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Le dernier poilu ou la dernière boucherie guerrière ?

12 février 2014, 22:05

Le 6 septembre 1914, le général Joffre, commandant en chef des armées françaises du Nord-Est, déclare : « Au moment où s’engage une bataille dont dépend le salut du pays, […] aucune défaillance ne peut être tolérée ». Joffre obtient que soient créés des conseils de guerre spéciaux qui ont tout pouvoir pour rendre des jugements sans appel et prononcer des condamnations à la peine de mort immédiatement exécutables.

Pendant toute la période de la Première Guerre mondiale, 2400 soldats sont condamnés à mort pour refus d’obéissance, mutilations volontaires, désertion, abandon de poste devant l’ennemi, délit de lâcheté ou mutinerie… 675 d’entre eux sont fusillés pour l’exemple, les autres voient leur peine commuée en travaux forcés.

Le dossier d’Henri Bourgund, « fusillé sans jugement », est révélateur de l’état d’esprit qui règne alors dans les rangs de l’État-major de l’armée. Contre toute attente, Joffre y paraît davantage soucieux d’équité et de justice que les généraux Pétain et Barbot, partisans quant à eux de méthodes plus expéditives…

Rapport du chef de bataillon Fournier sur l’exécution de Bourgund

Daté du 20 mars 1915, ce rapport établit les faits tels qu’ils apparaissent dans le journal de marche du bataillon. À la date du 8 novembre 1914 figure la mention : Exécution du Chasseur Bourgund du 60e Bataillon, condamné à mort pour avoir abandonné son poste en présence de l’ennemi et déserté à l’intérieur.

« Des renseignements recueillis auprès des témoins, il ressort que le chasseur Bourgund ayant quitté son bataillon a été pris en subsistance par le 57e Bataillon, 9e Compagnie. Ce chasseur avait l’habitude, chaque fois que sa compagnie se trouvait engagée, de quitter la ligne de combat sous des prétextes futiles et de rejoindre lorsque le danger était écarté ; il avait pour ce fait répété, reçu des observations et même des punitions.

Lors des combats de Saint-Laurent [Saint-Laurent-Blangy, Pas-de-Calais], ce chasseur disparut à nouveau de sa compagnie, ramené quelques jours après, il fut incarcéré et une plainte en Conseil de guerre établie contre lui.

Ce chasseur a été condamné à mort et fusillé par une section du 97e Régiment d’infanterie à Sainte-Catherine (dans un pré à la lisière Est de Ste-Catherine et au Nord de la Scarpe), où il est inhumé.

Les deux médecins du bataillon ont assisté à l’exécution. Aucune pièce officielle relatant l’exécution du chasseur Bourgund ne figure dans les archives du bataillon ».
Le général Barbot présente sa version des faits

Le 25 mars, le général Barbot commandant la 77e Division adresse un courrier au Général Pétain, commandant le 33e Corps d’Armée, dont voici quelques extraits :

« À chaque engagement de sa compagnie, ce chasseur disparaissait et rentrait ensuite, le danger écarté. Il avait déjà été signalé à Tilloy, les 2 et 3 octobre ; mais la période agitée traversée par la division dans le courant d’octobre, ainsi que le changement de bataillon du chasseur Bourgund n’avaient pas permis, tout d’abord, d’élucider les fautes reprochées à cet homme.

Au cours des combats soutenus par la division à St-Laurent (20 au 26 octobre), Bourgund quitta à nouveau sa compagnie à laquelle il fut ramené quelques jours plus tard. Il avait été trouvé en civil à Arras. Il fut alors emprisonné et le Commandant du 57e Bataillon établit un rapport sur les faits qui lui étaient reprochés.

Jugeant que des exemples immédiats étaient nécessaires pour le maintien de la discipline, je vous demandai, le 7 novembre, après examen du dossier du chasseur Bourgund, de le faire passer par les armes, son crime étant hors de doute.

Sur réponse affirmative de votre part, cet homme fut exécuté le 8 novembre par un piquet du 97e Régiment d’Infanterie, dans les conditions indiquées sur le rapport du Commandant du 57e Bataillon de Chasseurs. »
Lettre de justification du général Pétain

Le 26 mars 1915, le général de division Pétain, commandant le 33e Corps d’Armée, adresse une lettre au général de Maud’huy, commandant la 10e Armée, lettre dans laquelle il justifie et revendique l’ordre d’exécution immédiate prononcé par lui-même :

Extraits : « Les faits tels qu’ils sont rapportés sont parfaitement exacts. Le 7 novembre, le général commandant la division m’a transmis la plainte établie contre le chasseur Bourgund. Il me faisait remarquer, qu’en raison de la situation très difficile dans laquelle se trouvait sa division et des défaillances qui s’étaient produites peu auparavant, il lui paraissait nécessaire de faire des exemples et de procéder sans délai à la répression des fautes commises. Il concluait en me demandant l’autorisation de faire passer par les armes le chasseur Bourgund sur la culpabilité duquel il ne pouvait exister aucun doute.

J’ai donné l’ordre de procéder immédiatement à l’exécution de ce chasseur, estimant alors, comme encore maintenant, qu’en des circonstances pareilles, il est du devoir du commandement d’assurer de semblables responsabilités. »

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