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Quand Staline s’attaquait à la perspective internationale et prolétarienne de Lénine

29 octobre 2018, 07:18

Trotsky, Journal d’exil 18 février :

« En 1926, quand Zinoviev et Kamenev, après trois ans et plus de complots avec Staline contre moi, se joignirent à l’opposition, ils me donnèrent une série d’avertissements non superflus.

– Vous croyez que Staline en est à réfléchir aux arguments qu’il pourrait vous opposer ? – me disait par exemple Kamenev à propos de la critique que je faisais de la politique Staline-Boukharine-Molotov en Chine, en Angleterre et ailleurs. – Vous vous trompez. Il réfléchit aux moyens de vous anéantir.

– ?

– Moralement, et si possible même physiquement. Calomnier, fabriquer une conjuration militaire, et puis, quand le terrain sera préparé, arranger un acte terroriste. Staline mène la guerre sur un autre plan que vous. Vos armes sont sans effet contre lui.

Une autre fois le même Kamenev me dit : " Je ne le connais (Staline) que trop bien du temps du travail d’autrefois, de la déportation en commun, de la collaboration au sein de la " troïka ". Dès que nous eûmes rompu avec Staline, nous rédigeâmes, Zinoviev et moi, quelque chose comme un testament, où nous faisions savoir d’avance qu’au cas où il nous arriverait " accidentellement " malheur, il conviendrait d’en tenir pour responsable Staline. Ce document est conservé en lieu sûr. Je vous conseille d’en faire autant. "

Zinoviev me dit, non sans embarras : " Vous croyez que Staline n’a pas discuté la question de votre suppression physique ? Il l’a bel et bien examinée et discutée. Il a toujours été arrêté par une seule et même idée : que la jeunesse ferait retomber sur lui personnellement la responsabilité, et répliquerait par des actes terroristes. C’est pourquoi il tenait pour indispensable de disperser les cadres de la jeunesse d’opposition. Mais chose ajournée n’est pas chose abandonnée... Prenez les précautions nécessaires. "

Kamenev avait indubitablement raison quand il disait que Staline (de même d’ailleurs que lui-même et Zinoviev dans la période précédente) menait la lutte sur un autre plan et avec d’autres armes. Mais la possibilité même d’une telle lutte était créée par le fait qu’avait fini par se constituer un milieu de bureaucratie soviétique tout à fait particulier et indépendant. Staline menait la lutte pour la concentration du pouvoir aux mains de la bureaucratie et pour en évincer l’opposition ; tandis que nous, nous menions la lutte pour les intérêts de la révolution internationale, nous dressant ainsi contre le conservatisme de la bureaucratie, contre ses aspirations à la tranquillité, à la satisfaction, au confort. Etant donné le déclin prolongé de la révolution mondiale, la victoire de la bureaucratie, et par conséquent de Staline, était déterminée d’avance. Le résultat que les badauds et les sots attribuent à la force personnelle de Staline, ou tout au moins à son extraordinaire habileté, était profondément enraciné dans la dynamique des forces historiques. Staline n’a été que l’expression à demi inconsciente du chapitre deux de la révolution, son lendemain d’ivresse.

Au temps de notre séjour à Alma-Ata (Asie centrale) j’eus la visite, un jour, d’un certain ingénieur soviétique, venu, à l’en croire, de sa propre initiative et, toujours à l’en croire, sympathisant avec moi. Il s’enquit de nos conditions de vie, en manifesta du chagrin, et comme en passant, très prudemment, demanda : " Ne croyez-vous pas qu’on pourrait faire quelque chose pour une réconciliation ? " Il était clair que cet ingénieur avait été envoyé pour tâter le pouls. Je lui répondis en substance que de réconciliation il ne pouvait être question pour le moment : non pas parce que je ne la voulais pas, mais parce que Staline ne pouvait pas se réconcilier, il était forcé d’aller jusqu’au bout dans la voie où l’avait engagé la bureaucratie. – Et par quoi cela peut-il finir ? – Par du sang, répondis-je : pas d’autre fin possible pour Staline. – Mon visiteur eut un haut-le-corps, il n’attendait manifestement pas pareille réponse, et ne tarda pas à se retirer.

Je crois bien que cette conversation joua un grand rôle dans la décision qui fut prise de m’exiler. Peut-être bien Staline avait-il déjà indiqué antérieurement cette issue, mais il avait rencontré de l’opposition au Politburo. Il avait maintenant un argument de poids : T. lui-même avait déclaré que le dénouement du conflit serait sanglant. L’exil était la seule issue !

Les motifs que Staline invoqua en faveur de l’exil ont été naguère publiés par moi dans le Bulletin de l’Opposition russe.

Mais comment Staline ne fut-il pas arrêté par le souci du Komintern ? Il n’est pas douteux qu’il sous-estima ce danger. L’idée de force est pour lui indissolublement liée à l’idée d’appareil. Il n’entra en polémique ouverte que lorsque le dernier mot lui fut assuré d’avance. Kamenev disait la vérité : il mène la lutte sur un autre plan. Et c’est la raison pour laquelle il sous-estima le plan de la pure lutte d’idées. »

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