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Lutte des classes et impérialisme au Bangladesh en 4 films : Les trois lanciers du Bengale (1935), La maison et le monde (1984), L’oiseau d’argile (2001), et Made in Bangladesh (2019).
dimanche 1er septembre 2024, par
En cet été 2024, un soulèvement au Bangladesh a aboutit au renversement de la première ministre.
L’occasion est donnée, pour comprendre les questions qui se posent à la révolution prolétarienne dans ce pays, de voir ou revoir quelques films grand public.
Pour quelques euros, les DVDs de ces films sont disponibles, tout syndicat internationaliste devrait ajouter ces films à sa médiathèque, et proposer leur diffusion lors des journées d’inaction syndicales : regarder activement (avec débat) ces films sera bien plus utile que manifester passivement derrière Sophie Binet pour que ses ami(e)s du PS obtiennent des postes de ministres.
Les trois lanciers du Bengale (1935) avec Gary Cooper
Un officier colonial "civilise" le Bengale en se faisant cirer les bottes par un colonisé :
Mais c’est pour une grande cause, l’Empire colonial, c’est tout l’esprit de ce film, qui en version française est disponible ici
Rappelons le contexte : c’est seulement à partir de 1905 que le Bengale est coupé en deux parties par les Anglais, le Bangladesh d’aujourd’hui en est le produit, demi-Bengale séparé de son autre moitié qui est en Inde.
Pour comprendre l’histoire du Bangladesh, il faut donc partir de celle du Bengale.
Ce film hollywoodien est une véritable apologie de la domination britannique sur le Bengale avant ce découpage, l’apologie de l’armée, du sport au service de la guerre, dans l’esprit des JO 2024.
Wikipedia résume bien l’esprit de ce film :
Les Trois Lanciers du Bengale (The Lives of a Bengal Lancer) est un film américain réalisé par Henry Hathaway, sorti en 1935. Il s’agit de l’adaptation du roman homonyme de Francis Yeats-Brown, publié en 1930. (...)
Bien qu’il soit situé dans l’Inde coloniale, les ressorts et l’action sont très semblables à ceux des westerns situés dans le cadre des guerres indiennes, et avec le même habillage idéologique et manichéen exaltant les valeurs usuelles : les militaires vertueux affrontent un ennemi fourbe et cruel. Les personnages sont typés : héros indiscipliné, officier supérieur bourru, officier novice naïf, rivalité amicale entre McGregor et Forsythe.
Les dialogues sont brillants, surtout les affrontements entre McGregor et Forsythe, opposant l’ironie anglaise du second au sang chaud de l’écossais. Certaines répliques ont été remarquées. L’une d’entre elles serait passée à la postérité : Mohammed Khan avant de torturer ses prisonniers, leur dit « Nous avons les moyens de vous faire parler ».
Le lieu du tournage n’est pas l’Inde mais Hollywood, les extérieurs étant filmés dans la Sierra Nevada. Cecil B. DeMille réutilisera les décors des Trois Lanciers du Bengale pour son film Les Croisades (1935). Hormis les rôles principaux des Afridis rebelles et des indigènes, ce sont des Indiens Païutes qui ont été employés comme figurants.
Malgré la reconstitution, visible à l’image étant donné l’état de la technique en 1935 (notamment les transparences), le film n’est pas dénué d’un caractère documentaire, comme d’autres films signés Henry Hathaway.
Classique du cinéma Hollywoodien, Les Trois lanciers, comme l’appellent entre eux les cinéphiles, a été montré de nombreuses fois à la télévision française, notamment aux temps de l’ORTF. Il constitue un typique programme du dimanche soir. Il aurait été montré notamment en 1965 le soir de la mort de Winston Churchill, et alors présenté comme « exemplaire des vertus anglaises ».
Une critique d’extrême-droite de ce film est disponible ici
La maison et le monde (1984) de Satyajit Raj
Ce film est basé sur le roman indien de Rabindranath Tagore La maison du monde paru en 1916
Ce film a pour toile de fond l’opposition des Indiens au partage du Bengale, la montée des mouvements anti-coloniaux :
En 1905, la société indienne est en crise. Le gouverneur général des Indes, s’appuyant sur l’antagonisme entre Hindous et Musulmans, divise le Bengale en deux, afin de mieux pouvoir perturber l’économie locale et importer des produits anglais. Sandip et Nikhil, deux amis appartenant à l’intelligencia bourgeoise bengalaise, boycottent cette politique et tentent, chacun à sa façon, de faire avancer la situation.
Sandip, fervent nationaliste, électrise les foules grâce à ses dons d’orateur. Il pousse à la violence et n’hésite pas lui-même à fréquenter des chemins douteux.
En fait « Sandip fervent nationaliste », est plus précisément un des animateurs du mouvement Swadeshi
Le mouvement Swadeshi (de l’hindi : स्वदेशी svadēśī, auto-suffisant) appartient au mouvement pour l’indépendance de l’Inde. Il est constitué d’actions économiques, principalement le boycott des produits britanniques importés au profit des productions indiennes locales.
Le mouvement Swadeshi est d’abord théorisé dans la seconde moitié du XIXe siècle par les premiers militants pour la cause nationale indienne. Il connaît un premier apogée après la partition du Bengale en 1905, amenant à l’abrogation de cette décision en 1911. Il est ensuite repris avec succès par Mohandas Karamchand Gandhi.
Sandip est un politicien bourgeois prêt à utiliser l’islam pour lancer les musulmans contre les Hindous. L’autre personnage principal, Nikhil, représentant le point de vue de l’auteur est également partisan de l’indépendance de l’Inde mais s’oppose au nationalisme religieux :
Nikhil quant à lui, n’use pas des discours publics. D’apparence passive, il n’en est pas moins engagé et d’une extrême compassion. Marié et propriétaire d’un foyer, il fait figure d’homme intègre et stable.
Les deux hommes sont cependant fortement liés par leur engagement commun pour l’indépendance de l’Inde.
wikipedia
L’épouse de Nikhil, Bimala
déchirée entre tradition et modernité, accepte de rencontrer Sandip, mais de cette rencontre naîtra une fascination dévorante qui bouleversera la jeune femme.
En fait, Bimala symbolise l’Inde, qui rentre dans le monde moderne. Enfermée dans la "maison féodale" comme les femmes riches du Bengale à l’époque, elle est encouragée par son mari à faire sa sortie dans "le monde". Voir par exemple cet extrait où Bimala sort de la partie de la maison réservée aux femmes, et va rencontrer le charlatan Sandip.
Son mari Nikhil sait à l’avance qu’elle se fera "embobiner" par Sandip, mais sortir de la maison féodale est inévitable, même si la rencontre avec le monde bourgeois n’est pas la fin de l’oppression, le début d’une autre.
Sandip le leader du mouvement Swadeshi, se pose en libérateur ...
Mais les pauvres devront d’abord faire des sacrifices, Sandip demande aux commerçants pauvres de boycotter les produits anglais ...
... en s’adressant à eux au nom de l’Islam ...
Mais les "frères" petits commerçants raisonnent en termes de classes sociales :
Nikhil s’oppose également cette politique :
Les Swadeshi envoient des jeunes fascistes les tuer et brûler leurs marchandises au nom de la patrie :
A suivre, avec les films L’oiseau d’argile et Made in Bangladesh