dimanche 18 octobre 2009
Chacun s’interroge sur l’avenir de la Guinée.
Certains voyaient dans la disparition de Lansana Conté la fin de tous leurs maux.
Ce n’est pas le cas.
Cela signifie que l’oppression n’est pas le seul fait du chef de l’Etat.
On ne doit jamais ignorer que la lutte se mène entre des classes sociales et non seulement au niveau politique.
Il ne s’agit pas seulement de savoir qui d’une bande d’affairistes ou de politiciens ou encore de militaires va poser son pied sur la tête du peuple guinéen.
Bien sûr, ces gens-là existent et postulent à exploiter le peuple guinéen et les richesses du pays (l’un des plus riches pays miniers), mais cela n’explique pas la violence de la situation.
Depuis des années, ce sont les travailleurs qui ont marqué la situation sociale explosive de la Guinée et qui déstabilisaient l’ancien régime de Lansana Conté comme ils continuent à déstabiliser l’exploitation du peuple guinéen par leur lutte (voir la dernière rève générale).
La tentative des militaire consiste à transformer ce face à face entre classes sociales en un face à face entre clans de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie.
D’autre part, Dadis représente la tentative de détourner une partie du mécontentement des couches populaires dans le sens d’une démagogie fasciste et prétedant reprendre le discours de couches révoltées.
Le risque d’intervention militaire étrangère n’en est pas un pour lui puisqu’au contraire cela étaie l’idée que Dadis représenterait le peuple. Il s’est d’ailleurs empressé d’affirmer qu’en cas d’intervention étrangère, le peuple allait se révolter. Comme si les cadres militaires représentaient la révolte du peuple guinéen !
Le face à face de l’opposition et de Dadis est une fausse alternative derrière laquelle on veut enfermer la lutte des travailleurs.
Les travailleurs qui tenaient tête au régime de Lansana Conté détenaient la capacité de transformer la réalité de la société et c’est cette possibilité qui a été étouffée par les dirigeants syndicaux guiénens au profit de leur petits calculs de "sortie de crise" et de soi-disant "issue politique et démocratique".
Il n’y a pas d’entente possible entre les intérêts de la population et ceux des classes dirigeantes, qu’elles soient représentées par Dadiis, par le clan Conté ou par les soi-disant bourgeois démocrates.
Il n’y a d’issue que dans l’organisation indépendante des travailleurs et indépendante entre autres des dirigeants syndicaux réformistes. leur réformisme ne va mener qu’à de nouveaux bains de sang !
Voici un article de presse qui avait été écrit lors de la mobilisation ouvrière générale des travailleurs contre Lansana Conté et son régime et qui témoigne que les dirigeants syndicalistes avaient tout fait pour éviter de le renverser, sauvant ainsi le pouvoir de l’armée et permettant la dictature militaire actuelle :
« A la manière dont les choses étaient parties, on ne donnait pas cher de Lansana Conté et de son régime ! Il y avait tant de détermination dans les syndicats, tant de rage de vaincre de la part des populations qu’on croyait que tout était plié : les Guinéens allaient rééditer l’exploit des Sans culottes français, celui des jeunes Maliens qui avaient offert leurs poitrines aux canons de Moussa Traoré pour renaître à la liberté.
Après avoir payé le prix fort d’une soixantaine de vies humaines, de centaines de blessés, la certitude en Guinée était acquise que le peuple avait payé le prix de sa liberté. Mais la crise guinéenne a apporté la démonstration que, quand les hommes au pouvoir bénéficient du soutien effectif de l’armée, ils y sont vissés. La Guinée, apparemment, n’est ni le Mali ni la Roumanie, ni la Georgie… où l’armée, devant la révolte populaire, a fini par retourner ses baïonnettes au service du peuple. Le pouvoir guinéen a tenu bon parce que son armée a tenu bon, et du rêve de la libération par les barricades, il faudra peut-être se rabattre sur celui, plus modeste, de la cohabitation par la négociation.
C’est la tournure que semblent prendre les évènements après plus de 15 jours de grève et de flambées insurrectionnelles.
Les syndicalistes, tête de proue de la révolte populaire, ont demandé des mesures sociales et politiques dont la plus difficile à satisfaire était la nomination d’un premier Ministre qui mette en place un gouvernement de consensus pour préparer le pays à un après Conté démocratique.
Même si la population, fatiguée du régime en place et enhardie par sa mobilisation, voulait aller plus loin jusqu’à tourner la page du pouvoir, il faut reconnaître que c’étaient là des demandes maximales formulées par les syndicalistes. Grâce notamment à la 4ème épouse du président guinéen, au président du Conseil économique et social, aux religieux.., les syndicalistes se sont prêtés à un dialogue typiquement guinéen. Ils n’ont pas en effet eu recours aux canaux internationaux traditionnels (médiateurs de la CEDEAO, de l’Union africaine, des Nations Unies) ni même aux structures internes d’usage (institutions d’Etat) à proprement parler. Et ça a donné finalement comme résultat, ce qui paraissait inacceptable : l’acceptation de la nomination de ce premier Ministre voulu par les syndicats. Ce pourrait être assimilé à une sorte de coup d’Etat puisque dans les institutions, aucune disposition ne donne de telles prérogatives aux syndicats.
Il reste maintenant à expliquer et à faire accepter tout cela au peuple qui peut estimer que l’on a négocié « moins cher » son courage, son sacrifice. Du coup, le décompte est engagé pour savoir véritablement qui a gagné, qui a perdu.
Mais les syndicalistes, dira-t-on, (prenant la mesure des évènements) ont réalisé que le bain de sang aurait pu se poursuivre sans intervention extérieure pour le peuple ni retournement de situation militaire en leur faveur jusqu’à épuisement du peuple et peut-être au retournement de l’opinion contre eux (malheur aux vaincus !). L’intuition, le réalisme, on le reconnaîtra peut-être demain, c’est donc d’avoir saisi le bon moment pour sortir de la confrontation, pour faire comme le joueur qui se retire de la table de jeu avec son gain sans chercher à faire exploser la banque. Les syndicalistes ont bien vu qu’au rythme où allaient les choses, l’armée ne retournerait pas ses baïonnettes en faveur du peuple. Et comme ils n’avaient pas demandé plus ce que le président consent, ils peuvent estimer avoir pleinement rempli leur contrat, ce d’autant qu’ils attendent de voir la mise en œuvre des concessions avant de lever définitivement le mot d’ordre de grève.
On peut même penser qu’ils ont mâché le travail aux partis politiques car ayant interféré dans un domaine qui, normalement, n’est pas de leurs compétences : celui des demandes politiques. Ils ont obtenu, en moins de 20 jours, ce que les partis politiques n’ont pas obtenu depuis près d’1/4 de siècle. On dit même que Lansana Conté serait prêt à accepter la transition.
Il reste maintenant à tous les acteurs de la société civile et politique, à tous les Guinéens, de savoir quoi faire de cette victoire acquise, quoi qu’on pourrait dire, de haute lutte. La question est de savoir de quels pouvoirs disposera le premier Ministre. Sera-t-il un véritable chef de gouvernement ayant les mains libres pour prendre toutes décisions et notamment celles exigées par les syndicalistes ?
Mais comment ne pas penser aussi que Lansana Conté, en fin politique et en homme ayant encore bon pied bon œil (quoi qu’on dise et malgré les apparences !), a compris qu’il ne fallait pas tirer trop longtemps sur la corde au risque, au train où allaient les choses, de voir la communauté internationale se donner bonne conscience pour s’immiscer dans les affaires intérieures de la Guinée ou de mettre à rude épreuve les militaires qui en viendraient à se diviser ou à relâcher leur soutien au régime. Il aurait alors tout perdu. Céder un premier Ministère, quand on a l’armée pour soi et quand c’est l’armée qui gouverne dans le pays, ce n’est finalement peut-être qu’un moyen de reculer pour mieux sauter.
Alors, qui a gagné, qui a perdu ? Bien malin qui peut le dire pour le moment ! »