dimanche 5 décembre 2010
Les menteurs et ceux qui les croient disent qu’en choisissant entre Bédié, Ouattara et Gbagbo, la Côte d’Ivoire cherche la démocratie.
Ceux qui affirment que le problème est celui d’une personne qui deviendra président mentent. D’ailleurs il n’y a pas de différence de fond entre Ouattara et Gbagbo : deux amis de la bourgeoisie ivoirienne et internationale et deux ennemis des travailleurs et des petites gens qui sont l’immense majorité de la population !
Les peuples croient parfois les menteurs. Mais la réalité se charge durement de rétablir la vérité.
Pour connaitre la réalité, il faut souvent poser une seule question : comment expliquez vous les faits du passé ?
Et, effectivement, comment expliquez-vous les faits qui sont à l’origine de toute la situation en Côte d’Ivoire, ceux de 1999-2000, les deux fois où le peuple ivoirien s’est soulevé, les deux fois où il a fait tomber le pouvoir, les deux fois où il ne s’agissait pas de séditions militaires, ni de manipulations politiciennes, même si, le peuple travailleur n’ayant pas pris lui-même le pouvoir qu’il venait de faire tomber, les manipulations militaires et politiciennes n’ont pas manqué ensuite...
Ce n’est ni Gbagbo ni Ouattara qui ont inventé la révolte du peuple travailleur en Côte d’Ivoire, même s’ils en ont détourné plus tard une partie à leur profit. Elle a commencé à monter sous Houphouët-Boigny puis Bédié : révolte sociale, révolte contre la dictature, révolte contre la misère...
La crise en Côte d’Ivoire n’est pas venue des politiciens, même si eux-mêmes voudraient le faire croire.
Il ne s’agit pas simplement de crises de la démocratie, du droit de vote, de l’Etat de droit...
Non, la crise de la Côte d’Ivoire est une crise sociale exploitée ensuite par des politiciens et des fractions de l’armée...
Aujourd’hui, la question n’est pas de savoir qui a triché aux élections, quel est le président le plus démocratiquement élu, ni même de savoir lequel a le soutien de la fameuse communauté internationale ’couverture de l’impérialisme) car l’autre est aussi soutenu de ce côté là...
Non, la question est : à quel moment les exploités de Côte d’ivoire vont se battre pour leurs propres intérêts et non pour les dirigeants bourgeois des divers camps...
Cela nécessite qu’ils s’organisent, à la faveur de la crise, en comités de travailleurs et d’habitants des quartiers populaires, par delà les ethnies, les religions, les pro-nord ou les pro-sud ou les pro-ouest, mais sur des bases de classes, en tant qu’exploités !!!
Voici des extraits d’un article de Francis Akindès :
En Côte d’Ivoire, le coup d’État du 24 décembre 1999 a mis fin à trenteneuf ans d’hégémonie du PDCI-RDA sur la vie politique nationale. Mais le « complexe politico-économique » qui offrait les apparences d’une telle stabilité politique était en crise depuis le début des années 90, où s’est effectué le retour au multipartisme. Sur le plan macro-économique, cette dynamique politique s’est déployée sur fond de dix-huit années (1960–1978) de croissance économique continue suivies par vingt années d’incertitudes (1979-1999). (...) De 1960 à 1980, est la période dite du « miracle ivoirien », caractérisée par la disponibilité financière, le faste des investissements et, de façon générale, l’importance des dépenses publiques (...) Abidjan, la capitale économique, bien loin devant les autres villes de l’intérieur, était devenue la vitrine de la bonne santé de l’économie ivoirienne. Elle était un espace de démonstration du train de vie luxueux des « grands types », presque tous des membres de la classe politique introduits dans le monde des affaires, qui bénéficiaient incontestablement des largesses du milieu politique ou des « en haut d’en haut », comme il est coutume de les nommer dans le langage populaire. (...) La seconde période s’étend de 1981 à 1993. Elle est qualifiée de temps du « mirage ivoirien ». L’économie ivoirienne sombre dans une profonde récession, qui atteint son point culminant en mai 1987. L’État, à bout de souffle, suspend unilatéralement le remboursement de sa dette extérieure. Pour faire face à ces déséquilibres économiques, le gouvernement ivoirien doit adopter des plans de stabilisation et des Programmes d’ajustement structurel (PAS) dans lesquels sont revues à la baisse les prétentions régulatrices de l’État. Mais, malgré les mesures correctives envisagées sous la pression des bailleurs de fonds, les déséquilibres continuent à s’aggraver. C’est dans cette situation de fragilité structurelle que prend forme la troisième phase marquée par la dévaluation du franc CFA, dont la Côte d’Ivoire fut la première bénéficiaire dans la zone franc, notamment grâce à la flambée des cours des matières premières qui lui a permis de renouer avec un taux de croissance en hausse, passé de 1,5% en 1994 à 6,5% en 1996, pour atteindre 5,7% en 1999. Les efforts de maîtrise de l’inflation (au départ de 32,2% en 1994, tombée à 7,7% en 1995 et actuellement contenue autour de 4,5 %) ne sont apparemment pas ressentis par la population, dans la mesure notamment où la hausse généralisée des prix qui a suivi la dévaluation a contribué à dégrader les conditions de vie des ménages. En même temps que les tarifs des services publics (gaz, électricité, transports, etc.) augmentaient, les prix des produits de base (céréales, féculents et tubercules) connaissaient également une nette hausse. L’embellie conjoncturelle post-dévaluation a surtout masqué une croissance des inégalités existantes et l’effondrement des indicateurs sociaux. L’étude relative au profil de pauvreté en Côte d’Ivoire a révélé une amplification du phénomène de pauvreté qui serait passé d’un taux de 10% en 1985 à 32,3% en 1993, puis à 36,8% en 1995. Le milieu rural, malgré des ratios plus élevés au cours de la décennie 1985-1995 et une pauvreté plus structurelle et plus ancienne, enregistre un rythme d’appauvrissement moins rapide que le milieu urbain, où le phénomène s’accentue, avec un nombre de plus en plus grand de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. De même, le phénomène s’accentue pour les ménages d’actifs indépendants du secteur informel. Enfin, l’inégalité s’exprime aussi dans le registre de la nationalité : en 1993, 1995 et 1998, le ratio de pauvreté au plan national était respectivement de 31,3%, 35,4% et 33,4% pour les ménages dont le chef est ivoirien, et de 35,4 %, 44,7% et 34,3% pour ceux dont le chef est étranger 7. Entre 1994 et 1996, les tracasseries policières se sont accrues avec l’instauration de la carte de séjour en Côte d’Ivoire pour les étrangers. Il s’en est suivi une tendance au retour, dans leurs pays d’origine respectifs, des ressortissants de pays de la sous-région en situation de précarité économique, ce qui a entraîné une réduction du nombre de pauvres dans cette catégorie par rapport à 1995. La nécessité quotidienne de « joindre les deux bouts » explique également le développement de la petite corruption dans les administrations publiques. Différents corps de métier capitalisent leurs contacts directs avec la population, privatisent le service public et transforment la méconnaissance des droits et des obligations des usagers en situation de rente. Certains ménages abidjanais s’organisent en associations ou en groupes d’achat pour réduire le coût d’approvisionnement en denrées de base. Ces associations seraient le fait d’amis, de voisins de quartier, de collègues de travail ou de coreligionnaires. Les produits le plus souvent concernés par ce type d’achat en gros sont le riz, la viande, le poulet, le poisson congelé. Enfin, pour les personnes qui disposent d’une épargne, l’investissement dans l’immobilier est devenu, après la dévaluation, l’une des stratégies offrant le plus de garantie et d’assurance en matière d’amélioration du pouvoir d’achat. Nos travaux sur Abidjan et Bouaké montrent que les nantis se sont saisis de l’opportunité de la surenchère locative dans l’immobilier pour améliorer leur revenus. (...)
L’île Boulay est le quartier aux milliardaires. Suivant les quartiers, de Cocody et Deux Plateaux à Treicheville ou Adjamé et Yopougon, vous êtes de la bourgeoisie, de la petite bourgeoisie ou du prolétariat...
Il y a la Côte d’Ivoire de la bourgeoisie
Et il y a celle des bidonvilles
Voici un exemple d’un article sur la bourgeoisie ivoirienne :
Côte d`Ivoire : Les excès des nouveaux riches
Jeudi 25 juin 2009 - Par Bilagoly- A Abidjan, peu de gens peuvent localiser la "baie des milliardaires", sur l’île Boulay, à quelque quinze minutes en bateau de la capitale économique ivoirienne. Il faut dire qu’il n’existe pas de navettes grand public, son accès étant réservé aux détenteurs de yachts.
Les " babatchès " se sont ainsi créé leur petit monde, coupé des réalités locales, et vivent dans une bulle. Un quartier du nom de Beverly Hills est sorti de terre pour abriter des demeures d’un luxe insolent.
39èmes la lagune et la visite des sites d`Assinie, Grand-Bassam et la baie des milliardaires
Le mois dernier, c’est là-bas, loin du tumulte de la ville, que le directeur général de BNI Finances, Pascal Djereke, a convié parents et amis à fêter son anniversaire. Organiser une croisière pour un tel événement, c’est le top.
Pour souffler ses quarante bougies, Evariste Méambly, un proche de Charles Blé Goudé, a édité une brochure spéciale, tout en couleurs et sur papier glacé, pour relater les différentes étapes de son ascension sociale. Les invités ont adoré. Abidjan se souvient encore de "l’incroyable anniversaire" d’Anne-Marie Emmanuelle Ekra, la fille de Victor Ekra, un homme d’affaires proche de Laurent Gbagbo. Invités de haut rang, décor féerique dans un site paradisiaque situé au bord de la lagune... rien ne manquait. Pas même une dizaine de climatiseurs destinés à distiller de l’air frais en extérieur ! Les extravagances de Victor Ekra et son goût immodéré pour le luxe sont entrés dans la légende. Il a été au cœur du " scandale de la Maybach ", une Mercedes en série limitée achetée pour plus de 1 million d’euros.
Dans les boîtes de nuit, comme Le Mix, Ice, La Place Vendôme ou Le Cœur Samba, les virées nocturnes tournent parfois au ridicule. Des millions de francs CFA sont engloutis en une seule nuit. Le brut millésimé coule à flots, certains allant même jusqu’à se faire laver les pieds dans des seaux à Champagne.
Les voitures sont les premiers signes extérieurs de richesse à Abidjan. Hummer, BMW X6, Audi Q7, Land Rover blindée... Certains n’hésitent pas à aligner deux ou trois de ces marques dans leur parc automobile. C’est notamment le cas des ex-rebelles, commandants de zone, qui garent leurs bolides sur le parking de l’hôtel du Golf, où ils ont l’habitude de loger.
L’homme d’affaires Stéphane Kipré, leader d’un parti politique et gendre du président Gbagbo, possède une vingtaine de grosses cylindrées. Lors de son mariage en juillet 2007, c’est dans un décor sorti d’un conte de Grimm, avec carrosse et citrouille, qu’il a reçu ses invités à la résidence présidentielle de Cocody. Aujourd’hui, la mode est à l’affrètement d’avion ou à l’achat d’une centaine de billets pour organiser des cérémonies nuptiales en Europe. Un luxe que s’est offert Amadou Koné, ministre de l’Intégration africaine, pour son mariage à Paris. Idem pour Jacques Anouma, président de la Fédération ivoirienne de football (FIF) et directeur administratif et financier de la présidence, pour le mariage de sa fille en Suisse. Plus récemment, le mariage princier de Denis Bra Kanon, célébré le 15 avril à Augerville-la-Rivière, dans le Loiret (centre de la France), a marqué les esprits. Ex-ministre de l’Agriculture d’Houphouët-Boigny, le marié est décédé le 9 juin dernier à Man, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire. Mais le feu d’artifice et le lâcher de confettis par hélicoptère sont encore visibles sur le site YouTube.
En véritables seigneurs, ces nantis entretiennent une véritable cour, et sont suivis de valets - affublés du titre de " chargés de mission " - dont la fonction principale est de payer les achats ou bien encore de trimbaler les nombreux téléphones portables du patron. La présence de gardes du corps achève d’attester de l’importance de la personne. Devant des restaurants VIP comme La Croisette, Le Grand Large, Le Montparnasse, Chez Georges ou encore La Taverne romaine, on peut croiser ce petit personnel qui guette la sortie du " boss. Pendant que certains d’entre nous meurent sous les flots de la pluie et d’autres parce qu’ils n’arrivent pas à se soigner convenablement, les medecins étant en grève, la gabegie continuent et malheur a ceux d’entre ces nouveaux riches qui feraient trop de tapage comme les Tapé Doh et consorts.... La confrérie mange ces propres enfants ne l’oublier surtout pas...
L’autre facette de la réalité
Abidjan, la perle des lagunes, est la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Impressionnante, elle l’est surtout pour l’Ivoirien ou tout visiteur qui met les pieds pour la première fois dans cette métropole de près de 5 millions d’habitants. Ses larges avenues, ses gratte-ciel et ses villas de luxe, lui donnent l’allure des grandes villes du monde. Mais il faut parcourir les quartiers populaires pour découvrir une autre facette, disons, la face hideuse d’Abidjan. Adjamé, Attécoubé, Yopougon, Treichville, Port-Bouët, Koumassi, Cocody quelques communes de cette grande ville, étalent ainsi à flancs de collines des bidonvilles. Chacun avec sa particularité, ses réalités et sa configuration. Eau, électricité, voirie et équipements sanitaires et scolaires sont presqu’inexistants. Les populations sont livrées à elles-mêmes, et certaines données estiment à 1032000 le nombre de personnes qui vivent dans ces quartiers sous-intégrés, soit 53% de la population abidjanaise. Des chiffres qui font peur quand on sait que cette étude réalisée par le ministère de la Construction et de l’Urbanisme date de 1992 et qu’elle n’est pas actualisée... La plupart de ces bidonvilles tous surpeuplés, sont composés de constructions ad hoc faites de planches de bois et de bâches de plastique. Ces quartiers sont habités majoritairement par un mélange d’Ivoiriens, d’immigrés ouest-africains et d’Afrique centrale (RDC, Congo, Camerounais) ainsi que de réfugiés Sierra-Leonais et Libériens. Ces immigrés vivent en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années si ce n’est des générations, si l’on en croit un rapport de Human Rights Watch, publié en 2003.
« Colombie » : lieu de transit pour les bandits
Il est huit heures, ce 18 août 2007. Nous sommes à « Colombie », un bidonville situé dans la commune de Cocody, plus précisément entre le Zoo d’Abidjan et les Deux-Plateaux. Un rassemblement attire notre attention : des femmes, cuvettes sur la tête, font le rang pour se ravitailler en eau potable au seul point installé par la Société de distribution d’eau de Côte d’Ivoire (SODECI) depuis mars 2007. Aucune habitation ne possède de compteur domestique. Idem pour l’électricité. Alors qu’à quelques mètres seulement, c’est l’abondance dans le quartier résidentiel. Assis dernière un bureau de fortune, Bégui Gnahoré, la quarantaine au moins, suit de très près les mouvements des femmes. C’est lui le Monsieur Sécurité du quartier, parce que gérant un comité d’auto-défense. A la tête d’une quinzaine de jeunes gens, Bégui a en charge la sécurité des biens et des personnes, de jour comme de nuit. Un dispositif dissuasif pour permettre aux populations de vivre dans la quiétude, malgré la précarité de leurs conditions de vie. Dans les fichiers de la police nationale, Colombie est présenté comme l’un des bastions de la pègre abidjanaise. Et Bégui ne le nie pas. « On nous accusait de servir de refuge aux voleurs. C’est pourquoi nous nous sommes organisés pour sécuriser le quartier », explique-t-il, avec beaucoup de satisfaction. « Ce quartier, poursuit-il, est en fait un lieu de transit pour les bandits. Le manque d’éclairage public leur est très favorable, une fois la nuit tombée. Lorsqu’ils commettent des vols aux Deux-Plateaux ou ailleurs à Cocody, ils se dirigent vers Colombie pour pouvoir échapper à la police ». D’ailleurs, certains habitants révèlent que les bandits formaient un véritable cordon autour de Colombie pour pouvoir agresser les passants. « C’était l’enfer ici », témoigne dame A.B., une des victimes de ces agressions. Détruit en 2002 par les autorité ivoiriennes, Colombie est né de ses cendres, comme une hydre de Lerne. « Certains habitants sont partis ailleurs, mais, nous avons décidé de rester sur place, parce que ne sachant où aller. Nous avons dormi au dehors pendant de nombreux mois. Nous avons par la suite reconstruit nos baraques. Nous avons beaucoup souffert. C’est de-là qu’est venu de nom de Colombie, c’est-à-dire le désespoir de ceux qui étaient délaissés après le déguerpissement », explique Bégui. A Colombie, la terre appartient pourtant aux Ebrié. Pour toute construction de baraques, il faut leur accord, moyennant un apport financier. Mais le manque d’éclairage public menace gravement la sécurité des habitants du quartier. L’école publique la plus proche se trouve à 2 Km du quartier. Une distance qui n’encourage pas certains parents à scolariser leurs enfants, si ce sont ces derniers eux-mêmes qui abandonnent l’école au cours de l’année. « On nous a oubliés », se plaint Bégui. La drogue, on en consomme et on en commercialise dans ce bidonville. La police est toujours aux trousses des dealers. Des fumoirs sont chaque semaine visités et détruits par la police anti-drogue, mais à dire vrai sans grand effet. « Nous sommes délaissés. La seule activité qui s’offre à nous, c’est de vendre la drogue. C’est ici que tout Cocody vient se ravitailler. La police n’y peut rien », a révélé un habitant du quartier, sous couvert de l’anonymat.
1,62 tonne de chanvre indien saisi à Gobelet
26 août : cap sur « Gobelet », un autre bidonville au nom évocateur toujours dans la commune de Cocody, plus précisément entre les quartiers huppés de Deux-Plateaux, Attoban et Riviera II. « Gobelet » du fait de sa forme ovale et creuse, qui rappelle celle du récipient du même nom, est un quartier précaire situé dans un ravin. Aucune voie d’accès. Seuls quelques couloirs entre les baraques servent de passage aux habitants qui vivent dans une puanteur totale. Un égout à ciel ouvert à proximité duquel des commerçants sont installés, traverse ce ravin. Bien que les habitants de Gobelet bénéficient de l’eau courante et de l’électricité, leur distribution se fait par des revendeurs, en toute illégalité. Gobelet rime également avec la drogue. Pour preuve, c’est dans ce bidonville qu’a été saisie, le 5 septembre dernier, une importante quantité de drogue estimée à 1,62 tonne de chanvre indien. Cette grosse prise opérée par des éléments de la douane lève un coin de voile sur le danger réel que représentent la plupart des bidonvilles d’Abidjan. « Chaque nuit, une espèce d’odeur acre envahit tous les couloirs. On me dit que c’est l’odeur de la drogue. Mais moi, je n’en sais rien du tout », témoigne Ouédraogo A., la vingtaine révolue, de nationalité burkinabé. Les langues se délient difficilement d’ailleurs sur l’existence de ce phénomène délictueux. « La police fait beaucoup d’incursions ici à cause des étrangers qui n’ont pas de pièces d’identité », affirme Traoré Mamadou, chef d’un sous quartier de Gobelet. Si les normes en matière d’urbanisme étaient respectées en Côte d’Ivoire, ce quartier précaire n’existerait pas, parce que « Gobelet est un domaine d’Etat considéré comme un lot de déverse ». Malgré la pression des autorités ivoiriennes, les habitants sont restés sur place, après leur déguerpissement de l’espace qu’occupent les locaux de l’Ecole nationale de police. « Nous ne pouvons plus aller quelque part », soutient un chef béninois. Une personne dont tous les enfants sont nés à Gobelet. « Mes enfants ne vont pas à l’école parce qu’il n’y en a pas », poursuit-il. « Ici, c’est plutôt l’école buissonnière », confirme M. Traoré.
Treichville : pas d’école pour les enfants
Dans la commune de Treichville, la réalité est tout autre. Les populations d’un bidonville nommé Kouassi-Le-Noir ou Hino(l’appellation la plus connue) sont confrontées à deux problèmes majeurs : l’éducation et la santé. Créé dans les années 70 par des pêcheurs ghanéens, ce quartier de près de 6300 habitants, construit entre le canal de Vridi et la lagune ébrié, occupe un domaine dont de nombreuses entreprises réclament la paternité. Une précarité qui hante beaucoup la population. « A tout moment, on peut nous chasser », s’inquiète Boni Cyriaque, président du Conseil de gestion du quartier depuis 1999. « Au lendemain de la crise de 2002, il avait été question de détruire ce quartier précaire. Mais nous nous sommes opposés. Mais il faut aujourd’hui passer à une autre phase. Après concertation avec les populations, nous devons déterminer la vocation de ce quartier et nous donner les moyens pour le refaire complètement », explique M. Amichia François, maire de cette commune. Les habitants de Hino vivent un véritable calvaire. Les toilettes sont constituées de baraques en bois construites sur la lagune. Une eau qui sert également à faire la lessive, la vaisselle, et peut être la cuisine. L’absence d’école publique et de centre de santé créé beaucoup de désagréments aux populations. Certains habitants rencontrés soutiennent d’ailleurs que la majorité des enfants ne vont pas à l’école, et que les femmes enceintes n’arrivent pas non plus à suivre les soins prénataux. Bien que le Centre hospitalier universitaire(CHU) soit situé à moins d’un kilomètre de leur lieu d’habitation, la cherté des soins exclut d’office les habitants de ce quartier majoritairement démunis. « Quel sera l’avenir pour tous ces enfants qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école ? Ils seront tous des délinquants », s’inquiète le président du Conseil de gestion dudit quartier. « Le maire est vraiment impuissant parce que cet espace n’appartient pas à la commune. Il ne peut donc rien entreprendre », avoue M. Boni. Toutefois, les habitants de Hino bénéficient chaque année d’un soutien financier de la municipalité pour la scolarisation des enfants. En effet, la mairie alloue une enveloppe de un million de francs CFA pour la prise en charge scolaire des élèves. « C’est un véritable soulagement parce que nous souffrons dans ce quartier. Mais ce serait encore plus satisfaisant si les autorités acceptaient de doter ce quartier d’une école publique », déclare Boni Cyriaque. A Hino, la plupart des habitants travaillent au port d’Abidjan situé dans la même commune. « Ce que nous percevons ne peut pas nous permettre d’habiter loin de notre lieu de travail. C’est ce qui explique notre présence dans ce quartier qui ressemble beaucoup plus à un campement », nous dit A. Michel, docker au port depuis une vingtaine d’années.
Fréquence des conflits fonciers
Si les habitants de Hino vivent dans la psychose d’un éventuel déguerpissement, ce n’est plus le cas pour ceux de Grand Campement et Zoé Brunot, deux quartiers de la commune de Koumassi. Ici, tout est viabilisé. Pour ce qui est de Zoé Brunot, les baraques sont de plus en plus rares. Et certains habitants témoignent que l’insécurité a commencé à reculer. « L’électrification du quartier, ainsi que la disparition des taudis moins chers ont fait partir tous ces voyous qui avaient trouvé refuge ici », se soulage dame Marcelline. Ce site autrefois marécageux devient de plus en plus habitable. Sur 550 propriétaires de lots, 332 personnes ont effectivement reçu leurs lettres d’attribution. « Il nous faut donc repousser la lagune pour pouvoir satisfaire tous les besoins », nous explique Aka Nianzouki, président du Comité d’appui à la restructuration(CAR) du quartier Zoé Brunot. Une opération qui a effectivement débuté pour s’interrompre quelques mois plus tard à cause des divergences entre les habitants et un promoteur. Aujourd’hui, les membres du bureau et une frange de la population sont à couteaux tirés sur fond de litiges fonciers. En témoigne la bagarre qui a éclaté entre le président du CAR et Sana Salif, de nationalité burkinabé, au lendemain de notre passage. Las d’attendre, ce dernier réclamait ses 200 mille francs, (200.000 F Cfa) une somme initialement versée pour être propriétaire d’un lot. « Il n’est pas le seul dans cette situation. Les gens pensent que nous avons détourné leur argent. En réalité, il n’y a plus d’espace disponible », se défend M. Aka Nianzouki.
Prostitution : source d’insécurité
Les bidonvilles d’Abidjan sont généralement des destinations privilégiées pour les prostituées. Et le quartier Yaoséhi, dans la commune de Yopougon, a une très forte réputation dans ce domaine. Pour nous en convaincre, nous y avons passé près de trois heures, un samedi nuit. A l’entrée principale de ce bidonville, on trouve un lieu de gastronomie à ciel ouvert, avec tous les risques de contamination. Juste à côté, un hôtel au devant duquel de jeunes filles vêtues de mini-jupes, n’hésitent pas à héler tout passant. « Ces filles que vous voyez sont des Ivoiriennes. Une fois la nuit tombée, elles envahissent ce quartier où elles livrent en cachette leur corps pour de l’argent. Et leur présence attire beaucoup les bandits. Nous sommes vraiment en insécurité », affirme K. N. Claver, étudiant en maîtrise de géographie, à l’université de Cocody. « Quelquefois, ces prostituées agressent et dépouillent leurs clients avec la complicité des bandits à qui elles servent d’indicateurs »,précise-t-il. D’ailleurs la forte présence de groupes de jeunes garçons tapis dans la pénombre autour des hôtels de fortune, conforte cette hypothèse. En entrant beaucoup plus en profondeur dans le quartier, l’on peut apercevoir que d’autres prostituées aux accents anglophone et autres patois de la sous-région, défilent dans des couloirs à la recherche d’un éventuel client. « Ce sont des Nigérianes, et elles travaillent pour des femmes à qui elles donnent une partie de l’argent qu’elles engrangent », révèle une source anonyme. Et le témoignage de l’une d’entre elles, confirme l’existence d’un réseau de proxénètes bien organisé : « On m’a proposée depuis le Nigéria de me faire partir aux Etats-Unis une fois arrivée en Côte d’Ivoire. Mais depuis, je suis ici ». Son regard lointain après ses propos, achève de convaincre sur la trop grande désillusion qu’elle vient de vivre et qui l’a fait échouer dans un bidonville ivoirien.
A qui la faute ?
« Le phénomène des bidonvilles est une véritable pathologie urbaine », juge M. Diakité Oumarou, urbaniste aménageur, chef de mission au Bureau National d’étude technique et de développement(BNETD). « C’est parce qu’on n’a pas été capable de donner du logement à la fois décent et à la hauteur de la bourse de certaines populations que les bidonvilles se sont développés à Abidjan », soutient-il. « Mais le meilleur médicament, c’est la prévention. Il faut prendre toutes les dispositions pour que la ville soit mieux organisée. Il faut aussi que Abidjan ne devienne plus la seule destination des populations », propose-t-il. Pour solutionner le problème des quartiers précaires, la Banque Mondiale avait mené une politique de rénovation. Cela consistait à détruire les bidonvilles pour ensuite moderniser les habitations. L’échec de cette politique d’éradication de l’habitat insalubre a débouché sur une autre opération dite de restructuration. Il fallait donc maintenir les populations sur place, mais en leur apportant le minimum d’équipements pour leur bien-être. C’est d’ailleurs l’avis de M. Amichia François, président du Forum ivoirien pour la sécurité urbaine(FISU). « A long terme, il va falloir supprimer ces quartiers précaires et créer un cadre de vie idéal pour nos populations », estime le maire de la commune de Treichville. « Le problème devrait être résolu en amont au lieu d’être résolu en aval. Il faut faire de la planification en matière d’urbanisation », tranche M. Diakité Oumarou. En se réunissant du 12 au 13 septembre dernier à Abidjan autour du thème « Maires et secteur privé, partenaire pour la prévention de l’insécurité », les maires de Côte d’Ivoire entendaient ainsi impliquer les opérateurs économiques exerçant sur leurs territoires communaux dans la lutte contre la criminalité et la délinquance. Même si au cours de ce forum, la question des quartiers précaires très souvent source d’insécurité n’a pas été directement abordée, n’empêche qu’à l’ouverture des travaux, M. André Carvalho, directeur pays du PNUD Côte d’Ivoire a été très clair : « Pour sortir du cercle de l’insécurité au plan local, il faut des mesures qui favorisent le développement humain, notamment par l’accès à des emplois stables, à l’éducation et aux services sociaux », a-t-il préconisé. La grande pauvreté qui frappe certains populations serait donc la raison qui les pousse à s’agglomérer dans des espaces précaires et insalubres. Cette urbanisation aux allures de cauchemar décrite dans le livre justement intitulé « Le Pire des mondes possibles » par le chercheur américain Mike Davis n’a pas manqué à son auteur de donner pour titre à l’un de ses chapitres « Vivre dans la merde », comme pour mieux brosser avec beaucoup de réalisme les conditions de vie épouvantables des bidonvillois surtout ceux vivant dans la capitale ivoirienne meurtrie par cinq années de guerre.
Bertrand Gueu
Et ce sont les luttes de classes qui expliquent la situation politique et non le contraire