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Le faux socialisme algérien ou l’Etat bourgeois dictatorial sans bourgeoisie

29 décembre 2009, 21:54, par Toto

Récit d’un pronunciamento appelé "redressement révolutionnaire" : 19 juin 1965 : le pouvoir militaire se dévoile

La matinée du 19 juin 1965 aurait pu être annonciatrice d’un jour parmi tant d’autres sous le ciel bleu et clair d’Alger. Mais l’histoire a voulu marquer cette journée comme celle ayant vu déchoir un pouvoir personnel à l’arrière-fond militaire au profit d’un pouvoir franchement militaire. Houari Boumediene vient d’accéder à la plus haute fonction de l’Etat en opérant un coup d’Etat nocturne contre ce même Ahmed Ben Bella qu’il aida à s’emparer du pouvoir trois ans auparavant.

Boumediène et son groupe de putschistes ont baptisé ce jour “Le redressement révolutionnaire”. Le pronunciamiento de Boumediène avait pour objectif affiché de mettre un terme “aux intrigues et à l’affrontement des tendances et des clans”, et de dénoncer “le narcissisme politique”, “le socialisme publicitaire” de Ben Bella, comme souligné dans son communiqué-programme annoncé par la radio le 19 juin. Mais l’ouvrage cachait bien plus qu’un geste de sursaut patriotique émanant du ministre de la Défense. La raison du clan l’avait emporté sur la raison d’Etat déjà en ce fameux été 1962, et le coup de force de 1965 n’a fait que confirmer la volonté de l’armée d’avoir la manivelle du pouvoir en main.

Ben Bella : Hissé par les blindés, déchu par les blindés

A peine sortie du joug colonial, l’Algérie est passée d’un Césarisme à un autre, fardée de slogans aussi ambigus que dénués d’assise populaire. Le jeu se passait en haut lieu et le peuple exhiba un silence indifférent face à ce changement qui n’en n’était pas réellement un. La raison qui a lié Ben Bella à l’état-major général de l’ALN et le groupe d’Oujda en 1962, est la même raison qui a justifié le coup d’Etat de 1965, c’est-à-dire le pouvoir. Après s’être assuré mainmise sur l’appareil de l’Etat, et comptant sur son aura et ses amitiés trop affichées avec Gamel Abdelnasser, Ben Bella se complaisait dans son rôle de chef et il comptait le rester encore longtemps. Le clan d’Oujda sur lequel il s’est appuyé pour accéder au pouvoir commençait à devenir une source de gêne pour son ambition de tout contrôler dans les affaires de l’Etat.

Il s’en prit alors à ses ministres du groupe d’Oujda, en les destituant de leurs postes. Il pousse Medeghri à quitter son poste de ministre de l’Intérieur, ainsi que Kaïd Ahmed à renoncer au ministère du Tourisme. Prochaine cible de Ben Bella, Cherif Belkacem, qu’il limogera de son rang de ministre de l’Orientation regroupant sous son aile l’Information, l’Education nationale et la Jeunesse. Ben Bella qui était président de la République, chef de gouvernement, et secrétaire général du FLN, élargit ses prérogatives en décembre 1964 en s’appropriant les portefeuilles de l’Intérieur, de l’Information et des Finances. Le 28 mai 1965, Ahmed Ben Bella s’attaque à l’autre membre du clan d’Oujda, Abdelaziz Bouteflika, à qui il ôta le portefeuille des Affaires étrangères à la veille de la Conférence Afro-asiatique qui devait se tenir à Alger fin juin de la même année. Bouteflika alerta Boumediène.

Ce dernier qui était ministre de la Défense et vice-président de la République accuse, à son tour, la nomination à son insu de Tahar Zbiri comme chef de l’état-major. Sentant la menace de Ben Bella s’agrandir et se confirmer, Boumediène décide de passer à l’action. Il convoque ses compagnons du groupe d’Oujda ainsi que ceux du groupe de Constantine qui étaient Tahar Zbiri, Saïd Abid, Ahmed Draïa, Salah Soufi et Abdelaziz Zerdani. Le consensus pour le renversement de Ben Bella est atteint. Au-delà de la menace sur le groupe d’Oujda, ce que ce dernier craignait, c’était le rapprochement opéré entre Ben Bella et le Front des forces socialistes (FFS) à travers l’accord signé le 16 juin 1965. Hocine Aït Ahmed est arrêté le 17 octobre 1964 suite au mouvement insurrectionnel initié en 1963 en Kabylie contre le pouvoir de Ben Bella.

Le procès d’Aït Ahmed se déroule du 7 au 10 avril 1965, il est condamné à mort, puis gracié le 12, mais demeure en prison. Boumediène voit dans la signature du communiqué commun Ben Bella-Aït Ahmed, une possible alliance de Ben Bella avec les Kabyles au détriment de son clan. Ceci précipita le passage à l’acte.

« Ne perdons pas de temps, tu es arrêté par le Conseil de la Révolution »

C’est le chef d’état-major fraîchement désigné par Ben Bella, Tahar Zbiri, qui mit à exécution l’ordre de destitution du premier président de la République, accompagné d’Ahmed Draïa, directeur de la Sûreté et choisi aussi par Ben Bella pour commander sa garde prétorienne des compagnies nationales de sécurité, et de Saïd Abid, commandant la 1re Région Militaire du Grand-Alger. “Ecoute, ne perdons pas de temps, habille-toi. Tu es arrêté par le Conseil de la Révolution.” C’est cette petite phrase sortie de la bouche de Zbiri qui signa la fin du règne de Ben Bella. Le même Zbiri qui tenta un coup d’Etat en 1967 contre Boumediène l’accusant d’avoir adopté les mêmes travers de gouvernance de Ben Bella.

C’était le 19 juin à 1h30 du matin, la nuit se préparait à céder à un lendemain incertain. Ben Bella est sorti du lit par le cri de sa servante. Il s’attendait à tout sauf à un coup d’Etat, il avait tout prévu pour s’en prémunir. Lorsque Zbiri lui intime l’ordre de s’habiller, Ben Bella tente de faire appel à leur amitié passée : “Je t’ai toujours fait confiance”, lui dit-il. Tahar Zbiri réplique sèchement : “Dépêche-toi, la comédie est terminée.” Ben Bella regarde tour à tour son chef d’état-major et son chef de la sécurité, en se demandant où il a bien pu faillir.

Des tirs se font entendre à quelques encablures de la villa Joly. L’installation de la police judicaire à Hydra est attaquée, une compagnie de la Garde nationale faisait de la résistance. Zbiri se presse d’embarquer son prisonnier qui lui dit : “je suis prêt”. En quelques minutes, Ben Bella n’est plus Président. Le convoi prend sa direction vers une caserne à El Harrach, Tahar Zbiri, lui, se dirige vers le ministère de la Défense pour informer Boumediène que “la mission est accomplie”. Boumediène est entouré de ses fidèles, Medeghri, Bouteflika et Chérif Belkacem. A 3h du matin, Boumediène décide de prévenir tout le monde : Bachir Boumaza et Ali Mahsas, Omar Oussedik, le Commandant Azzedine, Mohand Ouelhadj, Ferhat Abbas, Khider, Boussouf et Boudiaf. Le nouveau Conseil de la Révolution en appelle aux ralliements, à commencer par les ambassadeurs en exercice.

Outre Ben Bella, la “mission” comportait aussi l’arrestation de ses proches. Ainsi, le ministre de la Santé, M. Nekkache, est arrêté après avoir reçu trois balles dans la poitrine. L’autre fidèle de Ben Bella, Hadj Ben Allah, est mis aux arrêts, ainsi que le directeur de la police judiciaire Hamadache et enfin le ministre des Affaires arabes et ancien chef de cabinet de Ben Bella, Abdelahram Chérif. Les mêmes blindés qui ont porté Ben Bella à la tête du pouvoir, viennent de l’emporter en prison. Ces mêmes blindés ont envahi la capitale.

Les Algérois pensaient qu’il s’agissait du tournage du film La Bataille d’Alger, de Gillo Pontecorvo. A 12h05, la radio fait l’annonce du “redressement révolutionnaire” et la création du Conseil de la Révolution. Boumediène apparaît à la télévision pour jeter l’invective sur Ben Bella et promettre d’en finir avec le pouvoir personnel et la privatisation de l’Etat. Treize années durant, Boumediène se confondra à son tour avec l’Etat.

Par N. B.

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