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Quand Staline s’attaquait à la perspective internationale et prolétarienne de Lénine

11 août 2017, 12:43

En réalité, la nouvelle théorie cherchait à imposer à la conscience sociale un système d’idées plus concret : la révolution est définitivement achevée ; les contradictions sociales ne feront plus que s’atténuer progressivement ; le paysan riche sera peu à peu assimilé par le socialisme ; l’évolution, dans son ensemble, indépendamment des événements extérieurs, demeurera régulière et pacifique. Boukharine, qui tenta de fonder la nouvelle théorie, proclama, comme étant irréfutablement prouvé : « Les différences de classes dans notre pays ou notre technique arriérée ne nous mèneront pas à notre perte ; nous pouvons bâtir le socialisme sur cette base de misère technique elle-même ; la croissance de ce socialisme sera très lente, nous avancerons à pas de tortue, mais nous construirons le socialisme et nous en achèverons la construction... » Ecartons l’idée du « socialisme à construire même sur une base de misère technique » et rappelons une fois de plus la géniale prédiction de Marx qui nous apprend qu’avec une faible base technique « on ne socialise que le besoin, la pénurie devant entraîner des compétitions pour les articles nécessaires et ramener tout l’ancien fatras... »

L’opposition de gauche proposa en avril 1926, à une assemblée plénière du comité central, l’amendement suivant à la théorie du pas de tortue : « Il serait radicalement erroné de croire qu’on peut s’acheminer vers le socialisme à une allure arbitrairement décidée quand on se trouve entouré par le capitalisme. La progression vers le socialisme ne sera assurée que si la distance séparant notre industrie de l’industrie capitaliste avancée... diminue manifestement et concrètement au lieu de grandir. » Staline vit à bon droit dans cet amendement une attaque « masquée » contre la théorie du socialisme dans un seul pays et refusa catégoriquement de rattacher l’allure de l’édification à l’intérieur aux conditions internationales. Le compte rendu sténographique des débats donne sa réponse en ces termes :« Quiconque fait intervenir ici le facteur international ne comprend pas même comment se pose la question et brouille toutes les notions, soit par incompréhension, soit par désir conscient d’y semer la confusion. »L’amendement de l’opposition fut repoussé.

L’illusion du socialisme se construisant tout doucement – à pas de tortue – sur une base de misère, entouré de puissants ennemis, ne résista pas longtemps aux coups de la critique. En novembre de la même année, la XVe conférence du parti, sans la moindre préparation dans la presse, reconnut nécessaire de « rattraper dans un délai historique représentant un minimum relatif [?] et ensuite de dépasser le niveau industriel des pays capitalistes avancés ». C’était « dépasser » en tout cas l’opposition de gauche. Mais tout en donnant le mot d’ordre de « rattraper et dépasser » le monde entier « dans un délai minimum relatif », les théoriciens qui préconisaient la veille la lenteur de la tortue devenaient les prisonniers du « facteur international » dont la bureaucratie éprouve une crainte si superstitieuse. Et la première version, la plus nette, de la théorie stalinienne se trouva liquidée en huit mois.

Le socialisme devra inéluctablement « dépasser » le capitalisme dans tous les domaines, écrivait l’opposition de gauche dans un document illégalement répandu en mars 1927, « mais il s’agit en ce moment, non des rapports du socialisme avec le capitalisme en général, mais du développement économique de l’URSS par rapport à celui de l’Allemagne, de l’Angleterre et des Etats-Unis. Que faut-il entendre par un délai historique minimum ? Nous resterons loin du niveau des pays avancés d’Occident au cours des prochaines périodes quinquennales. Que se passera-t-il pendant ce temps dans le monde capitaliste ? Si l’on admet qu’il puisse encore connaître une nouvelle période de prospérité appelée à durer des dizaines d’années, parler de socialisme dans notre pays arriéré sera d’une triste platitude ; il faudra reconnaître alors que nous nous sommes trompés du tout au tout en jugeant notre époque comme étant celle du pourrissement du capitalisme ; la République des Soviets serait en ce cas la deuxième expérience de la dictature du prolétariat, plus large et plus féconde que celle de la Commune de Paris mais rien qu’une expérience... Avons-nous cependant des raisons sérieuses de réviser aussi résolument les valeurs de notre époque et le sens de la révolution d’Octobre conçue comme un chaînon de la révolution internationale ? Non. Achevant, dans une mesure plus ou moins large, leur période de reconstruction (après la guerre), les pays capitalistes se retrouvent en présence de toutes leurs anciennes contradictions intérieures et internationales mais élargies et de beaucoup aggravées. Et telle est la base de la révolution prolétarienne. C’est un fait que nous bâtissons le socialisme. Le tout étant plus grand que la partie, c’est un fait encore plus certain que la révolution se prépare en Europe et dans le monde. La partie ne pourra vaincre qu’avec le tout... Le prolétariat européen a besoin de beaucoup de moins de temps pour monter à l’assaut du pouvoir qu’il ne nous en faut pour l’emporter au point de vue technique sur l’Europe et l’Amérique... Nous devons dans l’intervalle amoindrir systématiquement l’écart entre le rendement du travail chez nous et ailleurs. Plus nous progresserons et moins nous serons menacés par l’intervention possible des bas prix et par conséquent par l’intervention armée... Plus nous améliorerons les conditions d’existence des ouvriers et des paysans et plus sûrement nous hâterons la révolution prolétarienne en Europe ; et plus vite cette révolution nous enrichira de la technique mondiale et plus assurée, plus complète sera notre édification socialiste, élément de celle de l’Europe et du monde ». Ce document, comme bien d’autres, resta sans réponse, à moins qu’il ne faille considérer comme des réponses les exclusions du parti et les arrestations.

Trotsky

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