeting consécutif à la Bourse du travail. Les travailleurs, les élèves et étudiants et des milliers de citoyens anonymes réaffirmèrent par leur présence l’impossibilité d’un compromis avec le pouvoir. "Moussa doit partir" tel était le refrain ressassé de manière continue et soutenue. Le régime chancelait. Et il ne manquait que le coup de grâce. Celui ci fut porté dans la nuit du lundi 25 au mardi 26 mars.
Mais déjà en début de nuit, aux alentours de 22h, la rumeur de l’arrestation du président avait couru la ville. Tel un bateau ivre la capitale sans gouvernail, s’abandonnait à ses mauvais démons à coups de pillages des boutiques et magasins, de règlements de compte. Bref un déchaînement dans lequel aucune frontière ne résista entre la manifestation de joie et la violence.
La mise aux arrêts du chef de l’état ne sera effective que lorsqu’un commando de parachutistes, dirigé par Amadou Toumani Touré, y procéda à minuit un quart. Mardi matin, un Comité de réconciliation nationale de l’armée (CRN), formé après l’arrestation, se rendit à la Bourse du travail à la rencontre de la Coordination du Mouvement démocratique pour lui rendre hommage. Une démarche appréciée qui incita la coordination à manifester sa confiance à Amadou Toumani Touré en le portant à la tête du Comité de transition du salut du peuple (CTSP). Le tour était joué : l’armée n’était pas destabilisée et le seul à chuter était l’ancien dictateur mais pas la dictature !!!

C.

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