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Quand la Mésopotamie démontre que la philosophie antique n’est pas née en Grèce…

28 mai 2016, 18:06, par Robert Paris

Rien que le titre de la version française de l’ouvrage de Kramer, « L’histoire commence à Sumer », titre proposé d’ailleurs par Bottéro lui-même, en dit long : elle suggère que l’ensemble des civilisations du monde auraient été la suite de l’histoire commencée à Sumer, une image complètement fausse.

Un des moyens de mesurer l’importance de ce changement dans les idéologies consiste à remarquer que les premiers dieux sumériens ne sont rien d’autres que des premiers rois mythiques des grandes cités comme le dieu de la lune Nanna qui est présenté comme le roi d’Ur ou Nammu qui est présenté comme le roi d’Ur.

Quant à l’importance du changement radical que représente la naissance de l’Etat dans la philosophie des hommes comme dans le fonctionnement social, Kramer lui-même en a pourtant tout à fait conscience, bien qu’il ait écrit que la philosophie des peuples précédents des sumériens, qu’ils soient sémites ou pas, seraient du même type que celle des Sumériens. Il écrit ainsi dans « L’histoire commence à Sumer » :

« Les citoyens de Lagash avaient une conscience très vive de leurs droits et ils se méfiaient de toute action gouvernementale capable de porter atteinte à la liberté de leurs affaires et de leurs personnes. C’est cette liberté, jugée par eux comme le premier des biens, que les habitants de Lagash avaient perdue, d’après notre vieux document, au cours des années antérieures d’Urukagina. »

Montrons l’existence de Sumériens qui auraient des idéologies pouvant ne pas faire référence aux dieux.

Kramer, qui diffuse pourtant la thèse inverse de Bottéro selon laquelle c’est la religion qui caractérise l’apport sumérien, remarque cependant que le texte des pharmacopées retrouvé dans les ruines Nippur témoigne de l’absence dans la conception de ces pharmaciens et médecins de toute référence à une religion et à des dieux :

« Il est intéressant de remarquer que notre médecin sumérien n’a recours ni aux formules magiques ni aux incantations. Aucun dieu, aucun démon n’est mentionné dans ce texte. Cela ne signifie pas que l’emploi de charmes ou d’exorcismes pour guérir les maladies était inconnu à Sumer, en ce IIIe millénaire avant Jésus-Christ. (…) Il n’en reste que plus remarquable que notre morceau d’argile, la plus vieille « page » du texte médical connue à ce jour, soit tout à fait exempte d’éléments mystiques ou irrationnels. »

Cela sous-entend que des hommes, peut-être des gens cultivés ou aisés comme les médecins ou les pharmaciens, pouvaient avoir compris que la santé des hommes ne dépend pas des dieux ou des prières, mais de l’état matériel du corps qui peut être soigné par des médications issues des plantes ou des roches.

C’est qui extraordinaire, c’est que Kramer a, à la fois, considéré que Sumer avait tout inventé et en même temps il affirme que Sumer n’avait pas de philosophie !!!

Il écrit ainsi dans « L’histoire commence à Sumer » :

« Les Sumériens n’ont pas réussi à élaborer une véritable « philosophie » dans le sens où nous entendons aujourd’hui ce mot. (…) Cependant ils ont réfléchi et spéculé sur la nature de l’univers, sur son origine et plus encore sur son organisation et sur son mode de fonctionnement. On a des bonnes raisons de supposer qu’au cours du IIIé millénaire avant Jésus-Christ apparut un groupe de penseurs et de professeurs qui, pour répondre à ces problèmes, avaient mis au point une cosmologie et une théologie si intelligents et si convaincants qu’elles firent autorité dans une grande partie du Proche-Orient ancien. »

Alors pourquoi affirmer que les Supériens n’avaient pas de véritable philosophie ?

Kramer répond :

« Presque toutes nos informations concernant la pensée philosophique et théologique des Sumériens doivent être dénichées ça et là dans les œuvres littéraires, en particulier les mythes, les contes épiques et les hymnes et rassemblées en doctrine cohérente. »

Le fait que nous devions nous-mêmes regrouper l’ensemble des textes pour y retrouver le point de vue philosophique des Sumériens n’empêche nullement de leur attribuer une capacité théorique, abstraite, conceptualisante puisque Kramer lui-même écrit ensuite, dans le même ouvage :

« Les penseurs sumériens, au moins les plus évolués et les plus réfléchis d’entre eux, étaient certainement capables de penser avec logique et cohérence n’importe quel problème, y compris ceux ayant trait à l’origine et au fonctionnement de l’univers. »

Y a-t-il des raisons de penser qu’il y avait déjà des langues avant le sumérien ?

L’époque avant les Sumeriens est évoquée par exemple dans le texte intitulé « Enmerkar ou le seigneur d’Aratta » (cité par Kramer) :

« Autrefois, il fut un temps où le pays de Shubur et de Hamazi, Sumer où se parlent tant de langues (…) »

Cela sous-entend de nombreuses langues parlées dans les régions de l’Iran (Shubur et Hamazi) ou de l’Irak (Sumer). Mais y avait-il aussi des langues écrites ?

Voici par exemple une preuve que les écrits pouvaient ne pas être sumériens ; c’est un texte de remarques des scribes cité par Kramer :

« Un scribe qui ne sait pas le Sumérien, quel genre de scribe est-ce là ? »

Cela signifie non seulement qu’un bon scribe devrait savoir écrire le sumérien mais aussi qu’il serait possible qu’un scribe écrive sans le connaître, ce qui suppose d’autres sortes d’écrits ?

Y a-t-il des langues qui pourraient avoir été écrites avant celle des Sumériens ?

Il y a de nombreux candidats. En particulier, les langues élamite, harti, hurrite, urartéenne, marashite, anshanite, akkadienne, subartienne, shamite, etc.

Des grandes philosophies pré-sumériennes ont été retrouvées, en particulier dans les vestiges de haute Mésopotamie, près de Urfa. C’est là et non à Sumer qu’a été retrouvée la première religion de l’histoire et si c’est très loin du sud mésopotamien, c’est par contre dans une zone du croissant fertile, proche du lancement de l’agriculture, de la découverte de la culture des buissons de sémites ou semsem, l’origine historique des plantes fournissant du gras.

Kramer et Bottéro ont été amenés à relier Sumer aux origines de la culture occidentale mais on trouve dans leurs écrits des éléments qui montrent que cette vision est erronée et qu’il n’existe pas d’unicité de la ligne directrice de la civilisation ni de progression linéaire et continue de celle-ci. Par exemple, Kramer écrit dans « L’histoire commence à Sumer » :

« Depuis cent ans, les fouilles exécutées au Moyen-Orient et en Egypte ont élargi notre horizon historique et reculé de plusieurs millénaires les frontières de l’Antiquité. On ne peut plus aujourd’hui isoler, considérer comme un moment absolu de l’histoire, le développement de telle ou telle civilisation. »

Kramer reconnaît même à certains moments que les Sumériens ne sont pas la première civilisation de Mésopotamie :

« Pour certains archéologues les Sumériens sont bien les premiers occupants de la Mésopotamie. Mais d’autres, se fondant sur les mêmes données archéologiques, arrivent à des conclusions exactement opposées. (…) La période présumérienne connut au début une civilisation agraire et villageoise. On admet en général, à l’heure actuelle, qu’elle fut apportée en basse Mésopotamie par des immigrants venus du sud-ouest de l’Iran. (…) Peu après la première colonisation iranienne, probablement des Sémites s’infiltrèrent dans la région… »

Sumer n’était ni d’origine sémitique ni d’origine iranienne. On ne connaît pas exactement son origine mais il est donc certain qu’il est très loin d’être la première grande civilisation mésopotamienne.

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