Accueil > 06- Livre Six : POLITIQUE REVOLUTIONNAIRE > 6- L’organisation du prolétariat > Comment Marx analyse le capitalisme d’un point de vue révolutionnaire de classe

Comment Marx analyse le capitalisme d’un point de vue révolutionnaire de classe

jeudi 8 août 2024, par Robert Paris

Révolutions historiques de l’espèce qui vit, travaille et connaît

Amedeo Bordiga

Table des matières

Liens avec les réunions précédentes.

Trois moments de la théorie.

La première section du Livre II.

Chant funèbre pour la première section.

Du capital d’entreprise au capital social.

Leçon des formes de production passées.

Une fausse triade.

Suroffre de capital.

Le capitalisme « n’existe pas ».

Pertes secondaires du capital.

Le passage falsifié.

Mort de la monnaie.

La restauration du capital.

Limites de la théorie d’entreprise.

Le phénomène de la rotation.

Ce qui importait à Marx.

Condamnation de l’entreprise capitaliste.

Capital fixe et capital circulant.

Le degré de dilapidation.

Les méfaits de la théorie d’entreprise.

La troisième section.

Un vol audacieux.

Liens avec les réunions précédentes.

La séance du 20 au matin est revenue sur le thème de l’économie marxiste déjà traité dans de nombreuses réunions antérieures. Nous avons commencé, il y a des années, à exposer le contenu du Livre I du Capital de Marx dans la revue Prometeo (première série d’après-guerre) ; une traduction française vient d’en être donnée dans la revue Programme communiste de Marseille. La même revue a ensuite publié le Formulaire relatif au Livre I , dont une édition polycopiée a été diffusée en Italie sous le titre : Abaque de l’économie marxiste, ou simplement Abaque économique de Karl Marx. Un autre cahier a également été diffusé en italien portant sur la première section du Livre II (« les métamorphoses du capital » ) ; le parti devra poursuivre ce travail pour l’ensemble de l’œuvre fondamentale de Marx.

Les Formulaires ou Abaques développent la partie symbolique de l’œuvre de Marx dans le but de la rendre aisément compréhensible par le seul recours à des notions d’algèbre élémentaire. Aucun des développements que présente le texte en usant de symboles ou de nombres n’a été le moins du monde modifié et toute idée de rectification ou de prétendu perfectionnement a été exclu en principe ; on a seulement jugé utile d’uniformiser et de rendre symétrique le symbolisme que Marx n’a pas toujours maintenu inchangé pour des raisons tenant aussi bien aux tracasseries éditoriales qu’à la publication en partie posthume de l’ensemble de cette œuvre colossale, tâche où le grand Engels se fit scrupule de ne pas s’écarter, ne serait-ce qu’un peu, des manuscrits qu’il trouva dans un ordre provisoire et, pour la plus grande part, en attente de l’ultime révision avant publication pour laquelle l’auteur n’eut pas assez de temps.

Il s’agit maintenant de poursuivre l’exposé du Livre II, puis de préparer d’autres cahiers du Formulaire, ce dont on s’occupera dans les réunions ultérieures et dans l’intervalle qui les sépare.

Pour fixer et clarifier les idées, nous rappellerons brièvement – afin que soient bien reliées entre elles les différentes parties de l’exposé systématique – l’argument de la première section du Livre II déjà traité dans le second cahier de l’Abaque.

Trois moments de la théorie.

Nous avons souvent combattu l’interprétation minimaliste de l’objet de l’œuvre de Marx. Ses prétendus disciples qui ont rejeté tout ce qui a trait à la vigueur révolutionnaire, que l’on retrouve non seulement à chaque page mais encore à chaque phrase, ont prétendu que l’unique objet de l’œuvre de Marx était de faire une théorie scientifique, objective et froide de l’économie capitaliste moderne dont elle présenterait et expliquerait le mécanisme, constatant et observant son jeu en une description d’une froide et sereine indifférence. Quelques-uns concèdent tout au plus qu’après avoir fait son devoir de savant en étudiant le capitalisme dans le grand ouvrage qu’est le Capital, un Marx différent – paré, selon leurs images banales, d’autres habits et animé d’un nouvel esprit – se serait laissé aller à écrire sur l’histoire et la politique de parti, à faire l’agitateur et, pourquoi pas, le démagogue.

Le but de notre étude sur Marx, c’est-à-dire sur le programme de la révolution communiste internationale, est d’établir qu’aucune séparation n’existe entre les thèses économiques, historiques, philosophiques ou politiques, entre tel ou tel écrit, étude, analyse programme ou proclamation et que si, dans les pages du Capital, on trouve assez de science pour glacer les veines des petits roquets académiques, on y trouve également à chaque ligne et à chaque étape tout le programme enflammé de la révolution anticapitaliste. Notre science n’est pas la réponse à cette question imbécile : « Qu’est-ce que le capital ? », mais la démonstration que le capital mourra et que sa mort sera violente ; plus encore, comme nous le verrons tout à l’heure dans une page vibrante, qu’à la lumière de la science, le capitalisme aujourd’hui déjà – l’aujourd’hui de Karl Marx comme le nôtre – est mort et n’existe pas. Tout autre que la biologie du capital, notre science en est la nécrologie.

La transition difficile du Livre I du Capital au second, puis au troisième peut se comprendre si on saisit que, non seulement dans chaque Livre et à chaque chapitre mais pour ainsi dire à chaque page, on se trouve devant trois moments de notre conception qui naît et vit comme analyse, illumination, bataille fulgurante et glorieuse apocalypse.

Dans le premier moment, en effet, on fait la théorie du capital individuel qu’il est préférable de définir comme capital d’entreprise. Les lois recherchées et trouvées dans ce domaine, développées principalement dans le Livre I, se rapportent au cercle clos de l’entreprise ainsi qu’aux rapports et calculs relatifs au transfert de valeur entre le personnage symbolique du capitaliste, vite devenu inutile, et la masse sans cesse croissante de ses ouvriers.

Dans le deuxième moment, on cesse d’écrire, dans notre langage déjà radicalement opposé à celui des comptables bourgeois, le bilan de l’entreprise industrielle, et on passe à l’étude des lois de l’ensemble de la société capitaliste considérée comme un tout. Les relations s’établiront alors entre classes sociales et leur forme sera neuve et originale.

Le troisième moment est le moment vital ; pour qui sait voir et comprendre, il brillera d’une intensité éblouissante. Ce n’est plus la théorie de l’entreprise industrielle ni celle de la société bourgeoise historique ; c’est la théorie de la société communiste future prévue avec certitude.

Ici, la science scolastique et académique, palinodie froide et morte, dépassée et foulée aux pieds dès le premier moment, est abandonnée. Nous sommes dans le domaine du programme, dans le camp du parti révolutionnaire, dans le feu de cette critique qu’il ne suffit plus de faire dans un livre, mais par les armes.

Tous les malheureux qui n’ont pas vu cette éclatante lumière n’ont même pas su transmettre la vision historique de la société bourgeoise donnée par Marx, ni refaire les simples calculs de l’économie d’entreprise employant des salariés, galère qui est au fondement de cette société infâme. Ils ont erré parmi les falsifications misérables et difformes et les illusions de panacées sociales vides de sens qui barraient la voie pour laquelle se battent les marxistes révolutionnaires, la société future dans son opposition tranchée aux iniquités du capitalisme moderne, épreuve ultime et la plus infâme dans l’histoire tourmentée de l’espèce humaine.

La première section du Livre II.

Du point de vue de la systématique monumentale de l’œuvre – que peut-être personne n’a encore vue dans son intégralité – cette section, comme nous l’avons rappelé plus haut, s’en tient encore à la théorie du capital d’entreprise. Nous avons affaire au premier moment, objet central du Livre I quant à la dynamique des faits économiques ; ce Livre contient les puissantes thèses sociales et historiques qui avaient déjà mobilisé, d’une façon classique, toute la dialectique révolutionnaire.

Le titre de cette première section est en effet : « Les métamorphoses du capital et leur cycle ». Ces métamorphoses sont encore enfermées dans le cadre de l’entreprise, mais elles servent de prélude au thème du Livre II. Le premier nous avait décrit le procès de la production du capital, le second nous décrit celui de sa circulation. Le capital est produit dans l’entreprise alors qu’il circule dans la société. Nous ne distinguons pas, comme les économistes conformistes, entre production et circulation des marchandises ou de la richesse (qui serait l’ensemble des marchandises à l’échelle nationale) ; notre sujet, dès la première ligne, est notre ennemi : le capital. Nous découvrons et exposons les théories de sa naissance (dans l’entreprise), de sa vie (dans la société bourgeoise) et de sa mort (par la révolution communiste).

Dans le second cahier de notre Abaque, nous avons illustré les trois formes du cycle du capital et les trois figures de leur circulation. Ces formes sont : argent, procès productif, marchandise. Les figures auxquelles nous avons donné un ordre différent dans un but didactique sont :

  la première : argent — marchandise — procès productif — marchandise — et de nouveau, argent ;
  la troisième : marchandise — argent — marchandise — procès productif — et de nouveau, marchandise ;
  la seconde, la plus suggestive : procès productif (activité de la fabrique, de l’entreprise, avec les travailleurs fécondant les matières premières) — marchandise — argent — marchandise — et de nouveau, procès productif.

Il s’agit d’un mouvement cyclique, ou circulaire, puisque tous les enchaînements de nos formules peuvent être inscrits à la périphérie d’un cercle et qu’il suffit de changer le point de départ pour obtenir les trois figures.

Il est important de comprendre que tout ce cycle est décrit par le capital d’une même entreprise. La première figure en donne l’idée banale chère au bourgeois : Untel fait de l’argent (dans notre doctrine, la voie normale est qu’il l’a eu par fraude ou par vol) et monte son entreprise. Il investit l’argent dans la marchandise et dans la marchandise-travail, fait produire de nouvelles marchandises, se les approprie, les vend et voit sa mise accrue. Produire des marchandises dans le cadre capitaliste revient à produire du capital, c’est-à-dire de la survaleur. Les deux quantités qui peuvent se déguiser en argent ou en marchandise, selon les moments du cycle, sont qualitativement identiques. Mathématiquement, on peut dire que la survaleur est la dérivée du capital et le capital l’intégrale de la survaleur. Savoir laquelle naît de l’autre est sans importance ; à leur source, on trouve le butin, la rapine, le pillage et, en général, dans notre langage, l’aliénation du travailleur, la déshumanisation de l’homme.

La seconde figure nous sert à critiquer l’opportunisme sous ses diverses formes, en l’occurrence : l’immédiatisme. Constater que le cercle entier de ces mutations reste enfermé dans le cadre réduit de l’entreprise singulière, nous aide à voir que, si le cercle n’est pas rompu, il ne peut y avoir de solution communiste. Notre Abaque classe en effet les formules ou figures comme suit :

  d’argent à argent : mercantilistes ;
  de marchandise à marchandise : physiocrates ;
  de procès industriel à procès industriel avec reproduction simple (la survaleur étant consommée) ou avec reproduction élargie (la survaleur étant investie) : ricardiens classiques ;
  de procès productif à procès productif inchangé avec distribution de la survaleur aux salariés de l’entrepris : immédiatistes anciens et modernes ;
  de procès productif à procès productif élargi au maximum en réduisant les prolétaires à la famine : staliniens.

Le Communisme est la rupture du cercle magique. Ce n’est pas la réduction de l’économie sociale à une seule entreprise avec un seul capitaliste à sa tête : l’Etat ; c’est, en économie, la destruction de l’entreprise et du capital et, en politique, la destruction de l’Etat.

Chant funèbre pour la première section.

Nous voulons démontrer que la première section traitant de la métamorphose cyclique du capital concerne seulement le capital d’entreprise, et qu’en même temps, lors de la discussion théorique, Marx ne perd pas de vue un seul instant le second et le troisième moment. Avant d’abandonner le thème du second cahier de l’Abaque, nous nous munirons de quelques citations de Marx.

Au début du chapitre 4 sur « les trois figures… », Marx prend le temps de noter que deux des métamorphoses de ce cercle, celles de l’argent en marchandise et de la marchandise en argent – en laissant de côté pour un instant la phase cruciale qui les sépare, celle du travail du procès productif – se réduisent à deux moments non pas de la circulation du capital qui nous intéresse ici, mais de la circulation simple, celle des économistes ordinaires, la triviale circulation des marchandises. Les lois de cette dernière ont déjà été données et Marx indique la référence : Livre I, chapitre 3 (« La monnaie ou la circulation des marchandises »), paragraphe 2 (« Moyen de circulation ») :

La métamorphose des marchandises ;
Le cours de la monnaie ;
Le numéraire. Le signe de valeur.

Par conséquent, dans la théorie des marchandises et de l’échange, avant de passer à la production de la survaleur et du capital, on parle déjà de circulation et de métamorphoses, non pas du capital comme dans le Livre II mais de l’humble marchandise qui n’a que deux figures cycliques : de la marchandise à l’argent, de l’argent à la marchandise.

La loi de la circulation des marchandises à laquelle Marx aboutit est simple et répond à la question : quelle quantité de monnaie faut-il dans l’économie de marché ? La loi dit que la masse de monnaie en circulation dépend de la somme de valeur de toutes les marchandises produites, mettons en un an, divisée par le nombre moyen de rotations qui se produisent entre argent et marchandises, marchandises et argent durant cette période.

Dès les premiers chapitres de l’œuvre, Marx fait justice des traités universitaires tirés à des millions d’exemplaires pendant un siècle après sa mort. La masse monétaire circulant sur le marché n’est pas cause du prix des marchandises ; c’est la valeur des marchandises qui détermine la masse de monnaie nécessaire.

Il est pénible de penser aux polémiques avec les professeurs d’université tels que Graziadei qui prétendirent que Marx, après avoir accepté dans le Livre I la doctrine de la valeur de Ricardo, qui fait dépendre le prix des marchandises du temps de travail nécessaire à leur production, et la théorie de la survaleur, aurait ensuite fait justice, dans le second et le troisième Livres, de cette théorie de la survaleur et l’aurait abandonnée en commençant l’étude de la circulation.

Il y a quarante ans déjà, nous expliquions que le Livre I du Capital ne traitait pas de la production des marchandises, mais de celle du capital et de la survaleur et que, lorsqu’il passait à l’étude de la circulation, il traitait de celle du capital, puisque la circulation des marchandises avait été élucidée dès les premiers chapitres sur marchandise et monnaie, tant du Capital que de l’œuvre précédente : Contribution à la critique de l’économie politique. Qui ne sait que tout l’exposé du Livre II traite de la circulation du capital, de sa reproduction et de son accumulation, en s’élevant du cadre de l’entreprise à celui de la société, et donc des lois historiques du capitalisme, sur la baisse du taux de profit ; que toutes les démonstrations se fondent sur le maniement de la théorie de la valeur et de la survaleur exposée en toutes lettres dans le Livre I, pour passer enfin, au Livre III, en une construction harmonieuse et unitaire, au procès d’ensemble de l’économie capitaliste. Notre modeste Abaque, cahier d’école pour élèves-militants, s’applique à montrer que la ligne de développement est unique et que la culture universitaire n’a jamais rien compris. Qu’on prenne garde au fait que cette conclusion sévère concerne quelqu’un comme Graziadei qui voulait rendre hommage au couronnement historique et politique du système de Marx, sans voir que la ligne étant rompue, tout se serait effondré.

Dans tout cela, il n’y a pas de science, il n’y a que la suggestion de classe de l’idéologie bourgeoise dans les têtes de ses timides opposants. Marx était déjà entièrement renversé et renié lorsque le vieux Tonino tentait de remplacer la théorie de la survaleur par une théorie « scientifique » du surprix, autrement dit de faire du marché, de la monnaie et du système mercantile des principes éternels, sauvant ainsi le capitalisme.

Du capital d’entreprise
au capital social.

Avant d’en finir, dans ce chapitre 4, avec le thème de la première section du Livre II (où il cite les lois de la circulation simple établies au début du Livre I), Marx explore déjà le second champ, le second moment de la théorie : la circulation du capital non plus de l’entreprise isolée, mais de toute la société.

Après avoir écrit ce que nous avons cité plus haut – que les deux actes, les deux termes extrêmes de la première figure du cycle du capital, ne représentaient que « la métamorphose ordinaire des marchandises » et étaient soumis « aux lois que nous avons exposées (Livre I, chap.3, 2) sur la quantité d’argent en circulation » – le texte poursuit : « Mais si l’on ne s’arrête pas à ce côté formel et que l’on considère la connexion réelle des métamorphoses des divers capitaux individuels, c’est-à-dire la connexion des cycles des capitaux individuels, en tant que mouvements partiels du procès de reproduction du capital social total, le simple changement de forme de l’argent et de la marchandise ne peut plus fournir l’explication demandée. »

S’il était possible de citer le texte entier, il semblerait que Marx l’ait écrit pour répondre à Graziadei qui, en bon positiviste bourgeois, ne voulait pas qu’on parle de la grandeur-valeur parce qu’il s’agirait d’une hypothèse abstraite et non d’un fait concret : « Ceux qui regardent l’existence indépendante de la valeur comme une simple abstraction, oublient que le mouvement du capital industriel est cette abstraction in actu [en acte et concrètement ] » . Tout ce passage que le lecteur parcourt maintenant paisiblement, montre que les capitaux personnels sont emportés dans le cours tempétueux du capital social, et nous y trouvons déjà une incursion dans le troisième moment : « Il est évident que (…) la production capitaliste n’existe et ne peut exister qu’aussi longtemps que la valeur-capital est mise en valeur » . Dans ces mots est déjà décrite la mort du capital et s’y trouve la thèse que nous, marxistes révolutionnaires, mettons toujours en avant, à savoir que l’économie capitaliste et la société bourgeoise ne sont plus lorsque la valeur d’échange et le capital cessent d’exister : il ne s’agit pas de s’emparer de la valeur et du capital, mais de les détruire tous deux.

Avant que s’achève ce chapitre et bien que son objet soit encore le cycle des métamorphoses du capital individuel (d’entreprise), nous y trouvons la théorisation complète de notre très actuelle position anti-russe : on ne peut parler de fin de l’économie capitaliste sans que disparaisse toute économie de marché et d’échange. Cette confrontation se fonde sur celle des formes sociales qui ont précédé le capitalisme, et il est très suggestif de les relier à notre récente étude historique et sociale de ces formes . Le texte dit que le procès de circulation du capital industriel, comme nous l’avons vu, rend évident le fait que la production capitaliste ne peut naître et s’achever, acte après acte, qu’au cours d’opérations sur le marché. « (…) d’une part, les éléments constitutifs du capital productif proviennent du marché des marchandises, s’y renouvellent constamment et doivent être achetés comme marchandises ; d’autre part, le produit du procès du travail en sort comme marchandise et doit constamment être revendu comme marchandise » .

Leçon des formes de production passées.

Pour expliquer correctement le mécanisme de la présente forme capitaliste et en même temps le caractère de son passage à la future forme communiste, la méthode permanente du marxisme est de tirer enseignement des transitions auxquelles l’histoire nous a déjà fait assister. A cet endroit, pour faire comprendre qu’il est caractéristique du capitalisme que les produits viennent du marché et y débouchent à nouveau (ce qui ne sera pas le cas du communisme), le texte en vient à démontrer que ce caractère était absent dans les formes précédentes de la production sociale. Il prend comme exemple du type capitaliste un fermier moderne de Basse-Écosse, et du type pré-capitaliste, « un petit propriétaire routinier du continent » . Le premier vend tout son produit agricole sur le marché et doit tout y acheter en vue du nouveau cycle, semences comprises. Le second, son prédécesseur historique, consomme directement, pour se nourrir, la plus grande partie de son produit et par conséquent, n’encaissant pas d’argent, achète et vend le moins possible ; tant qu’il le peut, il fabrique lui-même vêtements, outils, etc. (c’est l’époque où les métiers artisanaux subsistent encore au sein de la petite entreprise rurale).

Dans la forme bourgeoise achevée, industrielle et agricole, l’échange et le commerce sont dominants ; dans la forme petite-bourgeoise paysanne, ils étaient secondaires. Le capitalisme est la forme du commerce généralisée à tout le champ social. De ce théorème, on démontre aussi la réciproque : là où tout vient de l’échange et repart par l’échange, il y a capitalisme et non communisme (c’est ce que nous disons de la Russie actuelle). Mais peut-on dire que la forme et la présence de l’échange sont des caractères distinctifs des divers modes historiques de production ? Non car, pour nous, le fondement déterminant réside dans le rapport social et la figure de classe dans lesquels se trouvent les agents non pas de l’échange, mais de la production. Dans le capitalisme, le prolétaire ne peut qu’acheter, avec son salaire, ce qu’il consomme, ayant perdu toute disposition des matières premières et instruments de travail accaparés par le capital.

Dans un passage essentiel de notre texte, se trouve condamnée la tentative de classer les formes sociales des grandes époques selon l’aspect non des rapports de production et entre producteurs, mais des rapports de circulation, d’attribution des biens de consommation à leurs consommateurs, ce que Marx désigne par le mot allemand Verkehrsweise, qu’on peut traduire par manière et mode de transport, d’assignation, de mise à disposition de ces objets et biens d’usage prêts à la consommation, sans référence à leur origine dans l’activité humaine du travail social.

Une fausse triade.

Depuis longtemps, les économistes conformistes opposent entre eux trois prétendus types d’économie - naturelle, monétaire et de crédit - censés constituer des étapes successives dans l’évolution de la civilisation humaine.

Marx fait une critique de fond de cette distinction creuse. Avant tout, l’économie de crédit n’est qu’une forme développée de l’économie monétaire. Toutes deux se situent dans le champ historique de la production capitaliste en ce sens que « dans la production capitaliste développée, l’économie monétaire apparaît simplement comme la base de l’économie de crédit » . Nous en déduisons qu’en Russie où survivent monnaie et crédit, on est encore en plein dans la forme capitaliste.

Toutefois l’économie monétaire est apparue avant le capitalisme dans la mesure où monnaie et marché sont aussi présents – cantonnés dans des fonctions moins générales – au sein des économies esclavagistes, de petite agriculture et de petit artisanat. Dans le capitalisme, marché et monnaie se généralisent au point de devenir l’unique toile de fond ; le texte le dit clairement et, comme d’habitude, on peut le lire pour en dégager les traits distinctifs de cette nouvelle forme d’organisation humaine que sera non plus le capitalisme mais le communisme.

« En réalité la production capitaliste est la production des mar-chandises comme forme générale de la production ; mais elle ne l’est et ne le devient de plus en plus dans son développement que parce que le travail y apparaît lui-même comme marchandise, parce que l’ouvrier vend son travail, c’est-à-dire le fonctionnement de sa force de travail (…) » .

D’où il résulte logiquement : là où il y a salaire en monnaie, il y a capitalisme.

Marx nous dit encore quelque chose de la première forme de la triade bourgeoise, l’économie naturelle. Les bien-pensants admettent qu’à une certaine époque les produits circulaient sans que la monnaie fût encore inventée. Mais ils en ont une très vague notion, même en s’en tenant à leur banal et unique critère du mode d’acquisition humaine des biens d’usage. Quand il y eut une première division manufacturière du travail, même embryonnaire, l’artisan demi- sauvage disposait de ce qu’il fabriquait, des flèches par exemple, et les offrait au chasseur qui, en contrepartie, lui offrait un peu de gibier à consommer. Ceci n’est déjà plus une économie absolument naturelle, mais une économie propriétaire fondée sur la forme-troc en ce qui concerne la distribution-circulation : il s’agit donc d’une économie de troc antérieure à l’économie monétaire. « Une économie naturelle absolue, comme celle des Incas, ne rentrerait dans aucune de ces catégories » .

Dans la grande forme primaire qui fut celle des Incas, il n’y avait pas de monnaie, d’échange marchand, ni même de troc. Tout produit de la main de l’homme était le bien de l’Inca mythique (représentant symbolique de l’espèce, de la société, de la collectivité) ; l’organisa¬tion sociale attribuait à chacun sa juste part en nourriture, habillement et armement, dons du centre puissant. Voilà le sens du communisme primitif, voilà l’authentique économie naturelle. Quand, au terme de la trajectoire de l’espèce, se produira le retour du communisme de sorte qu’il n’y aura plus d’opposition maudite entre homme et nature, d’échange, de troc, de crédit, de propriété, ni d’attribution de dû ; tout sera spontanément offert par le travail au transparent besoin naturel. Voilà comment, page après page, et pour qui lit en prenant parti, se rejoignent les extrêmes lointains du grand arc historique et se dresse le monument gigantesque où se trouve fondée aussi bien la science de ce qui fut que celle de ce qui est et de ce qui sera.

Suroffre de capital.

Dans ces mêmes pages où est démolie définitivement la division en trois formes – naturelle, monétaire et de crédit -, Marx anéantit en même temps la théorie scolastique qui explique l’économie capitaliste par la loi de l’équilibre entre l’offre et la demande, censée régler automatiquement la « libre » initiative de l’entreprise et de la production, tout en donnant un exemple lumineux de passage du premier moment (l’entreprise capitaliste) au second (l’ensemble de la société capitaliste).

« Le capitaliste ne recherche nullement l’équilibre entre son offre et sa demande ; ce qu’il poursuit, c’est leur inégalité la plus grande possible, l’excès de son offre sur sa demande.

Ce qui est vrai du capitaliste individuel [on va en voir la démonstration], l’est également de toute la classe capitaliste.

En tant que le capitaliste n’est que la personnification du capital industriel, il ne demande que des moyens de production et de la force de travail » , demande dont le total est bien inférieur au produit-marchandise qu’il offre.

La démonstration est donnée par l’exemple simple d’une entreprise qui, emploierait un capital constant de 80, un capital variable de 20 et, réalisant une survaleur de 20, produirait une valeur-capital de 120 : la demande de l’entreprise sur le marché n’est évidemment que de 80 + 20, soit 100, tandis que son offre est de 120.

Plus est élevé le taux de survaleur (ici 100%), plus est faible la demande par rapport à l’offre (ici 5/6).

Le texte démontre que ceci reste vrai si on fait entrer le renouvellement du capital fixe (amortissement des équipements) dans le calcul du capital constant.

Ici est déjà faite la distinction entre reproduction simple et élargie. Les économistes mercantiles ne manquent pas d’objecter que le capitaliste ayant pour but de consommer les 20 de survaleur en en tirant avantage par des acquisitions sur le marché, sa demande en marchandises remonte de 100 à 120 et que l’équilibre sacré est ainsi rétabli. Mais il est rétabli non pour le « capitaliste », c’est-à-dire l’entreprise capitaliste, mais pour le compte du capitaliste en tant que particulier, personne privée (en allemand : Lebemann, équivalant à « jouisseur, viveur, dilapidateur »).

Mais le capitalisme véritable est, selon nous, celui où l’accumulation est progressive et où la survaleur va à l’investissement. Donc, à chaque cycle, l’entreprise achète pour 100 et revend pour 120. Mais au cycle suivant, dira-t-on, cette entreprise, si elle ne distribue pas de dividendes aux « viveurs », demandera 120 sur le marché. Très bien, à ceci près que ce n’est pas l’équilibre, mais le premier segment du nouveau cycle qui demandera 120 et s’achèvera en offrant 144. Ainsi dans la société capitaliste considérée comme un tout – dans la mesure où les parasites seraient supprimés (comme on nous raconte que ce serait le cas en Russie) –, l’offre de marchandises excède inexorablement la demande.

Le capitalisme « n’existe pas ».

Exercez un peu votre muscle de la dialectique. Le raisonnement par lequel nous prouvons que le capitalisme existe aujourd’hui en Russie est le même que celui par lequel, Marx déduit, dans un passage terrible, que le capitalisme n’existait plus dès les années 1860-1870 en Angleterre et en Europe.

Citons d’abord, avant de faire un commentaire.

« Cette proposition est en même temps celle de la non-existence de la production capitaliste et, par là même, de la non-existence du capitaliste industriel lui-même. En effet, le capitalisme est déjà sup-primé dans son fondement par la proposition selon laquelle la jouissance, et non l’enrichissement, serait le motif déterminant. »

Le sens est le suivant : une fois qu’on a découvert que la clef du système capitaliste n’est pas le désir des capitalistes individuels de jouir de leur profit, mais l’exigence impersonnelle du capital social de s’accroître d’une survaleur (force sociale que seule une Révolution pourra abattre), se trouve ainsi scientifiquement démontrée la nécessité de la mort du capitalisme et donc sa non-existence potentielle proclamée par Marx, ce que seule une science non plus doctrinaire, mais devenue révolutionnaire (voir la citation de Misère de la Philosophie dans notre précédent numéro) est capable de réaliser.

Que le capitaliste soit condamné non pas à jouir mais à accumuler, cela dépend d’une autre raison « technique » : « Le capitaliste n’a pas seulement besoin de constituer un capital de réserve pour pouvoir lutter contre les fluctuations des prix et attendre les moments propices à la vente et à l’achat ; il lui faut en outre accumuler du capital [que ce soit en thésaurisant de l’argent ou en en déposant à la banque, ce qui – le texte y fait allusion en passant – ne change rien] pour étendre la production et incorporer à son organisme productif les progrès techniques. »

Le capitaliste qui, arrivé à un certain stade, ne pourrait moderniser ses installations à l’instar des plus récentes, serait englouti et exproprié par de plus puissants que lui. Quant au capital-salaires, il passe entièrement à la demande de biens de consommation ; l’ouvrier ne peut épargner ni accumuler.

Marx a prévu ici le tour de passe-passe moderne par lequel le capitalisme tente de retarder sa mort escomptée en augmentant la demande des ouvriers grâce aux ventes à tempérament, c’est-à-dire à crédit, mesure folle entre toutes.

« En tant que l’ouvrier convertit presque toujours son salaire en moyens de subsistance et, pour la majeure partie, en moyens de subsistance nécessaires, la demande capitaliste de force de travail est indirectement une demande d’articles entrant dans la consommation de la classe ouvrière. Cette demande est égale à v et ne saurait être plus grande (si l’ouvrier économise sur son salaire – nous faisons nécessairement abstraction de tout système créditaire –, cela revient à dire qu’il thésaurise une partie de son salaire et diminue d’autant sa demande comme acheteur). » En acquérant à crédit, sans argent, l’ouvrier vend sa force de travail future comme s’il vendait sa propre vie et faisait de lui-même un esclave.

Pertes secondaires du capital.

La première section, nous l’avons dit, a pour objet le premier « moment » de la théorie : le procès de circulation du capital d’une seule entreprise, mais on y trouve de très importantes anticipations et comparaisons tant en ce qui concerne le second moment (capital social total) que le troisième (post-capitalisme, autrement dit société communiste).

Dans une lettre à Victor Adler, Engels dit que les chapitres 5 et 6, les derniers de cette section, sont moins importants. On y trouve cependant des choses remarquables. Dans le 5ème chapitre, il s’agit de la période de circulation, du temps nécessaire au capital de l’entreprise individuelle pour accomplir les trois métamorphoses : d’argent à marchandise - procès productif - de marchandise à argent. Les concepts sont clairs. La première et la troisième métamorphoses ont purement trait à la circulation marchande et monétaire, et le temps perdu à acquérir puis vendre est du temps de circulation. La période intermédiaire est le temps de production qui doit être distingué du temps de travail, étant donné qu’en général, pendant une partie du premier, hommes et machines ne sont pas en activité. Le temps complet du cycle est la somme de la période de circulation et de celle de production. Au cours de cette dernière, le capitaliste paie les agents avec le capital variable, mais dans les deux phases de circulation (chap. 6), il y a aussi des frais que le capitaliste doit couvrir et qui, en dernière analyse, sont à déduire de la survaleur (pour Marx, l’expédient habituel des bourgeois consistant à faire payer ces frais extra par le consommateur n’a aucun sens).

Dans les deux phases de la circulation, ceux qui s’adonnent au commerce sont rémunérés. Dans notre théorie, ils absorbent de la valeur sans toutefois en créer et, dans une comptabilité analytique, cette valeur doit être inscrite en perte. Ici, on a une première allusion à des économies non capitalistes. Lorsqu’au Moyen Âge, ceux qui portaient les marchandises au marché étaient de petits producteurs, le temps de les écouler et d’en acquérir s’ajoutait à leur temps de travail : voilà pourquoi marché et foires se tenaient les jours de fête.

Les philistins pousseront de hauts cris si nous disons que, dans le communisme, nul ne perdra son temps à faire du « shopping » et que, personne ne détenant de monnaie, il n’y aura plus d’initiatives commerciales : tous les produits parviendront au consommateur sans « comptoir » où choisir, de même que les conduites publiques amènent l’eau dans les maisons. Marx ne le dit pas ici, mais ailleurs. Cette dépense disparaît dans le communisme.

Plus importante est la discussion sur la « comptabilité » et nous devons nous y arrêter un instant, puisqu’un prétendu économiste soviétique, falsifiant les citations comme c’est classique, a voulu en tirer la preuve que, selon Marx, la comptabilité des échanges, et donc l’échange lui-même, ainsi que la loi capitaliste des équivalents, subsistent dans la société socialiste.

Marx fait ici allusion aux formes antiques. Dans celles-ci aussi, une partie du temps de travail social devait être consacrée à la comptabilité. Au Moyen Âge, on ne trouve de comptabilité agricole que dans les couvents. Dans les antiques communautés indiennes, un seul comptable de village suffisait pour toute la tribu. Il assignait à chacun sa part du produit commun ; quoi qu’il en soit, ce comptable devait consommer à l’égal d’un travailleur productif même s’il ne représentait qu’un individu sur cent. « (…) les frais de sa fonction ne sont pas compensés par son propre travail, mais par un prélèvement opéré sur le produit de la communauté. »

Marx fait remarquer que, si les dépenses commerciales peuvent disparaître (ce qui a échappé aux falsificateurs), il en va différemment des dépenses de comptabilité. Celles-ci sont variables ; elles commencent par augmenter lorsqu’on va vers les formes pleinement mercantiles, pour se réduire ensuite drastiquement. Ce thème implique le fameux problème de la « bureaucratie », phénomène qui, s’il atteint son point culminant dans le capitalisme développé, jusqu’à la forme étatique dans le capitalisme moderne, sera surmonté dans le communisme.

Le passage falsifié.

Donnons d’abord le passage escamoté par l’économiste soviéti-que : « Ces derniers [les frais liés au temps consacré à l’achat et à la vente] découlent uniquement de la forme sociale déterminée du procès de production, du fait que celui-ci est producteur de marchandise » . Ils existent donc dans le capitalisme parce qu’il est un système de production marchande généralisé, et disparaîtront tout à fait dans le communisme. Au contraire : « La comptabilité, contrôle et résumé idéal du procès, devient d’autant plus nécessaire que le procès se passe davantage sur l’échelle sociale et perd son caractère purement individuel ; plus nécessaire, par conséquent, dans la production capitaliste que dans la petite production disséminée des artisans et des paysans, plus nécessaire dans la production en commun que dans la production capitaliste. »

Tels sont les mots qu’invoque la revue économique soviétique, dont lecture et réfutation ont été données à la réunion de Florence. Il est tout à fait certain qu’il s’agit d’un des passages où le texte s’élève au troisième moment, la dite production communautaire, gemeinschaftlich, opposé à kapitalistisch, étant le communisme lui-même.

Mais la falsification consiste à ne pas avoir rapporté ce qui vient tout de suite après :

« Mais les frais de la comptabilité diminuent avec la concentration de la production, à mesure qu’elle se transforme en comptabilité sociale » . (Edition allemande Dietz Verlag, 1957, p.129.)

Comment donc évolue, dans la succession des formes, le « poids » social de la comptabilité ? Notre doctrine n’admet à ce sujet aucune équivoque. Dans une économie de petites entreprises, ce poids est énorme car chacune d’elles doit tenir sa comptabilité à laquelle se consacre un employé au moins. Une grande fabrique capitaliste aura, mettons, dix comptables, mais ils suffiront pour mille ouvriers. La concentration des entreprises, dit le texte, fait diminuer le poids de la comptabilité. S’il reste énorme dans l’industrialisme étatique de type russe, c’est précisément parce que non seulement on n’a pas affaire à une entreprise unique, et que chaque entreprise a son bilan et ses opérations bancaires (le texte stigmatise le coût énorme des comptes bancaires dans le capitalisme avancé, comme peuvent le vérifier les lecteurs), mais surtout parce que les entreprises industrielles et l’Etat font tous leurs achats (y compris celui de la force de travail) et leurs ventes sous forme mercantile avec enregistrement de la valeur en monnaie de toutes les marchandises.

La seule comptabilité nécessaire au communisme ne s’effectue plus en monnaie ; c’est ce qui diminuera énormément son coût social. Il s’agira seulement d’une comptabilité, en quantités physiques, des matières premières et auxiliaires ainsi que du nombre de travailleurs. En effet, dans l’économie communiste - si on peut parler d’économie -, au troisième moment post-capitaliste, la monnaie a disparu et aucun montant chiffré ne doit plus en être donné ; il ne s’agira plus que de mètres cubes, de tonnes, de calories, de kilowatts et autres grandeurs et unités au clair sens physique.

La comptabilité nécessaire au communisme ne sera pas monétaire mais physique.

Évidemment son importance sera plus grande qu’avant ; mais l’engorgement bureaucratique et ses effets néfastes, liés à la production marchande, auront disparu.

Mort de la monnaie.

Marx traite ici d’un phénomène accessoire : le fonds de roulement, lui aussi - quelle qu’en soit la forme - induit d’autres pertes économiques, mais il n’établit pas de parallèle avec le troisième moment. On le trouve cependant sans difficulté, et il suffira d’extraire un passage, entre cent autres, de la deuxième section de ce Livre II (chap. 16, fin du par. 3). Il se passe de commentaires :

« Supposons qu’au lieu d’être capitaliste, la société soit com-muniste. Tout d’abord, le capital-argent disparaît et, avec lui, toutes les formes de transaction qu’il amène » .

Il est inutile de donner d’autres citations pour détruire la grossière falsification du « savant » soviétique. Ici, Marx a parlé sans ambiguïté, en nous épargnant la fatigue de chercher sous le voile de vers étranges .

La restauration du capital.

Ce titre est celui que Marx a donné à la seconde section du Livre II. L’étude correcte de cette section donne lieu, à notre avis, à des considérations de la plus haute importance. Avant de les exposer, nous invitons le lecteur à garder en mémoire non seulement le compte rendu général du numéro précédent et l’Abaque, plusieurs fois citée, relative à la deuxième section du Livre II, mais encore la partie du compte rendu de la réunion de Milan ayant trait aux « questions fondamentales de l’économie marxiste » . Il sera très utile de revoir l’exposé de Milan, qui présente de manière anticipée les concepts que nous pensons maintenant avoir rendus plus expressifs en allant à l’essentiel du texte de Marx où alternent les trois moments vitaux - théorie du capital privé, d’entreprise, dans la société capitaliste ; théorie du capital social total, dans la société capitaliste ; théorie de la société communiste qui succédera au capitalisme. Les thèses économiques, sociales et aussi historiques du marxisme, reliées aux formes qui précèdent et suivent le capitalisme, sont les mêmes dans les deux présentations, sinon nous aurions trahi notre méthode, mais nous pensons que la formule des « trois moments », qui ne répond qu’à une exigence d’exposition, facilite la compréhension de notre texte fondamental de parti.

La première section du Livre II a trait à la circulation du capital accomplissant son cycle de trois métamorphoses périodiques. Nous avons établi qu’elle élabore aussi, au moyen de formules symboliques que nous nous sommes permis d’homogénéiser en toute fidélité à l’original, la théorie de la circulation du capital d’une entreprise isolée, celui de l’entrepreneur privé, sans passer encore au capital total de la société. Mais, précisément, dans la mesure où il ne s’agissait pas d’écrire un texte de science froide, mais un livre de parti, très fréquentes sont les incursions dans les deux autres moments, et on y trouve non seulement des allusions importantes au phénomène tel qu’il se présente à l’échelle de la société capitaliste dans son ensemble, mais aussi aux caractères radicalement, révolutionnairement différents de la société communiste, que Marx appelle, selon les cas, « production so-ciale », « production associée » et autres expressions transparentes, ce qui n’a pas empêché les falsificateurs du marxisme de soutenir que, partout et toujours, il est question du capitalisme et même de celui d’il y a un siècle où étaient absents les phénomènes dont nous aurions été témoins après la mort de Marx. Cette discussion prendra fin quand le communisme sera là.

La deuxième section, au titre déjà cité de « Restauration du capital », telle qu’elle est située dans le plan général de l’œuvre, traite encore du capital individuel, du capital d’entreprise. Nous en ferons une étude analogue à celle de la première section pour y découvrir les coups d’œil d’aigle jetés sur l’avenir.

La troisième section, sous le titre classique : « Reproduction et circulation du capital social total », abordera de front le capital de la société bourgeoise dans son ensemble. Pour la première fois, les mots « social » et « total » sont employés, en épigraphe, comme qualificatifs de « capital ».

Limites de la théorie d’entreprise.

A partir de notre Abaque, nous avons montré que la claire doctrine de la dynamique du capital individuel (ou d’entreprise : un capitaliste peut avoir plusieurs entreprises et une entreprise plusieurs capitalistes et capitaux – voire tous –, comme Marx l’a enseigné à loisir) ne suffit pas à construire le programme de la société non-capitaliste. Si on laisse de côté les innombrables coups de projecteur révolutionnaires, toujours présents, les lois du Livre I – à savoir, la décomposition en trois termes de la marchandise produite comme capital : capital constant, capital variable, survaleur ; puis la circulation du capital d’entreprise et ses trois métamorphoses : argent, procès productif, marchandise, avec les trois figures qui les décrivent si bien – n’engendrent malheureusement pas de révolution (qui ne peut être que communiste) ni même d’ utopie ou de réforme sociale.

En effet, en jouant sur ces trois figures, nous avons trouvé les pitoyables sentences des mercantilistes (le commerce fait vivre l’humanité), des physiocrates (la production de la terre fait vivre l’humanité), des ricardiens classiques (le travail des esclaves salariés fait vivre l’humanité), des immédiatistes malodorants (en arrachant la survaleur aux capitalistes et en la distribuant aux salariés, l’humanité vivra dans le bonheur), et des staliniens qui ne le sont pas moins (l’humanité vivra en arrachant la survaleur aux capitalistes sans la distribuer aux salariés, mais en la transférant au capital élargi).

On ne peut écrire l’équation du communisme en restant dans le cadre de la formule d’entreprise. La formule communiste ne provient pas de manipulations comptables ni mathématiques, mais d’un futur acte de violence sociale qui ne laissera subsister ni entreprise, ni même capital social, puisqu’il n’y aura plus de travail salarié, d’échange marchand, ni de monnaie.

Le phénomène de la rotation.

Le grand Engels lui-même fut assailli de doutes sérieux quant à l’utilité de l’important travail que Marx a consacré à ce problème de la « restauration du capital de l’entreprise » . L’étude de Marx porte sur la détermination économique rigoureuse des liquidités dont doit disposer l’industriel pour assurer le fonctionnement continu de son entreprise.

A première vue, il semble que le problème ait déjà été résolu par les formules du Livre I : dépenses en moyens de production plus dépenses en salaires. Et il semblerait qu’il en aille de même avec la formule du Livre I, dans laquelle Marx préfère appeler Pm ce qui était c et T ce qui était v sans rien changer par ailleurs. Par conséquent, le capital dont l’industriel nouveau venu doit initialement se munir sous forme monétaire pour se présenter sur le marché, n’est que c + v, ou bien Pm + T.

Mais pour que le cycle puisse, avec certitude, se poursuivre dans le futur (même sans s’élargir), il faut que le capitaliste (la caisse de l’entreprise) voie revenir la somme initiale. Celle-ci fait retour lorsque les marchandises sont vendues ; mais quid si une dépense en matières premières, en machines ou en salaires, s’avérait indispensable avant même cet encaissement ? Il faut en caisse une provision monétaire. Auquel cas, à combien s’élèvera-t-elle ?

Marx s’est donc adressé à diverses reprises à son ami Engels, praticien de l’économie d’entreprise, pour avoir des renseignements sur cette question et Engels lui en fournit de précis. Mais dans la note qu’Engels a insérée dans cette section (voir édition française Costes, vol. 7 p. 49-51, fin du par.4 du chapitre 15 ; édition allemande Dietz Verlag, p.283) , il révèle avoir eu la plus grande peine à reconstituer ce texte et avoir dû en éliminer des parties contradictoires. Après avoir déclaré que Marx, par ailleurs fort en algèbre, manquait d’aisance en comptabilité commerciale (n’oubliez pas qu’à cette époque, il ne s’agissait pas seulement des banals calculs de livres de compte, mais aussi du fatras d’unités monétaires non décimales – qu’en arithmétique élémentaire on appelait, il y a un demi-siècle, nombres complexes – telles que les sterling de 20 shillings, les shillings de 12 pence et autres unités plus tortueuses encore), il ajoute qu’il avait eu à sa disposition tous les brouillons mais qu’il n’avait pu les mettre en ordre pour l’édition. Il en déduit donc que Marx se serait lancé dans une re-cherche de faible intérêt sans en tirer de norme ou de loi convaincantes, et que sa distinction entre l’argent effectivement employé dans la circulation d’entreprise et une autre somme d’argent que l’entreprise doit garder sans affectation et disponible (on dirait aujourd’hui : à l’état de liquidités) - n’aurait pas grand poids. En conclusion de cette note qu’il a signée, Engels est d’avis qu’on pourrait se contenter de dire qu’une part considérable du capital industriel doit toujours exister sous forme-monnaie et qu’à certains moments, une part bien plus grande encore doit revêtir cette même forme.

Nous nous permettrons de ne pas approuver tout ce que dit Engels, tout en sachant qu’il ne pouvait tirer davantage du matériel dont il disposait, à moins de substituer une construction de son cru à celle dont Marx n’avait laissé que des notes incomplètes, ce qu’Engels n’a jamais voulu faire et, selon nous, à très juste titre. Nous ne tirerons donc argument que du texte même qu’Engels a publié et de notre ferme conviction habituelle que toute l’œuvre de Marx est dotée d’une ossature unitaire et harmonieuse.

Ce qui importait à Marx.

Marx ne se souciait nullement de préparer un manuel à l’usage des entrepreneurs ou des professeurs d’économie politique, dans lequel ils auraient trouvé un barème permettant de calculer avec sûreté la somme d’argent à avancer initialement pour lancer une fabrication présentant tels ou tels caractères quantitatifs et qualitatifs de manière à en assurer la continuité. Que signifie que l’exploitation ne puisse se poursuivre par manque d’argent ? (Marx tient compte, en de nombreux passages, de l’effet du crédit, des défauts de paiements et de rentrées, des prêts financiers etc.) ? Cela signifie que l’entreprise doit, pour un certain temps, interrompre son activité, étant hors d’état de faire les acquisitions indispensables jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de réaliser la valeur des stocks de marchandises déjà produites. Quelles en sont les conséquences ? Du point de vue de l’entreprise, il en résultera certainement une série de pertes qui viendront en déduction de la survaleur (profit) réalisée et pourront même l’absorber entière-ment, ôtant au capitaliste toute marge de consommation, et, dans les cas extrêmes, engloutir tout le capital (faillite). Mais cette mésaventure ne nous arrachera aucune larme.

Ce qui intéresse Marx ici, c’est la possibilité de crises sociales, dans la mesure où leur déroulement lui permet de tracer la perspective au terme de laquelle advient la mort de la forme capitaliste. Les lois économiques propres à un capitalisme-type qui se reproduirait en un cycle continu peuvent intéresser la recherche théorique ; mais l’important, c’est la loi d’évolution historique des formes de production.

Que le capitalisme, pour se maintenir en vie, consomme plus ou moins de moyens monétaires n’est guère intéressant en soi, et sur ce point Engels a raison. Mais ce qui intéresse la construction marxiste, dans la connexion de toutes ses parties, c’est le parallèle différenciant les formes historiques, les formes pré-capitalistes et le capitalisme industriel, ce dernier et le communisme.

En un premier sens, on pourrait dire qu’une économie déjà entièrement marchande mais non encore capitaliste, c’est-à-dire paysanne-artisanale, consomme moins d’argent que le capitalisme moderne. En effet, toute une partie de la valeur, à savoir le travail fourni par le producteur parcellaire, n’apparaît sous forme monétaire qu’à la fin, lorsque le produit est vendu, et encore pas en totalité, puisqu’il y a consommation intérieure directe (le grain du paysan, l’habit du tailleur, etc.). Le système capitaliste, à production égale – elle est en fait bien supérieure –, exige davantage de monnaie en ce sens que tout le travail doit être avancé comme salaire par l’entreprise. Il est important que, dans la forme capitaliste, la consommation de monnaie soit, pour d’autres raisons encore, plus grande à masse égale de biens d’usage ou à population égale. Condamnerons-nous donc une forme sociale parce qu’elle engloutit davantage de monnaie ? Il n’en est rien, puisque, eu égard à la forme de petite production ainsi qu’à la forme féodale, la forme capitaliste présente pour nous un avantage social et historique malgré le besoin indiscutable d’une masse supérieure de numéraire qui a caractérisé l’entrée triomphale dans l’ère bourgeoise.

Cet avantage, jusqu’à la « maturité » de la forme capitaliste, fut celui de réduire l’occupation sociale, c’est-à-dire le travail humain, à égalité de marchandises produites. En effet, qu’il y ait besoin d’importants moyens de circulation que cette section tente d’évaluer, ce qui se traduit non par une forme vide, mais par un sacrifice effectif de valeur-capital et donc de travail humain accumulé (de nombreuses citations seraient là pour le prouver), est largement compensé par l’immense avantage de la production en grand, de la coopération des travailleurs, fût-ce sous la discipline bestiale de l’entreprise bourgeoise.

Nous pourrions définir le problème de Marx comme étant la re-cherche du degré de dilapidation propre à chaque forme sociale. Nous n’avons pas en vue la dilapidation de la richesse, encore moins de l’or ou autres breloques, mais celle du travail humain, le degré de sacrifice et de tourment que coûte à l’espèce humaine et surtout à sa partie active, la production d’une certaine masse de biens de consommation, les siens propres.

Cette confrontation condamne sans espoir les formes d’économie parcellaire, et toute forme d’apologie de la petite entreprise paysanne ou artisanale sera laissée aux différents types d’opportunistes, immédiatistes et conformistes.

Mais vient ensuite la confrontation avec l’ère post-bourgeoise. L’humanité s’étant assuré l’avantage d’avoir mis fin à la dilapidation parcellaire de travail, de temps et de peine (l’artisan qui sacrifie la fête pour aller au marché, le paysan qui ne dort que d’un œil, prêt à bondir si la récolte est menacée par l’orage, etc.), nous montrons que d’immenses secteurs de dilapidation sont imputables à la forme capitaliste et poussent à allonger le temps de travail social dédié à la production. Dans la section qui nous occupe, Marx montre qu’à seule fin, particulière et non sociale, de « restaurer le capital initial de l’entreprise », sont rendus nécessaires l’accaparement et l’immobilisation onéreuses d’une somme élevée de moyens de circulation (c’est-à-dire, dans la forme moderne, d’une quantité de temps de travail), perte et dilapidation qui seraient éliminées d’un coup si l’on passait à la forme communiste, du simple fait que celle-ci conserve tous les avantages de la production en grand et du pas en avant que le capitalisme a représenté (le texte dit plusieurs fois que la production concentrée réduit la dilapidation) et élimine l’inutile effort de maintenir inchangés ou non diminués les capitaux d’entreprise qui, dans la production communiste, n’ont plus aucune fonction ni contenu.

Dans le cours du texte, nous ne trouvons pas de formule de la dilapidation qu’élimine la destruction du capitalisme, mais ce résultat final que les marxistes ont toujours défendu est au fondement de toute l’œuvre colossale de Karl Marx.

Pour cette raison, il nous semble qu’Engels n’a pas justement évalué cette section de l’œuvre, malheureusement inachevée, qui nous mène à la grandiose transition historique pour laquelle nous nous battons tous.

Condamnation de l’entreprise capitaliste.

Un aussi long examen de la dynamique du capital individuel a donc son importance pour démontrer que l’abolition de la division du capital en entreprises, incluant la suppression du capital social lui-même, est un des postulats communistes. Cette prémisse nous permettra de synthétiser le commentaire de cette deuxième section.

Qu’il s’agisse sans aucun doute du capital d’entreprise isolée, cela se déduit du passage du chapitre 7 par lequel commence cette section. La dernière forme M — M de la circulation – nous sommes passé maintenant à la forme A — A (c’est-à-dire la première) – est importante pour notre troisième partie où nous examinerons le mouvement des capitaux individuels en liaison avec le mouvement d’ensemble du capital social, mais nous n’en avons pas besoin pour ce qui a trait à « la rotation du capital » (tel est le titre du chapitre 7).

Un peu plus loin : « Pour le capitaliste, le temps de rotation de son capital est le temps durant lequel il doit l’avancer pour lui faire produire de la plus-value et le recevoir à nouveau sous sa forme primitive. »

Toute cela concerne donc le capital individuel . La société communiste, n’ayant pas à restaurer les limites entre capitaux privés, se libérera de toute une première gamme de gaspillages sociaux ; dans la mesure, bien entendu, où l’organisation de la production se fera sans argent ni calcul monétaire.

Marx fait remarquer que l’unité de temps à laquelle se rapportent les cycles productifs est l’année à cause du cycle des saisons dans l’agriculture. Les cycles manufacturiers peuvent être plus brefs ou plus longs que l’année ; des milliers de cas sont possibles.

Si R représente l’année, en mois ou en jours, et r le temps de rotation d’un capital donné, soit l’intervalle de temps entre l’avance et le recouvrement, le nombre n de rotations annuelles sera donné par R / r.

Après avoir exposé l’influence de ce temps de rotation sur le procès de production et sur la création de survaleur (et donc sur le degré de dilapidation du travail dont il a été question), Marx aborde aussi, en se référant aux théories historiques, la distinction entre capital fixe et capital constant (ce dernier étant une partie du capital circulant) dont on a beaucoup parlé, mais qui reste fondamentale si l’on veut éviter de graves et fréquentes équivoques.

Capital fixe et capital circulant.

Marx se réfère au Livre I dans lequel il a défini le capital constant comme avance du capitaliste individuel, distincte de l’autre partie qui est le capital variable ou frais salariaux. Ces deux parties du capital (plus la survaleur) sont transférées à la marchandise produite. Ces frais reçoivent le nom de capital variable, parce que c’est par lui, dans notre théorie fondamentale, qu’est engendrée toute la survaleur. La partie constante n’engendre pas de survaleur dans la mesure où elle passe inchangée dans la valeur de la marchandise produite. Mais le capital constant y passe de deux manières : l’une matérielle et physique, l’autre purement économique. Le fer dont les clous sont faits se retrouvera entièrement dans ceux-ci, tant en nature qu’en valeur (coût). Mais le feu de la forge, ou le charbon, ne passent pas physiquement dans les clous, encore qu’ils soient entièrement consommés dans la production et que leur valeur passe toute entière dans les clous. Au contraire, l’enclume, ou la machine ultra-moderne, restent disponibles pour faire d’autres innombrables clous ; elles ne passent donc pas entièrement dans la valeur du produit, en tenant compte du fait que leur durée de vie n’est pas infinie et qu’elles subissent une usure du fait de leur emploi. La théorie de Marx en la matière est qu’une petite partie de la valeur de ces instruments productifs (l’enclume, la presse) passe dans la valeur de la marchandise-clou, et qu’elle est la seule à faire partie du capital constant et circulant. Au bout d’une très longue série de fabrications, la machine sera rendue inutilisable, autrement dit aura perdu la totalité de sa valeur d’usage initiale ainsi que sa valeur marchande.

Le capital que le capitaliste doit pourtant avancer quand il ouvre sa fabrique se sera reconstitué durant la longue phase d’usure, de sorte que le capitaliste aura mis de côté toute la somme nécessaire au rachat de la machine, sans que cette somme (valeur du capital fixe) soit jamais entièrement apparue dans la valeur du produit vendu lors d’un cycle productif donné.

Marx a mené toute une longue polémique contre les économistes qui l’ont précédé et d’amples passages de cette section sont consacrés aux positions historiques sur ce thème. Une non moins longue polémique doit être menée contre les économistes postérieurs, y compris… marxistes. Tous se laissent influencer par la fameuse thèse selon laquelle les industriels bourgeois ayant le monopole des instruments de production, cela leur donne l’arme nécessaire pour exploiter les salariés. On confond ainsi le capital détenu par le capitaliste individuel et la valeur de marché de sa fabrique et de ses machines, sans comprendre qu’à l’inverse c’est le premier qu’on mesure à la valeur de la marchandise qu’il produit dans l’unité de temps traditionnelle d’une année.

On confond ainsi le concept de capital, propre à la société bour-geoise, avec celui de patrimoine personnel qui appartient aussi à d’autres sociétés plus anciennes.

La distinction entre capital fixe et capital circulant doit donc être faite en tenant compte de ce que Marx, dans le second paragraphe du chapitre 8, appelle composition et remplacement (restauration) du capital fixe.

On peut exposer par degrés le concept exact :

Soit 1 200 la valeur de la marchandise produite chaque année par une installation. Admettons que la valeur, ou coût initial, de la fabrique et des machines soit de 12 000. Il est certain que le nouveau capitaliste doit posséder ces 12 000 au départ (Lires ou Livres Sterling peu importe), plus une certaine fraction des 1 200 qui dépend du temps de rotation. Si, trois mois après, il vend les premières marchandises fabriquées, il lui suffira d’avoir 300 en caisse pour avancer les matières premières, les salaires et même ses frais de Lebemann (dilapidateur, jouisseur). Cette entreprise met donc en oeuvre 12 300 unités monétaires, ce qui n’est pas sans conséquences (socialement coûteuse), en particulier s’il lui est nécessaire de détenir d’autres fonds de garantie, réserves, etc…

Ce décompte si logique en apparence est pourtant faux. Sur les 1 200 de ventes annuelles, 200 seraient du capital variable (dépensé pour les ouvriers), 200 de la survaleur que nous supposons pour le moment être consommée par le capitaliste (reproduction simple, bien que les allusions à la reproduction progressive ne manquent pas). Restent 800 de capital constant. Mais de ces 800, une partie seulement va à la dépense annuelle en matières premières et auxiliaires, disons 400. Les 400 restant, le capitaliste ne doit pas les dépenser tout de suite et encore moins les consommer. Ils représentent la mise en réserve pour reconstituer la valeur de la fabrique et des machines lorsqu’elles seront devenues inutilisables (il n’est pas nécessaire de penser que cela se produit pour toutes les parties simultanément). Dans notre exemple numérique fictif, le capital fixe de 12 000 pourra être reconstitué à l’identique en 30 ans, après qu’aient été amassées les 30 annuités de 400 chacune (soit 12 000). Cet exemple banal est celui de la « thésaurisation » dans l’hypothèse où cet argent aurait été gardé en caisse pendant 30 ans à raison de 400 par an.

Dans la conception économique moderne, on calcule différemment l’amortissement : on tient compte du fait que l’économie capitaliste de monétaire est devenue une économie de crédit (sans se transformer qualitativement, comme Marx l’a montré). Dans ce cas, le versement peut être effectué dans une banque. Si cette dernière (dans la mesure où elle distribue l’argent aux autres entrepreneurs capitalistes et nous serions alors dans le second moment, celui de l’entrelacement, à l’échelle sociale, des capitaux d’entreprise) donne 5% d’intérêts, le versement nécessaire sera bien inférieur à 400. Le calcul montre que 181 par an suffiront ! Le capital constant sera de 581 seulement au lieu de 800, mais ne traitant pas ici du second moment, nous ne discu-terons pas les hypothèses d’une augmentation par l’entreprise des frais salariaux ou du profit patronal : dans l’arène sociale, les effets sont très complexes et il pourrait aussi arriver que le prix de vente des produits baisse, mais nous savons tous de quel bois se chauffe le monstre Capital !

La question de l’usure et du renouvellement des installations fixes est en outre aggravée par le fameux problème de l’« usure morale ».Avant même que la machine à faire des clous ne soit entièrement amortie, par exemple après 15 des 30 années, intervient Sa Majesté le « progrès technique » et il devient possible de se procurer une machine coûtant plus ou moins que l’ancienne, mais qui réduit le coût de fabrication (en jetant en outre une partie du personnel sur le pavé). Il est alors avantageux que le capitaliste fasse le sacrifice d’une plus grande somme à dépenser (qu’il n’a pas encore mise de côté) dans le but de gagner plus par la suite. Marx n’ignore aucun de ces problèmes et les analyse en profondeur dans cette section, mais c’est le but dans lequel il le fait qu’il faut comprendre !

Le degré de dilapidation.

Dans ce chapitre qu’il n’est pas nécessaire d’étudier en liaison avec les suivants et dans l’ensemble du développement qui embarrassa Engels lui-même, se trouve un passage éloquent.

Après avoir longuement traité des installations ferroviaires (qu’il y a un siècle déjà on ne jugeait pas rationnel de confier à des firmes privées), domaine dans lequel il faut tenir compte de la possibilité d’agrandir et de modifier à brève échéance les équipements avec des investissements massifs en capital fixe, le texte poursuit : « L’espace disponible joue ici un grand rôle. Pour certaines constructions, on peut ajouter des étages en hauteur » (Marx fait de nombreuses références aux travaux publics et décrit les méfaits ultra-modernes de la spéculation d’entreprise !), « pour d’autres il faut construire à côté, donc occuper un espace plus étendu [d’où l’un des phénomènes les plus atroces du capitalisme, la hausse des prix des terrains à bâtir, qui n’ont aucune valeur sociale réelle]. Dans la production capitaliste, on gaspille [dissipare, sciupare en italien, gaspiller en français, verschwenden dans l’original allemand] d’une part beaucoup de moyens ; d’autre part, au fur et à mesure que l’industrie s’étend, on fait bien des constructions gênantes, souvent au détriment de la force de travail, parce qu’on ne s’en tient pas à un plan social et que l’on se laisse guider par des circonstances infiniment diverses, les moyens, etc., dont dispose le capitaliste particulier. D’où un gaspillage extraordinaire de forces productives. »

Ce passage, parmi d’autres, suffit à montrer dans quel but Marx étudie, dans le Livre II, le bilan capitaliste dans le cadre de l’entreprise bourgeoise individuelle avant d’aborder le capital de la société bourgeoise dans son ensemble.

Il s’agit d’élaborer la doctrine du degré de dilapidation propre à la production capitaliste qui est dilapidation et gaspillage de temps de travail humain. On ne trouvera pas dans notre Abaque les formules précises de ce rapport, mais il y a longtemps que notre doctrine classique a conclu que seule l’abolition du capitalisme – qui n’est pas un problème technique mais de force sociale – permettra de réduire le temps de travail social à un quart de ce qu’il est actuellement ; disons de 8 à 2 heures d’occupation en moyenne, descendant même au-dessous de ce qu’on consentirait spontanément, et sans passer par le marché, comme dans un jeu sain ou une activité sportive.

Le Livre I nous enseigne qu’une première dilapidation se mesure au taux de survaleur qui oscille à hauteur du double , mais constitue l’extorsion la moins préoccupante, du fait qu’à l’origine la nécessité pour le capital d’engendrer de la survaleur équivaut à rendre disponible une partie de celle-ci à des fins sociales et déjà supérieures à celles des vieilles économies pré-bourgeoises, et non à des fins de jouissance de minorités dorées !

La première section du Livre II montre qu’une telle iniquité a son fondement dans le pur procès productif, mais que deux autres métamorphoses de nature mercantile interviennent dans le cycle : de monnaie à marchandise et de marchandise à monnaie. Considérées dans le cadre du cycle d’entreprise, ces métamorphoses impliquent de lourdes tares sociales qui se répercutent sur le bilan d’ensemble de la société et disparaîtraient facilement si on supprimait l’absurde frontière entre les entreprises.

La deuxième section montre que chaque entreprise individuelle, en plus d’engendrer de la survaleur en parcourant le cycle des trois formes, doit restaurer son propre capital tant circulant que fixe, grâce à des réserves et des amortissements isolés les uns des autres et donnant donc lieu à de grandes déperditions ; c’est ainsi qu’un troisième facteur de dilapidation de la force productive vient s’ajouter aux autres.

La troisième section, à laquelle nous voulons rapidement passer, montrera qu’en traitant le « second moment », c’est-à-dire la production de toute une société marchande et industrielle, sont mis en lumière d’autres facteurs de déperdition que le passage au « troisième moment » réduirait d’un coup à néant, fournissant ainsi – dès le stade de la reproduction simple - la doctrine des crises inévitables et de l’anarchie de la production capitaliste.

Les méfaits de la théorie d’entreprise.

En substance, la deuxième section délimite la zone de gaspillage social dont le fondement est le besoin de maintenir la séparation entre entreprises. Etant donné que ces entreprises déploient leur activité dans différents secteurs de la production, les phénomènes de la rotation du capital d’entreprise sont très divers d’un secteur à l’autre. On pallie à ces déséquilibres par des mouvements de capital-argent ; c’est seulement pour cela que la monnaie a une fonction nécessaire dans la forme capitaliste. Il ne s’agit pas de préserver la rétribution de chacun des éléments actifs de la production (salariat), ni les conditions optima de la production sociale considérée comme un tout, mais d’assurer la continuité de l’entreprise locale et individuelle. Cette section montre que des disparités apparaissent – tant du fait de la rotation différenciée du capital constant, de l’amortissement très variable du capital fixe, mais aussi du cycle du capital-salaire – auxquelles on ne peut remédier que par des mouvements monétaires. D’où, de manière générale, la différence historique existant entre l’activité humaine produisant des marchandises immédiatement commercialisables et celle produisant les ouvrages publics indispensables à la société, mais qui ne donnent pas de rentrées commerciales en bonne et due forme, tel l’endiguement d’un fleuve sorti de son lit et autres. Marx désigne ces deux sortes de capital par A et B.

A tourne rapidement ; B très lentement. Mais « si on doit compter avec les salariés », le capital variable de A fait rapidement retour en tant que partie des ventes, tandis que celui de B doit être avancé sous forme monétaire. L’analyse de Marx, si on la comprend en profondeur, rend compte de toute les modernes palinodies oscillant entre initiative privée et invocation à l’Etat qui, en économie monétaire, mènent toutes deux à des gaspillages insensés.

C’est ici qu’intervient le passage cité à la fin du numéro précédent concernant l’inutilité de la monnaie sous le communisme (on ne peut répliquer que le communisme est difficile à atteindre puisqu’il s’agit justement de la démonstration scientifique et pratique du fait que ce dernier fera disparaître une zone de double gaspillage, de sorte que la chose étrange, absurde et intolérable est que le capitalisme subsiste encore et fasse, par là même, doublement suer l’humanité).

Le texte (XVI-3) a précisément expliqué que dans le cas du type A, les ouvriers sont payés immédiatement, tandis que dans celui de type B, on doit jeter de l’argent sur le marché pour mettre en oeuvre des moyens productifs qui ne procurent aucune rentrée (que le lecteur se souvienne de notre démonstration : dans l’histoire du capitalisme, les dépenses d’Etat (B) augmentent toujours d’une façon effrayante par rapport à celles d’entreprise (A) à l’exemple de la Russie et de l’Amérique). Que dit le texte ? Supposons une société communiste : cette difficulté disparaît en même temps que la monnaie.

« La chose revient simplement à ceci : il faut que la société calcule d’avance la somme [physique] des moyens de production et de subsistance qu’elle peut, sans la moindre réduction, employer à des entreprises (…) qui, pendant un temps assez long, (…) ne fournissent ni moyens de production ou de subsistance, ni effet utile quelconque, mais enlèvent à la production annuelle totale du travail, des moyens de production et de subsistance [pour ceux qui y travaillent]. » Ce qui veut dire que le problème se trouve ainsi résolu, et le texte poursuit : « Mais dans la société capitaliste, où la raison sociale ne se fait valoir qu’après coup, il est inévitable qu’il se produise sans cesse de grandes perturbations ». La doctrine qui constitue la substance de cette deuxième section est donc que la base principale de l’irrationalité de la production capitaliste réside dans la forme-entreprise ; par conséquent, la révolution communiste ne consiste pas à retirer l’entreprise au patron (le gaspillage social subsisterait à plus vaste échelle), mais à détruire le système de production d’entreprise, ce qui équivaut à détruire l’économie monétaire.

Dans les deux derniers paragraphes, ce chapitre ultime et décisif de la deuxième section montre donc, en plus des puissants et habituels coups de sonde dans les second et troisième moments (dynamique de l’ensemble de la société capitaliste, dynamique de la société communiste), que la dilapidation due à la rotation déréglée du capital d’entreprise s’avère désastreuse tant dans l’hypothèse de la reproduction simple (où la survaleur est consommée) que de la reproduction élargie (accumulation de capital) ; lesquelles, ensuite, en tant qu’objets propres de la troisième section, dressent un autre acte d’accusation du système capitaliste et mettent en évidence une autre dimension de sa violence dilapidatrice de travail et de vie.

La troisième section.

L’introduction à ce thème (chapitre 18) est un clair résumé du système des concepts précédents tels que nous avons cherché à les ordonner ici. Il y est écrit que l’on passe maintenant résolument du premier moment au second. « Le mouvement du capital social se compose de la totalité des mouvements (…) des capitaux individuels [d’entreprise] » . Y sont décrits les deux cycles superposés de l’économie capitaliste (circulation des marchandises – cycle proprement dit du capital, production et circulation du capital, ou de la survaleur, avec un rappel limpide aux prémisses du Livre I).

Le contenu de la première et de la deuxième section est non moins clairement défini. « Mais dans les deux sections, il ne s’agissait que d’un capital individuel, du mouvement d’une fraction autonome du capital social ». Et enfin : « Il nous faut examiner maintenant le procès de circulation (…) des capitaux individuels en tant qu’éléments du capital social total, par conséquent le procès de circulation de ce capital social total. »

Dans le paragraphe qui suit immédiatement et qui a trait à la fonction du capital-argent, Marx anticipe la conclusion de toute la section car il tient à dénoncer, y compris à l’échelle générale de la société, l’iniquité de la forme-monnaie que le capital d’entreprise aussi bien que le capital social sont contraints de revêtir. Ce paragraphe se trouve dans les premières pages du second volume (Livre II) , y compris dans la mauvaise traduction italienne (éditions Rinascita). Nul ne peut douter qu’on se hisse au troisième moment et que se manifeste pleinement le programme révolutionnaire : destruction de la propriété privée et du capital. Marx y proclame que les forces naturelles et le travail qui est l’une d’elles, ne peuvent être assimilés à la monnaie que sous l’effet de la déformation de classe. Carey disait que le propriétaire terrien ne reçoit jamais assez parce qu’il faudrait lui payer en argent tout le capital et tout le travail appliqués au sol depuis des temps im-mémoriaux pour lui donner son actuelle fertilité. Marx répond que l’ouvrier pourrait réclamer pour salaire le paiement de tout l’effort consenti depuis les origines du genre humain pour transformer un sauvage en travailleur moderne. Mais qu’il ne faille rien payer (et que donc la monnaie soit inutile) à aucun propriétaire et capitaliste, Marx le formule ainsi : « Si l’on évalue tout le travail mis dans le sol et transformé en argent par les propriétaires fonciers et les capitalistes, tout le capital mis dans le sol a été remboursé maintes fois avec usure, et la société a, depuis fort longtemps, racheté à plusieurs reprises la propriété foncière [et, cela va de soi, tout le capital fixe]. »

La fin du chapitre explique bien les « trois moments », en un réquisitoire impitoyable contre la monnaie et tout calcul monétaire. Premièrement : « Dans le système de production capitaliste (…) la production dépend donc des limites dans lesquelles le capitaliste particulier dispose de capital-argent. » Deuxièmement : « Dans le système de production capitaliste (…) il faut déterminer la mesure dans laquelle on peut exécuter sans préjudice les opérations qui soustraient des moyens de production et de la force de travail sans effet utile simultané [sous peine de perturbations, anarchie et crises, comme nous l’avons vu plus haut]. » Troisièmement : « Dans la production sociale (…) », les ouvriers occupés dans les branches d’industrie à longues périodes de travail prélèvent des produits « pour des temps assez longs et ne les remplacent que plus tard ». Mais cette circonstance a sa source dans les conditions matérielles du procès particulier de production (secteur industriel) « et non pas dans sa forme sociale » (forme-salaire, monnaie et marché). Et maintenant : « Le capital-argent disparaît dans la production sociale. » Pour le traducteur brouillon de Rinascita, cela devient : « Le capital monétaire s’évanouit. » Le pauvre ! Faites lui respirer les sels de l’opportunisme pour qu’il revienne à lui !

Mais la parole est au programme de la société communiste : le capital disparaît ! Qu’advient-il ? (Qu’adviendra-t-il de nous à la disparition du temporel ? disait un jour le pape à un cardinal, et ce cardinal, plein de bon sens, lui répondit : « à la disparition du temporel, vient le spirituel » ).

« Le capital-argent disparaît dans la production sociale. La société répartit la force de travail et les moyens de production dans les différentes branches d’industrie. Peu importe que l’on remette aux producteurs des bons leur permettant de prélever sur les provisions de consommation de la société des quantités correspondant à leur temps de travail. Ces bons ne sont pas de l’argent. Ils ne circulent pas. »

Un vol audacieux.

Renvoyant le lecteur à l’Abaque, aux réunions et compte-rendus à venir et ayant déjà rapporté la substance de l’exposé de Florence, nous nous bornerons à donner les éléments essentiels d’une brillante mise en relation de deux points vitaux du texte.

Après avoir introduit le concept de la division de la production en deux sections : instruments de production et objets de consommation, le texte établit le bilan complexe des échanges entre les deux sections, bilan que nous avons plusieurs fois présenté et qu’Engels décrivit à Adler comme aussi important que pénible à lire ; tandis que la présentation en un tableau unique, du « type Quesnay », est tout à fait aisée.

À un certain point du chapitre 20, paragraphe 11 (volume 2, p. 110 de l’édition Rinascita) il est dit : « Pas plus que la circulation simple des marchandises n’est identique au simple troc des produits, les transactions [en milieu capitaliste] relatives au produit-marchandise annuel ne se réduisent à un échange simple, immédiat et réciproque de ses divers éléments. L’argent y joue un rôle spécifique, qui s’exprime notamment dans la manière de reproduction du capital fixe. »

Ici, comme il arrive souvent, Marx ouvre une parenthèse : « (Nous verrons plus tard ce qui résulterait si la production était collective et n’avait pas la forme de la production de marchandises.) »

Le lecteur se trouve devant une énigme que, pour une fois, nous allons résoudre.

Tout d’abord, ces mots concis disent déjà quelque chose d’important : la production collective (socialisme, communisme) n’a pas la forme de la production de marchandises.

Il nous faut un autre traducteur que celui de Rinascita qui formule la phrase citée entre parenthèses en lui infligeant ce tour de passe-passe : « (…) quel serait le tableau dans le cas d’une production collective qui n’aurait pas (!!!) la forme de la production de marchandises. »

Le tableau est le suivant : devant le capital, comme à votre habitude, vous baissez le pantalon…

Mais laissons ces dévoyés. Ce passage se trouve dans le même chapitre 20, à la fin du paragraphe 11 (p. 128 de Rinascita). Nous en sommes au Troisième Moment !

« Une fois écartée la forme capitaliste de la reproduction, tout revient à ceci : la grandeur de la partie du capital fixe (…) à remplacer en nature [l’argent a disparu] (…) varie suivant les années. (…) La production totale des moyens de production devrait donc diminuer dans un cas, augmenter dans l’autre. Pour y remédier, il faut constamment une surproduction relative ; d’une part, une certaine quantité de capital fixe, avec une production supérieure aux besoins immédiats ; d’autre part et surtout, un stock de matières premières, etc., dépassant les besoins immédiats de l’année (surtout en ce qui concerne les moyens de subsistance) ». Notons quant à nous qu’il s’agit de la section II, puisqu’il a déjà été prouvé dans ce texte qu’à l’intérieur de la section I, le capital fixe et constant s’échange sans l’intermédiaire monétaire dépassé : « Une telle espèce de surproduction n’est que le contrôle de la société sur les moyens physiques de sa reproduc-tion. Dans la société capitaliste, elle est un élément d’anarchie. »

Cette discussion exhaustive portant sur le troisième moment, comme on le verra dans la suite de notre recherche de parti, Marx la mène dans le cadre de la théorie de la reproduction SIMPLE ; et les conclusions révolutionnaires qu’il en tire sont fermement établies avant même l’examen minutieux ultérieur de la reproduction progressive (qu’on a toujours jugé plus essentiel). Ceci constitue un point de la plus haute importance.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par les responsables.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.