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Un point de vue récent sur l’oppression des femmes

15 août 2017, 07:18

Diderot :

« Quelque avantage qu’on imagine à priver les femmes de la propriété de leur corps, pour en faire un effet public, c’est une espèce de tyrannie dont l’idée me révolte, une manière raffinée d’accroître leur servitude qui n’est déjà que trop grande. Qu’elles puissent dire à un capitaine, à un magistrat, à quelque autre citoyen illustre que ce soit : « Oui, vous êtes un grand homme, mais vous n’êtes pas mon fait. La patrie vous doit des honneurs, mais qu’elle ne s’acquitte pas à mes dépens. Je suis libre, dites-vous, et par le sacrifice de mon goût et de mes sens vous m’assujettissez à la fonction la plus vile de la dernière des esclaves. Nous avons des aversions qui nous sont propres et que vous ne connaissez ni ne pouvez connaître. Nous sommes au supplice, nous, dans des instants qui auraient à peine le plus léger désagrément pour vous. Vous disposez de vos organes comme il vous plaît ; les nôtres moins indulgents ne sont pas même toujours d’accord avec notre cœur, ils ont quelquefois leur choix séparé. Ne voulez-vous tenir entre vos bras qu’une femme que vous aimez, ou votre bonheur exige-t-il que vous en soyez aimé ? Vous suffit-il d’être heureux, et seriez-vous assez peu délicat pour négliger le bonheur d’une autre ? Quoi, parce que vous avez massacré les ennemis de l’État, il faut que nous nous déshabillions en votre présence, que votre œil curieux parcoure nos charmes, et que nous nous associions aux victimes, aux taureaux, aux génisses dont le sang teindra les autels des dieux, en action de grâces de votre victoire ! Il ne vous resterait plus qu’à nous défendre d’être passives comme elles. Si vous êtes un héros, ayez-en les sentiments : refusez-vous à une récompense que la patrie n’est pas en droit de vous accorder, et ne nous confondez pas avec le marbre insensible qui se prêtera sans se plaindre au ciseau du statuaire. Qu’on ordonne à l’artiste votre statue, mais qu’on ne m’ordonne pas d’être la mère de vos enfants. Qui vous a dit que mon choix n’était pas fait ? et pourquoi faut-il que le jour de votre triomphe soit marqué des larmes de deux malheureux ? L’enthousiasme de la patrie bouillonnait au fond de votre cœur, vous vous couvrîtes de vos armes et vous allâtes chercher notre ennemi. Attendez que le même enthousiasme me sollicite d’arracher moi-même mes vêtements et de courir au-devant de vos pas, mais ne m’en faites pas une loi. Lorsque vous marchâtes au combat, ce ne fut point à la loi, ce fut à votre cœur magnanime que vous obéîtes ; qu’il me soit permis d’obéir au mien. Ne vous lasserez-vous point de nous ordonner des vertus, comme si nous étions incapables d’en avoir de nous-mêmes ? Ne vous lasserez-vous point de nous faire des devoirs chimériques, où nous ne voyons que trop d’estime ou trop de mépris ? Trop de mépris, lorsque vous en usez avec nous comme la branche de laurier qui se laisse cueillir et plier sans murmure ; trop d’estime, si nous sommes la plus belle couronne que vous puissiez ambitionner. Vous ne contraindrez pas mon hommage, si vous pensez qu’il n’y a d’hommage flatteur que celui qui est libre. Mais je me tais et je rougis de parler au défenseur de mon pays, comme je parlerais à mon ravisseur. »

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