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Léon Trotsky : Discussion sur le programme de transition (juin 1938 - extraits)

mardi 14 octobre 2008, par Robert Paris

Léon Trotsky : Discussion sur le programme de transition (juin 1938 - extraits)

Trotsky— La signification du programme c’est le sens du Parti. Le Parti représente l’avant-garde de la classe ouvrière. Le Parti est composé d’une sélection des éléments les plus conscients, les plus avancés, les plus dévoués et le Parti peut jouer un rôle politique et historique important sans relation directe avec sa force numérique. Il peut être un petit Parti et jouer un grand rôle. Par exemple, lors de la première révolution russe de 1905, la fraction bolchévique ne comptait pas plus de 10 000 membres, les Menchévicks de 10 000 à i2 000 membres, c’est là le maximum. A cette époque, ils appartenaient au même parti, c’est-à dire que l’ensemble du Parti ne comptait pas plus de 20 000 à 22 000 ouvriers. Le parti dirigeait les Soviets à travers tout le pays grâce à une politique juste et grâce à sa cohésion. On peut objecter que la différence qu’il y a entre les Russes et les Américains, ou tout autre pays capitaliste ancien, c’est que le prolétariat russe était un prolétariat totalement frais et vierge, sans aucune tradition de syndicalisme et de réformisme conservateur. C’était un jeune prolétariat frais, vierge, ayant besoin d’une direction et bien que le Parti dans son ensemble ne comptait pas plus de 20 000 ouvriers, ce Parti guida deux à trois millions d’ouvriers dans le combat.

Maintenant, qu’est le Parti ? En quoi consiste sa cohésion ? Cette cohésion est une compréhension commune des événements, des tâches, et cette compréhension commune, c’est le programme du Parti. Tout comme les ouvriers modernes (davantage que les barbares) ne peuvent pas travailler sans outils, dans le Parti le programme est l’instrument. Sans le programme chaque ouvrier doit improviser son outil, trouver des outils improvisés, et l’un contredit l’autre. C’est seulement lorsque l’avant-garde est organisée sur la base de conceptions communes que nous pouvons agir.

On peut dire que nous n’avons pas eu de programme jusqu’à présent. Pourtant nous avons agi. Mais ce programme était formulé dans différents articles, motions, etc... En ce sens, le projet de programme n’annonce pas une nouvelle invention, ce n’est pas l’ouvrage d’un seul homme, mais le résultat d’un travail collectif élaboré jusqu’à ce jour. Mais un tel résumé est absolument nécessaire pour donner aux camarades une idée de la situation, une compréhension commune. Les petits bourgeois, les anarchistes et intellectuels ont peur d’admettre de donner à un Parti des idées communes, une attitude commune. Il n’est imposé à personne, car quiconque se joint au Parti le fait volontairement.

Je crois qu’il est important à ce sujet de souligner ce que nous voulons dire par liberté en l’opposant à la nécessité. C’est très souvent une conception petite-bourgeoise que nous devrions avoir une libre individualité. Ce n’est qu’une fiction, une erreur. Nous ne sommes pas libres. Nous n’avons pas de libre volonté dans le sens de la philosophie métaphysique. Lorsque je désire boire un verre de bière j’agis en homme libre, mais je n’invente pas le besoin de la bière. Ceci vient de mon corps, je ne suis que l’exécutant. Mais dans la mesure où je comprends les besoins de mon corps et peux les satisfaire consciemment, alors j’ai la sensation de liberté par la compréhension de la nécessité. Ici la juste compréhension des besoins de ma nature est la seule liberté réelle donnée aux animaux sous tous les angles, où l’homme est un animal. La même chose est vraie pour la classe ouvrière. Le programme pour la classe ouvrière ne peut tomber du ciel, nous ne pouvons arriver qu’à une compréhension de la néces sité. Dans un cas ce fut mon corps, dans l’autre c’est la nécessité de la société. Le programme est l’expression de la nécessité, que nous avons appris à comprendre, et, étant donné que la nécessité est la même pour tous les membres de la classe que nous pouvons atteindre une compréhension commune des tâches et cette compréhension, c’est le programme. Nous pouvons aller plus loin et dire que la discipline de notre parti doit être très stricte parce que nous sommes un Parti révolutionnaire devant faire face à de puissants ennemis conscients de leurs intérêts, et maintenant nous ne sommes pas seulement attaqués par la bour geoisie, mais encore par les staliniens, les agents de la bourgeoisie les plus haineux. Une discipline absolue est nécessaire, mais elle doit venir d’une compréhension commune Si cette discipline est imposée du dehors, c’est un joug. Si elle vient de la compréhension, c’est l’expression de la personnalité mais sans cela c’est un joug. Alors la discipline est une expression de ma libre individualité. Ce n’est pas une opposition entre la volonté personnelle et le Parti, car j’y ai adhéré par ma propre volonté. C’est là également la base du pro gramme et il ne peut être assis sur une base politique et morale sûre que si nous la comprenons à fond.

Le projet de programme n’est pas un programme complet. Nous pouvons dire qu’il y a des choses qui manquent dans ce projet de programme et il y a des choses qui, par leur nature même, ne concer nent pas le programme. Les choses qui n’appartiennent pas au programme, ce sont les commentaires. Ce programme ne contient pas seulement des mots d’ordre, mais également des commentaires et des polémiques contre nos adversaires. Mais ce n’est pas un progralme complet. Un programme complet devrait donner une expression théorique de la société capitaliste moderne dans sa phase impéria liste. Les raisons de la crise, l’augmentation du chômage, etc... dans ce projet cette analyse n’est brièvement résumée que dans le premier chapitre, car nous avons déjà dit sur ces questions dans des articles dans des livres, etc... Nous écrirons encore plus et mieux. Mais ce qui est dit ici est suffisant pour les nécessités pratiques, car nous sommes tous du même avis. Le début du programme n’est pas complet. Le premier chapitre n’est qu’une suggestion et non une expression complète. La fin du programme n’est pas non plus complète, car nous n”y parlons pas de la révolution sociale, de la prise du pouvoir à travers l”insurrection, de la transformation de la société capitaliste en dictature et de la dictature en société socialiste. Cela ne mène le lecteur que sur le pas de la porte. C’est un programme d’action d’aujourd’hui jusqu’au début de la Révolution socialiste. Et du point de vue pratique, ce qui est actuellement le plus important est de savoir comment nous pouvons diriger les différentes couches du prolétariat dans la voie de la révolution sociale. J’ai entendu dire que les camarades de New-York commencent maintenant à organiser des groupes dans le but non seulement d’étudier et critiquer le projet de programme, mais également d’élaborer les moyens pour présenter le programme aux masses et je pense que c’est là la meilleure méthode que peut utiliser notre Parti.

Le programme n’est qu’une première approximation. Il est trop général de la façon dont il est présenté pour la prochaine conférence internationale. Il exprime la tendance générale du développement mondial. Nous avons un court chapitre concernant les pays coloniaux et semi-coloniaux, nous avons un chapitre concernant les pays fascistes, un chapitre sur l’Union Soviétique, et ainsi de suite. Il est évident que les caractéristiques générales de la situation mondiale sont semblables car elles découlent toutes de la pression de l’économie impérialiste, mais chaque pays a ses conditions particulières et une politique réaliste doit commencer par considérer ces conditions particulières dans chaque pays et même dans chaque partie du pays. C’est pour cela qu’une étude très sérieuse du programme est la première tâche de chaque camarade aux Etats-Unis.

Il y a deux dangers dans l’élaboration du programme. Le premier est de s’en tenir à des lignes générales abstraites et de répéter les mots d’ordre généraux sans aucune relation avec les syndicats locaux. Ceci est la direction du sectarisme abstrait. L’autre danger est l’opposé, celui de trop adapter aux conditions spécifiques, de relacher la ligne révolutionnaire générale. Je pense qu’aux Etats-Unis le deuxième danger est le plus immédiat. Je me souviens à ce sujet tout particulièrement du cas de l’armement des piquets de grèves, etc. Quelques camarades avaient peur que ce ne soit pas approprié aux ouvriers, etc... (...)

Partout je demande : que devrions-nous faire ? Adapter notre programme à la situation objective ou à la mentalité des ouvriers ? Et je pense que cette question doit être posée à tous les camarades qui disent que notre programme n’est pas adapté à la situation en Amérique. Ce programme est un programme scientifique. Il est basé sur une analyse objective de la situation objective. Il ne peut être compris dans son ensemble par les ouvriers. Il serait très bien que l’avant garde le comprenne dans la prochaine période et qu’alors elle s’adres se aux ouvriers : « Vous devez vous défendre du fascisme » Que voulons-nous dire par situation objective ? Ici nous devons analyser les conditions objectives pour une révolution sociale. Ces conditions sont exposées dans les œuvres de Marx-Engels et demeurent inchangées dans leur essence aujourd’hui. D’abord, disait Marx, aucune société ne disparait avant d’avoir épuisé toutes ses possibilités. Qu’est-ce que cela signifie ? Que nous ne pouvons éliminer une société par une volonté subjective, que nous ne pouvons organiser une insurrection comme le firent les Blanquistes. Que signifient les « possibilités » ? Q’une « société ne peut disparaître » ? Tant que la société est capable de développer les forces productives et d’enrichir la nation elle demeure forte et stable. Ce fut la condition de la société basée sur l’esclavage, sur la féodalité, et de la Société capitaliste. Ici nous arrivons à un point très intéressant que j’ai analysé précédemment dans mon introduction au « Manifeste Communiste ». Marx et Engels attendirent une révolution toute leur vie. Et surtout pendant les années 1848-1850, ils s’attendirent à une révolution sociale Pourquoi ? Ils disaient que le système capitaliste était devenu un frein au développement des forces productives. Etait-ce correct ? Oui et non. C’était juste dans le sens que si les ouvriers avaient été capables de satisfaire aux besoins du 19 ème siècle et de prendre le pouvoir, le développement des forces productives aurait été plus rapide et la nation plus riche. Mais étant donné que les ouvriers n’en étaient pas capables, le système capitaliste demeure avec ses crises, etc. Pourtant la ligne générale était ascendante. La dernière guerre de 1914-1918 fut le résultat de l’étroitesse du marché mondial pour le développement des forces productives et chaque nation tentait d’éliminer toutes les autres nations afin de s’emparer du marché mondial. Elles n’y réussirent pas et maintenant nous voyons que la société capitaliste entre dans une nouvelle phase. Ils furent nombreux à dire que c’était le résultat du fait que la société a épuisé ses possibilités.

La guerre n’était que l’expression de l’incapacité d’une plus grande extension. Après la guerre nous avons eu la crise historique devenant de plus en plus aiguë. Le développement capitaliste fut partout caractérisé par la prospérité et puis les crises, mais le nombre des crises et des périodes de prospérité augmentait. Au début de la guerre nous voyons que les cycles des crises et des périodes de prospérité forme une ligne de déclin. Cela signifie maintenant que la société a totale ment épuisé ses possibilités internes et doit ètre remplacée par une nouvelle société ou alors l’ancienne société ira à la barbarie tout comme la civilisation de la Grèce et de Rome parce qu’elle avait épuisé ses possibilités et ne pouvait être remplacée par une autre classe. (...)

Ce n’est pas une crise de conjoncture, mais une crise sociale. Notre parti peut jouer un rôle important. Ce qui est difficile pour un jeune parti évoluant dans une atmosphère lourde de traditions précédentes d’hypocrisie, est de lancer un mot d’ordre révolutionnaire. « C’est fantaisiste ».. « Ce n’est pas adéquat en Amérique ». Mais il est possible que cela changera lorsque vous lancerez les mots d’ordre révolutionnaires de notre programme. Il y en a qui riront. Mais le courage révolutionnaire ne consiste pas seulement à être tué, mais à supporter le rire de gens stupides qui sont en majorité. (...)

Question : L’idéologie des ouvriers ne fait-elle pas partie des facteurs objectifs ?

Trotsky : (...) La mentalité c’est l’arène politique de notre activité. Nous devons donner une explication scientifique de la société et l’expliquer clairement aux masses. C’est là la différence entre le Marxisme et le Réformisme.

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