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Lénine et la guerre impérialiste

samedi 15 avril 2023, par Robert Paris

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Léon Trotsky

Lénine et la guerre impérialiste

février 1939

Le 18ème anniversaire de la mort de Lénine (il est mort le 21 janvier 1924) trouve notre planète engloutie dans la seconde guerre mondiale.
Au milieu du premier massacre mondial, Lénine avait prédit ce second massacre. Plus encore, il a prédit que tant que l’impérialisme survivrait, les conflits mondiaux se suivraient immanquablement. Si l’impérialisme devait survivre aussi à la guerre actuelle, il en viendrait donc une troisième, puis une quatrième...
Au moyen de la même méthode scientifique qui lui a permis de prédire le cours des événements en cas de perpétuation du règne de l’impérialisme, Lénine a formulé un programme de lutte réaliste - le seul programme qui offre une issue à la société dans l’impasse.
Lénine a atteint sa maturité pendant la Première Guerre mondiale. Son analyse des guerres impérialistes et les conclusions qu’il en a tirées comptent parmi les plus grands avancées du marxisme. C’est le programme léniniste de lutte contre l’impérialisme qui ouvrit la voie à la victoire des masses russes en octobre 1917. Et cette victoire aboutit ensuite à la fin de la première guerre impérialiste mondiale.
Aucun autre programme que celui de Lénine n’offre aujourd’hui de salut à l’humanité.
Nous ne pouvons penser à rien de plus approprié en cette année 1942 que la publication du brillant résumé par Trotsky des conclusions de Lénine face à la guerre de 1914-1918. Ce document a été écrit par Léon Trotsky au début de 1939. C’est la première fois qu’il apparaît en anglais. – La rédaction de Fourth International.

« Il est toujours arrivé dans l’histoire », écrivait Lénine en 1916, « qu’après leur mort leurs ennemis aient essayé de s’approprier les noms de chefs révolutionnaires populaires parmi les classes opprimées afin de tromper les classes opprimées ». Personne dans l’histoire n’a pratiqué cette opération aussi cruellement qu’avec Lénine lui-même. La doctrine officielle actuelle du Kremlin et la politique du Komintern sur la question de l’impérialisme et de la guerre piétinent dans la boue toutes les conclusions auxquelles Lénine est parvenu et d’après lesquelles il a dirigé le parti pendant la période 1914-1918.

La première question soulevée par l’ouverture des hostilités en août 1914 était de savoir si les socialistes des pays impérialistes devaient prendre sur eux la « défense de la patrie ». Il ne s’agissait pas de savoir si un socialiste, individuellement, devait remplir les devoirs d’un soldat : ?? Il n’avait pas d’autre choix, la désertion n’est pas une politique révolutionnaire, mais il s’agissait de savoir si le parti socialiste devait soutenir politiquement la guerre : voter le budget militaire, abandonner la lutte contre le gouvernement, faire de l’agitation pour la "défense de la patrie" ? Lénine répondit : non, il ne le doit pas, il n’en a pas le droit ; non pas parce que c’est une guerre, mais parce que c’est une guerre réactionnaire, un duel d’esclavagistes pour le repartage du monde.

La formation des États-nations sur le continent européen s’est étendue sur une période commençant approximativement avec la Révolution française et se terminant avec la guerre franco-prussienne (1870-1871). Au cours de ces huit décennies dramatiques, les guerres avaient un caractère essentiellement national. La guerre pour la création ou la défense d’un État national, nécessaire au développement des forces productives et de la culture, avait un caractère historique profondément progressiste à cette époque. Les révolutionnaires non seulement pouvaient mais étaient obligés de soutenir politiquement les guerres nationales.

De 1871 à 1914, le capitalisme européen a non seulement fleuri sur la base des États-nations, mais s’est survécu en se transformant en capitalisme monopoliste ou impérialiste. "L’impérialisme est cet état du capitalisme où ce dernier, après avoir accompli pour lui tout ce qui était en son pouvoir, s’oriente vers son déclin." La cause de ce déclin est que les forces productives sont entravées et par le cadre de la propriété privée, et par la limite des frontières de l’État-nation. L’impérialisme cherche à diviser et rediviser le monde. Les guerres nationales sont remplacées par des guerres impérialistes. Elles sont totalement réactionnaires, exprimant le désespoir, la stagnation et la décadence du capitalisme monopoliste.

La nature réactionnaire de l’impérialisme

Cependant, le monde reste extrêmement hétérogène. L’impérialisme coercitif des nations avancées ne peut exister que parce qu’il existe sur notre planète des nations arriérées, des peuples opprimés, des pays coloniaux et semi-coloniaux. La lutte des peuples opprimés pour l’unification nationale et l’indépendance nationale est doublement progressiste, car, d’une part, elle prépare des conditions plus favorables à leur propre développement, et, d’autre part, elle porte atteinte à l’impérialisme. Il en résulte, en particulier, que dans la lutte entre une république démocratique impérialiste civilisée et la monarchie barbare et arriérée d’un pays colonial, les socialistes seront complètement du côté du pays opprimé, malgré sa monarchie, et contre le pays oppresseur, malgré sa "démocratie".

L’impérialisme camoufle ses propres objectifs : la capture des colonies, des marchés, des sources de matières premières, des sphères d’influence, avec des idées telles que "défendre le monde contre les agresseurs", "défendre la patrie", "défendre la démocratie", etc. Ces idées sont complètement FAUSSES. Le devoir d’un socialiste n’est pas de les soutenir, mais de les démasquer devant le peuple. « La question de savoir quel camp a tiré le premier coup de feu ou a été le premier à déclarer la guerre », écrivait Lénine en mars 1915, « n’a aucune importance pour déterminer la tactique des socialistes. Les phrases sur la défense de la patrie, sur l’invasion ennemie à repousser, sur la guerre défensive, etc. sont des deux côtés une tromperie complète du peuple. « Pendant des décennies, expliqua Lénine, trois bandits (la bourgeoisie et les gouvernements d’Angleterre, de Russie, et de France) se sont armés pour dépouiller l’Allemagne. Faut-il s’étonner que deux gangsters (Allemagne et Autriche-Hongrie) aient attaqué avant que les trois bandits n’aient réussi à obtenir les nouveaux couteaux qu’ils avaient commandés ? Le sens historique objectif de la guerre est d’une importance décisive pour le prolétariat : quelle classe la mène ? et dans quel but ? C’est ça qui est décisif, et non les artifices de la diplomatie, qui devant les siens réussira toujours à présenter l’ennemi comme un agresseur. Tout aussi mensongères sont les références des impérialistes aux mots d’ordre de la démocratie et de la culture. "... La bourgeoisie allemande... trompe la classe ouvrière et les masses laborieuses, en assurant que la guerre est menée au nom de la liberté et de la culture, pour libérer les peuples opprimés par le tsarisme... Les bourgeoisies anglaise et française... trompent la classe ouvrière et les masses laborieuses, en prétendant qu’elles font la guerre... contre le militarisme et le despotisme de l’Allemagne ». « Telle ou telle superstructure politique ne peut pas changer la base économique réactionnaire de l’impérialisme. Au contraire, c’est l’infrastructure qui subordonne à elle-même la superstructure. De nos jours... il serait ridicule de penser à une bourgeoisie progressiste, à un mouvement bourgeois progressiste. La vieille "démocratie" bourgeoise... est devenue réactionnaire. » Cette évaluation de la "démocratie" impérialiste est la pierre angulaire de toute la conception de Lénine.

Puisque la guerre est menée par les deux camps impérialistes, non pour défendre la patrie et la démocratie, mais pour le partage du monde et l’asservissement colonial, un socialiste n’a pas le droit de préférer un camp de bandits à un autre. Il serait tout à fait vain d’essayer de « déterminer, du point de vue du prolétariat international, lequel, si la défaite de l’un des deux groupes de nations belligérantes serait un moindre mal pour le socialisme ». Dès les premiers jours de septembre 1914, Lénine caractérisait le contenu de la guerre pour chacun des pays impérialistes et pour tous leurs alliés dans les termes suivants : « La lutte pour les marchés et le pillage des pays étrangers, le désir d’arrêter le mouvement révolutionnaire du prolétariat dans tous les pays, dresser les esclaves salariés d’une nation contre les esclaves salariés d’une autre nation au profit de la bourgeoisie, voilà le seul véritable contenu et le seul vrai sens de la guerre. Comme tout cela c’est loin de la doctrine actuelle de Staline, Dimitrov et Cie !

[La politique d’« unité nationale » en temps de guerre signifie, plus encore qu’en temps de paix, un soutien à la réaction et à la perpétuation de la barbarie impérialiste. Le refus de cet appui — devoir élémentaire d’un socialiste — n’est cependant que le côté négatif ou passif de l’internationalisme. Cela seul ne suffit pas. La tâche du parti du prolétariat est la propagande tous azimuts pour la révolution socialiste et pour la nécessité de diriger les armes non pas contre ses frères, les esclaves salariés d’autres pays, mais contre les gouvernements et les partis réactionnaires et bourgeois de tous les pays, en étendant cette propagande à l’armée et au théâtre même des opérations militaires. Il y a nécessité absolue d’organiser une telle propagande, par des cellules et groupes illégaux, dans les armées de toutes les nations et dans toutes leurs langues. Dans tous les pays sans exception, il faut une lutte impitoyable contre le chauvinisme et le « patriotisme » des philistins et de la bourgeoisie.

Mais une lutte révolutionnaire pendant une guerre pourrait entraîner la défaite de son propre gouvernement ? Lénine n’a pas peur de cette conclusion. « Dans chaque pays, la lutte contre son propre gouvernement, menant dans la guerre une politique impérialiste, ne doit pas s’arrêter à la possibilité d’une agitation révolutionnaire entraînant la défaite de ce pays. C’est la voie ouverte par la théorie dite du « défaitisme ». Des ennemis sans scrupule ont essayé de l’interpréter comme si Lénine autorisait la coopération avec l’impérialisme étranger pour vaincre la réaction nationale. En fait, il s’agissait de la lutte parallèle des travailleurs de tous les pays contre leur propre impérialisme, en tant qu’ennemi direct et principal. « Pour nous, Russes, du point de vue des intérêts des masses ouvrières et de la classe ouvrière de Russie », écrivait Lénine à Chliapnikov en octobre 1914, « il ne peut y avoir le moindre, absolument aucun doute que le moindre mal serait maintenant la défaite immédiate du tsarisme dans cette guerre »…]

Il est impossible de lutter contre la guerre impérialiste en soupirant après la paix, à l’instar des pacifistes. « L’un des moyens de duper la classe ouvrière est le pacifisme et la propagande abstraite pour la paix. Sous le capitalisme, et surtout dans sa phase impérialiste, les guerres sont inévitables. La paix conclue par les impérialistes ne sera qu’un répit avant une nouvelle guerre. Seule une lutte révolutionnaire de masse contre la guerre et l’impérialisme qui l’a engendrée peut assurer une paix réelle. « Sans une série de révolutions, la prétendue paix démocratique est une utopie petite-bourgeoise ».

La lutte contre les illusions narcotiques et débilitantes du pacifisme est un élément essentiel de la doctrine de Lénine. Il a rejeté, avec une hostilité particulière, la revendication du "désarmement" comme manifestement utopique sous le capitalisme [et susceptible de détourner la pensée des travailleurs de la nécessité de leur propre armement. "Une classe opprimée qui ne s’efforce pas d’apprendre à avoir des armes et à s’en servir, ne mériterait que d’être traitée en esclave." Et plus loin : « Notre mot d’ordre doit être : armer le prolétariat pour vaincre, exproprier et désarmer la bourgeoisie... Ce n’est qu’après que le prolétariat aura désarmé la bourgeoisie qu’il pourra, sans renoncer à sa tâche historique mondiale, jeter toutes les armes à la ferraille »... D’où la conclusion que Lénine tire en une dizaine d’articles :]

Les racines du social-chauvinisme

La plupart des partis ouvriers des pays capitalistes avancés se sont rangés aux côtés de leurs bourgeoisies respectives pendant la guerre. Lénine a qualifié leur tendance de social-chauvinisme : socialisme en paroles, chauvinisme en actes. La trahison de l’internationalisme n’est pas tombée du ciel, mais a été une continuation et un développement inévitables des politiques d’adaptation réformiste. "Les contenus idéologiques et politiques de l’opportunisme et du social-chauvinisme se définissent par une seule et même formule : la coopération de classe au lieu de la lutte de classe, [le renoncement aux moyens de lutte révolutionnaires], le soutien apporté à "son propre" gouvernement dans une situation difficile au lieu d’utiliser ses difficultés pour la révolution.

La dernière période de prospérité capitaliste avant la guerre – de 1909 à 1913 – a lié particulièrement étroitement les couches supérieures du prolétariat à l’impérialisme. Sur les surprofits que la bourgeoisie impérialiste recevait des colonies et, en général, des pays arriérés des miettes juteuses revenaient aussi à l’aristocratie ouvrière et à la bureaucratie ouvrière. Leur patriotisme était par conséquent dicté par un intérêt direct à la politique de l’impérialisme. Pendant la guerre, qui a mis à nu tous les rapports sociaux, "les opportunistes et les chauvins ont été investis d’un pouvoir gigantesque en raison de leur alliance avec la bourgeoisie, avec le gouvernement et avec les états-majors".

La tendance intermédiaire et peut-être la plus large du socialisme, le soi-disant centre (Kautsky, etc.), qui oscillait en temps de paix entre le réformisme et le marxisme, se cachant derrière des phrases générales pacifistes, était presque complètement captives des social-chauvins. Quant aux masses, elles ont été prises par surprise et trompées par leur propre appareil, qu’elles construisaient depuis des décennies. Après avoir dressé un bilan sociologique et politique de la bureaucratie ouvrière de la IIe Internationale, Lénine ne s’est pas arrêté à mi-chemin. "L’unité avec les opportunistes est une alliance des travailleurs avec "leur" bourgeoisie nationale et une scission de la classe ouvrière révolutionnaire internationale." D’où sa conclusion sur la nécessité d’une scission entre les internationalistes et les social-chauvins. « Il est impossible de remplir les tâches du socialisme à l’heure actuelle, il est impossible de réaliser une véritable unité internationale des travailleurs sans une rupture décisive avec l’opportunisme"... ainsi qu’avec le centrisme, "cette tendance bourgeoise du socialisme". Le nom même du parti doit être changé. « Ne vaudrait-il pas mieux abandonner le nom de « sociaux-démocrates », qu’ils ont sali et humilié, et revenir au vieux nom marxiste de communistes ? Il est temps de rompre avec la Deuxième Internationale et de construire la Troisième.

Qu’est-ce qui a changé ces vingt dernières années ? L’impérialisme a pris un caractère encore plus violent et oppressif. Son expression la plus cohérente est le fascisme. Les démocraties impérialistes sont tombées plusieurs échelons plus bas et évoluent elles-mêmes naturellement et organiquement vers le fascisme. L’oppression coloniale devient d’autant plus intolérable que s’éveille avec plus de force le désir d’indépendance nationale des peuples opprimés. En d’autres termes, tous les traits qui formaient la base de la théorie de Lénine sur la guerre impérialiste ont maintenant pris un caractère incomparablement plus aigu et plus net.

Les com-chauvins, il est vrai, se réfèrent à l’existence de l’URSS, qui introduit prétendument une révolution complète dans la politique du prolétariat international. On peut ici répondre brièvement : avant l’émergence de l’URSS, il y avait des nations opprimées, des colonies, etc., dont la lutte méritait également d’être soutenue. S’il était possible de soutenir des mouvements révolutionnaires et progressistes à l’extérieur de son propre pays en soutenant sa propre bourgeoisie impérialiste, alors la politique de social-patriotisme était en principe correcte. Alors il n’y avait pas besoin de fonder la Troisième Internationale. C’est un côté de la question, mais il y en a un autre. L’URSS existe depuis 22 ans. Pendant dix-sept ans, les principes de Lénine sont restés en vigueur. La politique com-chauvine n’a été décidée qu’il y a quatre ou cinq ans. [La référence à l’existence de l’URSS n’est donc qu’une fausse couverture.]

Si, il y a un quart de siècle, Lénine condamnait comme social-chauvinisme et trahison sociale la défection des socialistes vers le côté de leur impérialisme national, sous prétexte de défendre la culture et la démocratie, alors la même politique est aujourd’hui d’autant plus criminelle, du point de vue des principes de Lénine. Il n’est pas difficile de deviner comment Lénine aurait désigné les dirigeants actuels du Komintern, qui ont ravivé tous les sophismes de la Deuxième Internationale dans les conditions d’une désintégration encore plus profonde de la civilisation capitaliste.

Le paradoxe inquiétant est que les pitoyables épigones du Komintern, qui ont transformé son drapeau en un chiffon sale pour effacer les traces de l’oligarchie du Kremlin, appellent ceux qui restent fidèles à la doctrine du fondateur de l’Internationale communiste des « renégats ». Lénine avait raison : les classes dirigeantes non seulement persécutent les grands révolutionnaires de leur vivant, mais se vengent d’eux par des mesures encore plus raffinées, après leur mort, en essayant d’en faire des icônes, dont la mission serait de préserver « la loi et l’ordre ». Personne n’est obligé, bien sûr, de se tenir sur le terrain des enseignements de Lénine. Mais nous, ses disciples, ne permettrons à personne de se moquer de ces enseignements et de les transformer en leur contraire !

L. Trotsky. Fév.1939

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