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La division public/privé, un cadeau empoisonné des staliniens et des syndicats

lundi 27 février 2023, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

La division public/privé, un cadeau empoisonné des staliniens et des syndicats collaborant à l’Etat capitaliste après la 2ème guerre mondiale

Les nationalisations et la création d’un important secteur économique, industriel, commercial et financier d’Etat sont, à la fin de la deuxième guerre mondiale, la création de la bourgeoisie française et de son Etat dirigé par De Gaulle et pas sous la pression de PCF-CGT et pas de la résistance ni de la gauche. Il était rendu nécessaire, non pas pour faire croire une démocratie sociale dans l’esprit de la résistance et de la libération mais parce que le secteur privé était incapable des investissements massifs sur le long terme avec des rendements douteux au début et qui étaient indispensables à la reconstruction capitaliste en France à l’après-guerre.

La gauche et les syndicats nous ont servi pendant de longues années le mythe de l’après-deuxième guerre mondiale, entouré des noms faussement prestigieux de « Libération », « Résistance », « CNR » notamment, et selon lequel le grand mérite de ceux-ci serait d’avoir fondé le secteur d’économie publique d’Etat sous la houlette des staliniens Maurice Thorez et Marcel Paul.

Entre décembre 1945 et avril 1946, les secteurs du crédit, des ressources énergétiques et de l’assurance sont nationalisés par le gouvernement provisoire en France. Ce n’est pas le produit d’un combat des staliniens et des syndicats mais de l’étatisme de De Gaulle.

La volonté du général Charles de Gaulle de nationaliser des secteurs de l’économie française avait été exprimée dès 1942 lors d’un discours à Londres. Il justifiait alors cette politique par son ambition de restaurer le rôle central de l’État français. À la tête du gouvernement provisoire formé après la libération, de Gaulle passe aux actes. Par définition, la nationalisation consiste à transférer, par l’entremise de l’État, une entreprise du secteur privé vers le secteur public. Une première vague de nationalisations est déclenchée en décembre 1944 pour sanctionner des entreprises soupçonnées d’avoir collaboré avec l’occupant allemand durant la guerre. C’est notamment le cas du constructeur automobile Renault, nationalisé le 16 janvier 1945. Le 2 décembre 1945 marque le début d’une deuxième vague qui touche le Crédit lyonnais, le Comptoir national d’escompte de Paris, la Banque nationale pour le commerce et l’industrie et la Société générale. Pour leur part, les compagnies charbonnières, de gaz et d’électricité passent aux mains de l’État le 8 avril 1946. Plus tard en avril, 34 sociétés d’assurances sont nationalisées. La Constitution de la IVe république (27 octobre 1946), met l’accent sur le caractère essentiel de la nationalisation. Comme l’indique cet extrait du préambule : « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Une troisième vague de nationalisations aura lieu en 1948 dans les secteurs du transport terrestre, aérien et maritime.

« Refaire la France » est le but et le slogan commun de De Gaulle (pas du tout de gauche ni prostalinien) et des staliniens-cégétistes.
Comme il n’est nullement question pour les uns comme pour les autres que le prolétariat prenne le pouvoir, il s’agit donc de reconstruire la France des caoitalistes.

Ce sont les staliniens-cégétistes qui ont prétendu que Thorez-Paul-Croizat était le trio (stalinien) du développement du secteur public et fonctionnaires. En réalité, les noms des principaux fondateurs de ce secteur d’Etat sont, dès 1943, Maurice Couve de Murville puis Mendès-France aux Finances, André Diethelm au Ravitaillement et à la Production, puis Paul Giaccobi quand Diethelm passe à la Guerre, Jean Monnet, responsable des achats aux U.S.A., René Mayer, aux Communications et à la Marine marchande, constituent un embryon de cellule économique, puis, en 1944, René Pleven aux Finances, Mendès-France à l’Economie, Robert Lacoste à l’Industrie, Parodi au Travail, Dautry à la Reconstruction, Tanguy-Prigent à l’Agriculture, Mayer aux Travaux Publics.

A la fin de la guerre, vues les destructions massives, le capitalisme ne dispose pas des moyens de se relancer aisément sans l’appui économique de l’Etat capitaliste. Ce dernier a besoin, pour cela, de disposer de grands moyens. D’où la nécessité d’un important secteur d’Etat.

Le gouvernement se couvre, pour cette vaste opération, du manteau de l’antifascisme, comme lors de la « résistance », pour ces nationalisations mais l’essentiel ne frappe pas des patrons particulièrement mouillés avec Vichy. Sinon, il faudrait frapper la totalité des grands patrons !

Il ne s’agit pas pour les staliniens et syndicats d’un moyen de renforcer la classe ouvrière, en construisant un secteur socialement plus actif et combatif. Au contraire, le secteur public d’avant-guerre a été le moins en pointe durant la grande vague de grèves de 1936. On peut même dire qu’il en a été presque complètement absent.

Par la suite, l’existence d’une division du prolétariat entre secteur public et privé va systématiquement servir à la gauche et aux syndicats pour diviser les luttes ouvrières qui seront soit des grèves du privé, soit des grèves du public, mais très marginalement (ou pas du tout) les deux en même temps. L’existence d’un grand secteur de fonctionnaires a permis de diviser la classe ouvrière, en opposant les prétendus « avantages » des uns et des autres.

Les staliniens-cégétistes ont prétendu que ces nationalisations affaiblissaient le grand capital mais c’est faux ! Pour relancer l’économie, le GPRF (gouvernment provisoire de la République sous la la direction de De Gaulle) entreprend entre 1944 et 1946, une campagne de nationalisation des secteurs clés. Ainsi, l’Etat devient le patron d’entreprises qu’il gère par le biais d’un organisme qualifié : l’Etat contrôle l’entreprise mais ne la possède pas.

Les nationalisations touchent différents secteurs :

 les secteurs de l’énergie : les mines de charbon ; le gaz et l’électricité : création d’EDF-GDF ;

 le secteur des transports maritimes et aériens (création d’Air France), pour les transports terrestres, la SNCF est nationalisée depuis 1937 ;

 le secteur financier : des assurances et des banques sont nationalisées (Banque de France, Société Générale, Crédit Lyonnais...) ;

 le secteur industriel, notamment les entreprises qui ont collaboré comme par exemple les usines Renault.

Si la propagande « de gauche » prétend que ce sont des mesures sociales, progressives, démocratiques, antifascistes et autres, les Thorez, Croizat et autres Marcel Paul n’en disaient pas autant sur le moment. Ils affirmaient qu’il s’agissait surtout de produire, encore produire.

Par exemple, le ministre stalinien Marcel Paul écrivait dans L’Humanité du 6-2-1945 : "Le premier problème est de produire, c’est lui qui déterminera la solution de tous les autres. Nous avons à faire preuve de discipline, de patience et d’obstination. En travaillant ferme nous préparerons les conditions d’une remise en route définitive de notre économie, qui est loin d’être battue internationalement sur tous les terrains. Dans le domaine de la construction automobile, par exemple, nous avons encore notre mot à dire".

D’ailleurs, sans le rôle économique que l’État a joué, jamais le capitalisme n’aurait pu vivre, se développer et plus encore se survivre. Y compris à l’époque dite libérale du régime capitaliste, l’État et les « collectivités locales », communes et départements, ont eu le rôle majeur dans la constitution de l’infrastructure - routes, chemins de fer, canaux, ports, docks, etc. En France, c’est l’État qui a construit les chemins de fer et il en a confié la gestion à des sociétés privées. C’est lui qui a institué les « Postes-télégramme-téléphone », et bien d’autres entreprises. L’État a joué un rôle non moins important dans la mise sur pied du crédit. C’est avec l’appui de l’État que la Banque de France a été fondée en 1800, qu’elle a rempli la fonction centrale dans le développement du système de crédit (privilège de l’émission de la monnaie pour la France entière en 1848, réescompte, avances sur titres, etc.) C’est l’État qui a créé en 1816 la Caisse des dépôts et consignations, le Crédit foncier en 1855, etc. Evidemment, les marchés que l’État ouvre ont toujours été une source constante de profits pour le capital, et ils ont bien souvent été décisifs pour la constitution d’importants secteurs industriels.

Le rôle économique de l’État a pris de nouvelles proportions avec l’avènement de l’impérialisme, l’époque du capitalisme des monopoles succédant à celle du capitalisme libéral. Les dépenses militaires et autres dépenses parasitaires ont fourni des débouchés au capital. Mais à cela ne s’est pas bornée la fonction économique de l’État au service de la défense du régime capitaliste. « Les diverses crises que notre société a connues ont, chaque fois, accéléré ce processus », écrit François Chevalier dans son livre Les entreprises publiques en France. Il poursuit : « C’est d’abord la crise consécutive à la guerre de 1914. Plusieurs données se sont conjuguées pour favoriser, à l’issue de cette guerre l’essor des entreprises publiques. Les nécessités de la reconstruction des régions dévastées, de la remise en état de l’appareil de production mobilisé à cause de la saignée particulièrement lourde de la guerre, ont contraint l’État à intervenir directement quand l’initiative privée était défaillante. » Et il cite quelques exemples : « Ainsi s’explique la création de sociétés d’économie mixte en application de la loi du 16 octobre 1919 sur l’énergie hydraulique, ou le statut d’établissements publics industriels et commerciaux conféré aux ports autonomes du Havre, de Bordeaux et de Strasbourg, en vertu de la loi du 12 juin 1920 ou encore la création de la Caisse nationale française des pétroles par la loi du 25 mars 1924... Création de l’Office national industriel de l’Azote devenu depuis lors Azotes et produits chimiques, filiale à 100 % de l’Entreprise minière, et chimique... Mines domaniales de potasse d’Alsace... la constitution d’établissements publics ou de sociétés d’économie mixte d’entreprise de transport : la compagnie des chemins de fer d’Alsace et de Lorraine, la société française de navigation danubienne... etc. »

Les « sociétés d’économie mixte » sont des sociétés constituées avec des capitaux publics et privés. Les participations que détient l’État dans ces sociétés peuvent aussi bien lui assurer la majorité que la laisser aux groupes privés. Depuis ce genre de sociétés s’est multiplié.
La crise économique de 1929 a exigé de nouvelles interventions importantes de l’État dans l’économie. Dès le début des années 1930, plusieurs sociétés menacées de faillite ont été renflouées par l’État : sociétés de transport aérien, compagnies maritimes. Air France a été constitué, ainsi que la Compagnie générale transatlantique, en tant que sociétés d’économie mixte.

François Chevalier écrit : « Troisième grande crise du XX° siècle, le second conflit mondial allait lui aussi provoquer une extension considérable du secteur public. » Il distingue « trois séries de raisons (qui) se sont coordonnées... les participations que les Allemands et les collaborateurs avaient prises dans les sociétés françaises sont transférées à l’État. Des entreprises françaises qui s’étaient rendues coupables de collaboration avec l’ennemi ont été nationalisées. » Il cite l’agence Havas, Dassault, Gnôme-Rhône devenu SNECMA, et poursuit « La libération des territoires s’est, en second lieu, doublée d’un immense élan dans le sens de ce que l’on a appelé la démocratie économique : le mouvement de nationalisations conçues comme procédés à la fois anticapitalistes et antiétatiques correspond à cette exigence en vertu de laquelle de vastes secteurs de l’économie ont fait l’objet d’une appropriation collective : houillères, électricité, gaz, secteur du crédit (banque de France et les quatre grandes banques de dépôt), assurances. »

Sur cet aspect des choses l’interprétation de François Chevalier recèle une part de vérité. En même temps, elle est abusive. Il ne fait pas de doute que la forme de "nationalisation" donnée à l’intervention de l’État dans l’économie a été dictée par le mouvement des masses aux aspirations révolutionnaires et profondément anti-capitalistes. Mais ces nationalisations ont été réalisées par un État qui était l’État bourgeois, par des gouvernements qui étaient des gouvernements bourgeois, et leur contenu social et économique était et ne pouvait dans ces conditions être que bourgeois. La formule de « démocratie économique » va de pair avec la « théorie » de l’État au-dessus des classes qu’il s’agit de « démocratiser ». Elle est un leurre pour le prolétariat et les masses populaires. Il s’agit de noyer leurs aspirations anti-capitalistes et « antiétatiques ». (c’est-à-dire leurs aspirations à détruire l’État bourgeois pour y substituer l’État ouvrier). Elle a « l’avantage » de « justifier » la collaboration des organisations ouvrières à la remise sur pied de l’économie capitaliste, éventuellement la « participation » des syndicats à la gestion de ces entreprises au côté mais sous la direction de l’État bourgeois. Le véritable contenu de la « démocratie économique » a, au cours de ces années, été clairement explicité par les formules des dirigeants du PCF et de l’appareil de la CGT, alors unifiée mais contrôlée principalement par le PCF : « Il faut un seul État, un seul gouvernement, une seule police », et encore « La grève est l’arme de classe des trusts », « Il faut produire, produire », « Produire d’abord, revendiquer ensuite ».

Sur le fond : les nationalisations de 1945-1947 ont été indispensables du point de vue même de la bourgeoisie, pour les raisons que François Chevallier indique ensuite : « Enfin, l’immensité de la tâche de reconstruction à accomplir imposait que l’État supplante le secteur privé dans nombres d’activités et se donne les moyens de diriger, de rationaliser et de planifier l’économie nationale. C’est à cette fin qu’ont été créées postérieurement aux grandes lois de nationalisation, les innombrables entreprises publiques chargées de constituer l’ossature de notre économie : Compagnie des messageries maritimes, Air France, Aéroport de Paris, RATP, Société de transports par pipeline(TRAPIL) ; Offices d’études et de recherches aéronautiques auquel a succédé l’Office national d’études et de recherches aéronautiques (ONERA) en 1963, Bureau de recherches de pétrole, Agence France-presse (AFP), etc. »

Sauvetage du capitalisme français

Cette intervention sans précédent de l’État dans l’économie a sa cause profonde dans l’impasse où le mode de production capitaliste se trouve en France et, plus généralement, en Europe, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Elle comprend la mise sur pied du Commissariat général au plan créé en 1945. Le plan Monnet lui a donné son cadre et ses objectifs. On ne peut le séparer de l’ensemble des rapports économiques et politiques dans le monde au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Les dirigeants des organisations et partis ouvriers ont contenu, puis fait refluer le mouvement révolutionnaire anti-capitaliste des masses. ils ont réussi à leur imposer la reconstruction de l’État bourgeois et les contraintes de la reconstruction de l’économie capitaliste. Ils ont participé aux gouvernements d’union nationale qui se sont succédés entre 1944 et 1947 en France. C’était la traduction française de la collaboration contre-révolutionnaire, et, pour ce faire, du partage de l’Europe entre l’impérialisme et la bureaucratie du Kremlin mise au point à Yalta et à Postdam. Cette politique inclut l’ensemble des nationalisations et créations d’entreprises publiques réalisées entre 1945 et 1947, est tout aussi inséparable de l’action de l’impérialisme US qui a organisé la reconstruction du capitalisme en Europe, et ultérieurement au Japon : accords de Bretton-Woods, constitution du FMI, multiples crédits, mise sur pied du plan Marshall, constitution de multiples organismes économiques et financiers en Europe, Union européenne des paiements.

Finalement, cette politique n’a réussi à sauver et à remettre sur pied le capitalisme français que par l’impulsion que l’économie d’armement permanente, dont l’épicentre et aux USA, a donné à l’économie capitaliste dans son ensemble.

L’objectif des nationalisations et de la création d’entreprises publiques en France entre 1945 et 1947 ne fait donc aucun doute : formellement contradictoirement, sauver le régime fondé sur la propriété privée des moyens de production, le régime capitaliste, le relancer. Ce n’est pas, bien entendu, l’ensemble des grands groupes et des grosses entreprises capitalistes qui est nationalisé, mais à quelques exceptions près (Renault, Gnôme-Rhône, Agence Havas), seulement les secteurs que, dans les conditions d’alors, l’État peut et doit prendre en charge pour reconstruire et relancer l’économie capitaliste. L’exposé des motifs de l’ordonnance datée du 13 décembre 1944, nationalisant les houillères du Nord et du Pas-de-Calais, parce qu’elle est la première nationalisation réalisée, est significatif : « La puissance de relèvement d’un pays au lendemain d’une crise grave peut se mesurer à la volonté dont il fait preuve en se plaçant du point de vue de l’intérêt général d’une part, part, d’adapter les moyens économiques dont il dispose encore à la situation à laquelle il a été amené, afin de restaurer le plus vite possible, en les simplifiant et en les rajeunissant, les instruments de sa prospérité, et d’autre part de créer le climat social le plus favorable à la reprise du travail. L’État seul possède actuellement l’autorité suffisante pour assurer une telle tâche dont l’accomplissement importe grandement à l’intérêt du pays tout entier ; lui seul peut, en effet, suivant un plan d’ensemble, faire participer dans les conditions les plus favorables et les plus rapides, les exploitations houillères au relèvement de l’industrie française. Lui seul peut, à la fois sur le plan technique imposer aux mines un programme de production, effectuer le regroupement d’exploitation nécessaire, normaliser le matériel, en offrant s’il y a lieu, le concours de ses ressources financières et, sur le plan social, assurer au mieux la sauvegarde des intérêts et de la santé, des travailleurs, apaiser les conflits qui opposent trop souvent, les patrons et les ouvriers, faire droit aux justes revendications, faire participer les travailleurs à la gestion des entreprises, imprimer enfin la même impulsion aux divers personnels de direction et d’exécution, placés sous son autorité. »

L’exemple de l’électricité

L’« intérêt général », cela n’existe pas, pas plus que n’existe l’« économie » en général. Il s’agit toujours de l’intérêt de telle ou telle classe sociale, et de l’économie d’un type déterminé : en l’occurrence, il s’agit de l’intérêt de la bourgeoisie en général et de l’économie capitaliste. L’exposé des motifs de l’ordonnance instituant les « Houillères nationales du Nord et du Pas-de-Calais » vaut pour l’intervention économique de l’État au cours des années 1945-1947, qu’elle aboutisse à des nationalisations, à la création d’entreprises publiques ou qu’elle se manifeste sous toute autre forme. Ainsi, dans le livre déjà cité, Michel Chevalier écrit : « Au-delà d’un certain stade le développement économique suppose une rationalisation accrue de l’appareil de production qui ne peut être réalisée que par la rénovation des structures économiques. Or, les mécanismes du marché, même contrôlés et orientés par la puissance publique, ne sont pas toujours en mesure d’assurer la meilleure rationalisation souhaitable. Dans cette perspective, l’appropriation politique constitue un instrument permettant de faciliter le mouvement de rationalisation de l’appareil de production. La nationalisation de la production, du transport et de la distribution d’électricité fournit à cet égard, un bon exemple. Ces activités étaient en effet dispersées en un si grand nombre d’entreprise (1150 sociétés pour la distribution, 86 pour le transport à longue distance, 54 pour l’exploitation de 86 centrales thermiques, 100 pour l’exploitation d’environ 300 centrales hydrauliques) qu’aucune d’entre elles n’était en mesure d’assurer un développement rationnel de ces activités qui puisse satisfaire les besoins de la clientèle, et notamment de l’industrie. Au surplus, l’importance des efforts de reconstruction et des besoins en énergie au lendemain de la guerre supposait une unification tant des techniques utilisées que des moyens économiques et financiers.

La nationalisation et l’organisation de la production et de la distribution de l’électricité sous forme de monopole a permis, grâce à la concentration des moyens matériels et humains, de rationaliser les conditions d’emploi des ressources et donc de satisfaire les besoins pour une efficacité et une productivité accrues. »
La nationalisation des sources et de la production d’énergie (charbon, gaz et électricité, loi du 8 avril 1946), celle de certains moyens de transports publics élargissant la nationalisation des chemins de fer réalisée en 1937, la constitution entre 1945 et 1947 d’entreprises publiques, ont été des mesures de salut du capitalisme français, même si tels ou tels intérêts capitalistes particuliers durent être plus ou moins sacrifiés.

Nationalisation de la Banque de France et des grandes banques de dépôt

Pour remplir pleinement cette fonction, l’État bourgeois a du se doter des moyens de crédit indispensables. C’est ainsi que la loi du 2 décembre 1945 a nationalisé la Banque de France et les quatre plus grandes banques de dépôt (le Crédit lyonnais, la Société générale, le Comptoir national d’escompte de Paris , la Banque nationale pour le commerce et l’industrie). La loi du 25 avril 1946, complémentairement, nationalisait 34 compagnies d’assurances. Mais, là encore, s’est affirmé le fait qu’il s’agissait de la défense et de la relance du régime capitaliste. La Banque de France comme les autres banques nationalisées seront mises au service du capital privé. La Banque de France fournit par les mille moyens de la technique financière des crédits aux banques nationalisées comme privées, aux établissements financiers de type divers. Les banques de dépôts nationalisées fournissent une masse énorme de crédits et même, dans une certaine mesure, de capitaux aux entreprises privées. Si, au moment de leur nationalisation, les quatre banques groupaient 55 % des dépôts de toutes les banques, une partie importante des banques dites de dépôt n’était pas nationalisée, car considérée comme formée de petites et moyennes banques de dépôt. L’exemple du Crédit. commercial de France est bien connu. Dans son livre La Banque française, Georges Petit-Dutaillis donne les indications suivantes qui concernent le Crédit industriel et commercial.

Source : https://www.marxists.org/francais/just/nationalisation/just_nationalisation.htm

Le révolutionnaire Barta écrivait :

20 mars 1945,

« "PEUT-ON ALLER DE L’AVANT SI L’ON A PEUR D’ALLER VERS LE SOCIALISME ?"

La misère derrière un plastron impérialiste

"Subirons-nous la famine ?" telle était la question que nous posions le 8 juillet 1944 quand, un mois après le débarquement des "Alliés", Radio-Londres se mettait brusquement à parler du ravitaillement de la France uniquement par ses ressources locales. Certes, les ressources du pays même avec une production amoindrie, suffiraient tant bien que mal à l’alimentation de la population. Mais pour que les régions excédentaires consentent à un échange avec les villes et les régions déficitaires, il faut un système économique sain. "Il est inévitable", répondions-nous, "que le même système (celui de Vichy) : – réquisitions, inflation, taxes, "répartiteurs", intermédiaires – donne, dans un pays appauvri, le même résultat, c’est-à-dire la famine."
Les opérations militaires de l’été dernier vinrent s’ajouter à cette situation, en détruisant une partie importante des forces productives de la France. Mais ces destructions et la pourriture du système capitaliste ne sont pas seuls à peser sur l’économie du pays.
Car cette économie anémiée doit supporter encore de nouvelles charges imposées par le gouvernement De Gaulle, en vue de reconstituer l’ancienne armée des capitalistes français de participer à la guerre, et à une politique impérialiste active. Le budget de guerre pour 1945 est de 200 milliards, soit environ un quart de plus que les prélèvements allemands sous l’occupation.

Le gouvernement bourgeois cache le sens aventuriste de cette politique à l’aide de nos social-chauvins ; mais regardons la Hollande, nous verrons ainsi la véritable image de la France impérialiste : les trois-quarts du pays sont sous l’eau, mais le gouvernement hollandais de Londres (appel de la reine) déclare mettre toutes ses forces et ses richesses en jeu pour libérer... les Indes Néerlandaises, où les capitalistes hollandais exploitaient 60.000.000 d’esclaves coloniaux !
Mais si la Hollande est sous les flots de l’Océan, en France, ce sont les digues économiques qui sont rompues et les flots de la catastrophe commencent à monter.

Les conséquences de l’anarchie capitaliste

Quelle est la situation économique de la France ?

Les rapports entre la ville et la campagne se sont définitivement réduits au marché noir et aux réquisitions (destinées surtout à la nouvelle armée impérialiste). L’avilissement du franc et le manque complet de produits industriels nécessaires aux paysans (production de guerre et non production de paix) sont les causes principales de cet état de choses.

D’autre part, le mode capitaliste d’échange fait que moins les produits sont abondants, plus le nombre de parasites qui spéculent et s’enrichissent sur la misère des masses est grand.

La situation financière de l’Etat a poussé celui-ci, pour faire face à ses dépenses actuelles (budget de guerre) ainsi qu’aux charges accumulées par six années de conflit (2.000 milliards sont nécessaires à la reconstruction), à continuer l’émission massive de papier-monnaie. Incapable d’employer vis-à-vis des spéculateurs et des capitalistes les moyens de contrainte (contrôle des revenus, abolition du secret commercial, expropriations), le gouvernement bourgeois en est réduit à des expédients qui enrichissent les spéculateurs (l’emprunt De Gaulle 3%) sans soulager l’Etat. D’autre part, pour permettre aux capitalistes de rejeter tout le poids de l’inflation sur les masses, il leur donne main libre de faire face à la ruine de la monnaie par une politique de ruine des salaires.

Le blocage des prix devait empêcher que la hausse du prix de vente ne remette en question les salaires bloqués à un niveau extrêmement bas. Mais pratiquement le pouvoir d’achat des travailleurs a rapidement diminué au cours de la guerre, tandis que les gros industriels ont vu leurs profits considérablement augmentés. Le gouvernement De Gaulle avait reconnu par ses promesses du début qu’une augmentation minimum de 40%, sur la base du maintien des prix, était nécessaire. Mais la majoration des salaires depuis septembre, qui d’après les chiffres officiels serait de 35% (et pas pour tous les secteurs), n’a nullement amélioré la situation des travailleurs car la hausse des prix a été encore plus forte. Bien entendu la bourgeoisie tire la conclusion qu’il est inutile de réclamer une majoration des salaires, puisqu’elle n’a d’autre effet que de provoquer "la course infernale des prix et des salaires" ; parce que, dit le ministre de l’économie nationale, "si on voulait décider une nouvelle élévation des salaires sans avoir consenti à l’élévation des prix, le désordre serait redoutable".

Où serait le désordre si les salaires étaient relevés et les prix bloqués ? Le niveau de vie de la classe ouvrière s’améliorerait et la course infernale ne se déclencherait pas. Seuls les profits des capitalistes auraient une situation "redoutable". Mais comme le gouvernement bourgeois n’est que le Comité exécutif de la classe capitaliste, "la contrainte des prix ne sera pas maintenue" et Mendès-France vient précisément de déclencher la course infernale (pour les masses) des prix et des salaires, au profit des capitalistes.

L’avilissement de la monnaie avait également provoqué la ruine de larges couches petites-bourgeoises. Avec l’inflation cette ruine va s’aggraver et s’étendre.

Les social-chauvins et les nationalisations

Pour éviter la catastrophe il n’y avait qu’une solution : la refonte complète du système bancaire, de la grosse industrie et de toutes les branches essentielles de la vie économique. Mais l’Etat bourgeois ne pouvait pas s’engager dans cette voie : "L’Etat bourgeois règle la vie économique de façon à en faire UN BAGNE POUR LES OUVRIERS (et en partie pour les paysans) et UN PARADIS POUR LES BANQUIERS ET LES CAPITALISTES" (Lénine). Et la meilleure façon pour lui de saboter la refonte économique (ou les "nationalisations") c’est de la reconnaître en principe, pour en revendiquer l’application à sa manière et en faire une tromperie (nationalisation des pertes, comme pour les Houillères du Nord, grosses indemnités, direction assurée par les capitalistes).
Seuls les représentants de la classe ouvrière pouvaient être des défenseurs sans restrictions des mesures de nationalisation. Mais pratiquant la politique de collaboration de classes, les représentants officiels éludèrent la question. Le 21 janvier, au nom du Comité central du PCF, Thorez affirmait : "Nous ne formulons pas présentement des exigences de caractère socialiste ou communiste... Une seule chose nous préoccupe... gagner la guerre au plus vite... Comme sous l’occupation, nous voulons... nous entendre avec tous les bons français ouvriers, employés, PATRONS, intellectuels, paysans".

Cependant, en dépit de la volonté des chefs vautrés dans l’union sacrée, les ouvriers ont été poussés par leur situation économique à lutter contre la bourgeoisie qui les affame.

Cette lutte a déjà pris un caractère de conflit ouvert entre patronat et ouvriers en tant que classes, comme l’ont montré la grève générale des imprimeries et celle du spectacle. Ainsi l’équilibre politique entretenu par l’espoir d’une amélioration de la situation par la "libération" a été rompu. La bourgeoisie se prépare à utiliser contre la classe ouvrière les bandes fascistes, dont elle entretient et réveille l’activité, et dont la propagande essaie de trouver un aliment dans le mécontentement général.

La constatation que "la réaction et le fascisme relèvent insolemment la tête" (Huma) et que le danger est à nouveau suspendu sur leur tête aussi, a poussé les social-chauvins à des appels d’union contre le fascisme "de partout".

C’est cette situation aussi qui les a déterminés, pour sauvegarder leur popularité dans les masses, à sortir le 2 mars un manifeste signé PS et PC, pour "la nationalisation immédiate des grandes banques, la nationalisation rapide des principales sources de matières premières et d’énergie, des industries-clés, des transports et des assurances", en soulignant que les "confiscations des biens des traîtres" ne sauraient remplacer les nationalisations de "secteurs autonomes, homogènes et viables, comprenant L’ENSEMBLE des grandes exploitations d’une même spécialité". D’après ce manifeste, nationaliser c’est "RETIRER la propriété d’une société ou d’une entreprise au CAPITALISME PRIVE".
La différence entre ce manifeste et le discours de Thorez est évidente. Les "socialistes" et les staliniens avaient déclaré la lutte de classes abolie ; mais la lutte de classes les a obligés à se prononcer pour L’EXPROPRIATION DES CAPITALISTES.

Cependant Duclos, pour se défendre contre les critiques de la presse bourgeoise, déclare : nous n’avons pas changé puisque les nationalisations exigées le 2 mars ne sont toujours pas des mesures socialistes ou communistes que repoussait Thorez, mais des mesures démocratiques.

"Peut-on aller de l’avant si l’on a peur d’aller vers le socialisme ? "
En insistant sur le caractère démocratique des mesures d’expropriation, les staliniens veulent souligner qu’il ne s’agit pas d’une attaque contre le régime capitaliste (dans la voie du socialisme), mais de réformes acceptables pour tous, dans le cadre du système capitaliste.

Mais "soustraire à la domination des trusts l’ensemble des grandes exploitations d’une même spécialité" (des grandes banques, des sources de matières premières, des industries-clés, etc.), "retirer leur propriété au capitalisme privé", n’est-ce pas découronner tout le système capitaliste ? Nationaliser les institutions de crédit et les monopoles de fait, n’est-ce pas enlever toute puissance au capitalisme ?

Car le secteur non nationalisé, c’est-à-dire la petite et moyenne production, dépendant entièrement du crédit et de la grande industrie, serait de ce fait entièrement soumis au secteur nationalisé. Si les nationalisations ont un sens progressif par rapport à la situation actuelle où les 200 familles disposent avec l’aide de l’Etat de la vie de la nation, ce progrès ne peut donc être qu’une marche vers la transformation totale du système, une marche vers le socialisme.
Comme nous l’avons vu plus haut, les "nationalisations" dans le cadre du système capitaliste, accomplies par l’Etat bourgeois qu’il s’appelle "démocratique" ou autrement, ne sont qu’une tromperie. "L’Etat bourgeois règle la vie économique de façon à en faire un bagne pour les ouvriers et un paradis pour les banquiers et les capitalistes".
Il n’y a pas de milieu. Ou aller de l’avant parce qu’on est décidé d’aller vers le socialisme, ou être complice des tromperies bourgeoises.
Si les social-chauvins définissent les "nationalisations" comme des mesures "démocratiques" c’est avant tout pour justifier leur collaboration de classes : mesures "démocratiques", c’est-à-dire mesures qui doivent recueillir les suffrages de tous et qui peuvent être accomplies grâce à une majorité électorale par l’Etat actuel. "Il faut créer un climat de confiance entre le peuple et le gouvernement" (des trusts), répètent les staliniens.

De ce point de vue il est significatif que le manifeste du 2 mars parle de dédommager les capitalistes expropriés en leur versant un revenu pour eux et leurs enfants. Bien entendu, si les capitalistes acceptaient d’être dépossédés pacifiquement, le socialisme ne perdrait rien en versant pendant un certain temps un tribut aux capitalistes expropriés.
Mais les industries et les institutions nationalisables représentent le cœur même du capitalisme. La bourgeoisie mobilisera pour sa défense, son Etat, son Parlement, ses bandes fascistes. Et si seule la lutte peut trancher, n’est-ce pas tromper le peuple sur les véritables intentions de ses ennemis en proposant des dédommagements, en parlant de mesures "démocratiques" et en prêchant l’entente entre le gouvernement bourgeois et le peuple ?

Dès 1936, beaucoup de politiciens se déclaraient partisans des nationalisations. Cependant la IVème Internationale disait aux ouvriers : "Nous prévenons les masses contre les charlatans du Front Populaire qui, proposant la nationalisation en paroles, restent en fait les agents du Capital. NOUS APPELONS LES MASSES A NE COMPTER QUE SUR LEUR FORCE REVOLUTIONNAIRE".

Mais sur le terrain de la véritable démocratie, c’est-à-dire de la mobilisation des ouvriers et des masses travailleuses contre leurs exploiteurs, les social-chauvins révèlent leur véritable nature de larbins du Capital.

Les social-chauvins sont pour la collaboration de classes ; ils ont peur de se détacher de "démocrates" tels que De Gaulle, Bidault et autres du même calibre. Accomplir quelque grande réforme que ce soit, n’est possible qu’en mobilisant les masses travailleuses sous la bannière de leurs propres intérêts ; mais cette mobilisation elle-même n’est possible que "dans un esprit d’hostilité irréconciliable envers les classes exploiteuses" et leurs politiciens.

Vouloir aboutir aux nationalisations, c’est entamer une action réfléchie, graduelle, basée sur la volonté des travailleurs d’en finir avec le capitalisme.

Vouloir les nationalisations, c’est commencer par organiser contre les industriels monopoleurs, la résistance des ouvriers dans les usines, et non pas leur prêcher la soumission.

Vouloir les nationalisations, c’est organiser les ouvriers, les employés, les femmes travailleuses, les paysans pauvres en associations, en Comités, pour exercer leur contrôle sur le ravitaillement, sur la production, sur les opérations bancaires, afin d’exercer la terreur envers les gros industriels et les banquiers, qui cyniquement mènent le pays à sa perte.

Vouloir les nationalisations, c’est faire sentir une pression matérielle et efficace aux capitalistes et aux politiciens véreux qui voudraient saboter la volonté du peuple ; c’est donc armer les travailleurs, en organisant les Milices ouvrières d’usine et de quartier, et non pas en les dissolvant, pour s’en remettre à la police (comme le fit le PCF).
Vouloir les nationalisations, c’est s’appuyer sur le peuple et non pas sur le gouvernement affameur ; c’est démissionner du gouvernement des trusts et œuvrer pour un gouvernement du peuple, un gouvernement des ouvriers et des paysans.

C’est aller vers le socialisme.

Mais les social-chauvins ont peur d’aller vers le socialisme parce qu’ils sont plus préoccupés de leur collaboration avec les Pleven, les Teitgen, les Ramadier et les Mendès-France (gros capitalistes et agents des trusts), plus préoccupés de leur politique de sabotage de l’action ouvrière et de leur propagande chauvine pour la guerre impérialiste, que de diriger les ouvriers et les paysans pour leur contrôle sur les capitalistes, dans leur guerre avec ces derniers.

C’est pour cela que leur demande platonique des nationalisations ne restera qu’un chiffon de papier que le gouvernement classera dans ses archives.

L’expropriation au service du peuple travailleur des grandes banques, des principales sources de matières premières et d’énergie, des industries-clé et des transports, le contrôle ouvrier sur la production et le contrôle des masses travailleuses sur les échanges et la consommation ne seront réalisés que par la lutte et la résistance organisée des travailleurs. Seul l’appui qu’offrent à ceux-ci le programme et les cadres révolutionnaires de la IVème Internationale mèneront la classe ouvrière de l’avant, car seule la IVème Internationale lutte pour le socialisme ! »

Les Nationalisations : PAR LA LUTTE GREVISTE, IMPOSONS LE CONTROLE OUVRIER

Un communiqué de la C.G.T. dit au sujet de la "nationalisation" du crédit par Pleven-De Gaulle :

"On ne saurait dire que le crédit est nationalisé quand seulement quatre grands établissements de dépôts sont nationalisés."
Par ailleurs le caractère purement capitaliste et anti-populaire des prétendues nationalisations se fait maintenant jour à travers tous les commentaires à leur sujet. C’est ainsi que Pleven déclare que "les banques d’affaires doivent rester indépendantes de l’Etat pour pouvoir continuer à exercer leurs activités principales, notamment à l’étranger" (c’est-à-dire leurs spéculations internationales).

La direction des quatre banques "nationalisées" reste aux mains des "inspecteurs des finances" (ce sont le directeur général de la Caisse Nationale du Crédit Agricole, le directeur du Crédit National, etc...). Pleven lui-même n’est-il pas un inspecteur des finances mandaté du Grand Capital !

Quant à leur nouvelle organisation, elle n’est, suivant un journal d’affaires, que "la consécration de la structure que ces institutions s’étaient elles-mêmes donnée" en tant que créditeurs de l’Etat, institutions de financement des émissions du Trésor. C’est-à-dire que les nouvelles mesures de contrôle bureaucratique et réactionnaire sont nécessaires pour faire face aux énormes dépenses anti-populaires de l’armement et des subventions. Car la guerre et la désorganisation économique ont poussé le capitalisme de monopoles dans la voie du capitalisme monopoleur d’Etat, c’est-à-dire de la protection militaire et étatique des capitalistes. Mais l’Etat lui-même est l’organisation de la classe dominante.

C’est pour cela que les pires charlatans sont ceux qui sèment l’illusion que d’une façon ou d’une autre ce sont l’Etat et son gouvernement actuels qui pourraient, ne fût-ce que graduellement, procéder à la mise au service du peuple des richesses et des moyens de production accaparés par les monopoleurs capitalistes ; ce sont ceux qui ne lient pas la question des nationalisations à la question du passage du pouvoir étatique des mains des exploiteurs aux mains des travailleurs (et qui en arrivent ainsi à faire passer un capitalisme monopoleur d’Etat – "bagne militaire pour les ouvriers" – comme une "étape progressive" et même du "socialisme", exactement à la manière de Hitler ou de Déat).

Car si un contrôle est nécessaire dans la désorganisation économique et financière actuelle, toute la question est de savoir quelle classe est contrôlée et quelle classe contrôle.

"Pour combattre sérieusement la désorganisation dans les finances et le krach financier certain, il n’est pas d’autre moyen que de rompre révolutionnairement avec les intérêts du capital et d’organiser un contrôle véritablement démocratique, c’est-à-dire "par en bas", contrôle des ouvriers et des paysans pauvres sur les capitalistes" : c’est ainsi que s’exprime Lénine dans la brochure La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer, qui traite de la question des nationalisations du point de vue des masses laborieuses.

Or, il n’est actuellement pas dit le moindre mot, il n’est pas fait la moindre tentative dans ce sens. C’est un "oubli" tout à fait délibéré. Car pour établir un véritable contrôle de l’économie par en bas, il faudrait briser la résistance des capitalistes à travers l’action et la lutte ouvrière. C’est ainsi que la grève des fonctionnaires pouvait avoir pour objectif l’institution d’un contrôle sur les Banques par les petits employés et l’ouverture des livres de compte, comme l’ont exigé récemment les grévistes américains de la part du trust de la "General Motors".

Mais les dirigeants actuels de la classe ouvrière sont contre la lutte gréviste et pour la collaboration avec les Inspecteurs des finances. Il s’ensuit que dans leur bouche les nationalisations ne sont que tromperie. Comme le disait déjà le programme de la IVème Internationale au sujet des "nationalisations" de 1937 : "nous prévenons les masses contre les charlatans du Front populaire qui, proposant la nationalisation en paroles, restent en faits les agents du Capital".

Lors de chaque grève et action ouvrière importantes, les travailleurs doivent donc tendre à établir leur propre contrôle sur la production et la comptabilité, et poser comme un de leurs principaux objectifs le contrôle ouvrier à travers des Comités d’usine élus, seul moyen pour aboutir à de véritables nationalisations en faveur du peuple.

ENTRETIEN AVEC UN OUVRIER COMMUNISTE

– Le camarade me dit que le Parti Socialiste discrédite le socialisme en faisant croire aux ouvriers que les mesures de nationalisation du gouvernement sont du socialisme ; le véritable socialisme serait la nationalisation de toutes les Banques.

– Je lui fais remarquer que cela ne serait pas du socialisme, mais seulement une mesure vers le socialisme.

– Le camarade me dit que la nationalisation des usines aussi est insuffisante et qu’on devrait la généraliser.

– Je lui demande s’il trouve que ces nationalisations devraient être faites de la même manière qu’elles se font maintenant ?

– Il me répond qu’il ne faut pas être trop exigeant, que le fait de nationaliser est déjà un pas en avant, très important, obtenu grâce à l’action efficace des représentants ouvriers qui veillent à ce qu’elles soient le plus possible conformes aux intérêts du pays.

– Je lui dis que ce que le pays réclame ce n’est pas la nationalisation en paroles, mais en faits, c’est-à-dire la confiscation au profit de la nation, et non la reprise des entreprises en continuant à payer des intérêts aux actionnaires.

– Il me répond que dans les usines nationalisées les ouvriers ne se trouveront plus en face du sabotage de la production et qu’au moins ici le mot d’ordre de la production pourra être appliqué.

– Je lui demande qu’est-ce qui empêcherait le directeur d’une usine nationalisée de saboter si c’est ça l’intérêt des capitalistes ?
– Naturellement, me dit le camarade, un tas de difficultés surgissent qu’il faut résoudre. Les capitalistes sont forts, mais ils tremblent quand même en ce moment.

– Je lui fais remarquer qu’au gouvernement se trouvent également des M.R.P. représentants de la droite et s’il y avait quelque chose à redouter, on les entendrait brailler. Or, ils se taisent et même ils approuvent.

– Le camarade réfléchit, puis il me dit : la France a voté, il se trouve qu’il y a au gouvernement des représentants de la bourgeoisie, nous devons les accepter si nous voulons avoir un gouvernement à l’image de la nation ; le vote a montré nettement une tendance à gauche, mais nous ne sommes pas en régime socialiste, nos représentants font ce qu’ils peuvent et nous devons les aider en signalant les abus.

– Je lui demande pourquoi alors ne forment-ils pas des Comités d’usine, qui exerceraient justement ce contrôle ?

Le camarade ne répond pas. Alors j’ajoute : tu me disais que le gouvernement devait être à l’image de la nation ; puisque tu es au P.C. tu dois savoir que cette image est celle de la lutte de classes. Or, au gouvernement tout le monde a l’air de bien s’entendre.

– Le camarade se met à rire et me dit qu’il ne voit pas Pleven et Thorez en venir aux mains ! Puis il ajoute : pourquoi ne viens-tu pas au P.C., tu pourrais t’expliquer, nous manquons de jeunes qui cherchent à discuter.

– Je lui réponds que malheureusement c’est parce que j’y suis déjà allé que je n’y retourne plus et que ce que j’y ai entendu n’a fait que confirmer mes doutes.

Les nationalisations source d’inflation

Comme les nouvelles "nationalisations" annoncées, malgré la présence de beaucoup de ministres staliniens au gouvernement, ressemblent aux anciennes "nationalisations", Hervé dans L’Humanité du 23-11, dit en manière d’excuse : "Nous ne dirons jamais que ce que nous faisons aujourd’hui c’est du socialisme, mais..." Mais est-ce une raison pour se faire les valets de la bourgeoisie ?

Car ces gens ont la mémoire vraiment courte : bien avant qu’ils n’envoient leur "secrétaire général" siéger dans le nouveau gouvernement, c’est Pleven, l’agent du Grand Capital, qui avait été le promoteur des "nationalisations" actuellement projetées ; et c’est lui encore qui aujourd’hui établit le plan de "nationalisation" du crédit. Bien avant que Thorez n’entre au gouvernement, L’Humanité dénonçait ce genre de nationalisations, effectuées déjà dans certains secteurs miniers et industriels. Parce que :

Premièrement, les indemnités versées aux capitalistes constituent une charge écrasante pour les contribuables ; exemple : "les gros actionnaires des mines continuent à toucher des sommes considérables (238 millions par an), tandis qu’incombent à l’Etat les difficultés d’exploitation et le renouvellement de l’outillage".
Deuxièmement : la direction continue à être assurée par les capitalistes ; exemple : c’est un représentant des 200 familles qui assume la direction de l’usine Renault "nationalisée".

Pour illustrer ces fausses nationalisations, L’Humanité donnait aussi l’exemple de la S.N.C.F. au budget déficitaire, "nationalisée" en 1937, et dont les actionnaires continuent à toucher des dizaines de millions.
La bourgeoisie se fait un mérite de procéder à de nouvelles "nationalisations". Le Monde (27-11) approuve celle du crédit, car "le financement de la reconstruction pose de nouveaux problèmes... un immense effort de rééquipement s’impose aujourd’hui..., les besoins de capitaux seront tels que le crédit devra être nécessairement contingenté pour alimenter par priorité les secteurs essentiels", et il donne à l’appui l’exemple de l’Angleterre.

De son côté le journal bourgeois anglais The Economist démontre que la "nationalisation" de la Banque d’Angleterre est destinée à réglementer les investissements de capitaux ; d’autre part, pour l’industrie "un très large programme de dépenses est nécessaire et c’est seulement l’Etat qui peut trouver l’argent. La nécessité des nationalisations est généralement acceptée"... pour que ce soient les contribuables qui paient les frais de rééquipement.

Quel bon prétexte donc que ces soi-disant nationalisations pour prélever de nouveaux milliards sur le revenu national ! De pareilles nationalisations Hitler et Mussolini en ont pratiqué. "Le Gouvernement de Franco nationalise les gisements d’uranium", informe Le Populaire du 6-10-45. Toute la nation est mise en coupe réglée pour les besoins des magnats du Capital.

Des mesures de sauvetage à l’égard de certains secteurs capitalistes, des mesures de contrôle bureaucratique et réactionnaire auxquelles l’Etat de la bourgeoisie est obligé de recourir dans le propre intérêt de celle-ci, on les baptise "nationalisations", pour mieux en faire supporter les frais aux masses.

C’est pour cela aussi que le but des "nationalisations" est faussement désigné comme étant la "reconstruction économique". En réalité rien n’est prévu pour cette reconstruction (agriculture, bâtiments pour les sinistrés, etc.). Si l’Etat bourgeois procède à la mobilisation des capitaux et des richesses, ce n’est pas pour la reconstruction économique, mais pour la reconstruction d’un potentiel de guerre. "La France continue ses commandes en Amérique en vue de poursuivre sans interruption le réarmement de l’armée" ("Le Monde, 2-9). Rien que pour l’occupation de l’Indochine du Nord, les frais sont d’un milliard par mois (Le Monde, 25-11). En France, Renault fabrique des tanks, les usines d’aviation des bombardiers, d’autres des canons, etc...
On comprend ainsi que "nationaliser" le crédit (établir un contrôle de l’Etat capitaliste), est une mesure nécessaire à la bourgeoisie impérialiste, non pas en faveur des masses, mais contre elles.
La "Délégation des gauches avait déjà reconnu que les dépenses militaires sont le principal facteur de l’inflation. Mais de 167 milliards pour 1945, les demandes de crédits militaires sont de 250 milliards pour 1946. Si à ces milliards s’ajoutent les nouveaux milliards d’intérêts à payer aux capitalistes "nationalisés", où cela mènera-t-il ?

"Nous ne voulons ni de démagogie socialiste, ni de pseudo nationalisations qui consacreraient le règne des féodalités", proclame Hervé dans L’Humanité du 29-11.

Mais pour ne pas être un démagogue et pour prendre des mesures réelles contre les monopoleurs capitalistes, IL NE FAUT ACCORDER A CEUX-CI NI RACHAT NI INDEMNITES prélevés sur le travail du peuple et aggravant sa misère.

Il faut abolir le secret commercial paravent des spéculations financières.

Il faut procéder à la publication des bilans et à l’ouverture des livres de compte de la bourgeoisie (comme l’exigent à l’heure actuelle en Amérique les grévistes métallurgistes).

Il faut que les Syndicats ouvriers établissent le plan d’une production d’objets de consommation pour les masses, de rééquipement de l’agriculture et du bâtiment.

Il faut organiser les ouvriers et les employés pour le contrôle ouvrier sur la production et la comptabilité des industries et des banques.
Parler de nationalisations, sans parler en même temps de toutes ces mesures essentiellement démocratiques et seules efficaces, c’est se faire le valet de la bourgeoisie et agir en démagogue, comme Hervé.
Faute de combattre pour ces mesures, les "nationalisations" ne s’avéreront qu’une nouvelle cause d’inflation, de spoliation du peuple et d’accroissement de sa misère.

LA LUTTE DE CLASSES

Quand les capitalistes souhaitent la nationalisation de leur économie en faillite… …qu’en pensent les révolutionnaires …et qu’en disent les opportunistes de l’extrême gauche ?

Le socialisme, c’est les nationalisations ?

Capitalisme d’État, souveraineté nationale, patriotisme économique sauveront-ils le capitalisme de l’effondrement et les peuples ?

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