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Socrate, dialecticien et communiste

8 mars 2010, 19:45, par Robert Paris

"Socrate, comme le remarque Idoménée, était fort habile dans la rhétorique ; mais les trente tyrans, dit Xénophon, lui défendirent de l’enseigner. [20] Aristophane le blâme d’avoir abusé de son habileté, en ce que d’une mauvaise cause il en faisait une bonne. Phavorin, dans son Histoire diverse, assure que ce fut lui, avec Eschine, son disciple, qui les premiers enseignèrent la rhétorique. Idoménée confirme cela dans ce qu’il a écrit des disciples de Socrate. Il est encore le premier qui a traité la morale, et le premier des philosophes qui est mort condamné. Aristoxène, fils de Spinthare, raconte qu’il faisait valoir son argent et rassemblait le gain qu’il retirait de ses prêts, et cela étant dépensé, le prêtait de nouveau à profit.

Démétrius de Byzance dit que Criton le tira de sa boutique et qu’il s’appliqua à l’instruire, étant charmé des dispositions de son esprit. [21] Mais Socrate, voyant que la physique n’intéresse pas beaucoup les hommes, commença à raisonner sur la morale et en parlait dans les boutiques et sur les marchés, exhortant chacun à penser

à ce qu’il y avait de bon ou de mauvais chez lui.

Souvent il s’animait en parlant jusqu’à se frapper lui-même et à se tirer les cheveux : cela faisait qu’on se moquait de lui ; mais il souffrait le mépris et la raillerie jusque là que, comme le rapporte Démétrius, quelqu’un lui ayant donné un coup de pied, il dit à ceux qui admiraient sa patience : Si un âne m’avait donné une ruade, irais-je lui faire un procès ?

[22] Il n’eut pas besoin, pour éclairer son esprit, de voyager, à l’exemple de beaucoup d’autres ; et excepté lorsque la guerre l’a appelé hors de chez lui, il se tenait dans le même lieu, ayant des conversations avec ses amis, moins dans le dessein de combattre leur opinion que dans la vue de démêler la vérité. On dit qu’Euripide lui ayant donné à lire tin ouvrage d’Héraclite, lui demanda ce qu’il en pensait ; Ce que j’en ai compris, lui répondit-il, est fort beau, et je ne doute pas que le reste, que je n’ai pu concevoir, ne soit de la même force ; mais, pour l’entendre, il faudrait être un nageur de Délos (01).

Socrate était d’une bonne constitution, et avait beaucoup de soin de s’exercer le corps ; il fut à l’expédition d’Amphipolis, et, dans une bataille qui se donna près de Délium, il sauva la vie à Xénophon qui était tombé de son cheval ; [23] et quoique le mauvais succès du combat eût obligé les Athéniens de prendre la fuite, ? il se retira au petit pas, regardant souvent derrière lui, pour faire face à ceux qui auraient pu vouloir le surprendre. II servit aussi sur la flotte qu’on avait équipée pour réduire la ville de Potidée, la guerre ne permettant pas aux troupes d’y aller par terre. On dit que ce fut alors qu’il resta toute une nuit dans la même posture. Il fit voir son courage dans cette expédition, et céda volontairement le prix des belles actions qu’il avait faites à Alcibiade, qu’il aimait beaucoup, comme le rapporte Aristippe dans son quatrième livre des Délices anciennes. Ion de Chio dit que dans sa jeunesse il fit un voyage à Samos avec Archélaüs. Il alla aussi à Pytho (02), au rapport d’Aristote, et fut voir l’isthme, à ce que dit Phavorin, dans le premier livre de ses Commentaires.

[24] Socrate avait des sentiments fermes et républicains ; il en donna des preuves lorsque Critias (03) et ses collègues, ayant ordonné qu’on leur amenât Léonthe de Salamine, homme fort riche, pour le faire mourir, il ne voulut pas le permettre, et fut le seul des dix capitaines de l’armée qui osa l’absoudre. Lui-même, lorsqu’il était en prison et qu’il pouvait s’évader, n’eut point d’égard aux prières et aux larmes de ses amis, et les reprit en termes sévères et pleins de grands sentiments.

La frugalité et la pureté des mœurs caractérisaient encore ce philosophe ; Pamphila, dans ses Commentaires, livre septième, nous apprend qu’Alcibiade lui donna une grande place pour y bâtir une maison, et que Socrate le remercia, eu lui disant : Si j’avais besoin de souliers et que vous me donnassiez du cuir pour que je les fisse moi-même, ne serait-il pas ridicule à moi de le prendre ? Quelquefois il jetait les yeux sur la multitude des choses qui se vendaient à l’enchère, en pensant en lui-même : Que de choses dont je n’ai pas besoin ! Il récitait souvent ces vers :

« L’argent et la pourpre sont plutôt des ornements pour le théâtre que des choses nécessaires à la vie. »

Il méprisa généreusement Archélaüs de Macédoine, Scopas de Cranon, et Euryloque de Larisse, refusa leur argent, et ne daigna pas même profiter des invitations qu’ils lui firent de les aller voir. D’ailleurs il vivait avec tant de sobriété, que, quoiqu’Athènes eût souvent été attaquée de la peste, il n’en fut jamais atteint."

Extrait de "Les Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité : avec leurs dogmes, leurs systèmes, leur morale et leurs sentences les plus remarquables"

Diogène Laërce

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