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Double hommage à la Commune de Paris : celui de ses ennemis et celui de ses partisans

15 janvier 2010, 08:45

Les écrivains contre la Commune de Paul Lidsky

Les éditions La Découverte viennent de rééditer l’étude de Paul Lidsky consacrée à l’attitude des écrivains français face à la Commune de Paris en 1871. Paru pour la première fois il y a trente ans, ce livre d’un réel intérêt était devenu introuvable depuis fort longtemps.

Du 18 mars au 21 mai 1871, à Paris, le pouvoir fut entre les mains du petit peuple parisien. La Commune, cet « Etat d’un type nouveau » selon l’expression de Marx, gouverna, organisa, contrôla tout ce qui était nécessaire à la vie de la population. Elle fut en quelque sorte le premier Etat ouvrier, le premier exemple au monde de ce qu’est « la dictature du prolétariat » au sens que lui donna Marx. Contre la Commune de Paris, la bourgeoisie française trouva immédiatement une alliée dans l’intelligentsia littéraire, qui mit sa plume au service des possédants et de la réaction. A l’exception de Jules Vallès, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Villiers de l’Isle-Adam, qui sympathisèrent plus ou moins avec les communards, et de Victor Hugo qui adopta une attitude de neutralité, la très grande majorité des écrivains de l’époque, par-delà les clivages politiques, se retrouva soudée dans une même haine de classe pour condamner la Commune de Paris.

Au premier rang, se situent les écrivains conservateurs comme Maxime Du Camp et Gustave Flaubert, ainsi que les royalistes comme Alphonse Daudet, le comte de Gobineau, Ernest Renan, la comtesse de Ségur, Taine et bien d’autres encore, sans oublier les très réactionnaires Leconte de Lisle et Théophile Gautier. Viennent ensuite les républicains et les modérés comme François Coppée et Anatole France (qui n’évolua politiquement que bien des années plus tard), Catulle Mendès, Richepin, George Sand et Emile Zola.

Certes, il y a des nuances entre l’hystérie d’un Théophile Gautier et la condamnation plus modérée d’un Catulle Mendès ou d’un Emile Zola. Mais la dénonciation des communards était unanime, même si les écrivains adoptèrent une position sensiblement différente selon qu’ils vécurent à Paris, se laissant parfois gagner par l’enthousiasme populaire, ou bien se réfugièrent à Versailles où ils se firent alors les propagandistes zélés de Thiers et de son gouvernement tout à ses préparatifs de la répression. Lorsque certains écrivains restèrent isolés en province, ce fut pour prendre comme argent comptant les pires calomnies distillées par les Versaillais.

Oscillant entre l’outrance verbale et le schématisme le plus grossier, ne reculant devant aucun manichéisme et développant à l’extrême la caricature, la littérature anticommunarde laisse suinter, à toutes les lignes, la haine de ces écrivains à l’égard de la classe ouvrière.

Dans son livre, Paul Lidsky analyse les convictions politiques et littéraires de ces écrivains anticommunards, montre comment ils raisonnaient, pensaient, et avec quels préjugés de classe.

De l’ancien « révolutionnaire romantique » de 1848 au monarchiste le plus réactionnaire, tous ces écrivains partagaient l’avis (unanime à l’époque dans les milieux bourgeois) que les classes laborieuses étaient avant tout des classes dangereuses. Pour eux, la Commune résultait de la « fièvre », de la « canaille », de la « populace » mue par « l’envie ». Ils n’hésitèrent pas à comparer le prolétariat à une « race nuisible », les ouvriers à des « bêtes enragées », à des « nouveaux barbares » menaçant la « civilisation ». Ainsi en est-il d’un Théophile Gautier qui comparait avec rage les Communards à des animaux dans Tableaux du siège, Paris, 1870-1871.

Du 22 au 28 mai 1871, la Commune fut réprimée dans le sang par les troupes versaillaises qui firent près de 30 000 morts parmi les Parisiens. Cette « semaine sanglante » fut d’autant plus sauvage que la frayeur éprouvée par la bourgeoisie, devant l’audace du peuple de Paris partant à l’assaut du ciel et renversant les bases de son pouvoir, avait été grande. La plupart des écrivains attendaient cette répression, la souhaitaient, voire l’avaient réclamée à cor et à cri. Pour Edmond de Goncourt, « les saignées comme celle-ci, en tuant la partie bataillante d’une population, ajournent d’une conscription la nouvelle révolution. C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle ». Opinion comparable chez Leconte de Lisle, qui espère « que la répression sera telle que rien ne bougera plus, et pour mon compte, je désirerais qu’elle fût radicale ». La répression ne fut pas assez féroce au goût d’un Flaubert qui, dans une lettre à George Sand, le 18 octobre 1871, trouvait « qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait blessé l’humanité. On est tendre pour les chiens enragés, et point pour ceux qu’ils ont mordus ». Des lignes qui se passent de commentaire.

Pertinent et accusateur, ce petit livre sur ce qu’ont pu écrire ces écrivains, très engagés aux côtés de la bourgeoisie de l’époque, est à lire et à faire lire.

René CYRILLE

Les écrivains contre la Commune, de Paul Lidsky, Ed. La Découverte

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