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Friedrich Engels avait-il cautionné le légalisme petit-bourgeois de la social-démocratie allemande face à l’Empire du Kaiser ?

20 avril 2015, 07:53

Une introduction d’Engels aux « Luttes de classe en France » de Marx, qui avait paru d’abord dans le Vorwaerts, organe de la social-démocratie allemande, avait déjà été trafiquée. Elle reprenait, en effet, le problème général de la lutte du prolétariat dans le cadre des circonstances nouvelles de la fin du XIX° siècle, et, comme elle s’appuyait en grande partie sur l’expérience allemande, elle était d’une actualité directe pour les lecteurs du Vorwaerts. Toutefois, à sa grande surprise, Engels vit paraître dans le journal une version tronquée de son texte. Indigné de la liberté qu’on avait prise, il écrivit à Kautsky le 1er avril 1895 : « A mon étonnement, je vois aujourd’hui dans le Vorwaerts un extrait de mon introduction reproduit à mon insu, et arrangé de telle façon que j’y apparais comme un paisible adorateur de la légalité à tout prix. Aussi, désirerais-je d’autant plus que l’introduction paraisse sans coupure dans la Neue Zeit [organe théorique de la social-démocratie allemande (N. R.)], afin que cette impression honteuse soit effacée. Je dirai très nettement à Liebknecht mon opinion à ce sujet, ainsi qu’à ceux, quels qu’ils soient, qui lui ont donné cette occasion de dénaturer mon opinion. »

Malheureusement, la Neue Zeit, tout en donnant un texte plus complet, ne publia pas le texte intégral de l’introduction. Et l’édition des Luttes de classes de 1895 non plus. En réalité, les social-démocrates allemands, notamment Bernstein et Kautsky, avaient pratiqué des coupures qui prenaient un sens tout particulier. Engels, tenant compte des menaces de la loi d’exception qui pesaient alors sur le socialisme en Allemagne, avait subtilement distingué entre la tactique du prolétariat en général et celle qui était recommandée au prolétariat allemand à cette époque. Il dit dans une lettre à Lafargue du 3 avril 1895 : « W... [Il vise probablement le rédacteur en chef du Vorwaerts, W. Liebknecht (N.R.)] vient de me jouer un joli tour. Il a pris de mon introduction aux articles de Marx sur la France 1848-1850 tout ce qui a pu lui servir pour soutenir la tactique à tout prix paisible et anti-violente qu’il lui plait de prêcher depuis quelque temps, surtout en ce moment où on prépare des lois coercitives à Berlin. Mais cette tactique, je ne la prêche que pour l’Allemagne d’aujourd’hui et encore sous bonne réserve. Pour la France, la Belgique, l’Italie, l’Autriche cette tactique ne saurait être suivie dans son ensemble, et pour l’Allemagne, elle pourra devenir inapplicable demain. » (Correspondance Engels-Lafargue, Éditions sociales 1956-1959, tome III, p. 404)

En coupant certains passages, Kautsky et Bernstein accréditaient leur propre thèse et ils essayèrent même, en faisant passer le texte tronqué de l’introduction d’Engels pour une sorte de testament politique, de la couvrir de l’autorité du grand disparu. C’est là une manifestation bien caractéristique de la déformation opportuniste qu’ils introduisaient dans le marxisme et qui devait conduire la social-démocratie allemande à ses tragiques démissions de 1914 et de 1918 et à son impuissance totale en 1933.
Il a fallu attendre que le Parti bolchévik, héritier et continuateur de la pensée de Marx et d’Engels, ait pris le pouvoir pour que paraisse enfin en U.R.S.S. le texte intégral d’Engels restauré par Riazanov. Mais les hâbleurs amateurs du conservatisme social et du faux socialisme bobo continuent à trafiquer l’histoire d’un mouvement qui leur est totalement étranger.

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