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Le deuxième procès de Socrate, celui de ses amis

27 février 2015, 18:07, par Robert Paris

- Hermogène :

Chers amis, nous voici en sécurité à Mégare, à l’abri des menaces de tous les ennemis de Socrate qui nous détestent également, et en état de discuter entre nous, adeptes des idées de Socrate, des moyens de changer cette situation politique désastreuse d’Athènes. Mais je crains fort que nous, disciples de Socrate, n’ayons commencé par faire exactement le contraire de ce qu’avait fait et préconisé Socrate : fuir la cité athénienne ! Si Socrate critiquait, et vertement, le mode de gouvernement de la cité, il avait choisi d’y rester, se conformant y compris au jugement mortel contre lui, même si ses amis lui conseillaient de fuir la ville pour préserver sa vie. Contrairement à lui, nous avons fui et nous allons voir si cette situation peut nous porter conseil pour envisager la suite…

- Xénophon :

Je n’étais pas présent à Athènes lors du procès mais j’imagine tout à fait que ce n’est pas par obéissance aux décisions de la prétendue démocratie athénienne que Socrate a choisi de s’y conformer, y compris en perdant la vie. C’est bien plus une volonté de ne pas fuir son destin, de ne pas devenir l’otage d’un autre régime qui ne vaudrait pas plus que la démocratie athénienne. Socrate enseignait à ses disciples de ne pas respecter les lois d’Athènes. Lui-même s’en moquait ouvertement devant les décideurs athéniens eux-mêmes qu’il provoquait de ses propos devant le public, prétendant fréquemment qu’ils ne savaient même pas ce qu’était la justice, ce qu’était la vérité, ce qu’était le jugement et ainsi de suite.

- Platon :

Pas du tout ! Socrate s’est même vanté à plusieurs reprises de respecter même des lois qui lui seraient semblé absurdes ou avec lesquelles il serait en désaccord. Rappelons que, lors de la condamnation des dix stratèges d’Athènes, coupables de ne pas avoir ramené dans leur ville les corps des victimes du conflit, Socrate, membre du Conseil des Cinq Cent, faisait office d’épistate des prytanes et a été obligé à ce titre d’organiser le vote de l’Assemblée sur cette question. Il a été le seul à voter contre la condamnation. Et il l’a fait au nom des lois d’Athènes.

- Appollodore :

Mais justement, il a été seul à voter dans son sens et sa confiance en la justice d’Athènes, déjà faible, est devenue nulle puisque sa ville condamnait à mort ses stratèges qui venaient pourtant de sauver Athènes en 406 aux Arginuses contre la flotte du spartiate Callicratidas ! C’était la démonstration que la justice athénienne, que ses lois soient bonnes ou mauvaises, était incapable de juger correctement car ce qui primait, c’était la démagogie de quelques beaux parleurs capables de remonter l’opinion populaire.

- Phédon :

La justice comme tout le mode de gouvernement d’Athènes, sous prétexte de démocratie, était devenu l’otage des démagogues qui agissaient non pas de manière consciente et réfléchie mais sur des impulsions provoquées par quelques manipulateurs du bon peuple.

- Antisthène :

Le comportement de Socrate à son propre procès, avant même de savoir s’il allait ou pas être condamné, a bien montré qu’il n’attendait rien de la justice. Il a tout au long fait le procès du procès, accusé les accusateurs, mis en cause les juges, pris à partie l’assemblée, rompu avec tout ce qui se faisait habituellement dans un procès, interpelant les accusateurs, menaçant les juges… du jugement public futur, affirmant qu’il ne pouvait pas être jugé, qu’il ne pouvait pas être condamné, que l’assemblée n’avait pas le moyen de lui faire du mal et que, même en le condamnant à mort, elle ne ferait que se condamner elle-même. Il a refusé les modes habituels de défense : témoignages d’amis et de parents, suppliques à l’assemblée, marques de respect à son égard, utilisation pour sa défense de déclarations rédigées par des logographes. Socrate a organisé et effectué lui-même sa propre défense et, en guise de défense, il a mené une attaque politique en règle qui devait avoir un retentissement longtemps après… Socrate a conclu ses discours par des affirmations selon lesquelles ce jugement serait reproché à la justice d’Athènes par les Athéniens et que cela contribuerait à obliger cette justice à se réformer. Même si cette affirmation n’a pas encore pris forme, le temps peut tout à fait donner raison à Socrate et ce crime d’Athènes n’est pas passé sous silence. En tout cas, Socrate a tenu que son procès serve à condamner les lois d’Athènes et sa manière de les mettre en oeuvre. Tout cela ne montre nullement un profond respect des lois d’Athènes ni de la justice d’Athènes. Il suffit de voir, dans les années qui ont suivi, le nombre de commentateurs du fonctionnement de la justice qui se sont servis du procès de Socrate pour le mettre en cause. En se faisant condamner à mort, Socrate savait que sa philosophie et sa politique allaient laisser une marque bien plus indélébile qu’en cherchant sa propre tranquillité. Sur les plans psychologique, politique et philosophique, Athènes allait devenir inséparable de Socrate dans toutes les mémoires, que l’on l’aime ou que l’on le déteste. Le poison n’a pas fait qu’empoisonner Socrate : il a empoisonné le pouvoir athénien, notamment la justice et ne manquera pas de le faire de plus en plus, plus les années vont passer…

- Platon :

Le peuple, mettre en cause le pouvoir d’Athènes ? Que tu parles vite et sans réfléchir ! On en est loin. Non seulement les accusateurs de Socrate ne le sont pas encore par le peuple mais ils ont été récompensés par le pouvoir ! Par exemple, Anytos s’est vu confier une magistrature importante à Athènes. Il est en effet nommé sitophylax et c’est lui qui est chargé de veiller au transport du blé du port du Pirée à Athènes ainsi que de sa distribution. Cela montre la reconnaissance des classes dirigeantes qui ont manipulé ce procès en le faisant passer pour une action démocratique du peuple. On a ainsi laissé entendre que Socrate méprisait les dieux de la cité, sous-entendant que Socrate aurait fait partie de la minorité défaitiste qui aurait causé la défaite d’Athènes. Or le peuple d’Athènes ne demandait pas mieux que d’entendre qu’il n’avait pas été vaincu mais trahi de l’intérieur par quelques pourris qu’il suffirait de supprimer.

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