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L’Islande nous montre notre avenir ...

mercredi 17 mars 2010

Dans la presse :

Le Produit intérieur brut de l’Islande a enregistré un recul de 6,5 % en 2009 à prix constants, soit une chute annuelle record pour l’économie de ce pays, a annoncé vendredi l’Office national de la statistique.

En 2008, le PIB avait augmenté de 1% et de 6% en 2007.

"La baisse du PIB en 2009 est due à un recul de 20,1% des dépenses nationales. La consommation des ménages a baissé de 14,6%, les dépenses de l’Etat de 3% et la formation de capital fixe de 49,9%", souligne l’Office.

Le secteur financier islandais, dont les actifs avaient représenté jusqu’à près de 11 fois le PIB, s’est brutalement effondré en octobre 2008, entraînant une crise économique sans précédent marquée par le plongeon de la couronne islandaise, un bond du chômage puis la démission du gouvernement, remplacé par une coalition de gauche.

Un pays en faillite potentielle mendiant à l’étranger un financement à court terme, deux des trois grandes banques nationalisées en catastrophe, une inflation de 15 % et une monnaie, la couronne islandaise, qui, en un an, a perdu 60 % de sa valeur : telle est la situation actuelle de l’Islande. Comment a-t-on pu en arriver là ? C’est la question que se pose l’Islandais moyen en ayant le sentiment de n’avoir participé en rien à cette piteuse équipée.

Cette crise qui terrasse l’Islande n’est pas franchement visible. Les grandes artères de Reykjavik sont embouteillées des mêmes somptueux 4×4 matin et soir. La forêt de grues est toujours là, surplombant des chantiers en panne. Là ou devaient se construire un palais de la musique, un "World Trade Center", un hôtel de luxe de 400 chambres et le nouveau siège de la banque Landsbanki - en cessation de paiement et nationalisée depuis mardi 7 octobre au matin -, seule la salle de concert verra le jour. Mais Reykjavik reste à la fois calme et industrieuse avec ses ciels de pluie fulgurants et son chômage inexistant.

Oui, comment en est-on arrivé là ? L’Islande n’est pas un pays en voie de développement, c’est une société très moderne de 330 000 habitants, la plus riche des nations nordiques après la Norvège, qui caracole en tête de tous les palmarès internationaux. C’est un Etat de droit dont les institutions sont analogues à celles des pays scandinaves. Et pourtant, on en est arrivé là.

Il y a d’abord un problème intérieur qui n’est pas nouveau : les Islandais, depuis plusieurs générations, vivent à crédit, au-dessus de leurs moyens. Plusieurs générations l’ont fait depuis la guerre, c’est leur culture, et ils ont toujours payé leurs dettes au prix d’un deuxième, voire d’un troisième boulot. On a ici le sentiment de vivre quand on a de l’argent, c’est-à-dire quand on n’en a plus le temps. Mais ce n’est pas cela qui a ruiné l’Islande, même si les banques, caressant les Islandais dans le sens du poil, leur proposaient encore récemment de payer leur logement sur quarante ans sans apport personnel. Les jeunes couples qui ont été tentés le paient aujourd’hui chèrement : leur dette dépasse la valeur de leur bien immobilier. Les générations précédentes s’en sortent un peu mieux. Leurs retraites seront amputées, le premier ministre, Geir Haarde, l’a annoncé sans ambages lundi, car les fonds de pension possèdent un important portefeuille d’actions dans les banques en déroute.

Mais, si le problème n’était qu’intérieur, la petite société islandaise aurait tôt fait de s’en remettre, tant les cycles de récession et d’expansion se mettent rapidement en marche dans une société aussi réduite. Le problème est, en fait, la taille démesurée des banques islandaises par rapport au pays et l’imprévoyance et les erreurs de la banque d’émission islandaise. Le premier ministre a révélé que les dettes des banques représentaient douze fois le PNB de l’Islande. Il était temps que les Islandais, surpris, l’apprennent.

La troisième banque du pays, Glitnir, fut la première à ne pas pouvoir se refinancer. La nouvelle de sa nationalisation a ébranlé la confiance dans les filiales de la seconde banque, Landsbanki. Ses clients ont récupéré leurs avoirs en Grande-Bretagne dans un mouvement de panique, mettant la banque Landsbanki à genoux. En cessation de paiement, elle a été placée sous le contrôle des autorités financières. Et qui, pendant la crise, a donné l’impression de ne pas mesurer la situation ? Qui, depuis des années, a évité de signaler l’excessif endettement des banques ? Le directeur de la banque d’émission, M. David Oddsson, ancien premier ministre et président du parti conservateur et qui continue en sous-main de tirer les ficelles de son parti, oubliant parfois qu’il n’est plus premier ministre.

Les banques islandaises sont récentes et leur histoire est une saga édifiante. Jadis toutes les banques d’Etat, très nombreuses dans un aussi petit pays, ont fusionné. Il n’en est plus resté que trois, privatisées dans les années 1990. Le schéma est jusqu’ici classique. Mais à qui confier le noyau dur de ces banques ? Cruel dilemme et conflit d’intérêt : les riches repreneurs se sont avérés être des entrepreneurs qui, une fois devenus banquiers, se sont accordé des crédits avec une coupable libéralité.

Les deux banques, aujourd’hui nationalisées, ont des profils qui se ressemblent. Notons, pour les freudiens, que les entrepreneurs islandais sont soit des frères, soit une association père-fils.

L’homme d’affaires Björgólfur Gudmundsson, qui vient de perdre des dizaines de milliards de couronnes en trois jours, avait tenté d’ouvrir à la concurrence le transport de fret maritime en Islande. Acculé à la faillite, il émigra en Angleterre. Alcoolique repenti mais confiant dans l’avenir de la consommation d’alcool en Russie, il y créa une brasserie et introduisit à Saint-Pétersbourg la consommation des mélanges "breezers" vodka-soda. Bien gérée, l’entreprise prospéra et fut revendue à Heineken. "Gudmundsson Monte-Cristo", de retour en Islande, avait les moyens d’acquérir la Landsbanki avec l’argent russe. Mais le père et le fils se lancèrent dans la pharmacie et le téléphone en Europe de l’Est, puis dans une grande variété d’investissements pas toujours heureux en Grande-Bretagne. Le père, tel un oligarque russe, s’offrit un club de foot de première division britannique, West Ham, un rêve de gosse.

Johannes et Jón Ásgeir Jóhannesson, qui possédaient 31 % de la banque Glitnir, la première à être nationalisée, c’est aussi l’histoire d’un père et de son fils. Le père, épicier, lança une chaîne de supérettes "discount". Le fils a épousé l’héritière de la plus grande chaîne de supermarchés. Là aussi, une grande ambition glissa lentement vers la démesure. Au Danemark, leur société, après avoir investi massivement dans l’immobilier, lança un quotidien gratuit aujourd’hui disparu.

Leur situation financière en Grande-Bretagne là encore n’est guère plus brillante : seuls les petits pois congelés Iceland font des bénéfices. Toutes les enseignes prestigieuses achetées au prix fort dans la mode, la joaillerie ou les jouets ne sont plus vendables. Bien qu’appauvri le fils vole toujours en jet privé entre l’Islande et New York où il réside.

Mardi matin, la banque d’émission a doté la couronne d’un taux fixe (130 couronnes pour un euro), et les Russes ont promis un prêt de 4 milliards d’euros. Ce retour des Russes fait sourire ceux qui se souviennent de la guerre froide. Les Américains avaient alors une base de 4 000 soldats qu’ils ont désertée depuis pour des destinations plus chaudes, l’Islande étant un maillon essentiel de repérage des sous-marins soviétiques. Les Russes, à l’époque, courtisaient les Islandais, et troquaient du pétrole contre des vêtements de laine et du hareng. L’Islande a perdu de son importance géopolitique, mais pourrait redevenir intéressante si la fonte des glaces polaires devait transformer le nord des côtes de la Sibérie en autoroute maritime.

Samedi 6 mars, les Islandais se sont rendus aux urnes pour se prononcer pour ou contre la loi « Icesave ». Cette loi prévoyait la nationalisation de dettes privées et l’imposition de mesures économiques antisociales afin de trouver les fonds pour rembourser ces dettes. Avec une participation qui dépasse les 60%, le Non a remporté sans surprise une écrasante victoire : environ 93% des suffrages exprimés.

Les gouvernements britanniques, néerlandais et islandais ont signé en octobre 2009 un accord scélérat, l’accord « Icesave » ou « Iceslave » (esclave de la glace), comme l’ont baptisé les Islandais. Cet accord prévoit le paiement de 2,7 milliards d’euros au Royaume Uni et de 1,3 milliard d’euros aux Pays Bas assorties d’un taux d’intérêt de 5,5 %.

Ce paiement prendra fin dans 15 ans (en 2024). Les premiers remboursements n’interviendront que dans 7 ans mais les intérêts sur les sommes à payer commencent à courir dès 2009. Cela veut dire qu’au moment où commenceront les paiements, ce ne seront pas 4 milliards d’euros qui seront dus mais 6,2 milliards d’euros. Au total, en 2024, les intérêts versés auront presque doublé le montant initial de 4 milliards d’euros.
Le Parlement et le Président

En 2009, la « révolution des casseroles » avait obligé le Premier ministre conservateur Geir Haarde à démissionner. Il avait, en effet, non seulement couverts mais encouragés tous les agissements, même les plus douteux, des banques islandaises.

Après avoir signé l’accord « Icesave », le nouveau gouvernement social-démocrate, avait réussi, après plusieurs semaines de débat, à le faire ratifier par le Parlement, entre Noël et l’an.

Mais le peuple islandais ne l’entendait pas de cette oreille, les manifestations se sont multipliées (les banderoles criaient « Le pays est innocent », « Sauvez plutôt nos maisons ») et une pétition signée par 60 000 islandais (le quart des électeurs), avait été remise au président de la République Olafur Grimsson. Cette pétition lui demandait (comme l’y autorisait l’article 26 de la Constitution islandaise), de ne pas promulguer la loi et de la soumettre à un référendum. Ce que fit le Président.
Des arguments juridiques contestables

Les 4 milliards d’euros réclamés par le Royaume-Uni et les Pays-Bas devraient être versés aux fonds d’assurance bancaire de Hollande et du Royaume uni.

L’Islande n’est pas membre de l’UE mais a adhéré à l’European Economic Area (l’EEA), comme la Norvège et le Liechtenstein. C’était pour elle la seule possibilité d’obtenir l’agrément d’opérer à Londres et à Rotterdam. L’EEA prévoit une couverture (maximale) de 20 900 euros par compte, l’Islande devrait donc, pour Londres et La Haye, « tenir ses engagements ».

Mais, même d’un point de vue exclusivement juridique, les exigences de Londres et de la Haye sont contestables.

Il n’est pas du tout sûr que le règlement de l’EEA oblige à couvrir les risques de clients non-islandais.

La directive était une directive applicable en « temps normal », certainement pas en période de crise bancaire systémique. « Icesave » était, certes, la filiale d’une banque islandaise, mais elle avait son siège dans la City. Comment Reykjavik aurait-elle pu contrôler l’activité de cette filiale, située au cœur de Londres ? La responsabilité des autorités britanniques étaient au moins aussi engagées que celles du gouvernement islandais.
Une dette odieuse

Dans une tribune du Wall Street Journal, Hannes Gissurarson, ex-administrateur de la banque centrale islandaise, comparait « Icesave » au « fardeau de la dette imposé à l’Allemagne après la première guerre mondiale ». Cette dette est, en effet, équivalente à une dette de 800 milliards d’euros pour le Royaume Uni et 4 000 milliards d’euros pour les Etats-Unis.

De quel droit les citoyens islandais seraient-ils condamnés à ne plus pouvoir faire le moindre choix concernant leur avenir et celui de leurs enfants, ce choix étant entièrement dicté par les exigences de la finance ?

En quoi les Islandais sont-ils responsables des agissements - à l’étranger qui plus est - de banquiers islandais sans scrupules ? Accepterions-nous, demain, d’avoir à payer 100 euros par mois et par personne, pendant 8 ans, sous prétexte qu’une ou plusieurs banques françaises auraient roulé leurs clients étrangers dans la farine ?

Pourquoi ne pas demander au trésor américain de rembourser les victimes étrangères de Bernard Maddoff ?

Les clients de « Icesave » savaient ce qu’ils faisaient. Ils espéraient des taux d’intérêts défiant toute concurrence, mais ils savaient aussi qu’ils prenaient des risques importants. Ils ont perdu : qu’ils en subissent les conséquences. S’ils avaient gagné, auraient-ils partagé avec le peuple islandais ?

Comme aux Grecs, il est demandé aux Islandais de sacrifier leur avenir pour payer les frais d’une crise financière qui a déjà considérablement appauvri leurs pays. C’est odieux, inacceptable.
Le chantage de la Finance et de ses sbires

En octobre 2008, le Royaume Uni n’a pas hésité à utiliser une loi anti-terroriste pour bloquer les avoirs islandais en Grande-Bretagne. Aujourd’hui, l’Islande est toujours inscrite sur la liste des États qui soutiennent les terroristes, tels Al-Queyda.

Les agences de notation financière, Fitch, Standard and Poor’s, Moody’s ont dégradé leur note sur les risques associés à la dette islandaise. Maintenant tout emprunt de l’Etat islandais devient beaucoup plus onéreux, au moment où il en a le plus besoin.

L’entrée de l’Islande dans l’Union Européenne est suspendue à la mise en œuvre de l’accord « Icesave » ou de son clone.

Le FMI a prêté 2,1 milliards de dollars à l’Islande. Mais, seules les deux premières tranches de ce prêt ont été débloquées, pour un total de 1,1 milliards. Le déblocage d’une troisième tranche est soumise à l’acceptation par l’Islande de payer le Royaume-Uni et les Pays-Bas.

Les prêts accordés par les pays scandinaves font l’objet du même chantage.

4 milliards d’euros, cela ne risque pas vraiment de modifier les grands équilibres financiers internationaux. Alors, pourquoi le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Union Européenne, le FMI s’acharnent-ils sur ce petite pays de 320 000 habitants au risque d’entraîner un second écroulement de l’économie de l’île, mettant, ainsi, fin à tout espoir de paiement ?

Pour l’exemple ! Si la finance cède face au peuple islandais, pourquoi ne céderait-elle pas demain face au peuple grec et après-demain face aux peuples portugais et espagnols ?

La réponse des peuples grecs et islandais est la seule réaliste. Elle n’est rien d’autre que la légitime défense de la société face à la finance, aux spéculateurs, aux rentiers, aux gouvernements et aux institutions internationales qui les soutiennent sans que, jamais, ni les uns ni les autres n’aient le moindre souci du coût humain de leurs actions.

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