Théâtre engagé, théâtre militant, théâtre et révolution
22 mars 2010, 19:52, par Robert Paris
Rêve général (critique de Cédric Enjalbert), Théâtre Daniel-Sorano à Vincennes
Crik, krach, clowns
Le PNB est en berne, le moral des Français dans les chaussettes de la crise, c’est le krach. Soit. Mais pas une raison pour chanter le blues. Séchez donc vos larmes et suivez le cours du Crik ! Le « Club de réflexion et d’investigation clownesque » s’est lancé dans l’industrie mécanique zygomatique. Quelques ratés, des longueurs, un travail d’atelier pas toujours bien abouti donnent à cet appel au « Rêve général », lancé au Théâtre Daniel-Sorano, un air de chantier poétique. En travaux, donc.
Ils sont six, avec un tarin blanc à faire sourire Cyrano. Des employés zélés : petit matin, lever, pointeuse, bureau, petit numéro (quotidien). Une mécanique bien réglée ? C’est sans compter avec les clowns, ces intermittents drôlement inutiles. Un pas de travers, un papier égaré, et la machine se détraque. Une crise arrive plus vite qu’on ne le pense et, n’en déplaise à la chanson, la petite entreprise n’y résiste pas. Le chef de service, despote aux petits bras, plie bagages. Et le service ? Même régime : allez voir sur la grève si j’y suis. Grève ? grève ? Bien, bien… pris au mot alors (on rigole pas avec les clowns) : « Rêve général » ! Banco. De digression en régression, les clowns de bureau, branche tertiaire de service, se recyclent en OS du secondaire Puis en artisans primaires. Spécialité : la machine à faire du vent, tendance moulin à pied, histoire de brasser l’air et de prendre son temps. Ingénieux mécanisme : faire tourner les petits vélos dans la tête, c’est de l’emploi à plein temps.
[Rêve général]
Le Crik annonçait un spectacle qui « fait le point et pose sur ce monde un regard amusé et critique », qui parle « salaires, délocalisations, flexibilité », qui mette « à distance [les] discours actuels sur le travail ». C’était un peu ambitieux, car excepté une belle scène réussie autour du poétique managérial et un ton gentiment moqueur, Rêve général n’est pas franchement critique ou polémique. Fantaisiste, oui, utopique aussi, comique, pas vraiment. De là, une entrée difficile dans l’univers du Crik : quand sont attendus des clowns qui font rire, entrent des clowns à faire rêver. La première partie, en outre, trop longue et insuffisamment dirigée, mine l’intensité du spectacle dans son ensemble. De plus, le travail gestuel manque de précision et de lenteur, d’efficacité et d’attention en somme. Beaucoup d’agitation, peu de répit : les gestes se perdent et se recouvrent sans aller jusqu’au bout de leur signification. Le décor est à l’avenant : encombrant. Trop de portants, de portes, de murs à roulettes (surtout pour cette petite scène sans profondeur du Théâtre Sorano) ; une structure plus simple, unique, avec les mêmes accessoires rendrait l’expression de nos joyeux trublions plus libre. Moins entravé, le jeu plein de verve gagnerait en amplitude et en visibilité.
Plus léger ensuite, le spectacle parvient à nous emporter dans les méandres de son krach poétique. Un joli renversement de situation fait des anciens despotes les bons à tout faire d’un nouveau chef de chantier (la hiérarchie est un jeu de chaise musicale). Il faut créer, innover, augmenter le budget R & D. Mais enfin ! Foin du travail aliénant, à la chaîne, à responsabilité, de pointe : retour enfin sur la machine à remonter le temps, le vélo à faire du vent, à empaqueter des boîtes à vide. C’est le dernier tableau, et nos clowns se révèlent très prometteurs. Un peu de Buster Keaton, du mime Marceau, des accents de clown blanc et quelques paroles (parfois encore trop, ou trop peu, articulées) : voilà qui constitue leur langage et leur état d’âme. Alors poursuivez le Crik ! Un repositionnement technico-scénographique à prévoir pour booster la bottom line, mais votre commerce est d’avenir, équitable et durable, « humain et généreux et chouette » : c’est trop bon, l’inutile. ¶
Rêve général (critique de Cédric Enjalbert), Théâtre Daniel-Sorano à Vincennes
Crik, krach, clowns
Le PNB est en berne, le moral des Français dans les chaussettes de la crise, c’est le krach. Soit. Mais pas une raison pour chanter le blues. Séchez donc vos larmes et suivez le cours du Crik ! Le « Club de réflexion et d’investigation clownesque » s’est lancé dans l’industrie mécanique zygomatique. Quelques ratés, des longueurs, un travail d’atelier pas toujours bien abouti donnent à cet appel au « Rêve général », lancé au Théâtre Daniel-Sorano, un air de chantier poétique. En travaux, donc.
Ils sont six, avec un tarin blanc à faire sourire Cyrano. Des employés zélés : petit matin, lever, pointeuse, bureau, petit numéro (quotidien). Une mécanique bien réglée ? C’est sans compter avec les clowns, ces intermittents drôlement inutiles. Un pas de travers, un papier égaré, et la machine se détraque. Une crise arrive plus vite qu’on ne le pense et, n’en déplaise à la chanson, la petite entreprise n’y résiste pas. Le chef de service, despote aux petits bras, plie bagages. Et le service ? Même régime : allez voir sur la grève si j’y suis. Grève ? grève ? Bien, bien… pris au mot alors (on rigole pas avec les clowns) : « Rêve général » ! Banco. De digression en régression, les clowns de bureau, branche tertiaire de service, se recyclent en OS du secondaire Puis en artisans primaires. Spécialité : la machine à faire du vent, tendance moulin à pied, histoire de brasser l’air et de prendre son temps. Ingénieux mécanisme : faire tourner les petits vélos dans la tête, c’est de l’emploi à plein temps.
[Rêve général]
Le Crik annonçait un spectacle qui « fait le point et pose sur ce monde un regard amusé et critique », qui parle « salaires, délocalisations, flexibilité », qui mette « à distance [les] discours actuels sur le travail ». C’était un peu ambitieux, car excepté une belle scène réussie autour du poétique managérial et un ton gentiment moqueur, Rêve général n’est pas franchement critique ou polémique. Fantaisiste, oui, utopique aussi, comique, pas vraiment. De là, une entrée difficile dans l’univers du Crik : quand sont attendus des clowns qui font rire, entrent des clowns à faire rêver. La première partie, en outre, trop longue et insuffisamment dirigée, mine l’intensité du spectacle dans son ensemble. De plus, le travail gestuel manque de précision et de lenteur, d’efficacité et d’attention en somme. Beaucoup d’agitation, peu de répit : les gestes se perdent et se recouvrent sans aller jusqu’au bout de leur signification. Le décor est à l’avenant : encombrant. Trop de portants, de portes, de murs à roulettes (surtout pour cette petite scène sans profondeur du Théâtre Sorano) ; une structure plus simple, unique, avec les mêmes accessoires rendrait l’expression de nos joyeux trublions plus libre. Moins entravé, le jeu plein de verve gagnerait en amplitude et en visibilité.
Plus léger ensuite, le spectacle parvient à nous emporter dans les méandres de son krach poétique. Un joli renversement de situation fait des anciens despotes les bons à tout faire d’un nouveau chef de chantier (la hiérarchie est un jeu de chaise musicale). Il faut créer, innover, augmenter le budget R & D. Mais enfin ! Foin du travail aliénant, à la chaîne, à responsabilité, de pointe : retour enfin sur la machine à remonter le temps, le vélo à faire du vent, à empaqueter des boîtes à vide. C’est le dernier tableau, et nos clowns se révèlent très prometteurs. Un peu de Buster Keaton, du mime Marceau, des accents de clown blanc et quelques paroles (parfois encore trop, ou trop peu, articulées) : voilà qui constitue leur langage et leur état d’âme. Alors poursuivez le Crik ! Un repositionnement technico-scénographique à prévoir pour booster la bottom line, mais votre commerce est d’avenir, équitable et durable, « humain et généreux et chouette » : c’est trop bon, l’inutile. ¶
Cédric Enjalbert
Les Trois Coups
www.lestroiscoups.com
Rêve général
Compagnie Le Crik
Conception et mise en scène : Jean-François Maurier
Réalisation et jeu : Rafael Batonnet, Gilles Berry, Marie Chavelet, Cathy Deruel, Philippe Kieffer, Sandrine Righeschi
Collaboration artistique : Sophie Maillard
Assistante à la mise en scène : Soraya Ifrene
Scénographie et costumes : Sandrine Righeschi
Machines et accessoires : Grégoire Danset
Lumières : Denis Desanglois
Théâtre Daniel-Sorano • 16, rue Charles-Pathé • 94300 Vincennes
Réservations : 01 43 74 73 74
www.espacesorano.com
Du 11 mars au 19 avril 2009, du mercredi au samedi à 20 h 45, dimanche à 16 heures
Durée : 1 h 30
25 € | 21 €