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Qu’est-ce que la révolution ?

23 février 2011, 23:27

Trait rebelle sans ligne de conduite. Désordonnée, redoutable, elle ne fait pas de quartier. Personne ne peut se targuer de l’avoir déclenché, prévue ou encadrée. Elle était sans filiation, sans organisation, sans discours, sans idéologie. La plus belle des anarchies. Son coeur battant, un cri de ralliement : DEGAGE !

Parti d’en bas, cet appel éclabousse tout le système et l’Etat oppresseur. Tout un programme de démolition. Un front du refus. Refus de négocier, de palabrer. Refus de tous vis-à-vis. Ils savent ce qu’ils ne veulent pas et ne sont pas pressés de revendiquer ou de proposer. Ils se plaisent dans leur proposition intransigeante et ne sont pas prêts de l’évacuer. Ils sont conscients de cette conscience instinctive, humaine, ancestrale, toujours infaillible qu’ils sont déjà de l’autre côté de la palissade. Qu’ils ont déniché le bon fusible. Qu’ils sont tombés - enfin - sur le bon filon, une mine : la révolution.

La peur a changé de camp. Et ils veulent y jouir. Et ils comptent faire payer leurs années de braise à tous les gardiens du zoo. Ils veulent fêter leur victoire sur le zoo, l’Etat. Ils maintiennent le cap, n’ont pas peur du large, de la libération, et comprennent qu’à l’orée, il y a la terre des Hommes, sans barreaux, sans matons, sans humiliation.

Elle se fout comme de l’an quarante de vos appréhensions et de vos manigances. Comment va la révolution ? Où va la révolution ? Que veut la révolution ? Que faire ?

Ça va... on fait la java !

"Une révolution se fait avec de la rage et des idées. De la rage, il y en a eu. Des idées, pas beaucoup. Personne ne savait transformer la rage", disent les cyniques qui veulent, en fait, que tout reste pareil.

Ce qu’elle abhorre le plus, c’est cette volonté instinctive de l’ancien monde de la caser, de l’achever avec un "R" majuscule. De la sacraliser, de la "totémifier". Rien n’est tabou, tout est révolutionnaire.

Elle se suffit à elle-même, telle une cellule qui s’engendre d’elle-même. Un gribouillage d’où sortira l’inouïe. On ne l’a pas vu venir. Pendant qu’on guettait l’horizon, elle farfouillait dans nos affaires. Péril en la demeure. Chaque fois que les Bouzidis, les Kasserinois ou les Keffois chargeaient, la face du monde changeait. Ils étaient les prédateurs du vieux monde. Ils sont la colère. Ils sont le fléau, l’apocalypse, non ? Ils faisaient de la poésie sur le chemin de Tunis. Des ouvriers, des chômeurs, des crèves de la faim qui veulent refaire le monde.

Cette révolution inédite, actionnée par des enfants du siècle, avec des moyens du siècle, pour une utopie d’un autre siècle, casse avec tous les anachronismes, tous les archaïsmes, tous les paternalismes et tous les ismes (communisme, islamisme, nationalisme, capitalisme, libéralisme...). Elle fait face à tous les systèmes, toutes les formes d’aliénation, d’hégémonie et d’assimilation. Elle réinvente la liberté, une liberté au-delà de celle préconisée par les révolutions précédentes. Elle se veut plus proche de la révolution américaine qui donne à l’individu plus de liberté, d’égalité et de bonheur que celle des Français.

Un mois auparavant, les mots qu’elle a libérés semblaient imprononçables, les idées qu’elle déchaîne inconcevables. "Cet instant où le contact s’établit, cette synapse libératrice, ce spasme au cours duquel la pensée se rue à travers le bon fusible : il n’y a pas de plaisir plus enivrant."

Partout, où la révolution se meut, à Tala, Gafsa, Béja, Hay Ettadhamen, les révolutionnaires autrefois craintifs, lâches et inutiles, clament leur pouvoir légitime de façonner l’agora, d’imposer leur manière de voir, de choisir le terrain sur lequel les différentes approches de la chose publique vont se disputer et de fixer le temps et l’agenda des initiatives à venir.

Ils ne veulent plus du pouvoir de nomination, ce pouvoir quasi-divin. Le peuple veut se le
réapproprier. Gouverneurs, préfets, policiers (au fait tous ceux qui portent des armes), proviseurs, PDG et toutes autres responsabilités qui ont un lien de près ou de loin avec leur quotidien ; doivent sortir des urnes. Toute personne qui prétend présider à leurs destinées doit être élue. Le suffrage universel, voilà leur sésame. Plus jamais, un pouvoir fort et concentré entre les mains d’un seul ou d’une clique. Plus jamais un Etat central, une administration verticale. Plus jamais, l’hégémonie de Tunis-capitale. Plus jamais, le protectorat du littoral sur les régions de l’intérieur. Ils veulent avoir pour chaque wilaya, sa propre constitution, son propre parlement, son propre budget, ses propres médias, son autonomie. Ils tiennent à leur utopie et défendent à quiconque de s’y immiscer. "Haut,
les coeurs ! Vas y mon gars ! T’arrête pas ! Plus haut que le ciel ! Allez, partons ! Wheeeee !", crie Simple, l’ingénu de Harlem, frère de lait de Bouazizi, l’ingénu de Sidi Bouzid.

par Taoufik Ben Brik

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