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Un débat avec la gauche communiste conseilliste

28 février 2019, 15:06, par Robert Paris

Pourquoi Lénine devait-il défendre l’idée d’un développement d’un secteur capitaliste d’Etat en Russie ?

Lénine sur la NEP : un recul social provisoire pour éviter une catastrophe plus grande encore

« Ainsi, en 1918, j’étais d’avis que, par rapport à la situation économique de la République des Soviets à l’époque, le capitalisme d’Etat était un pas en avant. Cela paraît très étrange et peut-être même absurde ; car déjà à ce moment notre République était une république socialiste ; nous adoptions alors chaque jour, avec la plus grande précipitation, — précipitation excessive sans doute, — de nouvelles mesures économiques de toute sorte que l’on ne saurait qualifier autrement que de mesures socialistes. Néanmoins, je pensais que, compte tenu de la situation économique qui était à l’époque celle de la République des Soviets, le capitalisme d’Etat était un pas en avant. Et pour expliquer cette pensée, j’ai énuméré simplement les éléments du régime économique de la Russie. Voici quels étaient, selon moi, ces éléments : « 1° la forme patriarcale, c’est-à-dire la forme la plus primitive de l’agriculture ; 2° la petite production marchande (ici se classe également la majorité des paysans qui vendent du blé) ; 3° le capitalisme privé ; 4° le capitalisme d’Etat et 5° le socialisme. » Tous ces éléments économiques existaient dans la Russie de ce temps. Je m’étais assigné pour tâche d’élucider leurs rapports, et je me demandais s’il ne convenait pas de considérer l’un des éléments non socialistes, en l’espèce le capitalisme d’Etat, comme supérieur au socialisme. Je le répète : cela paraît fort étrange à tous de voir que dans une République qui se proclame socialiste, un élément non socialiste soit considéré comme supérieur, comme placé au-dessus du socialisme. Mais la chose devient compréhensible, si vous vous rappelez que nous ne considérions nullement le régime économique de la Russie comme un système homogène et hautement évolué ; nous nous rendions entièrement compte qu’en Russie l’agriculture patriarcale, c’est-à-dire la forme la plus primitive de l’agriculture, existait à côté de la forme socialiste. Quel rôle pouvait donc jouer le capitalisme d’Etat dans ces conditions ? Je me demandais ensuite : lequel de ces éléments prédomine ? Il est clair que dans un milieu petit-bourgeois, c’est l’élément petit-bourgeois qui domine. Je me rendais compte alors que ce dernier prédominait ; il était impossible de penser autrement. La question que je me posais — au cours d’une polémique qui n’a rien à voir avec la question que nous sommes en train d’examiner, — était celle-ci : quelle est notre attitude à l’égard du capitalisme d’Etat ? Et je me suis fait cette réponse : le capitalisme d’Etat, sans être une forme socialiste, serait pour nous et pour la Russie une forme plus favorable que celle d’aujourd’hui. Qu’est-ce à dire ? C’est que, tout en ayant déjà accompli la révolution sociale, nous n’avons surestimé ni les germes ni les principes de l’économie socialiste. Au contraire, déjà à ce moment nous avions conscience, jusqu’à un certain point, de cette vérité : oui, en effet, mieux eût valu passer d’abord par le capitalisme d’Etat pour, ensuite, arriver au socialisme. Il me faut tout spécialement insister sur ce point, car j’estime que c’est seulement en partant de là qu’on peut, d’abord, montrer ce qu’est la politique économique actuelle ; en second lieu, on peut en tirer des conclusions pratiques très importantes aussi pour l’Internationale communiste. Je ne peux pas dire que nous avions déjà un plan de retraite tout prêt. Non, nous ne l’avions pas. Ces quelques lignes écrites à l’occasion d’une polémique n’étaient pas le moins du monde, à ce moment, un plan de retraite. On n’y trouve pas un mot sur un point essentiel, savoir sur la liberté du commerce, qui est d’une importance fondamentale pour le capitalisme d’Etat. Cependant l’idée générale, encore imprécise, de la retraite, y était déjà indiquée. Je pense que nous devons porter là-dessus notre attention non seulement du point de vue d’un pays qui, par son régime économique, était et est encore très arriéré, mais aussi sous l’angle de l’Internationale communiste et des pays avancés de l’Europe occidentale. Ainsi, à l’heure actuelle, nous nous occupons du programme. J’estime, pour ma part, que nous ferions bien mieux, pour le moment, de ne discuter tous les programmes qu’à titre préliminaire, pour ainsi dire en première lecture, et de les faire reproduire tels quels, sans adopter une décision définitive tout de suite, cette année-ci. Pourquoi ? Tout d’abord, selon moi, parce que nous ne les avons guère étudiés à fond, c’est évident. Et puis aussi parce que nous n’avons presque pas réfléchi du tout sur la question d’une retraite éventuelle et des moyens de l’effectuer. Or, c’est là un problème auquel — étant donné les changements radicaux qui s’opèrent dans le monde entier, tels que le renversement du capitalisme et la construction du socialisme avec les immenses difficultés qu’elle comporte — il nous faut absolument porter notre attention. Il ne suffit pas de savoir ce que nous avons à faire quand nous passons directement à l’offensive et que nous remportons la victoire. En période révolutionnaire, cela n’est pas si difficile, ni si important ; du moins, ce n’est pas le plus décisif. Pendant la révolution, il y a toujours des moments où l’adversaire perd la tête, et si nous l’attaquons à un de ces moments, nous pouvons facilement le battre. Mais cela ne veut rien dire encore ; si notre adversaire est suffisamment maître de lui, il peut ramasser ses forces à temps, etc. Dès lors, il peut aisément provoquer une attaque, et puis nous rejeter en arrière pour de longues années. Voilà pourquoi je pense que l’idée que nous devons nous ménager la possibilité d’une retraite a une très grande importance, et non seulement du point de vue théorique. Sur le plan pratique également, tous les partis qui s’apprêtent dans un proche avenir à passer à l’offensive déclarée contre le capitalisme, doivent dès maintenant songer aussi à se ménager une retraite. Je pense que si nous mettons à profit cet enseignement, ainsi que tous les autres fournis par l’expérience de notre révolution, loin de nous porter préjudice, cela nous sera très vraisemblablement utile en maintes occasions. Après avoir souligné que dès 1918 nous envisagions le capitalisme d’Etat comme une ligne de retraite éventuelle, j’en viens aux résultats de notre nouvelle politique économique. Je répète : à ce moment-là, c’était encore une idée très vague ; mais en 1921, après avoir franchi cette étape très importante qu’était la guerre civile, et franchi victorieusement, nous nous sommes heurtés à une grande — je pense, la plus grande — crise politique intérieure de la Russie des Soviets, crise qui a amené le mécontentement d’une partie notable des paysans, et aussi des ouvriers. C’était, dans l’histoire de la Russie des Soviets, la première et, je l’espère, la dernière fois que l’on a vu de grandes masses paysannes se tourner contre nous, instinctivement et non consciemment. Qu’est-ce qui avait provoqué cette situation particulière et, bien entendu, fort désagréable pour nous ? C’est que, dans notre offensive économique, nous avions trop pris les devants, sans nous être assuré une base suffisante : les masses ont senti ce que nous ne savions pas encore formuler pertinemment à l’époque, mais que bientôt, quelques semaines plus tard, à notre tour, nous avons reconnu, savoir : qu’il était au-dessus de nos forces de passer tout de suite aux formes purement socialistes, à la répartition purement socialiste ; et que si nous nous montrions incapables d’opérer la retraite de façon à nous borner à des tâches plus faciles, nous étions menacés de mort. La crise a commencé, je crois, en février 1921. Déjà au printemps de cette même année, nous avons décidé à l’unanimité — je n’ai pas observé de désaccords sensibles entre nous à ce sujet — de passer à la nouvelle politique économique. Aujourd’hui, à la fin de 1922, au bout d’un an et demi, nous pouvons déjà faire quelques comparaisons. Que s’est-il donc passé ? Comment avons-nous vécu cette période de plus de dix-huit mois ? Quel en est le résultat ? Cette retraite nous a-t-elle profité, nous a-t-elle réellement sauvés, ou bien le résultat est-il encore incertain ? Telle est la question principale que je me pose. J’estime qu’elle est d’une importance primordiale aussi pour tous les partis communistes. Car, si la réponse était négative, nous serions tous condamnés à périr. J ’estime que nous pouvons tous répondre, la conscience tranquille, par l’affirmative, notamment en ce sens que les dix-huit mois écoulés prouvent, positivement et absolument, que nous avons triomphé de cette épreuve. »

Lénine dans « Cinq ans de révolution russe et les perspectives de la révolution mondiale »

Rapport présenté au IVe congrès de l’Internationale Communiste, le 13 novembre 1922

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