Accueil > 12- Livre Douze : OU EN SONT LES GROUPES REVOLUTIONNAIRES ? > La venue au pouvoir de la gauche en France en mai 1981 et l’extrême gauche (...)

La venue au pouvoir de la gauche en France en mai 1981 et l’extrême gauche opportuniste

lundi 20 février 2023, par Robert Paris

La venue au pouvoir de la gauche en France en mai 1981 et l’extrême gauche opportuniste

En mai 1981, lorsque Mitterrand fut élu, à la tête de la coalition des gauches y compris le PCF, après 23 ans de pouvoir sans partage de la droite (malgré et même grâce à mai 1968, le mouvement de grève étant trahi par la gauche et les syndicats), après des décennies sans union de la gauche, les illusions du monde du travail, sur ce qu’il pouvait attendre d’un gouvernement de gauche, étaient très grandes et d’autant plus qu’il comprenait des ministres communistes (pour la première fois depuis la libération) et un accord de programme (le « programme commun »).

La campagne de 1981 est marquée par une hausse du nombre d’adhésion au PCF. Les sondages sont de plus en plus favorables à Georges Marchais qui passe de 17 % en janvier 1981 à 20 % à la veille du premier tour, tandis que François Mitterrand passe de 24,5 % en février 1981 à 21,5 % à la veille du premier tour. Pour les communistes, cette élection est un moyen de retrouver le leadership à gauche. Georges Marchais propose notamment le rétablissement de la planification économique, la nationalisation de toute les grandes entreprises et la hausse du SMIC. Enfin, il devient un personnage extrêmement populaire parmi les médias. Mais le 26 avril 1981, le choc est de taille, Georges Marchais n’obtient que 15,35 % des voix, se retrouvant dix points derrière François Mitterrand. Il rallie Mitterrand au second tour. Aux élections législatives de 1981, le PCF confirme son déclin : avec 16,13 %, il tombe à 44 députés, perdant des sièges notamment pour la première fois en Seine-Saint-Denis au profit du PS alors qu’il y avait réalisé le grand chelem en 1978. Il obtient alors, comme il l’avait toujours réclamé, le droit de participer à un gouvernement de gauche de la Ve République avec le PS, le MRG, et plus tard à partir de mars 1983 le PSU. Mais cette participation est modeste : quatre ministres sur quarante-deux.

Malgré les relations houleuses entre le PS et le PCF, les communistes, de plus en plus isolés, n’en continuent pas moins à réclamer vigoureusement des ministères en cas de victoire de François Mitterrand. Georges Marchais affirme ainsi, le 3 février 1981, que c’est une condition indispensable pour mettre en place une « véritable politique nouvelle », car seuls les communistes seraient réellement pour le changement. À cette question plusieurs fois renouvelée, François Mitterrand se contente de réponses évasives quand il ne renvoie pas la balle aux communistes en déclarant que cela dépendra de leur comportement.

François Mitterrand est officiellement désigné comme candidat du Parti socialiste le 24 janvier 1981 lors du congrès de Créteil, après un vote lors duquel 83,64 % des adhérents s’expriment en sa faveur. Sa fonction de premier secrétaire du parti, laissée vacante, est dès lors occupée par Lionel Jospin. À cette occasion, le PS fait la démonstration de son unité, tous les courants, y compris ceux de ses anciens adversaires comme Michel Rocard, se rangent derrière Mitterrand. Au cours du même congrès, Le PS adopte un manifeste dessinant un programme de gouvernement en 110 propositions. D’après Michel Charasse, dans un livre qu’il a publié en 1996, c’est lui que Mitterrand aurait chargé, peu de temps avant le Congrès, de rédiger un programme clair en plusieurs points, comme celui que les communistes venaient d’élaborer pour la candidature de Georges Marchais. Toutefois, ce programme ne sera vraiment mis en avant qu’après l’élection, et est éclipsé, durant la campagne par le simple slogan « Changer la vie ».

À gauche, Arlette Laguiller, Huguette Bouchardeau et Michel Crépeau se rallient rapidement à François Mitterrand, entre le soir et le surlendemain du premier tour. C’est le cas de plusieurs leaders syndicaux, tels que Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT. Le 28 avril, le comité central du PCF se réunit. Charles Fiterman tance les sympathisants qui ont voté utile dès le premier tour : « Vous n’avez pas mesuré le risque que vous avez pris en contribuant à diminuer l’influence de notre parti. » Les dirigeants communistes se résolvent à soutenir le candidat socialiste, ne pouvant pas vraiment faire autrement, risquant soit de ne pas être suivis dans le cas contraire, soit d’être accusés de faciliter la victoire de la droite. Le même jour, Georges Marchais appelle donc à voter pour Mitterrand. À la télévision, il déclare avoir obtenu certaines garanties en vue de l’adoption de certaines parties du programme communiste, et ajoute : « M’avez-vous déjà vu rouler gratuitement ? »

Mitterrand a obtenu 51,76 % des voix exprimées, choisi par 15 708 602 électeurs, soit 1 065 956 de plus que son adversaire, et 8 202 302 de mieux que son résultat du premier tour, quand Valéry Giscard d’Estaing n’a rallié que 6 419 874 nouveaux électeurs.

Il a été élu président grâce au soutien du PCF.

Avec 37,77 % des suffrages et 266 sièges sur 491 (on parle de « vague rose »), le Parti socialiste obtient à lui seul la majorité absolue, sans besoin de l’appoint des 44 députés du PCF. Sa position de parti hégémonique de la gauche, qu’il ne quittera plus, est ainsi confirmée.

Après les élections, quatre communistes (Charles Fiterman, Anicet Le Pors, Jack Ralite, Marcel Rigout) obtiennent des ministères (de second ordre) dans le deuxième gouvernement Mauroy…

Quel bilan social de Mitterrand au pouvoir au nom de la "gauche" ?
Sous les deux présidences de Mitterrand, de 1981 à 1995, les attaques n’ont pas manqué contre la classe ouvrière. Dès 1982, le gouvernement Mauroy a organisé le blocage des salaires et interdit d’indexer ceux-ci sur le coût de la vie. Pendant ce temps-là, l’impôt sur les bénéfices des sociétés, qui était de 50% sous Giscard, passait à 45% en 1986.

La politique menée par les socialistes sous Mitterrand déçut à tel point l’électorat populaire que la majorité élue en 1981 fut battue aux élections législatives de 1986, comme celle issue des urnes après la réélection de Mitterrand en 1988 fut laminée aux élections législatives de 1993. À chaque fois la gauche prépara le terrain pour un retour de la droite, qui elle-même, par son cynisme et sa morgue envers le monde du travail, permit au PS de se refaire une virginité. C’est ce que les commentateurs appellent « l’alternance », mais une alternance dans laquelle ce sont toujours les possédants qui sont les gagnants, et les classes populaires les perdantes.

La gauche a fait ce que la droite n’avait pas osé : lever le tabou de la privatisation des services publics, en vendant de larges parts de France Telecom et d’Air France, cette dernière sous l’égide du ministre communiste Gayssot.

En 1981, Mitterrand avait remporté l’élection présidentielle et nommé un gouvernement d’Union de la gauche comprenant quatre ministres communistes, du jamais vu depuis la Libération. Sitôt élu, en octobre il faisait une tournée en Lorraine et déclarait : « Aucun poste de travail ne peut être supprimé dans la sidérurgie sans qu’un autre n’ait été créé auparavant dans un autre secteur », dénonçant à Longwy « le coût social d’un capitalisme sauvage. » Mais il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que les paroles de Mitterrand s’envolent.

Votée au Parlement en octobre, la nationalisation complète de la sidérurgie fut achevée en février 1982, sans que les patrons y perdent un centime. Cette nationalisation était présentée par le PCF, depuis des années, comme la panacée.

Dès le mois de juin 1982, l’État annonçait 12 000 suppressions d’emplois. En Lorraine, c’était le début de la fin de l’aciérie de Pompey, celle qui avait coulé l’acier ayant servi à bâtir la tour Eiffel. « J’ai voté pour eux en 1981. Aujourd’hui ils ferment mon usine », pleurait, désespéré, un sidérurgiste de Pompey monté à Paris pour manifester, cité par le journal Le Monde.

Moins de deux ans plus tard, le 29 mars 1984, le gouvernement socialiste Mauroy - comportant toujours quatre ministres communistes - révisait le plan Acier et annonçait la suppression de 21 000 emplois supplémentaires. Ce fut alors la colère et le sentiment d’une immense trahison chez les travailleurs. Dans la région de Nancy, les aciéries de Pompey étaient définitivement rayées de la carte et celles de Neuves-Maisons au trois quarts liquidées. Le tiers des emplois de l’usine de Gandrange (qui en comptait plus de 6 000 à l’époque) étaient condamnés. Mais, surtout, ce plan Acier sonnait le glas de la sidérurgie à Longwy.

Dans toutes les usines souffle alors un vent de colère. Le 4 avril est journée de grève générale interprofessionnelle en Lorraine. On dénombre 150 000 manifestants dans les villes de la région, soigneusement encadrés par les syndicats qui craignent plus que tout une explosion sociale, la réédition des émeutes de Longwy de 1979.

Le vendredi 13 avril, les syndicats organisent une grande marche des sidérurgistes sur Paris. Loin de s’appuyer sur la colère des sidérurgistes et d’en faire une marche contre les licenciements, contre le patronat et le gouvernement, les syndicats lui donnent un caractère régional avec, en tête de cortège, majorettes en costume régional et croix de Lorraine. Et pourtant, ce plan Acier est décidé quelques mois seulement après les licenciements massifs chez Talbot à Poissy et, le 13 avril, c’est Citroën qui annonce près de 6 000 suppressions d’emplois. Les confédérations n’ont pas appelé l’ensemble des travailleurs à venir à la manifestation, très encadrée par le service d’ordre syndical et qui traverse des quartiers déserts de Paris.

En donnant à la lutte des sidérurgistes un caractère régional, en l’orientant sur le terrain de la politique industrielle, les confédérations syndicales l’envoyaient sur une voie de garage. Le secrétaire général du PC, Georges Marchais, était venu à la manifestation du 13 avril et il avait même critiqué le plan Acier. En Lorraine, les dirigeants du PC expliquaient que les ministres et les députés communistes n’accepteraient jamais le plan Acier et rompraient avec le PS s’il était appliqué. Il n’en fut rien. Le PCF vota en mai au Parlement la confiance au gouvernement Mauroy et, si le Parti Communiste choisit de ne pas participer au gouvernement Fabius formé plus tard, en juillet, ce fut après un résultat catastrophique aux élections européennes de juin : en cinq ans, le PC passait de 20,5 % des voix à 11,28 %. C’est devant ce recul électoral qu’il renonça à participer au gouvernement, pas en riposte aux attaques contre les travailleurs.

La politique de la direction du PC a non seulement fait fuir les électeurs mais, surtout, elle a puissamment contribué à démoraliser les militants dont l’énergie et le dévouement ont été gaspillés en vain, alors qu’ils auraient pu et dû servir à préparer une nécessaire contre-offensive du monde du travail. Mais pour cela, il aurait fallu un parti réellement et exclusivement au service des intérêts du monde du travail, ce que le PCF n’était plus, et depuis longtemps.

Dans les premiers mois du gouvernement de la gauche, l’attitude des travailleurs était confiante et attentiste : « Il faut leur laisser du temps... » était la réflexion la plus fréquente quand les militants révolutionnaires critiquaient le gouvernement.

Après quelques mois d’« état de grâce » pour le gouvernement, les attaques de la bourgeoisie lancées depuis le milieu des années soixante-dix reprirent de plus belle. Le gouvernement rebaptisa « rigueur » l’austérité de l’ancien premier ministre Raymond Barre. Les plans de licenciements se multiplièrent et le pouvoir d’achat des salariés continua à s’éroder. De fortes résistances s’exprimèrent en 1982 et 1983 au sein de grandes concentrations ouvrières, notamment dans le secteur de l’automobile : usines Citroën, Chausson, Renault-Billancourt, Renault-Flins, Talbot... Des grèves puissantes éclatèrent mobilisant avant tout des O.S. (ouvriers spécialisés). Parmi eux, les travailleurs immigrés étaient particulièrement actifs. La déclaration calomnieuse du premier ministre socialiste Maurois contre « les grèves organisées par les Ayatollahs » aura des conséquences désastreuses et durables sur les ouvriers immigrés. Le lâchage des grévistes de Talbot par la confédération CGT marquera également les esprits dans les usines. Le sentiment fut le suivant : « Non seulement le gouvernement de gauche est contre nous mais les syndicats nous laisseront tomber si nous nous mettons en grève à fond. » Les ultimes explosions de colère dans la sidérurgie lorraine en 1983-84 seront impuissantes à empêcher la liquidation de dizaines de milliers d’emplois sous l’égide du gouvernement.

L’amertume suscitée par ces défaites et par la montée du chômage de masse va se traduire sur le plan politique par une désaffection à l’égard du PCF et bientôt par une inquiétante progression des résultats électoraux du Front National dans certaines agglomérations ouvrières. Le Pen qui avait obtenu 0,74% aux présidentielles de 1974 et n’avait pas pu se présenter à celles de 1981 obtiendra 14,4% à celles de 1988.

Pierre Mauroy annonça le 13 juin 1982 le blocage des salaires et des prix pour quatre mois. Dans une période où le rythme d’inflation annuel était de 13 %, et où les salaires suivaient plus ou moins les prix au gré des négociations d’entreprise, cela signifiait d’emblée une importante perte de pouvoir d’achat pour les travailleurs. Les prix ne furent en effet jamais réellement bloqués, car leur prétendu blocage n’était qu’un alibi pour justifier celui des salaires. Aux termes mêmes de la loi, de nombreux prix n’étaient pas concernés : ceux des produits agroalimentaires tributaires des accords européens, fruits et légumes, céréales, ainsi que ceux des produits pétroliers, qui augmentèrent de 11 % en juillet. On vit fleurir dans les grandes surfaces les produits dits nouveaux, pour lesquels il n’y avait par définition aucun point de comparaison. Les services officiels eux-mêmes prévoyaient une hausse de 2,5 %. Il y eut aussi, à la veille du blocage, une valse des étiquettes, que le gouvernement ne chercha pas à stopper. En revanche les salaires furent réellement bloqués. La loi suspendait toute clause conventionnelle en matière de hausse de salaire jusqu’au 31 octobre. Les augmentations programmées dans les entreprises, en particulier celles qui étaient attendues pour le 1er juillet afin de réajuster les salaires sur l’inflation, étaient donc annulées. Même les compensations prévues au moment des négociations sur les 39 heures devenaient nulles et non avenues.
Les premières déclarations de Georges Marchais pouvaient laisser penser que le PCF allait s’opposer à ce plan de rigueur. « Ce plan est injuste », affirma-t-il d’abord. Mais ce n’était que des mots. Mauroy épargna aux députés communistes de voter la loi, en utilisant l’article 49.3 qui permet de faire adopter un texte sans vote si la confiance est accordée au gouvernement. Les députés communistes firent leur soumission, votant la confiance et acceptant donc le plan de rigueur. Comble d’hypocrisie, le représentant du PCF, André Lajoinie, déclara à l’Assemblée : « Les travailleurs ne doivent pas être la cible de la rigueur. La confiance que vous nous demandez, les députés communistes ne vous la marchandent pas pour mettre en application les engagements pris devant le pays et notamment pour lutter contre l’inflation et le chômage. » Comme s’il s’était agi de cela !

La direction de la CGT s’aligna, elle aussi, sur le gouvernement. Lors de son 41e congrès tenu au même moment, son dirigeant Henri Krasucki n’eut pas un mot pour dénoncer un plan que le Premier ministre socialiste, Pierre Mauroy, lui avait annoncé à l’avance. Face à cette attaque frontale contre le monde du travail, aucun plan de riposte général ne fut proposé. Krasucki déclara seulement : « Nous n’excluons aucune forme d’action. Aux travailleurs d’en décider, entreprise par entreprise », ce qui était une belle façon de dégager la responsabilité de la CGT. Il y eut quelques grèves, que celle-ci se garda bien d’impulser.

Le 1er novembre, le blocage prit officiellement fin. Les prix, qui n’avaient jamais été réellement bloqués, devinrent « encadrés ». Les loyers augmentèrent à nouveau, les transports d’Île-de-France également, ainsi que le prix des aliments et des vêtements. Quant aux salaires, le gouvernement exhorta les patrons à « ne pas les laisser déraper ». À la fin de l’année, leur blocage se traduisait par une importante perte de pouvoir d’achat pour le monde du travail. C’était aussi signifier aux travailleurs qu’ils ne verraient pas le gouvernement de gauche soutenir leurs revendications. Loin d’être de leur côté, il soutiendrait les intérêts du grand patronat comme l’avait fait la droite avant lui.

De fait, ce n’était qu’un début. Un nouveau plan d’austérité fut annoncé en mars 1983. Lorsque les travailleurs de l’automobile entrèrent en grève cette année-là, Mauroy dénonça « une grève des ayatollahs » et envoya les CRS déloger les grévistes de Talbot Poissy qui occupaient l’usine. En 1984, il annonça la suppression de 21 000 emplois dans la sidérurgie, alors qu’il avait affirmé qu’il n’y tolérerait aucun licenciement. Toutes ces mesures du gouvernement Mitterrand furent ressenties comme des trahisons, provoquant rancœur et écœurement parmi les travailleurs. Beaucoup désertèrent les syndicats. Au même moment, le Front national, qui n’était alors qu’un groupuscule, commença son ascension.

Et l’extrême gauche ?

L’extrême gauche opportuniste a été emportée par ces illusions, même si Lutte ouvrière a appelé à voter Mitterrand « sans illusions mais sans réserves » selon l’expression d’Arlette Laguiller (source : https://presse.lutte-ouvriere.org/media/journal/1981/810509-L0-Numero-0675.pdf). Que peut signifier « sans réserve » pour une organisation qui, dans Arlette Laguiller première version (celle qui dit « votez Laguiller », voir : https://presse.lutte-ouvriere.org/media/journal/1981/810425-L0-Numero-0673.pdf), expliquait qui était Mitterrand notamment durant la guerre d’Algérie. L’article de LO précédemment cité affirme d’ailleurs que « Mitterrand est tout autant au service de la bourgeoisie que Giscard » ! Alors pourquoi ce vote Mitterrand « sans réserve » ?!! Pourquoi ce même article rajoute-t-il que LO a fait une campagne du deuxième tour pour Mitterrand plus active que celle du PCF ?!!! Après l’élection de Mitterrand, l’organisation LO allait-elle arrêter de semer des illuions sur la gauche au gouvernement ? Pas du tout ! On peut lire ici l’éditorial de LO-Laguiller de la semaine suivant l’élection présidentielle : https://presse.lutte-ouvriere.org/media/journal/1981/810523-L0-Numero-0677.pdf

On y trouve le demi mensonge : « La victoire de Mitterrand n’est pas encore une victoire des travailleurs. »

Et un deuxième demi mensonge, cette fois sur les élections législatives qui suivaient l’élection présidentielle : « Alors, aux travailleurs de décider s’ils veulent que la victoire de la gauche aux élections soit seulement celle de Mitterrand, ou s’ils sont prêts à poser les jalons pour une victoire future des travailleurs, en commençant par essayer d’envoyer au Parlement des travailleurs du rang, des révolutionnaires qui seront un gage de succès pour les luttes à venir. »

Et dans la campagne des législatives, LO appelait à ne pas donner un chèque en blanc à Mitterrand (source : https://presse.lutte-ouvriere.org/media/journal/1981/810530-L0-Numero-0678.pdf), alors que, pour l’élection de Mitterrand elle-même, ce qu’avait fait LO, c’est justement donner un chèque en blanc à Mitterrand !!!

Pour sa part, l’autre groupe trotskiste, l’OCI soutient à fond le candidat Mitterrand, combat virulemment quiconque à l’extrême gauche critique son candidat. En 1981, les lambertistes assureront même le service d’ordre au service du parti socialiste place de la Bastille au soir de la « victoire » du 10 mai. L’OCI appela à voter pour lui dès le premier tour, tout en calomniant sans retenue Arlette Laguiller et Alain Krivine qui, en se portant candidats, faisaient selon elle le jeu de la droite, et étaient même « propulsés par la bourgeoisie » ! Les lambertistes, jamais à court de références historiques, et surtout de slogans « prêts à l’emploi » empruntés au passé et plaqués sur des réalités tout à fait différentes, prétendirent alors que l’élection de Mitterrand ouvrait la voie à un « gouvernement ouvrier et paysan » avant d’appeler à en « chasser les ministres bourgeois », reprenant une expression tirée d’un mot d’ordre des bolcheviks durant la révolution russe de 1917, mais désignant des décennies plus tard… les seuls ministres du Parti radical de gauche. Comme on le voit ci-dessous, le groupe trotskiste de Krivine allait avoir les mêmes fausses références.

Depuis la fin septembre 1977, l’OCI a engagé une grande campagne : son hebdomadaire Informations Ouvrières explique à longueur de colonnes qu’il faut l’unité « pour une majorité PS-PCF aux élections législatives » ou « pour en finir avec le gouvernement Giscard-Barre et la Cinquième République » (titre d’ Informations Ouvrières du 12 octobre 1977). Ses militants sont mobilisés pour faire signer des pétitions qui demandent au PC et au PS de s’unir, ou encore envoyer des télégrammes aux directions du PC et du PS pour leur enjoindre de cesser leur dispute.

Informations Ouvrières a rapporté un certain nombre de discussions de ses militants avec des militants ou des sympathisants du PC. Par exemple ce dialogue entre un responsable de la section du PCF du 9e arrondissement de Paris et une délégation de l’OCI venue exiger « que se réalise immédiatement l’unité pour la satisfaction de toutes les revendications, pour en finir avec le gouvernement GiscardBarre, pour une majorité PCF-PS aux élections législatives » :

« Le responsable du PCF : « Nous avons les mêmes soucis, mais nous ne voulons pas d’un gouvernement de gauche qui fasse une politique de droite. Certes, il faut chasser Giscard, mais pour mettre en oeuvre le Programme Commun, pour assurer un vrai changement. On ne s’unit pas sur n’importe quelle politique. Nous ne voulons pas de pause comme en 1937 ou en 1947 ».

« Un membre de la délégation : Est-ce que la première condition n’est pas de chasser Giscard, donc de s’unir pour une majorité PCF-PS aux élections ? »

Et ce dialogue est répété ainsi partout où il y a des militants de l’OCI. Les militants ou sympathisants du PCF abordent, pour une fois, le problème de l’unité en posant et en se posant un certain nombre de questions : « L’unité, mais pour quoi faire ? », « Qu’est-ce que nous prépare un gouvernement Mitterrand ? », etc... Certes ce n’est que parce que leur propre parti est lancé lui-même dans une manoeuvre électorale. Mais qu’importe ? C’est tout de même mieux, à un degré de conscience plus haut, que lorsque, aveuglés par le mythe de l’unité, ils veulent à tout prix faire confiance à des gens qui s’apprêtent à les trahir, eux et la classe ouvrière, qui les ont déjà trahis d’ailleurs, comme le rappelait ce militant du PCF cité ci-dessus.

Et c’est le moment que choisit l’OCI pour venir prêcher... l’aveuglement justement. Oublions, dit-elle, la nature des politiciens socialistes, oublions qu’ils sont des hommes d’État bourgeois, laissons de côté la question de savoir sur quelles bases se fait l’unité, oublions que par le passé elle a servi à berner et tromper les travailleurs.

Ainsi, l’OCI est lancée dans une compagne pour cultiver les illusions des travailleurs. Illusions sur « l’unité » mais illusions aussi sur les élections et sur un futur gouvernement PC-PS. Car unité pour quoi faire d’après l’OCI ? Pour « une majorité PS-PC à l’Assemblée Nationale », pour « un gouvernement PC-PS ». Pourtant le gouvernement Mitterrand-Marchais, qui a des chances de se mettre en place dans quelques mois, sera un gouvernement bourgeois, se servant simplement de son étiquette « d’ouvrier », c’est-à-dire de la confiance que font les travailleurs dans le PCF ou le PS, que pour faire accepter à ces travailleurs l’ordre bourgeois, la crise et l’austérité.

Mais l’OCI veut ignorer cet aspect de la question sur lequel même les militants du PCF se posent des questions aujourd’hui. Pour les rédacteurs d’ informations Ouvrières, une majorité PC-PS à l’Assemblée Nationale, un gouvernement PC-PS est le premier pas et aussi la porte ouverte à la révolution : « ... dans le mouvement qui s’engage, il y a, nécessairement, inévitablement, la crise révolutionnaire, l’irruption de millions d’hommes, de femmes, de jeunes sur la scène politique dont ils ont été écartés depuis des années et des dizaines d’années. Et dont tout le monde voudrait les tenir écartés.

Et voilà pourquoi il (un haut fonctionnaire « soviétique », NDLR) s’écrie à l’adresse des dirigeants du PCF : « attention, casse-cou ! Vous allez être débordés ! Brisez , cassez tout ce qui peut ressembler à l’unité des rangs ouvriers »

Et voilà la ligne que Marchais applique » ( Informations Ouvrières du 12.10.77)

Car l’autre conséquence de la politique de l’OCI c’est de concentrer tous ses feux sur le PCF. En effet, puisque ce qu’il faut c’est l’unité à n’importe quel prix, sur n’importe quelles bases, le fautif est, bien sûr, celui qui aujourd’hui fait mine de refuser justement cette unité sur n’importe quelles bases et qui prétend discuter du contenu : c’est-à-dire le PCF.

Il n’y a plus un mot de critique contre le Parti Socialiste dans Informations Ouvrières. Ah ! il est loin le temps où l’OCI dénonçait l’OPA du « politicien bourgeois Mitterrand » sur le Parti Socialiste. Francois Mitterrand n’est plus que le chef d’un parti ouvrier à qui l’on n’a rien à reprocher puisqu’il est « unitaire ».

Par contre Informations Ouvrières consacre article sur article à dénoncer les turpitudes de Marchais. Celui-ci est présenté comme un agent docile du Kremlin qui n’hésite pas à briser l’unité ouvrière pour empêcher que se forme une majorité PC-PS à l’Assemblée Nationale et donc un gouvernement PC-PS. Car l’OCI n’hésite pas à reprendre une thèse que tout le récent passé et toute la récente politique du PCF et de Marchais contredisent.
Et ainsi l’OCI en vient même à attaquer le PCF parce que celui-ci, par la bouche de Marchais, a menacé de ne pas se désister au second tour des élections législatives pour le candidat socialiste qui serait arrivé avant le candidat du PCF. Il s’agit bien sûr, de la part du PCF, d’un simple petit chantage. L’accord électoral lui est nécessaire autant qu’au PS. Mais ce chantage entre dans le cadre de la campagne actuelle du PCF contre le PS qui a pour but de regrouper les troupes et l’électorat du PCF et de miner la confiance des travailleurs en Mitterrand pour les amener à voter le plus nombreux possible pour le PCF. Pour cela il faut que le PCF apparaisse intransigeant et réellement prêt à rompre plutôt qu’à céder. Le fond de toute la querelle a d’ailleurs très bien été résumé par Marchais dans son récent rapport au Comité Central du PCF : « Le PCF ne peut consentir à donner au Parti Socialiste, dans ces conditions, c’est-à-dire en l’absence d’engagements clairs, précis, concrets de sa part, la possibilité d’utiliser le PCF comme un marchepied pour aller ensuite au gouvernement seul ou avec d’autres, mais sans les communistes ».

Cela indigne très fort Informations Ouvrières : « La position de Marchais, réaffirmée avec insistance depuis plusieurs jours, est intolérable ! C’est du front unique de classe le plus élémentaire qu’il s’agit, du vote classe contre classe. Pas une voix pour les partis bourgeois. Désistement réciproque systématique et réciproque au deuxième tour entre les candidats du PCF et du PS, en faveur du mieux placé ».

Voilà donc où aboutit la politique de l’OCI : à un soutien inconditionnel à Mitterrand et aux politiciens du PS et à l’électoralisme le plus plat qui ramène l’unité ouvrière à un accord électoral entre le PC et le PS. Mais cet accord électoral, avec ou sans Programme Commun d’ailleurs, se renouvelle à chaque élection. Il ne peut manquer de se réaliser à nouveau en mars 78. L’OCI estimera-t-elle alors que le front unique ouvrier est réalisé ? Il est vrai que pour sauver les apparences, elle peut toujours se souvenir alors de ce qu’elle oublie complètement aujourd’hui après en avoir fait tellement de cas pendant des années : que cette alliance électorale PC-PS englobe toujours les radicaux de gauche. Cela n’a aucune importance et ne change en rien la nature de l’alliance Mitterrand-Marchais. Mais ca donnera au moins à l’OCI le prétexte pour prendre ses distances d’avec une solution politique sur laquelle elle aura contribué, à son modeste niveau, à accroiÎtre les illusions des travailleurs.

Même six mois après l’arrivée de Mitterrand au pouvoir, Alain Krivine, dirigeant du troisième groupe trotskiste en France, déclarait : « Le nouveau gouvernement est essentiellement un gouvernement du Parti communiste et du Parti socialiste avec la présence d’un petit parti bourgeois, les radicaux de gauche. C’est donc dans sa composition un gouvernement de collaboration de classes puisqu’il y a une aile bourgeoise, même si ce n’est qu’une « ombre de la bourgeoisie », comme disait Léon Trotsky. » Cet ancien candidat trotskiste aux élections présidentielles de l’après-mai 68 ne voyait aucun caractère bourgeois aux partis social-démocrate et stalinien !!! Krivine rajoutait : « La politique à cette époque, c’est tenir compte des illusions des ouvriers et essayer de les dissiper. Cela ne veut pas dire considérer le gouvernement d’aujourd’hui comme l’adversaire. Nous n’avançons pas le mot d’ordre de renverser le gouvernement. Ce serait totalement absurde, irresponsable et incompréhensible. Dans l’immédiat, il n’y a toujours pas d’alternative ouvrière crédible. Notre perspective générale d’un gouvernement ouvrier est correcte, est une boussole, mais ne peut pas encore être concrétisée pour la grande masse des travailleurs. »

(source : https://www-marxists-org.translate.goog/history/etol/writers/krivine/1981/12/mitterrand.html?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=sc)

Lors son congrès, en décembre 1981, la LCR d’Alain Krivine déclarait : « (...) cette interaction de facteurs permet aujourd’hui d’esquisser la perspective d’un affrontement entre le prolétariat et la bourgeoisie qui débouchera à terme sur une situation révolutionnaire en France ; cependant, ce qu’il est impossible de prédire, ce sont les rythmes, la profondeur ou la durée de cette situation. » (source : « La France à un tournant », Thèses du 5e congrès de la LCR , p. 13)

Maintenant qu’un gouvernement de gauche est au pouvoir, la LCR explique longuement dans ses publications que le gouvernement, « a des moyens à sa disposition pour rompre avec le capitalisme » :

« Les institutions et la constitution de la Ve République lui donnent une marge d’action dont aucun parti ouvrier n’a bénéficié jusqu’ici au sein de l’appareil d’Etat d’un pays capitaliste développé. »

Ou pour prendre un autre exemple :

« Dès le 10 mai 1981, des mesures auraient pu être prises pour protéger les travailleurs des attaques patronales, et des moyens recherchés pour sortir de la crise capitaliste. » (5e Congrès de la LCR , p. dix ; Rouge , 10 juin 1983, p. 4 ) En d’autres termes, la LCR pense qu’il est possible, grâce à l’élection d’un Président de la République de gauche via les institutions d’un État bourgeois, de sortir de la crise et d’ouvrir la voie au socialisme (la LCR parle de « rupture » avec le capitalisme) !

Huit mois après la victoire de la gauche en France, Ben Saïd, autre dirigeant de la LCR, déclarait : « il faut amener le mouvement ouvrier à rompre avec la bourgeoisie » mais n’en concluait pas du tout que le prolétariat doit considérer le gouvernement de gauche comme son ennemi !!! (source : https://www-marxists-org.translate.goog/archive/bensaid/1982/01/8months.html?_x_tr_sl=auto&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr)

Lire aussi :

https://www.lesutopiques.org/mai-1981-la-gauche-au-pouvoir-et-le-syndicalisme-qui-assiste-ou-regarde/

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article2021

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3392

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6442

https://www.marxists.org/francais/just/nationalisation/just_nationalisation.htm

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.