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Le zèbre sans rayures est-il noir ou blanc ? Au fait, pourquoi a-t-il ces rayures ?

3 octobre 2017, 08:58

Stephen Jay Gould dans « Quand les poules auront des dents » :

« Le zèbre est-il un animal blanc avec des raies noires ou un animal noir avec des raies blanches ? J’ai appris jadis que le ventre blanc du zèbre avait tranché en faveur de raies noires sur un torse blanc. Mais pour illustrer une fois de plus que les « faits » sont indissociables de leur contexte culturel, j’ai récemment découvert que la plupart des peuples africains estiment que les zèbres sont des animaux noirs avec des raies blanches… Les trois espèces de zèbres existantes ne constituent peut-être pas un groupe des plus étroitement apparentés – les raies ont pu apparaître à diverses reprises au cours de l’évolution, ou bien elles représentent un dessin ancestral qui figurait chez les aïeux communs aux vrais chevaux et aux zèbres… J.BL. Bard, un embryologiste d’Edimbourg, s’est récemment penché sur les raies des zèbres dans le contexte plus élargi de modèles rendant compte des couleurs chez tous les mammifères. Il a décelé une unité de développement sous les divers dessins de zèbres et a même proposé, inter alia, une réponse au grand problème du noir et du blanc, qui penche en faveur de la thèse africaine… L’hypothèse de Bard, qui propose « une unité sous-jacente aux différentes modalités de rayures chez les zèbres », reprend l’idée de D’Arcy Thompson, à savoir un motif de base subissant des étirements et des déformations diverses du fait des forces variées à l’œuvre durant la croissance embryonnaire. Ces forces variées apparaissent parce que le motif de base se développe à des moments différents de l’embryogenèse chez les trois espèces. Bard combine ainsi la notion de coordonnées transformées et l’idée qu’une évolution importante peut procéder par des changements intervenant dans la chronologie du développement… Les trois espèces de zèbres diffèrent à la fois par le nombre et par la configuration des bandes. Dans l’hypothèse de Bard, ces variations complexes apparaissent seulement parce que le même motif de base – des raies parallèles régulièrement espacées – est mis en place durant la cinquième semaine du développement embryonnaire chez une des espèces, pendant la quatrième chez une autre, et pendant la troisième semaine chez la troisième. Etant donné que l’embryon subit des transformations de forme complexe au cours de ces semaines, le dessin de base subit des étirements et des déformations multiples, qui entraînent toutes ces importantes différences de rayures à l’âge adulte… Le zèbre de Grevy (equus grevyi) a des raies nombreuses, fines, élémentaires et parallèles dans ses régions postérieures. Selon le modèle de Bard, ses raies ont dû se former quand la partie postérieure de l’embryon était relativement développée. Plus la partie en question est développée, plus elle reçoit de raies, puisque celles-ci présentent au départ un même format et un même espacement… Le zèbre de montagne, Equus zebra, ressemble beaucoup à E. grevyi, jusqu’au niveau de l’arrière-train où trois larges raies remplacent les nombreuses raies fines du zèbre de Grevy. Des raies larges chez l’adulte indiquent que celles-ci se sont formées au départ sur un petit fragment d’embryon (où ne pouvaient figurer que peu de raies) et que ce fragment s’est ensuite développé rapidement (les raies s’élargissant en même temps que la région en question). Si un embryon forme des raies pendant la quatrième semaine, juste avant le développement ultérieur qui donne suffisamment de place aux nombreuses raies fines du zèbre de Grevy, il mettra en place le dessin caractéristique du zèbre de montagne pendant la suite de son développement embryonnaire. Le zèbre de Burchell, Equus burchelli, ne présente lui aussi que quelques larges raies sur l’arrière-train. Mais, alors que le zèbre de montagne a des raies fines sur la plus grande partie de son dos et des raies larges sur l’arrière-train seulement, les riaes larges du zèbre de Burchell partent du milieu du ventre et s’étendent sur tout l’arrière-train. Ce motif indique que les raies ont commencé à se déformer au cours de la troisième semaine du développement embryonnaire. A ce stade primitif, l’embryon présente un dos court et compact, qui se développe par la suite vers l’arrière en formant une large courbe connexe, tandis que le ventre reste plus court. Une raie qui, au départ, allait verticalement du ventre à la colonne vertébrale sera ainsi tirée vers l’arrière, tandis que la surface supérieure de l’embryon se développera moins. Une raie adulte, soumise à une déformation de ce genre pendant sa vie embryonnaire, sera large et ira du ventre jusqu’à l’arrière-train – comme celle chez le zèbre de Burchell. Bard explique ainsi que les différences existant entre les raies postérieures des trois espèces, en tant que résultat de la déformation d’un même motif initial intervenant à des moments différents du développement embryonnaire normal. Hypothèse que vient étayer de façon frappante une autre donnée : le nombre de raies lui-même. Rappelez-vous que Bard estime que les raies, lorsqu’elles se forment, ont le même format et le même espacement. Donc plus l’embryon est grand quand les raies se forment, plus ces raies sont nombreuses. Le zèbre de Grevy, dont les raies se forment probablement alors qu’il est un embryon de cinq semaines mesurant environ trente-deux centimètres, présente quelques quatre-vingt raies à l’âge adulte – soit des raies de 0,4 millimètres. Le zèbre de montagne, avec un embryon de quatre semaines mesurant environ de quatorze à dix-neuf millimètres, compte environ quarante-trois raies – soit de nouveau 0,4 millimètres par raie. Le zèbre de Burchell a de vingt-cinq à trente raies ; si elles se forment chez un embryon de trois semaines mesurant environ onze centimètres de long, nous obtenons la même valeur de 0,4 millimètres environ par raie… Darwin consacra une partie du chapitre 5 de son « Origine des espèces » à un répertoire exhaustif de l’apparition occasionnelle des raies chez d’autres chevaux. L’âne, constatait-il, présente souvent sur les pattes, « des raies transversales très distinctes, semblables à celles qui se trouvent sur les pattes du zèbre ». Les vrais chevaux ont souvent une raie dorsale, et certains ont aussi des raies transversales sur les jambes. Darwin observa un poney gallois portant trois raies parallèles sur chaque épaule. Et il nota que les hybrides (n’ayant pas de parents zèbres) sont souvent très fortement rayés – exemple d’une observation courante et pourtant mystérieuse, à savoir que les hybrides présentent souvent des réminiscences ancestrales qui n’existent chez aucun des parents… Au fait, c’est quoi, un zèbre ? J’ai émis l’hypothèse que les zèbres ne forment peut-être pas un groupe étroitement apparenté, mais un ensemble de chevaux différents qui ont indépendamment mis en place des raies lors de leur apparition, ou qui les ont héritées d’un ancêtre commun (alors que les ânes et les vrais chevaux les ont perdues)… Enfin, Bard propose une solution au dilemme primordial en affirmant que, tout compte fait, les zèbres sont des animaux noirs avec des raies blanches. Le ventre blanc, souligne-t-il, est un argument faible : beaucoup de mammifères entièrement colorés ont le dessous du corps blanc. L’apparition de la couleur peut, d’une façon générale, être inhibée dans cette région du corps pour des raisons encore inconnues. Les couleurs des mammifères ne sont pas apposées sur un fond blanc. Le problème essentiel peut donc être formulé autrement : les raies résultent-elles d’une inhibition de la mélanine ou d’un dépôt de celle-ci ? Dans le premier cas, les zèbres sont noirs ; dans le second, ils sont blancs avec des raies noires… Bard a découvert un zèbre anormal dont les « raies » sont des lignes de points et de taches discontinues plutôt que des raies cohérentes de couleur. Les points et les tâches sont blancs sur fond noir. « On ne peut comprendre ce motif, écrit Bard, qu’en admettant que les raies blanches ne se sont pas correctement formées et que ce « manque » de couleur apparaît comme noir. Le rôle du mécanisme responsable des raies est donc d’inhiber la formation du pigment naturel plutôt que de la stimuler. » Autrement dit, le zèbre est un animal noir à raies blanches. »

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