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Le combat de Lénine contre la bureaucratie

10 septembre 2015, 08:58, par Robert

« Prenez la question du bureaucratisme et examinez-la du point de vue de l’économie. Au 5 mai 1918 le bureaucratisme ne figurait pas dans notre champ visuel. Six mois après la Révolution d’Octobre, après que nous avons détruit de fond en comble l’ancien appareil bureaucratique, nous ne ressentions pas encore les effets de ce mal.

Une année encore se passe. Le XIIIe congrès du Parti communiste russe, qui se tient du 18 au 23 mars 1919,adopte un nouveau programme où nous parlons franchement, sans crainte de reconnaître le mal, mais désireux au contraire de le démasquer, de le dénoncer, de le clouer au pilori, de stimuler la pensée et la volonté, les énergies et les activités pour combattre ce mal, — où nous parlons d’une « renaissance partielle du bureaucratisme au sein du régime soviétique ».

Deux années s’écoulent encore. Au printemps de 1921, après le VIIIe congrès des Soviets, qui a discuté (décembre 1920) la question du bureaucratisme, après le Xe congrès du Parti communiste russe (mars 1921), qui a dressé le bilan des débats étroitement rattachés à l’analyse du bureaucratisme, nous voyons ce mal se dresser devant nous encore plus net, plus précis, plus menaçant. Quelles sont les origines économiques du bureaucratisme ? Ces origines sont principalement de deux sortes : d’une part une bourgeoisie développée a besoin, justement pour combattre le mouvement révolutionnaire des ouvriers (et en partie des paysans), d’un appareil bureaucratique, d’abord militaire, ensuite judiciaire, etc. Cela n’existe pas chez nous. Nos tribunaux sont des tribunaux de classe, dirigés contre la bourgeoisie. Notre armée est une armée de classe, dirigée contre la bourgeoisie. Le bureaucratisme n’est pas dans l’armée, mais dans les institutions qui la desservent. Chez nous, l’origine économique du bureaucratisme est autre : c’est l’isolement, l’éparpillement des petits producteurs, leur misère, leur inculture, l’absence de routes, l’analphabétisme, l’absence d’échanges entre l’agriculture et l’industrie, le manque de liaison, d’action réciproque entre elles. C’est là, dans une mesure considérable, le résultat de la guerre civile. Lorsque nous étions bloqués, assiégés de toutes parts, coupés du reste du monde, et puis de notre midi fertile en blé, de la Sibérie, des bassins houillers, nous ne pouvions pas rétablir l’industrie. Nous avons dû ne pas reculer devant le « communisme de guerre », ne pas craindre d’employer les mesures les plus extrêmes : nous étions résolus à supporter une existence de demi-famine, et pis encore, pour sauvegarder le pouvoir des ouvriers et des paysans, coûte que coûte, en dépit de la ruine la plus inouïe et de l’absence d’échanges. Et nous ne nous sommes pas laissés intimider comme l’ont fait les socialistes-révolutionnaires et les menchéviks (qui en réalité ont suivi la bourgeoisie surtout parce qu’ils étaient apeurés, intimidés). Mais ce qui était la condition de la victoire dans un pays bloqué, dans une forteresse assiégée, a révélé son côté négatif précisément au printemps de 1921, quand les dernières troupes de gardes blancs ont été définitivement chassées du territoire de la R.S.F.S.R. Dans une forteresse assiégée, on peut et l’on doit « bloquer » tous les échanges. Et les masses ayant fait preuve d’un héroïsme particulier, on a pu supporter cet état de choses trois années durant. Mais après cela, la ruine du petit producteur s’est encore aggravée, le rétablissement de la grosse industrie a été encore différé, retardé. Le bureaucratisme, héritage de l’« état de siège », superstructure basée sur l’éparpillement et la démoralisation du petit producteur, s’est révélé pleinement.

Il faut savoir reconnaître le mal sans crainte, afin de le combattre avec plus de fermeté, afin de recommencer par le commencement autant de fois que cela sera nécessaire. Dans tous les domaines de notre édification, il nous faudra encore bien des fois recommencer par le commencement, pour corriger ce qui n’aura pas été achevé, en essayant divers moyens d’aborder la tâche. Il est devenu évident que le rétablissement de la grosse industrie devait être différé, qu’il n’était plus possible de laisser « bloqués » les échanges entre l’industrie et l’agriculture ; et donc qu’il fallait nous atteler à une tâche plus proportionnée à nos forces : le rétablissement de la petite industrie. C’est de ce côté que doit venir notre aide, c’est ce flanc de l’édifice à moitié démoli par la guerre et le blocus que nous devons étayer. Par tous les moyens et à tout prix il faut développer les échanges, sans craindre le capitalisme, puisque le cadre qui lui est assigné chez nous (par l’expropriation des grands propriétaires fonciers et de la bourgeoisie dans l’économie, par le pouvoir ouvrier et paysan en politique) est assez étroit, assez « modéré ». Telle est l’idée fondamentale de l’impôt en nature, telle est sa signification économique.

Tous les militants du Parti et tous les travailleurs des administrations soviétiques, doivent employer tous leurs efforts, toute leur attention pour créer, pour susciter plus d’initiative à la base : dans les provinces ; plus encore dans les districts ; plus encore dans les cantons et les villages, afin de favoriser l’oeuvre de construction économique justement du point de vue du relèvement immédiat de l’économie paysanne, fût-ce par de « petits » moyens, dans de faibles proportions, en l’aidant par le développement de la petite industrie locale. Le plan économique unique de l’Etat veut que cette tâche précisément soit au centre de notre attention et de nos soins, au centre des travaux « de choc ». Une amélioration obtenue ici, c’est-à-dire tout près des « fondations », de la base la plus large et la plus profonde, nous permettra à bref délai d’entreprendre avec plus d’énergie et de succès le rétablissement de la grosse industrie.

Le travailleur du ravitaillement ne connaissait jusqu’ici qu’une seule directive essentielle : fais rentrer à 100 % les prélèvements en nature. Aujourd’hui la directive est autre : fais rentrer l’impôt en nature à 100 % dans le plus bref délai, puis fais rentrer encore 100 % par l’échange contre des produits de la grosse et de la petite industries. Celui qui aura fait rentrer 75 % de l’impôt en nature et 75 % (de la seconde centaine) par l’échange contre des produits de la grosse et de la petite industries, aura fait oeuvre d’Etat plus utile que celui qui aura fait rentrer 100 % de l’impôt et 55 % (de la seconde centaine) par l’échange. La tâche du ravitailleur se complique. D’une part, c’est une tâche fiscale. Faire rentrer l’impôt aussi rapidement, aussi rationnellement que possible. D’autre part, une tâche économique générale. Il doit s’efforcer d’orienter la coopération, de favoriser la petite industrie, de développer les initiatives, les énergies à la base, de façon à augmenter et à renforcer l’échange entre l’agriculture et l’industrie. Nous ne savons pas encore nous acquitter de cette tâche, tant s’en faut ; à preuve le bureaucratisme. Nous ne devons pas craindre d’avouer qu’ici nous pouvons et devons encore beaucoup apprendre des capitalistes. Comparons les résultats pratiques obtenus dans les provinces, les districts, les cantons et les villages : dans telle localité, des particuliers, capitalistes et petits capitalistes, sont arrivés à tel résultat. Ils ont réalisé approximativement tel bénéfice. C’est un tribut, un droit que nous payons « pour l’apprentissage ». On peut payer pour l’apprentissage, à condition qu’il donne des fruits. Dans la localité voisine, les coopératives ont obtenu tel résultat et ont réalisé tant de bénéfices. Et dans une troisième localité, telle entreprise d’Etat, par des méthodes essentiellement communistes, a obtenu tel résultat (ce troisième cas sera, à l’heure actuelle, une exception rare).

Il faut que chaque centre économique régional, chaque conseil économique provincial fonctionnant près le comité exécutif, envisage immédiatement, comme une tâche urgente, l’organisation d’expériences de toute sorte ou de systèmes d’« échanges » contre les excédents qui restent aux paysans après qu’ils ont acquitté l’impôt en nature. Au bout de quelques mois on aura des résultats pratiques que l’on pourra comparer et étudier. Sel d’extraction locale ou venant d’autres régions ; pétrole que l’on aura fait venir du centre ; industrie artisanale du bois ; industries artisanales utilisant les matières premières locales et fournissant certains produits qui, sans être essentiels, sont nécessaires et utiles aux paysans ; « houille verte » (utilisation des cours d’eau d’importance locale aux fins d’électrification), etc., etc., — tout doit être mis en oeuvre pour stimuler coûte que coûte les échanges entre l’industrie et l’agriculture. Celui qui, dans ce domaine, aura obtenu le maximum de résultats, fût-ce par la voie du capitalisme privé, voire sans coopérations, sans transformation directe de ce capitalisme en capitalisme d’Etat, — se sera rendu beaucoup plus utile, à l’oeuvre de construction du socialisme dans l’ensemble de la Russie, que celui qui « pensera » à la pureté du communisme, rédigera des règlements, des instructions pour le capitalisme d’Etat et les coopératives, mais ne fera pas avancer pratiquement les échanges. »

Lénine, 21 avril 1921, Le rôle de la nouvelle politique et ses conditions

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