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Il y a cent ans, la première guerre mondiale (1914-1918) démarrait. Oui, mais pour quelle raison ?

8 décembre 2014, 19:54, par Robert Paris

En 1897, ‘La Société pour la préparation de la création de syndicats’ (Rodo kumiai kiseikai) fut créée, revendiquant 5700 membres. Pour la première fois dans l’histoire du mouvement ouvrier au Japon, elle avait son propre journal : Rodo sekai, diffusé tous les deux mois et édité par S. Katayama. Le but de ce mouvement était de créer des syndicats et des coopératives. Deux ans plus tard, cette association syndicale comptait déjà 42 sections et 54 000 membres. Les statuts et les positions de ces syndicats étaient basés sur les modèles européens. Le syndicat des conducteurs de trains développa une campagne pour l’introduction du droit de vote généralisé et déclara en mars 1901 que “le socialisme est la seule réponse définitive à la condition ouvrière”.

Le 18 octobre 1898, un petit groupe d’intellectuels se rencontra dans une Église Unitariste de Tokyo et fonda Shakaishugi Kenkyukai (l’Association pour l’Étude du Socialisme). Ils commencèrent à se réunir une fois par mois. Cinq de ses six fondateurs se considéraient toujours eux-mêmes comme des Socialistes Chrétiens.

La première phase du mouvement ouvrier ‘de destruction des machines’ (qui correspond d’une certaine manière au "Luddism" du mouvement ouvrier anglais à la charnière du 18e et du 19e siècle) ne fut dépassée qu’à la fin des années 1880, ouvrant ainsi la voie à une vague de grèves qui eurent lieu entre 1897 et 1899. En particulier, les ouvriers métallurgistes, les mécaniciens et les cheminots montrèrent leur combativité.

Dans les années 1900, un syndicat inspiré par le Manifeste du parti communiste, et donc révolutionnaire et sans lien avec les syndicats officiels, est constitué à la mine d’Ashio sous le nom d’Association fraternelle des mineurs du Japon. La fin de la guerre russo-japonaise entraîne une dégradation de la condition ouvrière et une vague de grèves. Ne pouvant obtenir les améliorations qu’il voulait par la négociation, le syndicat lance une grève pour le relèvement des salaires et contre les conditions d’exploitation des ouvriers. Elle dure du 4 au 7 février 1907. Le propriétaire de la mine, soutenu par le ministre de l’Intérieur Hara Takashi qui y possède des intérêts, fait appel à l’armée. Les ouvriers rouent de coups un des directeurs, s’emparent d’armes et de dynamite qu’ils utilisent pour faire sauter certaines installations. Les combats durent plusieurs jours et font plusieurs morts, dont le directeur de la mine.

Cette grève est emblématique pour le mouvement ouvrier au Japon, et par la suite, la mine reste un haut lieu des luttes sociales.

Les 5 et 6 avril 1903, à la Conférence Socialiste du Japon à Osaka, les participants réclamèrent la transformation socialiste de la société. Tandis que les exigences de ‘liberté, d’égalité et de fraternité’ étaient toujours présentes, la revendication de l’abolition des classes et de toutes les oppressions de même que l’interdiction des guerres d’agression apparurent également. Fin 1903, la Commoners Society (Heiminsha) devint le centre du mouvement anti-guerre, alors que le Japon poursuivait son expansion en Manchourie et en Corée et qu’il était sur le point d’entrer en guerre contre la Russie. Le journal de cette association était publié à 5 000 exemplaires. Là encore, c’était un journal sans structure organisationnelle forte derrière. D. Kotoku était l’un des orateurs les plus connus de ce groupe.
De la même façon qu’en Russie en 1905, l’aggravation dramatique des conditions de vie des ouvriers au Japon mena à l’éclatement de manifestations violentes en 1905 et à une série de grèves dans les chantiers navals et les mines en 1906 et 1907. La bourgeoisie n’hésita jamais un seul instant à envoyer la troupe contre les ouvriers et une fois de plus déclara toute organisation ouvrière illégale.

Après 1906, un courant anarcho-syndicaliste se développa, mais ses membres collaboraient périodiquement avec le mouvement socialiste, davantage enclin au réformisme. En 1910, le plus connu des anarchistes, Kotoku Shusui, et 26 autres anarchistes furent arrêtés et accusés de comploter l’assassinat de l’empereur et de sa famille. En 1911, à l’issue de ce qu’on appela le « procès de la grande trahison », Kotoku fut exécuté ainsi qu’onze autres personnes, dont sa compagne Kanno Suga. Après cela, la gauche organisée cessa pratiquement d’exister.

Après un renouveau de grèves en 1907, il y eut un autre recul de la lutte de classe entre 1909 et 1910. Pendant ce temps, la police faisait la chasse aux révolutionnaires. Le simple fait d’être muni de drapeaux rouges était déjà considéré comme un délit. En 1910, Kotoku fut arrêté. Beaucoup de socialistes de gauche le furentégalement. En janvier 1911, Kotoku et onze autres socialistes furent condamnés à mort, sous le prétexte d’avoir voulu assassiner l’empereur. La presse socialiste fut interdite de même que les meetings, et les livres socialistes qu’on put trouver dans les librairies et bibliothèques furent brûlés. Confrontés à cette répression, beaucoup de révolutionnaires s’exilèrent ou se retirèrent de toute activité politique.

Entre 1914 et 1921, la production d’acier japonais a doublé ; en valeur, la production de moteurs électriques est passée de 9 à 34 millions de yens. En tout, la production industrielle a été presque multipliée par cinq !

Il en a résulté un changement parallèle dans le poids social et la nature de la classe ouvrière japonaise. La proportion de la main-d’oeuvre industrielle employée dans l’industrie lourde, caractérisée par de grandes usines, est passée de 13,6 % en 1910 à 24,2 % à la fin de la guerre. Au début des années 1920, il existait au Japon un important prolétariat industriel installé dans les villes, majoritairement masculin, travaillant dans les aciéries, les chantiers navals, l’industrie chimique, les usines d’automobiles et de camions, etc. Et pourtant, le Japon est le seul grand pays capitaliste industriel de l’entre-deux-guerres où les luttes paysannes contre les propriétaires fonciers ont été une arène importante de conflits sociaux.

Les changements dans la composition de la main-d’oeuvre, combinés avec l’inflation qui accompagna l’expansion industrielle de la Première Guerre mondiale, provoquèrent une flambée de combativité ouvrière et d’agitation sociale qui atteignit son point culminant dans les « émeutes du riz » en 1918. Entre 1917 et 1918, le prix du riz avait doublé ; en août 1918, des femmes de pêcheurs de la préfecture de Toyama prirent d’assaut des boutiques de riz, à la suite de quoi les émeutes du riz gagnèrent l’ensemble du pays. Le gouvernement fit appel à la troupe pour réprimer les émeutes, tuant plus d’une centaine de manifestants. L’agitation déboucha sur un mouvement de masse pour le suffrage universel. Le cens fut abaissé en 1919 (faisant passer le nombre d’électeurs d’un à trois millions), mais le gouvernement refusa d’accorder le suffrage universel. Grèves et agitation ouvrière se répandirent aussi, et les socialistes japonais commencèrent à gagner de l’influence dans certains grands syndicats.

Entre 1917 et 1918, le prix du riz doubla. Durant l’été 1918, les ouvriers commencèrent à manifester contre cette augmentation. Nous n’avons pas d’informations sur des grèves dans les usines ni sur l’extension de revendications à d’autres domaines. Apparemment des milliers d’ouvriers descendirent dans la rue. Cependant, ces manifestations ne débouchèrent pas sur une forme organisée plus marquée, ni sur aucune revendication ou objectif spécifiques. Des magasins semblent avoir été pillés. En particulier, les ouvriers agricoles et la main d’œuvre récemment prolétarisée, de même que les Burakumin (les exclus sociaux) semblent avoir joué un rôle très actif dans ces pillages. Beaucoup des maisons et d’entreprises furent mises à sac. Il semble n’y avoir eu aucune unification entre des revendications économiques et des revendications politiques. Contrairement au développement des luttes en Europe, il n’y eut aucune assemblée générale ni aucun conseil ouvrier. Après la répression du mouvement, quelques 8 000 ouvriers furent arrêtés. Plus de 100 personnes furent tuées. Le gouvernement démissionna pour des raisons tactiques. La classe ouvrière s’était soulevée spontanément mais, en même temps, le manque de maturation politique en son sein était d’une évidence dramatique.

En avril 1918, le Japon fut le premier pays impérialiste à envahir le territoire du premier Etat ouvrier du monde. En novembre 1922, ses troupes furent les dernières à en partir, et après cela le Japon garda le contrôle de l’île de Sakhaline, n’acceptant d’évacuer ses troupes du nord de l’île qu’en 1925, au moment où des relations diplomatiques avec la Russie soviétique furent enfin établies. Le Japon continua à occuper le sud de Sakhaline jusqu’à ce que ses troupes en soient chassées par l’Armée rouge à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.

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