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Bergson ou le vide philosophique français

31 mai 2017, 08:18, par Robert Paris

Passons à Bergson sur le mouvement…

« Tout mouvement, en tant que passage d’un repos à un repos, est absolument indivisible. Il ne s’agit pas ici d’une hypothèse, mais d’un fait, qu’une hypothèse recouvre généralement. »

Bergson, Matière et Mémoire
Bergson s’est ici bien éloigné des intuitions géniales de Lucrèce :

« Si tu penses que les atomes, principes des choses, peuvent trouver le repos et dans ce repos engendrer toujours d’autres mouvements, tu te trompes et t’égares loin de la vérité. [...] il ne peut y avoir aucun repos pour les atomes à travers le vide immense ; au contraire agités d’un mouvement continuel et divers, ils se heurtent, puis rebondissent, les uns à grande distance, les autres faiblement, et s’éloignent peu. (...) Ne sois pas surpris, à ce propos, que malgré le mouvement incessant de tous les atomes, l’univers cependant paraisse immobile dans un repos total, à l’exception des corps qui ont un mouvement propre. C’est que ces éléments échappent de beaucoup à la portée de nos sens ; puisqu’ils sont déjà invisibles par eux-mêmes, comment ne nous déroberaient-ils pas leur mobilité ? »

Mais Bergson s’éloigne aussi des physiciens.

« Quelques siècles avant Einstein, Galilée avait découvert l’unification du repos avec le mouvement uniforme (en ligne droite à vitesse constante). »écrit le physicien Lee Smolin dans « Rien ne va plus en physique ».

« Le repos apparent n’est qu’une illusion due à l’imperfection de nos sens, et correspond, en réalité, à un certain régime permanent de violente agitation désordonnée. » écrit Perrin dans « Les atomes ».

La notion classique de mouvement, s’opposant diamétralement à l’état de repos, a déjà été mise en échec dans l’antiquité par Zénon…

Zénon prend un objet au repos et qui va entrer, de la manière et pour la raison que vous voulez, en mouvement à un instant donné. Son problème n’est pas dans la manière d’entrer en mouvement mais dans la notion même de passage du repos au mouvement au cours du temps….

Il prend tout simplement un objet immobile qui, à un moment donné, va se mettre à se déplacer à une vitesse constante.

Par exemple, si, jusqu’à trois heures, le corps est au repos et que c’est là qu’il entre en mouvement, Zénon s’interroge : à trois heures, on peut supposer qu’il est au repos et à trois heures dix on est sûrs qu’il est à sa vitesse V qu’il ne va plus quitter. Mais à trois heures cinq, il est aussi à vitesse V puisque, dès qu’il démarre il est à vitesse V. Mais à trois heures deux ? A trois heures une minute ? Mais à trois heures et une seconde ? Il est encore à vitesse V. A trois heures et un milliardième de seconde, il est à vitesse V. Si on peut diminuer le temps ainsi à l’infini, si l’infiniment petit du temps existe, si le temps s’écoule continûment comme on le croit couramment, un instant aussi prêt que l’on veut de trois heures, il sera déjà à la vitesse V. A la limite, à trois heures, il est déjà à la vitesse V ! Mais à trois heures pile, on a dit qu’il était à la vitesse zéro donc il est à la fois mobile et au repos. Sa situation instantanée est à la fois immobilité et mouvement. Il n’y a pas d’erreur ni de tromperie. C’est simplement que l’état instantané ne peut pas indiquer un mouvement….

Le paradoxe de Zénon de la flèche, mobile ou au repos heurte l’idée que toute chose est soit au repos soit en mouvement. Au repos, elle n’occupe que sa dimension quand elle est immobile. Mais en un instant, elle est toujours immobile et dans l’instant suivant aussi et ainsi de suite alors elle est toujours immobile si la durée est la somme des instants.

Il y a une dialectique du repos et du mouvement comme l’avait déjà compris Platon : « Il y a cette étrange entité de l’instant qui se place entre le mouvement et le repos, sans être dans aucun temps, et c’est là que vient et de là que part le changement, soit du mouvement au repos, soit du repos au mouvement. »

Diderot, lui, expliquait dans ses « Pricnipes philosophiques sur la matière et le mouvement » que « Je ne sais en quel sens les philosophes ont supposé que la matière était indifférente au mouvement et au repos. Ce qu´il y a de bien certain, c´est que tous les corps gravitent les uns sur les autres, c´est que toutes les particules des corps gravitent les unes sur les autres, c´est que, dans cet univers, tout est en translation ou in nisu, ou en translation et in nisu à la fois. Cette supposition des philosophes ressemble peut-être à celle des géomètres qui admettent des points sans aucune dimension, des lignes sans largeur ni profondeur, des surfaces sans épaisseur ; ou peutêtre parlent-ils du repos relatif d´une masse à une autre. Tout est dans un repos relatif en un vaisseau battu par la tempête. Rien n´y est en un repos absolu, pas même les molécules agrégatives, ni du vaisseau ni des corps qu´il renferme. (…)Voici la vraie différence du repos et du mouvement : c´est que le repos absolu est un concept abstrait qui n´existe point en nature, et que le mouvement est une qualité aussi réelle que la longueur, la largeur et la profondeur. Que m´importe ce qui se passe dans votre tête ? que vous regardiez que la matière comme homogène ou comme hétérogène ? Que m´importe que, faisant abstraction de ses qualités, et ne considérant que son existence, vous la voyiez en repos ? Que m´importe qu´en conséquence vous cherchiez une cause qui la meuve ? Vous ferez de la géométrie et de la métaphysique tant qu´il vous plaira ; mais moi, qui suis physicien et chimiste, qui prends les corps dans la nature et non dans ma tête, je les vois existants, divers, revêtus de propriétés et d´actions, et s´agitant dans l´univers comme dans le laboratoire où une étincelle ne se trouve point à côté de trois molécules combinées de salpêtres, de charbon et de soufre, sans qu´il s´ensuive une explosion nécessaire. »

Avant Zénon, Parménide avait eu l’intuition des contradictions dialectiques de la matière et du mouvement :

« Il apparaît être dans cet état et n’est pas dans cet état. Il est au repos et, au même instant, est en mouvement. Il naît et périt en même temps. Il ne s’altère pas et pourtant il change. Il existe et n’existe pas. Il est simple et multiple, divisible et indivisible, unité et pluralité, localisé et non localisé, en contact et sans contact, à la fois matière et vide, lui-même et autre en même temps, à la fois possédant une taille (étendu) et sans taille (ponctuel), lié au temps et indépendant du temps, à la fois matière et interaction entre matières, à la fois décomposé en parties et non décomposable en parties, simple grandeur et pas simplement descriptible comme nombre, tel est l’univers des masses matérielles. On ne peut le décrire en cachant de telles contradictions insurmontables. »

C’est quand même autre chose que la philosophie de Bergson !!!

Donnons enfin la parole au physicien Michel Cassé dans « Du vide et de la création » :

« L’activité frénétique autour du moindre électron, du moindre proton, nous éloigne à jamais de l’image paisible que la plupart des philosophes attribuent au mot « vide ». (…) Aucune particule, même « au repos », ne jouit de la pleine tranquillité. (…) ce que nous appelons communément « force » est, selon la pensée quantique, un phénomène collectif causé par l’échange d’innombrables particules virtuelles. »

Concluons par Friedrich Engels dans l’ « Anti-Dühring » :

« Tant que nous considérons les choses comme en repos et sans vie, chacune pour soi, l’une à côté de l’autre et l’une après l’autre, nous ne nous heurtons certes à aucune contradiction en elles. Nous trouvons là certaines propriétés qui sont en partie communes, en partie diverses, voire contradictoires l’une à l’autre, mais qui, dans ce cas, sont réparties sur des choses différentes et ne contiennent donc pas en elles-mêmes de contradiction. Dans les limites de ce domaine d’observation, nous nous en tirons avec le mode de pensée courant, le mode métaphysique. Mais il en va tout autrement dès que nous considérons les choses dans leur mouvement, leur changement, leur vie, leur action réciproque l’une sur l’autre. Là nous tombons immédiatement dans des contradictions. Le mouvement lui-même est une contradiction ; déjà, le simple changement mécanique de lieu lui-même ne peut s’accomplir que parce qu’à un seul et même moment, un corps est à la fois dans un lieu et dans un autre lieu, en un seul et même lieu et non en lui. Et c’est dans la façon que cette contradiction a de se poser continuellement et de se résoudre en même temps, que réside précisément le mouvement. Nous avons donc ici une contradiction qui se rencontre objectivement présente et pour ainsi dire en chair et en os dans les choses et les processus eux-mêmes (...)Si le simple changement mécanique de lieu contient déjà en lui-même une contradiction, à plus forte raison les formes supérieures de mouvement de la matière et tout particulièrement la vie organique et son développement. Nous avons vu plus haut que la vie consiste au premier chef précisément en ce qu’un être est à chaque instant le même et pourtant un autre. La vie est donc également une contradiction qui, présente dans les choses et les processus eux-mêmes, se pose et se résout constamment. Et dès que la contradiction cesse, la vie cesse aussi, la mort intervient. De même, nous avons vu que dans le domaine de la pensée également, nous ne pouvons pas échapper aux contradictions et que, par exemple, la contradiction entre l’humaine faculté de connaître intérieurement infinie et son existence réelle dans des hommes qui sont tous limités extérieurement et dont la connaissance est limitée, se résout dans la série des générations, série qui, pour nous, n’a pratiquement pas de fin, - tout au moins dans le progrès sans fin. »

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