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Contestation au Burkina Faso

mardi 31 mai 2011

Tirs de protestation de militaires, grève générale des enseignants... La contestation est générale au Burkina, malgré quelques concessions du président Blaise Compaoré.

Les enseignants du secondaire (collège et lycée) au Burkina Faso sont en "grève illimitée" depuis lundi, rapporte RFI. Le mouvement, qui se durcit, est soutenu par des milliers d’élèves. Ces derniers ont mis le feu au siège du parti présidentiel et ont incendié la résidence du président Blaise Compaoré à Gaoua, dans l’Ouest du pays tandis que, à Ouagadougou, de jeunes manifestants brûlaient des pneus et cassaient des vitres des ministères de l’Education nationale et de l’Enseignement secondaire. Les enseignants burkinabès revendiquent une hausse des salaires et dénoncent des classes surchargées.

Après les revendications des militaires, après le mécontentement contre la vie chère, voici que depuis lundi les enseignants sont en grève, soutenus par les élèves… Avec des débordements, des casses et des pillages ces derniers jours. N’y a-t-il que la violence pour se faire entendre au Burkina ? En tout cas, le quotidien L’Observateur s’insurge contre cette manière de faire : « au Burkina, quelqu’un a ouvert la boîte de Pandore, déplore-t-il. Le malheureux constat que l’on en fait à ce jour est affligeant : presque toutes les composantes sociales auront eu leur jour de marche bruyante et de casse. Elèves, étudiants, militaires tous corps confondus, commerçants, tout y sera passé, avec en prime de fortes infiltrations de vandales volant, pillant, brûlant et détruisant tout sur leur passage, semant tristesse, larmes et désolation. »

Des milliers d’étudiants ont manifesté lundi à Ouagadougou en solidarité avec les enseignants en grève depuis la semaine dernière pour appuyer des revendications salariales.

Les protestataires ont brisé les vitres et mis à sac des bureaux du ministère de l’Education. "Pourquoi les revendications des militaires ont-elles été satisfaites alors que nos doléances ne sont même pas entendues ?", s’est interrogé un manifestant, faisant allusion à la série de mutineries observées depuis plusieurs mois dans plusieurs casernes du pays.

Au Burkina Faso, la Garde nationale est essentiellement connue pour son « orchestre d’Harmonie ». Mais la musique n’adoucit manifestement pas toujours les mœurs. Ce lundi 23 mai, ce n’est pas l’Hymne du Faso qu’elle a entonné, mais un concert de détonations cacophoniques. Vers 20 heures, troquant la trompette pour la kalashnikov, une dizaine de militaires sont sortis du camp du quartier Paspanga de Ouagadougou, ont barré les rues avec des autobus, ont réquisitionné des taxis et ont procédé à des tirs sporadiques. Ils réclamaient des « primes d’honneur » identiques à celles versées, quelques semaines plus tôt, à la Garde présidentielle, après qu’elle-même eut tiré en l’air le 14 avril, imitant d’autres salves intempestives qui se succèdent au Burkina Faso depuis deux mois.

A quand les gardes forestiers ? Les sapeurs-pompiers ? Les aumôniers militaires ? Les tirailleurs ? Faites vos jeux car, vraiment, rien ne va plus. Les zouaves, eux, sont déjà de sortie.

La balade pétaradante des bidasses-musiciens prêterait à sourire si elle n’invitait pas à pleurer. Lundi 23 mai au soir, une dame « d’un certain âge » a reçu une balle au niveau de la clavicule. Le 24 mai, le directeur général du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo indiquait à la presse qu’à la date du 20 mai, 135 blessés avaient été accueillis dans son seul centre depuis le début des mutineries et des manifestations. Trois personnes y sont décédées.

Deux mois après le début des troubles, les autorités n’ont-elles trouvé aucune solution à la perméabilité des armureries militaires ? Le Burkina est-il toujours un Etat de droit ?
Tout le monde est fâché

Au-delà de la sphère militaire, l’ancienne Haute-Volta ressemble à la chanson Multipartisme d’Alpha Blondy : « Tout le monde est fâché. Fâché. Fâché. » Les élèves marchent pour réclamer la justice dans le dossier Justin Zongo, celui dont la goutte de sang a fait déborder le vase des frustrations. Les commerçants marchent pour dénoncer les pillages des militaires. Les magistrats marchent pour exprimer leur sentiment d’humiliation. Les syndicats marchent pour critiquer le renchérissement des denrées de première nécessité. Les politiciens marchent pour réclamer du « jasmin » dans le thé du régime Compaoré… Tout le monde est mutin au Faso de ce début d’année.

La subite impatience sociale est relayée par les chancelleries. Le 11 mai, l’ambassadeur Amos Tincani, chef de délégation de l’Union européenne au Burkina, invitait le gouvernement local à « réfléchir davantage sur ce que les économistes appellent “le paradoxe burkinabè”, c’est-à-dire une croissance soutenue mais avec très peu d’impact sur la réduction de la pauvreté profonde ».

La purge au sein du pouvoir n’a manifestement pas calmé les ardeurs des manifestants : congédiés les responsables des principaux corps militaires ; destitués des hauts-commissaires ; remerciés quelques dirigeants de sociétés publiques ; écarté un maire d’arrondissement ; limogée la moitié des ministres…

Un mois après sa nomination, le nouveau Premier ministre tente de saupoudrer d’arguments sonnants et trébuchants une contestation hétérogène. Coiffé d’un casque de chantier et vêtu d’un gilet fluo, Luc Adolphe Tiao est sur tous les fronts : suivi des grands travaux, concertations tous azimuts, levée du couvre-feu, conférences de presse à répétition, annonces de réformes politiques ou tentative de contrôle des prix des produits de première nécessité. Dans la mauvaise humeur ambiante, il sait qu’il ne peut pas compter sur un état de grâce. C’est pourquoi on le surnomme déjà « Lucky… Luc », l’homme qui doit réformer plus vite que son ombre. Mais face aux moues dubitatives, il risque de ne lui rester que la méthode Coué. Ou des contre-marches dites « pour la paix » organisées ici par des femmes ou là par des artistes.
Les enseignants en grève

Aujourd’hui, les fanfaronnades militaires inquiètent de moins en moins une population habituée aux détonations. Celui qui dort à côté d’une station de métro ne se réveille-t-il pas en sursaut lorsque les rames, en grève, sont soudainement silencieuses. Une nuit ouagalaise sans rafale, c’est devenu étonnant. Dans l’immédiat, et à moyen terme, la sphère sociale la plus préoccupante est celle de l’enseignement.

Les enseignants burkinabè sont en grève illimitée depuis le lundi 23 mai. Ils réclament des classes moins chargées et exigent le relèvement de la grille des indemnités. Une menace sérieuse pèse désormais sur les épreuves de fin d’année. Car les Burkinabè se souviennent de l’invalidation de l’année universitaire 1999-2000, suite aux troubles consécutifs à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. A l’Université, l’année académique 2010-2011, en retard, s’achèvera, au mieux, en décembre.

Le risque est tel pour les candidats aux examens que les victimes des grévistes en sont devenus les avocats. Lundi 23 mai, des milliers de collégiens et de lycéens ont manifesté à Ouagadougou. Des vitres des ministères de l’Education nationale et de l’Enseignement secondaire et supérieur ont volé en éclats. Des pneus ont été incendiés sur la voie publique. Mardi, des heurts ont éclaté à Ouahigouya, à 180 kilomètres au nord de la capitale. A Gaoua, au sud-ouest, des élèves ont incendié le siège du principal parti de la majorité —le Congrès pour la démocratie et le progrès— ainsi que le pied-à-terre du président Blaise Compaoré.
Blaise Compaoré vacille

Blaise Compaoré : tout, au Burkina, semble irrémédiablement conduire vers celui aux pieds duquel a coagulé tout le sang politique, au propre comme au figuré. Le président du Faso et ministre de la Défense aurait-il perdu ce sixième sens qui semblait avantageusement compenser son manque de charisme ? Serait-il devenu, dans l’opinion publique, le problème du Burkina Faso ? La crise ne pourrait-elle s’achever qu’avec son départ du pouvoir ? La manchette de la dernière édition du bimensuel burkinabè L’événement est explicite : « Combien de temps peut-il encore tenir ? » Pour cette publication (traditionnellement critique, il est vrai), la question n’est plus « Va-t-il tenir ? », mais « Combien de temps ? ». Le Burkina Faso serait-il sur le point d’abriter la première révolution du jasmin d’Afrique noire ?

La Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fedap-BC) a beau jeu d’expliquer que le président du Faso a été acclamé par un peuple en liesse, samedi 21 mai, pour ses efforts déployés et ses miracles accomplis. Oui, il a été acclamé par un peuple en liesse. Le peuple ivoirien, lors de l’investiture d’Alassane Ouattara à Yamoussoukro.

Damien Glez

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