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Il y a cent ans, la première guerre mondiale (1914-1918) démarrait. Oui, mais pour quelle raison ?

3 mai 2015, 08:20, par Robert

Rosa Luxemburg rajoute :

Il est hors de doute que dans de telles grèves de masse se dégage une forte étincelle révolutionnaire ; que, dans une atmosphère chargée, dans une situation où la tension des antagonismes a acquis une certaine acuité elles peuvent amener de véritables collisions avec les pouvoirs publics. Mais il n’est pas moins sûr que c’est précisément la pression de telles grèves qui exerce le plus rapidement son effet et qui contraint généralement les classes dominantes à céder avant qu’on arrive aux dernières extrémités, avant qu’une rencontre générale avec la force publique soit amenée par la situation. Le cours des grèves belges de 1891 et de 1893 en est la confirmation complète. De même, en 1905, il suffit au prolétariat autrichien de suivre l’exemple contagieux des combattants révolutionnaires russes et d’entreprendre son mouvement spontané pour contraindre les détenteurs du pouvoir à céder avant qu’un règlement de comptes violent fût nécessaire. La même preuve est fournie par de nombreux autres cas tirés de la pratique du prolétariat international dans les cinquante dernières années : ce n’est pas l’emploi de la force physique, mais bien la résolution révolutionnaire des masses de ne pas se laisser effrayer, le cas échéant, dans leur action de grève par les conséquences les plus extrêmes de la lutte et de faire tous les sacrifices nécessaires qui confèrent à cette action une puissance si irrésistible qu’elle peut souvent amener dans un court laps de temps de notables victoires.

A la base de la grève d’avril en Belgique, au contraire, il y a l’idée d’éviter toute situation révolutionnaire, tout défaut de calcul, tout tournant imprévu de la lutte, en un mot, d’écarter préalablement tout risque et tout danger et de fixer, presque une année à l’avance, toute la campagne. Mais de ce fait, les camarades belges ont enlevé à leur grève générale toute sa valeur de choc. L’énergie révolutionnaire des masses ne se laisse pas mettre en bouteille et une grande lutte populaire ne se laisse pas conduire comme une parade militaire. De deux choses l’une : ou bien on provoque un assaut politique des masses, ou plus exactement, comme un tel assaut ne se provoque pas artificiellement, on laisse les masses excitées partir à l’assaut, et il leur faut alors tout faire pour rendre cet assaut encore plus impétueux, plus formidable, plus concentré, mais alors on n’a pas le droit, juste au moment où l’assaut se déclenche, de le retarder pendant neuf mois afin de lui préparer, dans l’intervalle, son ordre de marche. Ou bien, on ne veut pas d’assaut général, mais alors une grève de masse est une partie perdue d’avance. Si, en avril, ainsi que les chefs l’ont assuré au congrès, on devait seulement faire une démonstration de la discipline et de la volonté unique de la classe ouvrière, il n’était point besoin de dix jours de grève pour cela, et c’était payer trop cher une préparation de neuf mois. Les prolétaires belges étaient depuis fort longtemps déjà prêts à une telle démonstration et s’y étaient déjà plusieurs fois préparés. Mais si ce devait être une grève de combat, la façon dont on l’exécuta était peu propre à en faire une grève victorieuse.

Il est clair, en tout cas – et c’est ce que confirme l’histoire des grèves de masses dans les différents pays – que plutôt une grève politique tombe rapidement et inopinément sur la tête des classes dirigeantes, plus l’effet en est grand et les chances de victoire considérables. Lorsque le Parti Ouvrier annonce, trois trimestres à l’avance, son intention de déclencher une grève politique, ce n’est pas seulement lui, mais aussi la bourgeoisie et l’Etat qui gagnent tout le temps nécessaire pour se préparer matériellement et psychologiquement à cet événement.

D’ailleurs, les longs et laborieux efforts d’épargne des prolétaires belges, si admirables dans leur idéalisme, eurent l’inconvénient de toucher fortement, pendant toute leur durée, les intérêts économiques de la petite bourgeoisie, des boutiquiers et des commerçants, de cette couche dont les sympathies sont les premières à aller à la classe ouvrière. Grâce à la longue préparation de la grève, la grande bourgeoisie put esquiver, dans une large mesure, le coup que toute grève spontanée des masses lui porte à elle d’abord.

L’efficacité de toute grève politique de combat dépend aussi de la collaboration du personnel occupé dans les services publics. Lorsque les camarades belges – ainsi qu’il ressort de leur intention de faire une grève longue et pacifique – ont renoncé à arrêter les services publics, ils ont certes enlevé à leur grève tout « caractère illégal », mais en même temps ils l’ont privée de son efficacité en tant que moyen de contrainte rapide et d’intimidation de l’opinion publique et de l’Etat.

En un mot, toutes les qualités de la grève d’avril qui, suivant les intentions du parti belge, devaient lui donner le caractère méthodique d’une action syndicale, lui ont enlevé par cela même, dans une large mesure, son efficacité de grève politique.

Bien plus, nous avons vu dans l’histoire de la lutte pour le droit électoral en Belgique que les chefs du parti interdisaient réellement, depuis quinze ans environ, la grève de masse, et qu’ils cherchent constamment à la reculer, à l’empêcher. Finalement, cette tactique a eu cependant, chose curieuse, le résultat contraire à celui qu’elle poursuivait. La grève continuellement ajournée au moment où elle devait se déchaîner impétueusement, est devenue maintenant non seulement pour la réaction, mais aussi pour le parti, une véritable épée de Damoclès. Depuis neuf mois déjà, le parti belge est sous la hantise des préparatifs de la grève de masse. Une fois que la grève a été brisée en avril à la première ombre de concession, le parti, au congrès du 24 avril, a dû évidemment la faire rentrer dans ses nouvelles perspectives. La tactique même qui interdisait toute rencontre impétueuse de la masse avec la réaction, a fait de la menace de la grève générale quelque chose de chronique.

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