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En quoi les idées de Marx et de Darwin convergent ?

26 septembre 2014, 11:15

Engels, l’AntiDühring :

Le reproche primordial adressé à Darwin, c’est de transposer la théorie démographique de Malthus de l’économie dans la science de la nature, de rester prisonnier des conceptions de l’éleveur, de faire de la demi-poésie antiscientifique avec la lutte pour l’existence ; tout le darwinisme, une fois retirés les emprunts faits à Lamarck, est une exaltation de la brute dirigée contre l’humanité.

Darwin avait rapporté de ses voyages scientifiques l’opinion que les espèces de plantes et d’animaux ne sont pas constantes, mais changeantes. Pour continuer à suivre cette idée dans son pays, aucun terrain meilleur ne s’offrait que celui de l’élevage des animaux et des plantes. L’Angleterre en est précisément la terre classique ; les résultats d’autres pays, par exemple de l’Allemagne, sont bien loin de pouvoir donner la mesure de ce qui a été atteint en Angleterre à cet égard. En outre, la plupart des succès datent d’un siècle, de sorte que la constatation des faits comporte peu de difficultés. Darwin a donc trouvé que cet élevage avait provoqué artificiellement, chez des animaux et des plantes de même espèce, des différences plus grandes que celles qui se présentent entre des espèces universellement reconnues comme différentes. Ainsi étaient donc prouvées d’une part, la variabilité des espèces jusqu’à un certain point, d’autre part, la possibilité d’ancêtres communs pour des organismes qui possèdent des caractères spécifiques différents. Darwin rechercha alors si, par hasard, il ne se trouvait pas dans la nature des causes qui, - sans l’intention consciente de l’éleveur, - provoqueraient à la longue sur des organismes vivants des transformations analogues à celles de l’élevage artificiel. Ces causes, il les trouva dans la disproportion entre le nombre énorme des germes créés par la nature et le petit nombre des organismes parvenant réellement à maturité. Mais comme chaque germe tend à se développer, il en résulte nécessairement une lutte pour J’existence, qui apparaît non seulement comme l’acte direct, physique de se combattre ou de se manger, mais aussi comme la lutte pour l’espace et la lumière, même chez les plantes. Et il est évident que, dans ce combat, les individus qui ont le plus de chance de parvenir à maturité et de se reproduire sont ceux qui possèdent quelque propriété individuelle, aussi insignifiante qu’on voudra, mais avantageuse dans la lutte pour l’existence [2]. Ces propriétés individuelles ont par suite tendance à se transmettre par hérédité et, si elles se présentent chez plusieurs individus de la même espèce, à se renforcer par hérédité accumulée dans la direction qu’elles ont une fois prise, tandis que les individus qui lie possèdent pas ces propriétés succombent Plus facilement dans la lutte pour l’existence et disparaissent peu à peu. C’est de cette façon qu’une espèce se transforme par sélection naturelle, par survivance des plus aptes.

Contre cette théorie darwinienne, M. Dühring dit qu’il faut chercher, comme Darwin lui-même l’aurait avoué, l’origine de l’idée de lutte pour l’existence dans une généralisation des opinions de l’économiste Malthus, théoricien de la population, et qu’en conséquence elle est entachée de tous les défauts propres aux vues cléricales de Malthus sur l’excès de population. - En fait, il ne vient pas du tout à l’esprit de Darwin de dire qu’il faut chercher l’origine de l’idée de lutte pour l’existence chez Malthus. Il dit seulement que sa théorie de la lutte pour l’existence est la théorie de Malthus appliquée à la totalité du monde animal et végétal. Si grosse que soit la bévue que Darwin a commise en acceptant dans sa naïveté la théorie de Malthus sans y regarder de plus près, chacun voit pourtant au premier coup d’œil qu’on n’a pas besoin des lunettes de Malthus pour apercevoir dans la nature la lutte pour l’existence, - la contradiction entre la quantité innombrable de germes que la nature produit avec prodigalité et le nombre infime de ceux qui peuvent en somme parvenir à maturité ; contradiction qui, en fait, se résout pour la plus grande part dans une lutte pour l’existence, parfois extrêmement cruelle. Et de même que la loi du salaire a gardé sa valeur bien longtemps après la chute dans l’oubli des arguments malthusiens sur lesquels Ricardo la fondait, de même la lutte pour l’existence peut avoir lieu dans la nature même sans la moindre interprétation malthusienne. D’ailleurs, les organismes de la nature ont aussi leurs lois de population qui ne sont pour ainsi dire pas étudiées, mais dont la constatation sera d’une importance décisive pour la théorie de l’évolution des espèces [3]. Et qui a donné encore l’impulsion décisive dans ce sens ? Personne d’autre que Darwin.

M. Dühring se garde bien d’aborder ce côté positif de la question. Au lieu de cela, il faut que la lutte pour l’existence revienne toujours sur le tapis. Il ne saurait a priori, dit-il, être question d’une lutte pour l’existence entre herbes privées de conscience et pacifiques herbivores :

“ Au sens précis et déterminé, la lutte pour l’existence est représentée dans le règne de la brute pour autant que les animaux se nourrissent en dévorant une proie. ”

Et une fois le concept de lutte pour l’existence réduit à ces limites étroites, il peut donner libre cours à sa pleine indignation contre la brutalité de ce concept restreint par lui-même à la brutalité. Mais cette indignation morale ne vise que M. Dühring en personne, car il est bel et bien l’unique auteur de la lutte pour l’existence ainsi restreinte, et par conséquent aussi l’unique responsable. Ce n’est donc pas Darwin qui “cherche les lois et l’intelligence de toute action de la nature dans l’empire des bêtes ” - Darwin n’avait-il pas englobé dans la lutte toute la nature organique ? - mais un croquemitaine imaginaire de la fabrication de M. Dühring lui-même. Le nom : lutte pour l’existence, peut d’ailleurs être volontiers abandonné au courroux ultra-moral de M. Dühring [4]. Que la chose existe aussi parmi les plantes, chaque prairie, chaque champ de blé, chaque forêt peut le lui prouver, et il ne s’agit pas du nom, il ne s’agit pas de savoir si l’on doit appeler cela “ lutte pour l’existence ” ou “ absence des conditions d’existence et effets mécaniques ”, il s’agit de ceci : comment ce fait agit-il sur la conservation ou la modification des espèces ? Sur ce point, M. Dühring persiste dans un silence opiniâtrement identique à lui-même. Force sera donc de s’en tenir provisoirement à la sélection naturelle.

suite à venir...

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