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Ce que décidaient et proclamaient les conseils ouvriers révolutionnaires de la Hongrie de 1956

mercredi 4 janvier 2023, par Robert Paris

Ce que décidaient et proclamaient les conseils ouvriers révolutionnaires de la Hongrie de 1956

Lechoslaw Gozdzik :

« La bureaucratie et les conseils ouvriers ne peuvent pas se marier. »

Le gouvernement Kádár avait accusé le Conseil central de vouloir « faire du Conseil central des ouvriers un organisme de pouvoir central exécutif ». En réalité, si telle était bien la volonté des ouvriers hongrois parfois exprimée par leur Conseil central, sa position publique n’a presque jamais dépassé l’affirmation qu’il était le seul représentant qualifié des ouvriers pour négocier avec le gouvernement, non le renverser et prendre sa place. De même, pendant toute une période en Russie, les soviets n’avaient pas réclamé le pouvoir, les bolcheviks étant les seuls, avec Lénine, à reprendre le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux soviets ». Le Conseil central n’a pas réclamé « Tout le pouvoir aux conseils ».

Conseil Ouvrier de Telefongyár

Pour cette usine de 3000 ouvriers qui fabriquait des appareils téléphoniques, dans le XIVe, nous bénéficions du témoignage de Ferenc Töke, chronométreur, délégué de l’usine puis vice-président du COC. Le conseil fut créé le 25 octobre par une assemblée de 800 ouvriers présents. Le conseil ouvrier ainsi élu comprenait 25 membres environ. Le conseil ouvrier fut constitué de telle manière que, sauf son président et son secrétaire, il ne comportait aucun membre permanent. Chaque département de l’usine en avait élu deux ou trois. Au total, 19 des membres du conseil étaient des ouvriers manuels. 50% environ des membres du conseil ouvrier étaient des jeunes, de 23 à 28 ans. « Ils avaient participé aux diverses actions révolutionnaires, aux manifestations, au déboulonnage de la statue de Staline, aux combats devant la Radio, etc. Par leur envergure et leur esprit révolutionnaire, ils avaient réussi à entraîner les travailleurs de l’usine. » 90% des membres du conseil appartenaient d’ailleurs au parti, et plusieurs d’entre eux étaient des militants actifs. « Mais les ouvriers avaient confiance en eux, car ils savaient qu’ils avaient toujours défendu leurs intérêts. Tout ce qu’on leur demandait, c’était un passé irréprochable. »

Radio-Györ, le 27 octobre 1956 :

« La délégation du conseil ouvrier de l’entreprise pétrolière Szöny a rendu visite, cet après-midi, au conseil ouvrier de la Fabrique de Wagons de Györ…. Les ouriers de Szöny leur ont raconté que des comités nationaux et des conseils ouvriers se formaient sur tout le territoire entre Györ et Tatabanya. Les travailleurs des usines de Komarom et de Szöny se solidarisent avec les ouvriers de Busapest. »

Radio-Miskolc, le 27 octobre 1956 :

« Depuis deux jours, la ville de Miskolc est dirigée par le Conseil Ouvrier et le Parlement Etudiant. Le Conseil Ouvrier a pris le contrôle de la garnison et de la police… »

Radio-Kossuth, le 28 octobre 1956 :

« Des conseils ouvriers ont été formés dans la Fabrique de chaussures « Duna », dans la filature de Coton, dans la Draperie Hongroise, dans l’Usine Textile Gildberger et dans la Fabrique de Cuir « Tancsics ». »

Szabad Nép, le 28 octobre 1956 :

« Arrivent de toutes parts du pays, l’une après l’autre, des nouvelles annonçant la formation de conseils ouvriers, de conseils nationaux ou de comités révolutionnaires socialistes, de département et de ville… Les membres de ces conseils sont les représentants des travailleurs et ont reçu leur poste par des élections démocratiques. Ceux qui ont perdu la confiance du peuple, qui l’ont tyrannisé ou qui n’avaient comme seuls soucis que leur carrière, ne se trouvent pas parmi eux. »

Andy Anderson :

« Depuis le premier jour de la révolution, c’était un véritable mouvement prolétarien qui s’était manifesté par la formation spontanée de Conseils dans toute la Hongrie. Ces Conseils, partiellement isolés par l’Armée Rouge, cherchèrent immédiatement à se fédérer et, à la fin de la première semaine, ils avaient pratiquement mis sur pied une république des Conseils. Seule leur autorité signifiait quelque chose. Le gouvernement n’avait aucune autorité, en dépit du fait que Nagy (soutenu par la plupart des conseils) se trouvait à sa tête. »

En province : la grève générale et la naissance des conseils

A Budapest, l’initiative de l’agitation reposait, nous l’avons vu, sur les organisations d’étudiants. C’est à leur Comité révolutionnaire que sont venues se joindre les délégations d’ouvriers au fur et à mesure que ces derniers se sont lancés dans la bataille. En province, la révolution a commencé par une grève générale insurrectionnelle, déclenchée dès la nouvelle de l’intervention russe. Elle s’est immédiatement traduite par la constitution de conseils ouvriers qui ont pris le pouvoir. Ainsi, pour la première fois depuis des décennies, les travailleurs hongrois, dans leur lutte contre la bureaucratie, retrouvaient spontanément les formes de l’organisation et du pouvoir prolétariens. Ils retrouvaient la tradition des soviets (le mot russe pour conseils) de 1905 et 1917, celle-là même de la première République hongroise des conseils (mars 1919). Les conseils, élus par la base, avec leurs délégués révocables à tout moment et responsables devant leurs mandants, sont la réalisation authentique, dans la pratique, de la démocratie prolétarienne et du pouvoir des ouvriers armés. Des conseils hongrois, on peut écrire ce qu’écrivait Trotsky du soviet de Petrograd de 1905 :

« Le soviet est le pouvoir organisé de la masse même, dominant toutes ses fractions. C’est la véritable démocratie, non falsifiée, sans les deux Chambres, sans bureaucratie professionnelle, conservant aux électeurs le droit de remplacer, quand ils veulent, leurs députés. Le soviet, par l’intermédiaire de ses membres, par les députés que les ouvriers ont élus, préside directement à toutes les manifestations sociales du prolétariat dans son ensemble ou dans ses groupes, organise son action, lui donne un mot d’ordre et un drapeau. »

Le Conseil de Miskolc

Au nord-ouest de la Hongrie, dans la région industrielle de Borsod, près des mines de charbon, des aciéries, au coeur de l’industrie sidérurgique et métallurgique, Miskolc, ville de 100 000 habitants, est la première qui ait annoncé la constitution de son conseil ouvrier. Dans la nuit du 24 au 25 octobre, les insurgés, maîtres de l’émetteur radio, annoncent qu’ils ont pris le pouvoir et exigent un « nouveau gouvernement dans l’esprit de Béla Kun et de László Rajk ». La référence à ces deux dirigeants communistes, tous deux assassinés par Staline, Kun, président en 1919 de la République des conseils, exécuté pendant les procès de Moscou, Rajk, pendu comme « titiste » en octobre 1949, est significative de l’orientation politique du mouvement. Le 25 octobre, les comités ouvriers des usines ont élu un Conseil ouvrier de la ville, dont le programme est diffusé par la radio locale : « Nous demandons qu’aux postes les plus importants du parti et de l’Etat soient placés des communistes dévoués au principe de l’internationalisme prolétarien, qui soient avant tout hongrois et respectent nos traditions nationales et notre passé millénaire. Nous demandons l’ouverture d’une enquête sur l’institution assurant la protection de l’Etat (l’AVH) et l’élimination de tous ceux qui, dirigeants ou fonctionnaires, sont plus ou moins compromis. Nous demandons que les crimes de Farkas et de ses acolytes soient examinés en procès public devant un tribunal indépendant, même si ce procès doit mettre en cause des individus haut placés. Nous demandons que les coupables de mauvaise direction et administration du plan soient immédiatement remplacés. Nous demandons que les salaires réels soient élevés. Nous voulons obtenir l’assurance que le Parlement ne sera pas plus longtemps une machine à voter et que les parlementaires ne seront plus une machine à approuver. ». Le 25, le « conseil ouvrier » et le « Parlement étudiant » assument le pouvoir dans l’agglomération de Miskolc, et, dès le lendemain, l’autorité du conseil ouvrier est reconnue dans tout le département de Borsod.

Le conseil ouvrier du comitat de Borsod

Il a été constitué le 25 octobre 1956 à Miskolc, la préfecture du comitat, sous la conduite de Miklós Papp et d’Attila Nagy, alors que Rudolf Földvári et la délégation d’usine Dimávag étaient en pourparlers avec Imre Nagy à Budapest. La réunion de fondation, dans le quartier de l’université de la ville, a soutenu immédiatement la grève. Elle a décidé d’établir une garde ouvrière de 150 hommes pour renforcer la sécurité publique, et a incité à établir les conseils ouvriers dans les usines. En conséquence, les conseils ouvriers ont assuré le fonctionnement des usines et de beaucoup de municipalités dans le comitat de Borsod-Abaúj-Zemplén, les jours suivants.
Après la prise du quartier général de la police, le 26 octobre, le conseil ouvrier du comitat s’est établi dans les locaux du conseil du comitat, une action symbolisant que le pouvoir avait été pris par les forces de la révolution. Bien que le conseil ouvrier ait immédiatement commencé à organiser ses forces de sécurité, il ne put empêcher une manifestation violente, le 27 octobre, contre l’AVO organisée spontanément par la population.
Le conseil ouvrier a commandé l’administration du comitat et a adopté les 21 points des ouvriers comme programme. Le 5 novembre, le conseil ouvrier a tenu des négociations stériles avec le commandement des forces soviétiques occupant la ville. Tous ses membres furent arrêtés et déportés en Ukraine subcarpatique, derrière la frontière soviétique. Le règne du parti stalinien fut rétabli sous la férule de Károly Grósz Cependant, la grève qui continuait a fait reculer le parti stalinien : les membres arrêtés du conseil ouvrier ont été libérés à la mi-novembre et certains même intégrés dans le fonctionnement de la ville et du conseil d’usine, mais finalement, le 9 décembre, le conseil fut dissout.

Le 26, Rudolf Földvari, secrétaire régional du PC, membre du conseil ouvrier, déclare à Radio-Miskolc que le gouvernement Nagy a accepté les revendications du conseil. Miskolc appelle les travailleurs de la région à élire des conseils dans toutes les entreprises sans tenir compte de l’affiliation politique de leurs membres. Le même jour se constitue, par la fédération des conseils locaux, le conseil ouvrier du département de Borsod, qui contrôle la région. Sa délégation à Budapest réclame à Imre Nagy : la hausse immédiate des salaires, pensions et allocations familiales, la fin de la hausse des prix, l’abolition de la taxe sur les ménages sans enfants, le jugement de Farkas et un Parlement qui ne soit pas une assemblée de « Béni-oui-oui », le retrait des troupes soviétiques et la publication du Traité de commerce hungaro -soviétique, la correction des « erreurs » du plan. Le 28 au matin, la radio annonce que les conseils ouvriers ont dissous toutes les organisations communistes de la région de Borsod. Dans les campagnes, les paysans, qui avaient été soumis à des mesures de collectivisation forcée, ont chassé les responsables des kolkhozes et procédé à la distribution des terres. Les conseils ouvriers approuvent leur action. Le premier apparu, le Conseil de Miskolc, est conscient de ses responsabilités. Ce qu’il a établi à l’échelle du département de Borsod, le pouvoir des conseils, il cherche à l’étendre à l’ensemble du pays. Le 28, Radio Miskolc « demande aux conseils ouvriers de toutes les villes de province de coordonner leurs efforts en vue de créer un seul et unique mouvement puissant ».Elle propose comme base d’accord le programme suivant :

« 
1. L’édification d’une Hongrie libre, souveraine, indépendante, démocratique et socialiste.

2. Une loi instituant des élections libres au suffrage universel.

3. Le départ immédiat des troupes soviétiques.

4. L’élaboration d’une nouvelle Constitution.

5. La suppression de l’AVH, le gouvernement ne devra s’appuyer que sur deux forces armées : l’armée nationale et la police ordinaire.

6. Amnistie totale pour tous ceux qui ont pris les armes et inculpation de Gerö et de ses complices.

7. Elections libres dans un délai de deux mois avec la participation de plusieurs partis. ».

Les Conseils de Györ et de Transdanielie sont les premiers à répondre à cet appel.

Le Conseil de Györ

Györ est une ville de 100 000 habitants. C’est la ville de la gigantesque usine de wagons et locomotives Wilhelm-Pieck (Györi-Mávag). L’insurrection a débuté par une grève générale. La garnison russe a accepté de se retirer sans combat. C’est un Comité national révolutionnaire, élu dans les entreprises, qui dirige la région, assisté d’un Comité militaire qui prend ses ordres. Le comité comprend vingt membres de tendances politiques diverses. II est présidé par un métallurgiste, ancien responsable du parti social-démocrate, György Szabó, mais la personnalité la plus en vue en est un ancien responsable du Parti national paysan, député, ami d’Imre Nagy, Attila Szigeti. Il a affaire, dans le comité, à une opposition dirigée par l’ancien maire de la ville, Ludwig Pocsa, élu par l’entreprise dans laquelle il travaille. Mais, sur les revendications immédiates, le comité est d’accord : il exige la fixation d’une date, d’ici deux ou trois mois, pour des élections libres, le retrait des forces russes de Hongrie. Les délégués des mineurs demandent « la garantie que l’armée soviétique quittera immédiatement le pays, ainsi que la garantie que des élections libres avec participation de tous les partis seront autorisées ». Radio-Györ déclare solennellement le 28 :

« Aux insurgés se sont mêlés des éléments troubles à tendance fasciste et contre-révolutionnaire. Nous ne voulons pas que revienne le vieux système capitaliste ; nous voulons une Hongrie libre et indépendante. ».

Le Conseil de Sopron

Dans la petite ville industrielle de Sopron, en Hongrie occidentale, le conseil ouvrier a été élu au scrutin secret dans les entreprises et à l’Ecole forestière. Le socialiste autrichien Peter Strasser a assisté à ses réunions et certifie : « Ils sont absolument opposés à la restauration de l’ancien régime de Horthy. ». Le conseil a organisé le maintien de l’ordre au moyen de patrouilles composées d’un ouvrier, d’un soldat et d’un étudiant. Il a envoyé en Autriche deux délégations de jeunes communistes, pour alerter le mouvement ouvrier international.

Le Conseil de Magyarovar

Le Conseil de Magyarovar a été lui aussi élu au bulletin secret. II comprend 26 membres, dont quatre communistes, des sans-partis et des représentants des vieux partis réformistes, sociaux-démocrates, nationaux-paysans, petits-propriétaires. Son président est un ouvrier communiste, Gera. Il déclare : « Il y a seulement deux grands problèmes : les Russes doivent s’en aller et il doit y avoir des élections démocratiques. » Au journaliste américain qui s’étonne, il précise : « Les communistes qui sont dans le conseil sont de braves gens. Ils n’oppriment personne et le peuple hongrois le sait. ». Le programme du Conseil de Magyarovar demande des élections libres et démocratiques sous le contrôle de l’ONU, la liberté des partis démocratiques, la liberté de presse et de réunion, l’indépendance des syndicats, la libération des détenus, la dissolution de l’AVH, le départ des Russes, la dissolution des collectivités paysannes établies de force, la suppression des différences de classe.

Le programme des conseils

Il n’est pas possible de poursuivre plus longtemps cette énumération. Dans toutes les villes industrielles de Hongrie se sont dressés des conseils ouvriers : à Dunapentele, l’ancienne Sztalinváros, la « perle » de l’industrialisation sous Rákosi, à Szolnok, le grand nœud ferroviaire du pays, à Pécs, dans les mines du sud-ouest, à Debreczen, à Szeged. Avant le 1° novembre, dans tout le pays, dans toutes les localités, se sont constitués des conseils, qui prennent en charge le maintien des acquis socialistes et assurent le ravitaillement de la capitale en lutte. Tous présentent les mêmes caractéristiques : élus par les travailleurs dans le feu de la grève générale insurrectionnelle, ils assurent le maintien de l’ordre et la lutte contre les Russes et Avos par des milices d’ouvriers et d’étudiants armés ; ils ont dissous les organismes du PC, épuré les administrations qu’ils ont soumises à leur autorité. Ils sont l’expression du pouvoir des ouvriers en armes. Voici un exemple entre mille de l’état d’esprit de la population dont ils expriment la volonté. Le 29 octobre, à 10 h 20, la radio de Györ libre annonce :

Nous communiquons le message des femmes du village Gyirmot à la radio de Györ libre :
« Les paysannes de Gyirmot appellent les femmes des environs de Györ. Au cours de la journée d’hier, nous avons appris, par l’une des nôtres qui rentrait du marché de Györ, une chose honteuse qui nous a toutes révoltées. La voici : quelques paysannes du marché, face à la demande démesurée, ont vendu le lait destiné au ramassage régulier, et elles l’ont vendu à 6 forints le litre au lieu de 3 forints. Donc, non seulement elles n’ont pas accompli leurs obligations, et il y aura moins de lait pour les ouvriers de Györ, mais encore elles en ont tiré profit. Nous sommes également scandalisées par l’augmentation du prix du canard, vendu par une paysanne à 30 forints le kg... Une telle femme n’est pas une Hongroise !
Femmes, ne permettez pas que de telles choses puissent se renouveler ! N’oubliez pas que l’acheteur est le combattant qui lutte pour notre avenir ! »

Le programme des conseils, malgré des formulations différentes, est remarquablement cohérent : tous exigent le départ immédiat des Russes, la dissolution de l’AVH, la promesse d’élections libres, la liberté pour les partis démocratiques, l’indépendance des syndicats et le droit de grève, la liberté de presse et de réunion, la révision des plans et la hausse des salaires, la liberté de l’art et de la culture. Tous, par leur existence même, revendiquent le droit de l’ouvrier hongrois de prendre en mains son propre sort. Tous exigent un gouvernement révolutionnaire comprenant les représentants des insurgés. Par leur exemple, par leur action, ils sont un danger mortel pour la bureaucratie comme pour l’impérialisme. Dans l’immédiat, ils sont au premier chef responsables des révoltes antibureaucratiques qui se produisent dans l’armée russe.

Source : https://www.marxists.org/francais/broue/works/1956/00/broue_hongrie_02.htm

Combattants de rue : premier tour

Le 23 octobre et dans les jours qui suivirent, l’aspect le plus visible de la révolution hongroise fut les combats de rue. Pour qu’une révolution se produise, l’autorité de l’État doit s’affaiblir suffisamment pour désorienter les forces de répression. Cela s’était passé en Hongrie. Les 23 et 24 octobre, la panique au sein de la direction de Budapest était telle que certains se sont enfuis « dans des bunkers souterrains impropres à tout travail », selon les membres du bureau politique soviétique qui s’y trouvaient. La police régulière s’est avérée impuissante et à Budapest, un nombre important des 1 200 officiers, dirigés par Sándor Kopásci, le chef de la police de Budapest, a fait défection vers les manifestants. L’armée aussi était désorientée. La seule unité majeure à avoir initialement obéi aux ordres de réprimer les manifestations était le troisième corps d’armée dont le commandant a forcé ses hommes à l’action et a même bombardé des manifestants à Tiszakeske et Kecskemet depuis les airs avant qu’il n’y pense mieux et ne se soit enfui sous la protection russe. La plupart des unités de l’armée ont adopté une position de neutralité bénigne. Parfois, ils sont intervenus pour imposer des cessez-le-feu aux forces de sécurité de l’État. Parfois, des unités, ainsi que des soldats individuels, se sont directement dirigés vers les manifestants. Le principal groupe de défense de l’État était donc l’AVH détesté de la sécurité de l’État. C’est parce qu’ils semblaient si isolés que Gerö a fait appel aux forces soviétiques pour le soutien tard le 23 octobre. Avec quelque 31 000 soldats immédiatement à portée de main, et quelque 1 100 chars et puissance aérienne, c’était une force formidable.

Dans la plupart des provinces, où la présence des forces russes était également limitée, les forces de sécurité hongroises ont rapidement été débordées, malgré les tirs sur les manifestants. Le conflit à Budapest était plus coûteux. Au plus fort, peut-être 15 000 manifestants, armés d’armes saisies ou données par la protection civile, la police et l’armée, ont fait face à l’AVH en désintégration et à l’armée russe. Les combats étaient sérieux à un petit nombre de points clés, mais l’AVH et les Russes ne savaient pas quoi faire. Les Russes avaient des ordres confus. Les troupes ordinaires ont été rapidement déconcertées lorsqu’elles ont découvert qu’elles faisaient face à des Hongrois ordinaires. Il y a eu une certaine fraternisation. Les tensions sont montées d’un cran le 25 octobre lorsque des tirs aveugles ont fait de nombreux morts devant le parlement hongrois. Du 26 au 28 octobre, la radicalisation et la polarisation se sont poursuivies. C’était à ce point que Nagy a réussi à établir un cessez-le-feu et à annoncer que les troupes soviétiques se retireraient de Budapest – le début, beaucoup ont espéré, d’un retrait négocié de la totalité de la Hongrie.
La preuve de Budapest est qu’une grande partie des combats de rue a été menée par des jeunes, y compris même des écoliers. Les combattants avaient tendance à former des groupes auto-organisés, souvent autour d’individus clés, dont certains avaient peut-être un passé trouble, bien qu’il soit difficile de séparer revendication et contre-revendication. Mais on aurait tort d’en faire trop. "C’est émouvant que ce soient les voyous de Ferencváros qui aient créé l’éthique à partir de rien pendant la révolution", a déclaré un étudiant à l’époque. [17]Il est clair qu’un vaste processus de radicalisation était en cours. Le rôle du colonel Pál Maléter qui est devenu « le héros le plus populaire de la révolution », dont il paiera de sa vie, exécuté par le régime Kádár, n’en est pas le moindre exemple. Maléter avait eu une carrière erratique qui allait du poste de garde du corps du dictateur d’avant-guerre Horthy à celui de partisan formé en Russie combattant les nazis, puis de haut responsable de la nouvelle armée. Il a d’abord tenté de jouer un rôle neutre lorsqu’il a été envoyé pour tenter de soulager la caserne de Kilián, mais a ensuite fait appel au ministère de la Défense pour que les forces soviétiques se retirent afin de réduire la tension et les pertes de vie. Lorsque cela a été refusé, il a jeté son sort avec les révolutionnaires : "Je dois vous informer que je tirerai sur le premier char soviétique à s’approcher de la caserne de Kilián."

La montée des conseils ouvriers

La majeure partie de Budapest avait arrêté le travail, soutenue par des grèves croissantes dans le reste du pays, alors que ces luttes se déroulaient. Un nouveau réseau de comités et de conseils a commencé à émerger. Les échos de 1917 sont évidents. Certaines de ces nouvelles formes étaient des comités d’usine. Ceux-ci seraient ensuite liés à des conseils ou comités révolutionnaires (parfois appelés nationaux). Mais dans les petites localités, des conseils locaux ont été immédiatement formés. Le schéma et les noms prêtent souvent à confusion car, contrairement à la Russie de 1917, le temps manque pour élaborer des formes d’organisation plus sophistiquées. Mais cela ne diminue en rien le rôle central de ces conseils ni ce qu’ils ont réalisé en peu de temps. "Sans leur pression politique", disent les auteurs du compte rendu hongrois standard édité par György Litván. Mais l’importance va au-delà de cette dynamique politique immédiate, c’est pourquoi elles restent si controversées et si difficiles à digérer pour les comptes les plus conservateurs.

Budapest était le centre du mouvement des conseils ouvriers. Autrefois la deuxième ville d’un grand empire, elle était maintenant la tête exagérée d’un petit pays et contenait près d’un cinquième de la population hongroise. Plus de la moitié de la production industrielle du pays y était produite par 46 % de ses travailleurs industriels. Ils étaient concentrés dans les travaux d’ingénierie, les usines chimiques, les industries de consommation et alimentaires. Ici aussi se trouvaient une partie importante des travailleurs hongrois du bâtiment et des transports. L’industrie n’était pas uniformément répartie dans la ville. Deux des zones les plus concentrées étaient le district d’Újpest au nord et l’île de Csepel sur le Danube au sud, longtemps une zone industrielle basée sur le fer, l’ingénierie, le papier et le pétrole. La ville, coupée par le Danube, avait tendance à être plus industrielle du côté de Pest que de Buda.

Le premier conseil ouvrier de Budapest a été créé le 23 octobre dans le quartier d’Újpest dans l’immense usine Egyesült Izzó (lampe unie) qui employait environ 10 000 personnes. Un jour plus tard, les comités d’usine et les conseils ouvriers se répandaient dans la plupart des usines et des districts de la ville. Les 29 et 30 octobre, des conseils ouvriers de district ont commencé à être créés dans les zones où se concentraient les plus grandes usines - Újpest, Obuda, Angyalföld, Csepel. Puis, le 31 octobre, un parlement des conseils ouvriers de Budapest a été convoqué avec des délégués de 24 usines et a cherché à établir un nouvel ordre en leur sein. De nombreux éléments de cet ordre sont restés flous, mais la plupart des commentateurs ont été frappés par la sophistication des demandes. Les délégués ont déclaré :

« L’organe suprême de contrôle de l’usine est le conseil ouvrier démocratiquement élu par les ouvriers... Le directeur est employé par l’usine. Le directeur et les plus hauts employés doivent être élus par le conseil ouvrier ... le directeur est responsable devant le conseil ouvrier pour tout ce qui concerne l’usine. »

Les conseils se sont également penchés sur la situation politique, exigeant toute une série de mesures de démocratisation et, surtout, le retrait des troupes russes. Dans ce processus, les anciens instruments de la domination stalinienne ont simplement été écartés. Le Parti communiste et les syndicats officiels, deux des moyens de répression de la classe ouvrière et de poussée de l’accumulation, étaient marginalisés. Comme l’écrit Lomax, "Lorsque quelques jours plus tard le gouvernement, le Parti communiste et le Conseil central des syndicats ont appelé à tour de rôle à la création de conseils ouvriers [dans une tentative ratée de les diriger - MH ], ils ne faisaient que reconnaître officiellement à un fait déjà accompli.

Inévitablement, la géographie des conseils ouvriers en dehors de Budapest reflétait la géographie industrielle de la Hongrie, avec les plus forts dans le nord et les plus faibles dans les villes des plaines agricoles du sud. Mais, comme l’a dit Peter Fryer, le journaliste choqué mais honnête du Daily Worker du Parti communiste britannique :

« ces comités, dont le réseau s’étendait désormais à toute la Hongrie, étaient remarquablement homogènes. Ils étaient à la fois des organes d’insurrection – la réunion de délégués élus par les usines et les universités, les mines et les unités de l’armée – et des organes d’autonomie populaire auxquels le peuple armé avait confiance. En tant que tels, ils jouissaient d’une autorité considérable et il n’est pas exagéré de dire que jusqu’à l’attaque soviétique du 4 novembre, le véritable pouvoir du pays était entre leurs mains. »

Les auditeurs d’une émission de radio de Miskolc ont entendu la déclaration suivante le 25 octobre : « Nous en avons assez ! Assez de l’autonomie de certains dirigeants ! Nous aussi nous voulons le socialisme, mais selon nos conditions hongroises particulières, reflétant les intérêts de la classe ouvrière hongroise et de la nation hongroise ». Miskolc était la deuxième plus grande ville de Hongrie. Elle comptait quelque 140 000 habitants en 1956 et était située au nord-est de Budapest dans le comté de Borsod, « la plus grande zone industrielle ininterrompue de Hongrie ». Toute la région avait été un centre d’expansion rapide dans la campagne d’industrialisation post-1948, basée sur des investissements concentrés dans l’industrie lourde, les cimenteries et les briqueteries, ainsi qu’une usine de textile. Au fur et à mesure de son expansion, Miskolc a fusionné avec Diósgyör, le site de la première fonderie de fer de Hongrie et maintenant le principal centre sidérurgique ainsi que l’emplacement d’une grande usine de machines fabriquant du matériel roulant et des turbines.

C’est ici que se trouve le deuxième grand foyer des conseils ouvriers de 1956. Tandis que les étudiants locaux formaient un parlement étudiant, des comités se formaient dans les usines puis des conseils ouvriers. Les choses commencent à bouger le 22 octobre avec la formation de divers comités puis, le 24 octobre, d’un « conseil du travail ». Organisation répartie dans et entre les usines des villes voisines. L’autorité gouvernementale s’est effondrée localement face à une manifestation de masse à Miskolc le 26 octobre, au cours de laquelle 38 personnes seraient mortes lorsque les forces de sécurité de l’État ont ouvert le feu et que la foule a pris sa revanche. Les ouvriers, les étudiants et les forces en place qui leur ont fait défection ont rapidement rétabli l’ordre et Radio Miskolc a pu annoncer le 27 octobre que « depuis deux jours, la ville de Miskolc est sous la direction du conseil ouvrier et du parlement étudiant. Les nouveaux conseils de la ceinture industrielle se sont regroupés pour former un conseil des travailleurs de Borsod à l’échelle du comté. Lorsqu’on a affirmé plus tard à Budapest qu’il s’agissait d’une contre-révolution, le Conseil ouvrier du comté de Borsod a simplement dit : « Vous n’avez qu’à décrocher le téléphone, et dans trois heures nous y serons, les ouvriers de Ozd, Diósgyör, Miskolc, tous 20 000 et armés.

Au nord de Budapest se trouvait la petite ville de Salgotarjan. Ici, l’industrie était basée sur le charbon, le fer et l’acier et il n’y avait pas d’université. Quiconque s’y serait arrêté fin octobre aurait trouvé une ville dans laquelle la radicalisation semble avoir impliqué l’un des changements de pouvoir les plus pacifiques. Le 25 octobre, une grève est devenue générale et le 27 octobre, il y a eu une marche vers le centre-ville. Le Parti communiste local a tenté de diriger le mouvement des conseils ouvriers, mais il a été écarté. Mais le calme relatif de cette période serait trompeur, car dans la phase suivante, Salgotarjan deviendrait un centre majeur de résistance à l’invasion russe et au gouvernement Kádár.

Györ avait une population d’environ 70 000 habitants en 1956. Située sur le Danube, à 80 miles au nord-ouest de Budapest et sur la route principale de Budapest à Vienne, la ville s’était développée sur la base de l’expansion de ses travaux de construction de wagons d’avant-guerre, de textiles et industries des biens de consommation. A proximité se trouvaient la ville minière de Tatabánya et des villes plus petites basées sur l’exploitation du charbon à ciel ouvert et de la bauxite. Un certain mécontentement est apparu avant le 23 octobre mais la nouvelle des événements de Budapest a conduit à une petite manifestation le 24 octobre, qui a rapidement fait boule de neige. Dans la soirée, les forces de sécurité de l’État ont de nouveau ouvert le feu. Le lendemain, des milliers de personnes sont sorties. Les grèves se sont généralisées et l’autorité locale s’est effondrée. Le 26 octobre, un Comité révolutionnaire national à l’échelle de la ville a été formé et le lendemain, Radio Free Györ a annoncé que « des comités nationaux et des conseils ouvriers se formaient partout entre Györ et Tatabánya ». Le conseil de Györ est devenu le noyau du Conseil national transdanubien formé pour représenter la moitié ouest de la Hongrie.

Pendant ce temps, les forces de sécurité de l’État avaient perpétré un autre massacre à proximité de Mosonmagyaróvár, au cours duquel 52 personnes étaient mortes. L’ordre n’a été rétabli que lorsque la police de sécurité de l’État a été désarmée par les troupes locales sous le contrôle du conseil de Györ. La force des conseils ouvriers ici était basée sur les usines de Györ et les mines voisines de Tatabánya et Balinka. Le Conseil national de Györ a non seulement publié un programme, mais a également dirigé la ville et a même négocié pendant un certain temps avec les chefs militaires soviétiques locaux. Mais sa tâche la plus exigeante consistait à faire face aux courants politiques croisés à Györ. L’ambiance dans la ville était échauffée et, surtout au début, il y avait de la frustration face à la timidité de Nagy à Budapest. Certaines forces de droite ont tenté d’en profiter, tout comme des aventuriers, certains de l’intérieur de la Hongrie, d’autres de l’autre côté de la frontière. Il y a eu plusieurs épisodes tendus avant que les dirigeants du conseil local ne soient en mesure d’encourager l’accent sur la construction d’une base grâce au développement du mouvement des conseils ouvriers dans la région transdanubienne élargie.

Plus au sud sur le Danube, à environ 40 milles de Budapest, se trouvait Sztálinváros (aujourd’hui Dunaújváros). Cela devait être la pièce maîtresse du nouveau développement industriel de la Hongrie. À la fin des années 1940, ce n’était qu’un village envahi par la végétation, mais au printemps 1950, la construction de l’usine sidérurgique de Staline a commencé sous la supervision d’ingénieurs soviétiques avec apparemment une communauté « socialiste » modèle - le plus grand projet d’investissement des cinq premiers de la Hongrie. plan de l’année. En 1956, Sztálinváros comptait 30 000 habitants et, comme en Russie, le bien-être y passait largement au second plan par rapport aux exigences de la production d’acier.

L’agriculture dominait encore une grande partie du sud du pays. Ici, les grandes villes avaient été des centres commerciaux, administratifs et éducatifs, avec leur structure sociale moins intensément affectée par l’industrialisation stalinienne. Debrecen est la troisième plus grande ville de Hongrie avec une population d’environ 130 000 habitants en 1956. Elle avait été le théâtre de l’éphémère déclaration d’indépendance de Kossuth vis-à-vis de l’Empire autrichien en 1849 et la base du gouvernement de libération soutenu par les Soviétiques en 1944. Le 23 octobre étudiants qui manifestaient ont été rejoints par des travailleurs. Les dirigeants locaux du parti ont ordonné aux forces d’ouvrir le feu, tuant trois personnes. Au cours des jours suivants, des pourparlers entre les représentants des soldats locaux, les étudiants et les ouvriers ont conduit à la formation du Comité révolutionnaire socialiste de Debrecen qui est rapidement devenu le pouvoir effectif de la ville jusqu’au deuxième assaut soviétique le 4 novembre. Une deuxième ville du sud, Szeged, peuplée d’un peu moins de 100 000 habitants, était le lieu où les premières organisations étudiantes indépendantes avaient été créées avant le 23 octobre. Après les événements du 23 octobre à Budapest, les étudiants de Szeged ont été impliqués dans des manifestations locales et des affrontements occasionnels jusqu’au 26 octobre, date à laquelle les forces de sécurité se sont retirées. Des conseils ouvriers dans les usines locales ont été créés, qui se sont ensuite associés à des groupes d’étudiants pour former un Conseil révolutionnaire populaire le 30 octobre. Cela a alors commencé à organiser une garde nationale locale. était le lieu où les premières organisations étudiantes indépendantes avaient été créées avant le 23 octobre. Après les événements du 23 octobre à Budapest, les étudiants de Szeged ont été impliqués dans des manifestations locales et des affrontements occasionnels jusqu’au 26 octobre, date à laquelle les forces de sécurité se sont retirées. Des conseils ouvriers dans les usines locales ont été créés, qui se sont ensuite associés à des groupes d’étudiants pour former un Conseil révolutionnaire populaire le 30 octobre. Cela a alors commencé à organiser une garde nationale locale. était le lieu où les premières organisations étudiantes indépendantes avaient été créées avant le 23 octobre. Après les événements du 23 octobre à Budapest, les étudiants de Szeged ont été impliqués dans des manifestations locales et des affrontements occasionnels jusqu’au 26 octobre, date à laquelle les forces de sécurité se sont retirées. Des conseils ouvriers dans les usines locales ont été créés, qui se sont ensuite associés à des groupes d’étudiants pour former un Conseil révolutionnaire populaire le 30 octobre. Cela a alors commencé à organiser une garde nationale locale.

Pecs avait été le site de la première université de Hongrie et était également un important centre de commerce et de transformation agricole. En 1956, elle comptait 110 000 habitants. Sa croissance après 1948 avait été affectée par le développement de l’extraction du charbon à proximité et de l’extraction de l’uranium. Ici, cependant, l’ordre ancien a mieux résisté dans les premiers jours. Les patrons locaux ont encouragé les comités d’usine dans la conviction qu’ils pouvaient mettre leurs propres gens à leur tête, mais ils ont été écartés. Puis, alors que la nouvelle des événements se répandait ailleurs, la police de sécurité de l’État local a commencé à s’effondrer. Les 28 et 29 octobre, des conseils sont élus et une garde nationale créée. Les conseils de Pecs étaient moins impressionnants en profondeur que ceux du nord, mais la ville serait un centre majeur de résistance aux forces russes dans la phase suivante.

Cependant, ce ne sont pas seulement les villes qui ont été touchées par la révolution. Comme le montre le tableau 1, la Hongrie était encore un pays essentiellement agricole. L’autorité a commencé à s’effondrer dans les zones rurales les samedi et dimanche 27 et 28 octobre. Le processus avait des échos de la révolte paysanne traditionnelle. Des nouvelles arrivent des protestations urbaines, parfois portées directement par les travailleurs migrants de retour des usines. Des discussions ont eu lieu dans les centres villageois et les pubs, et le dimanche autour et dans les églises. Craignant un État qu’ils jugent à la fois oppresseur et exploiteur, les paysans, reflet d’une économie morale plus ancienne, cherchent à légitimer symboliquement leur révolte. Des comités nationaux de village ont été élus dans de nombreux endroits. Alors que certains des anciens dirigeants ruraux imposés ont fui et que d’autres se sont vu offrir une sorte de protection, des personnalités moins détestées pourraient symboliquement remettre les clés du centre du village aux nouveaux comités. La campagne de l’État contre la religion avait été particulièrement ressentie et, par conséquent, s’habiller endimanché pour aller à l’église avait une résonance particulière ce week-end. Parfois, les secrétaires locaux du parti stalinien étaient chargés de porter les croix. Les dossiers fiscaux étaient considérés comme un instrument du pouvoir de l’État et brûlés à certains endroits. Certains villageois ont également chargé des charrettes de nourriture à emporter dans les villes à la fois comme un geste de solidarité et comme une affirmation de la moralité supérieure du don sur l’histoire passée des livraisons forcées à l’État.

Le niveau de politisation à la campagne était beaucoup plus faible qu’à la ville. Mais, avec la disparition du pouvoir de l’État, de nombreux paysans en ont profité pour quitter ce qu’ils considéraient comme une agriculture organisée par l’État. Au début de 1957, il ne restait plus qu’environ 6 % des paysans dans des coopératives d’État qui possédaient désormais environ 10 à 12 % des terres arables.

La question s’est posée de savoir dans quelle mesure les conseils ouvriers devaient soutenir la grève et coopérer avec le gouvernement Nagy alors qu’il commençait à élargir l’agenda du changement sous la pression des conseils. Presque dès le début, des délégations s’étaient rendues à Nagy pour l’influencer. Puis, le 1er novembre, les forces russes semblant se retirer et Nagy radicalisant sa position, les délégués des conseils ont fait valoir que la grève devait être annulée tout en maintenant le rôle général des conseils. Cela a provoqué de vifs débats locaux, mais lorsque les conseils de district de Csepel et d’Újpest ont accepté de soutenir un retour au travail, la position a été approuvée et la date fixée au lundi 5 novembre. Mais l’accord serait rendu superflu par le deuxième assaut militaire soviétique.

https://www-marxists-org.translate.goog/history/etol/writers/haynes/2006/xx/hungary56.html?_x_tr_sl=auto&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr

Résolution du Parlement des Conseils Ouvriers du 31 octobre 1956 :

Les délégués de 24 usines dont Usine de Wagons Ganz, Chantier Naval Ganz, Usine Electrique Ganz, Fabrique de Machines Lang, Fabrique de Machines et de Locomotives M.A.V.A.G., Fabriques d’Appareils Electriques Beloaïnnis et Egyesült Izzo, etc…, dans l’intérêt de la réalisation de la démocratie socialiste, décident des revendications suivantes :

1) L’usine appartient aux ouvriers…

2) L’organe suprême dirigeant de l’entreprise est le Conseil Ouvrier démocratiquement élu par les travailleurs

3) Le Conseil Ouvrier élit en son sein un comité de direction de trois à neuf membres

4) C’est le Conseil Ouvrier qui élit le directeur de l’usine et les employés supérieurs

5) Le directeur, gérant des affaires de l’usine, est responsable devant le Conseil Ouvrier

6) Le Conseil Ouvrier se réserve à lui-même les droits suivants : approbation de tous les plans de l’entreprise, décision de fixation des salaires et d’emploi des fonds, décision de tout contrat avec l’étranger, décision de l’opération dans toute affaire de crédit

7) De même, en cas de conflit, le Conseil Ouvrier tranche pour l’embauche et le licenciement de tout travailleur

8) Le Conseil Ouvrier décide des balances financières et de l’utilisaiton des bénéfices

9) Le Conseil Ouvrier prend en mains les affaires sociales de l’entreprise

Les Conseils Révolutionnaires des usines, entreprises, institutions et universités de Budapest, 90% de leurs Comités Révolutionnaires, ainsi que l’Alliance Paysanne en formation représentant cinq départements, ont déjà accepté la proposition ci-dessus et ont pris les mesures nécessaires à sa réalisation. »

Résolution du Conseil Ouvrier de la Fabrique de Wagons et de Machines de Györ, le 3 novembre 1956 (extrait) :

« Au nom des travailleurs de notre usine et de la ville de Györ, le Conseil Ouvrier de la Fabrique de Wagons et de Machines assure que nous, les ouvriers, sommes fermement attachés aux aspirations sociales fondamentales, en tant que conquêtes de la révolution démocratique nationale. Nous nous opposons de toutes nos forces au retour des grandes propriétés, des banques et des usines à la propriété capitaliste. En même temps, nous nous opposons résolument à toute sorte de restauration stalinienne-rakosiste. »

Appel des délégués de Comités Révolutionnaires des grandes usines de Budapest aux Travailleurs Hongrois, le 1er novembre 1956 :

« Mineurs, travailleurs des centrales, ouvriers industriels, de transport et intellectuels !

Les délégués des grandes usines de Budapest sont allés au Parlement pour négocier avec les membres du gouvernement concernant le retrait des troupes soviétiques, la situation actuelle du pays et la reprise de la vie. Le gouvernement a accepté les principaux points des revendications… La situation économique du pays a rendu évident pour les délégués que la continuation de la grève aboutirait à la paralysie complète et minerait nos conquêtes révolutionnaires… Nous appelons tous les travailleurs du pays à se joindre à notre appel à la reprise du travail. »

Radio Libre « Rajk », le 5 novembre 1956 :

« Camarades ! De nouveau le sang coule dans notre malheureux pays. Les dirigeants de l’Union soviétique ont encore eu recours à leur politique terroriste de colonisation connue à l’époque de Staline-Rakosi. Pendant que nous menions des négociations amicales avec eux, ils nous trompaient et, maintenant, ils organisent des assassinats en masse avec leurs tanks et leurs avions…

Camarades ! Notre place est sur les barricades…

Camarades, tout vrai communiste a sa place maintenant aux barricades ! »

Résolution des délégués des Conseils Ouvriers du 11ème arrondissement de Budapest, le 12 novembre 1956 :

« Les ouvriers délégués des travailleurs des usines du 11ème arrondissements ont unanimement décidé, dans l’intérêt de la construction du socialisme en Hongrie et de l’avenir du peuple, de reprendre le travail aux conditions suivantes :

Nous voulons souligner que la classe ouvrière considère la usines et la terre comme propriété du peuple travailleur

(…)

Le peuple travailleur a créé les conseils ouvriers afin de faire prévaloir sa volonté. C’est pourquoi nous revendiquons l’élargissement à la totalité des domaines de la pshère d’activité des conseils ouvriers…

Nous revendiquons des élections libres où pourront participer tous les partis ayant reconnu la propriété sociale des moyens de production…

Nous revendiquons le cessez-le-feu immédiat et l’évacuation immédiate des troupes soviétiques de Budapest… »

Appel des ouvriers d’Ujpest, le 12 novembre 1956 :

« Tout ouvrier de Budapest veut que l’ordre soit rétabli dans la capitale. Bien entendu, nous ne voulons pas de n’importe quel ordre, mais de l’ordre révolutionnaire bâti sur la réalisation des grandes revendications de la révolution…

La révolution est celle du peuple travailleur hongrois, c’est lui qui s’est battu dans les combats armés. Maintenant encore, le peuple hongrois et, peut-être en premier lieu, les ouvriers de Budapest, peuvent déterminer le cours ultérieur de la révolution. Ce n’est pas seulement le droit des ouvriers de Budapest, mais leur devoir envers la nation.

Pour cette raison, nous nous adressons aux usines de Budapest pour qu’elles envoient, le mardi 13 novembre, les délégués de leurs conseils à la Mairie d’Ujpest à 13 heures, en vue de former le Conseil Ouvrier de Budapest. »

Résolution du Conseil Central Ouvrier de Budapest du 14 novembre 1956 :

« Aujourd’hui, le 14 novembre 1956, les délégués des conseils ouvriers d’arrondissement ont formé le Conseil Central Ouvrier du Grand-Budapest. Le conseil central ouvrier a reçu le pouvoir de négocier au nom des ouvriers de toutes les entreprises situées dans la zone industrielle de Budapest et de décider de l’arrêt ou de la reprise du travail. Nous proclamons notre rigoureux respect des principes du socialisme. Nous considérons les moyens de production comme propriété collective que nous sommes prêts à défendre.

Nous, ouvriers, estimons que le rétablissement du calme et de l’ordre exige l’attribution de la direction à une personnalité jouissant de la confiance du peuple…

Nous protestons contre le fait qu’au sein des nouveaux organes de sécurité, on nomme les membres des anciens services de sécurité de l’Etat (A.V.H.)…

Nous exigeons qu’une liberté absolue soit garantie à tous ceux qui luttent pour la liberté…Nous demandons la libération de tous les détenus actuels.

Nous demandons le retrait rapide des troupes soviétiques…

Nous revendiquons que la radio et la presse ne diffusent plus des informations qui ne correspondent pas aux faits.

Tant que nos exigences ne seront pas satisfaites, nous ne laisserons fonctionner que les entreprises indispensables à la vie quotidienne de la population…

Nous exigeons l’abolition du système de parti unique…

Le travail ne reprendra que quand nous recevrons des réponses satisfaisantes. »

Ferenc Töke, vice-président du Conseil Central Ouvrier du Grand-Budapest :

« Lorsque, pendant la révolution, on procéda aux élections du conseil ouvrier de mon entreprise – je travaillais alors à la fabrique d’appareillages téléphoniques, qui employait quelques 3.000 ouvriers – je me trouvai en tête de liste avec une confortable avance de voix sur les autres…Le 25 octobre, les cadres dirigeants essayaient de prendre l’initaitive d’un conseil ouvrier pour en influencer la composition, suivant ainsi la consigne du conseil national des syndicats, approuvée par le comité central du parti communiste stalinian…. Ce fut la forme officielle des mesures prises par lesquelles ils ont voulu garder leur place en se servant du fait qu’ils étaient les initateurs du vote de ce nouveau cosneil ouvrier. Mais les conseils ouvriers ont été formés dans un temps critique où rien ne pouvait être imposé aux ouvriers… La direction souhaitait imposer ses candidats mais les ouvriers ne l’entendaient pas de cette oreille et seuls furent élus les candidats par eux… Devant la tournure des événements, les cadres dirigeants démissionnèrent de leur propre gré…

Etant donné la situation générale très confuse, et les déclarations plutôt vagues du gouvernement, on décida de ne pas reconnaitre ce dernier jusqu’à plus ample informé et de poursuivre une grève qui était un état de fait. Le conseil ouvrier fut chargé d’établir un cahier de revendications qui devait être approuvé par les ouvriers puis transmis au gouvernement…

Je dois préciser que la moitié environ des membres du conseil ouvrier étaient des jeunes de 23 à 28 ans. Ils avaient participé aux diverses actions révolutionnaires, aux manifestations, au déboulonnement de la statue de Staline, aux combats devant la Radio, etc…. Les travailleurs plus âgés disaient souvent que si les jeunes étaient capables de déclencher une telle lutte glorieuse, ils seraient certainement capables et dignes de représenter l’ensemble des travailleurs…

Le 1er novembre, les conseils ouvriers étaient partout en place et commençaient à fonctionner.En même temps, on commençait à relever de leurs fonctions les anciens dirigeants…

Le Conseil Ouvrier fut constitué de telle manière que, sauf son président et son secrétaire, il ne comportait aucun membre permanent. Chacun de ses membres devait participer à la production avec les autres ouvriers, et, après le travail, assurer le fonctionnement du Conseil, tenir les réunions, etc….

Le 4 novembre au matin, nous fûmes réveillés par la cannonade soviétique. Cette deuxième intervention soviétique allait bouleverser tous nos plans. Du coup, les ouvriers des usines se retrouvèrent en état de grève… Le gouvernement invitait à reprendre le travail mais les travailleurs ne manifestaient aucune intention d’obéir…

Chez nous, à l’usine d’Appareillage Téléphonique, les aspirations des travailleurs se précisèrent dès la première séance du Conseil Ouvrier. Elles s’opposaient radicalement aux intentions du gouvernement. Celui-ci voulait en effet que les conseils ouvriers se cantonnent dans des fonctions purement économiques, alors que les Conseils ouvriers, eux, réclamaient de plus en plus un rôle politique…C’est après le 4 novembre que se dessina la tendance à revendiquer une fonction politique aux conseils ouvriers..C’est alors que fut lancée l’idée d’un Conseil Central Ouvrier… »

Balazs Nagy, Le Conseil Central Ouvrier de Budapest :

« Le gouvernement a tenté de limiter les activités des conseils aux problèmes purement économiques et de les tenir à l’écart de la sphère politique. Il a ridiculisé les travailleurs en déclarant que, même dans la sphère économique, les conseils doivent travailler dans les limites imposées par le cadre légal actuel. (Et il a déclaré qu’il était la seule organisation centrale légitime - les conseils de district, sans parler d’un conseil central des travailleurs, étaient impensables.)

Pour installer le gouvernement de Kadar, le Haut Commandement soviétique a été contraint de prendre l’initiative de réorganiser la vie de la capitale - en utilisant des méthodes militaires, bien sûr. La troisième section de sa première ordonnance, du 6 novembre, déclarait :

« Nous avons appelé les ouvriers, les employés des usines, des magasins, des services de transport, des municipalités et des entreprises à reprendre le travail. Toute personne tentant de quelque manière que ce soit de les empêcher de retourner au travail sera arrêtée.

Il y avait des disputes et des escarmouches quotidiennes entre les ouvriers et des sections de l’armée russe. En conséquence, Grebennik (commandant des forces russes à Budapest) a invité les dirigeants des conseils ouvriers du 11e arrondissement à une réunion le 8 novembre. Dans une atmosphère très tendue, les travailleurs ont déclaré qu’ils ne reprendraient le travail que lorsque leurs revendications auraient été satisfaites. Grebennik a rejeté ces demandes d’emblée, affirmant qu’elles ne pouvaient en aucun cas être acceptées. Il traita les ouvriers présents à la réunion de fascistes et d’agents des impérialistes et menaça de les faire arrêter. Il a de nouveau adopté le même ton lors d’une autre réunion, cette fois avec une délégation des travailleurs de Csepel.

(Les partis politiques étaient inefficaces et les ouvriers devaient dépendre entièrement de leurs propres ressources.) A partir du 8 novembre, les conseils devinrent une véritable ruche à Budapest, en particulier dans les XIe et XIIIe arrondissements, ainsi qu’à Ujpest et Csepel. Les délégués des conseils ouvriers du 11e arrondissement se sont réunis le 12 novembre et ont formulé leurs revendications communes sous huit rubriques. C’était la première fois depuis le 4 novembre que des communes d’un large territoire se réunissaient et tenaient une réunion au cours de laquelle – et c’est là l’essentiel – elles s’unissaient pour élaborer un cahier des charges. Ces demandes n’étaient pas non plus une simple liste de griefs familiers ; elles constituaient en quelque sorte un véritable programme.

Pour résumer brièvement, leurs revendications étaient : la propriété collective des usines, qui devait être entre les mains des conseils ouvriers, qui devaient agir comme les seuls directeurs des entreprises ; un élargissement des compétences des conseils dans les domaines économique, social et culturel ; l’organisation d’une police de type milice, soumise aux conseils ; et sur le plan politique, un système de partis socialistes sans parti unique.

La réunion elle-même était d’une importance vitale, car elle montrait la classe ouvrière en train de s’organiser à une échelle plus large que celle de l’usine individuelle. Le jour même où le gouvernement s’apprête à publier son décret limitant l’activité des conseils aux usines et à la sphère économique, les ouvriers du XIe étendent leurs activités vers une plus grande union des ouvriers. Partout, les travailleurs ont reconnu qu’ils devaient regrouper leurs forces et se mettre à organiser des réunions de délégués. Et à la suite inévitable de ces réunions, le Conseil central des travailleurs a rapidement vu le jour.

Mais il n’y avait pas que les ouvriers qui se préoccupaient de sauver la révolution, et donc de s’opposer à l’intervention russe et au nouveau gouvernement de Kadar. Les organisations d’intellectuels, par exemple, étaient également actives politiquement, mais elles se concentraient davantage, dans les sphères politiques et théoriques, sur la formulation d’une politique qui résoudrait le problème politique créé par l’intervention militaire russe. Parmi les propositions qu’ils avancent, la plus remarquable est celle de Bibo, ancien ministre d’État du gouvernement Nagy, membre du mouvement populiste socialiste-paysan et l’un des dirigeants du parti Petofi. Bibo a proposé un accord avec l’Union soviétique sur la base de garanties mutuelles. Son plan prévoyait l’évacuation systématique des troupes russes et le retrait éventuel de la Hongrie du Pacte de Varsovie. Le gouvernement Imre Nagy serait en mesure de donner les garanties nécessaires à un accord bilatéral avec l’Union soviétique. Bibo a insisté sur le fait que les acquis essentiels de la révolution, en particulier le système des conseils ouvriers et des comités révolutionnaires, devaient être maintenus jusqu’à ce qu’une assemblée constituante puisse être mise en place pour incarner les principes sociaux et constitutionnels du pays. Il y aurait ensuite la propriété collective des moyens de production et une majorité laïque dans la gestion d’une administration décentralisée. en particulier le système des conseils ouvriers et des comités révolutionnaires, doit être maintenu jusqu’à ce qu’une assemblée constituante puisse être constituée pour incarner les principes sociaux et constitutionnels du pays. Il y aurait ensuite la propriété collective des moyens de production et une majorité laïque dans la gestion d’une administration décentralisée. en particulier le système des conseils ouvriers et des comités révolutionnaires, doit être maintenu jusqu’à ce qu’une assemblée constituante puisse être constituée pour incarner les principes sociaux et constitutionnels du pays. Il y aurait ensuite la propriété collective des moyens de production et une majorité laïque dans la gestion d’une administration décentralisée.

(Ce programme a été largement accepté dans les cercles intellectuels.) Dans leurs tentatives de le mettre en œuvre, Bibo et les intellectuels se sont tournés vers les ouvriers. Ils voyaient l’augmentation des activités des conseils et ils encourageaient ce développement, dans l’espoir que les conseils fourniraient la force nécessaire pour parvenir à ce compromis. Ils firent de leur mieux pour persuader les conseils de s’organiser en un seul corps ; de nombreux intellectuels visitent les usines, participent aux réunions du conseil et s’adressent aux ouvriers présents. Journalistes, étudiants et membres du Cercle Petofi ont tous essayé d’établir un front commun avec les travailleurs.

Une initiative à Ujpest

Le 12 novembre, en même temps que se réunissaient les délégués du XIe arrondissement, une autre discussion importante avait lieu à Ujpest, à 30 milles de là. Lors de cette deuxième réunion à Ujpest, une tentative beaucoup plus consciente a été faite pour rassembler et organiser la force ouvrière sous une forme concrète - dans les conseils. Ce fut une journée mouvementée. Le matin, les membres staliniens de l’ancien Conseil d’Ujpest tinrent une réunion sous la protection attentive des chars soviétiques qui patrouillaient à l’extérieur. Mais, caractéristique de cette période, le Conseil ouvrier révolutionnaire d’Ujpest, organisme créé pendant la révolution, se présente également à cette réunion. Le résultat de cette « communion des âmes » fut bien sûr Bedlam. Les staliniens de la vieille garde ont bombardé la réunion de phrases révolutionnaires retentissantes, tout comme Kadar et ses amis, tandis que les membres du conseil ouvrier s’opposaient à tout. A la fin les staliniens sont partis, toujours protégés par les baïonnettes soviétiques, et l’organisation révolutionnaire est restée derrière, à leur place...

Réalisant l’impossibilité de la situation, les membres du Conseil révolutionnaire se sont déplacés dans une autre salle pour tenir leur propre réunion séparément. Comme c’était devenu l’usage, quelques jeunes intellectuels participèrent à la réunion. L’un d’eux s’est levé et a expliqué qu’une politique complètement opposée au gouvernement Kadar de la part des travailleurs serait inefficace, d’autant plus qu’elle ne pourrait pas être maintenue très longtemps. Pour cette raison, dit-il, les ouvriers devraient cesser d’avoir quoi que ce soit à voir avec les staliniens dans l’administration et avec le gouvernement central de Kadar ; s’ils voulaient des négociations, ils devaient s’adresser aux vrais détenteurs du pouvoir, l’armée et le gouvernement soviétique. Mais d’abord le chemin doit être préparé. La force organisée de toute la classe ouvrière devait être représentée, et cela ne pouvait se faire que par l’intermédiaire d’un conseil central des travailleurs. De plus, ce corps représentatif doit, comme tout tacticien, être en mesure d’utiliser toutes les armes dont disposent les travailleurs, par exemple la grève et d’autres formes de manifestation de masse. Il fallait donc absolument que le Conseil central ait l’entière confiance de la classe ouvrière.

Il a poursuivi en disant que, selon lui, pour les travailleurs, mettre l’accent sur les négociations avec Kadar, c’était admettre une reconnaissance au moins de facto de ce gouvernement. Le seul résultat de cette attitude serait que le gouvernement traiterait l’organe central comme un pion dans son propre jeu, ou le liquiderait simplement après un intervalle de temps discret.

Le Conseil ouvrier révolutionnaire d’Ujpest accepta rapidement la proposition de convoquer des délégués des conseils ouvriers pour entreprendre la constitution d’un Conseil central. Ils ont fait appel aux jeunes intellectuels présents pour rédiger et distribuer l’invitation. Ce fut fait, et le texte désormais historique, simplement intitulé Call , fut rédigé et approuvé par le Conseil.

L’Appel appelait les usines de Budapest « à envoyer leurs délégués du conseil à la mairie d’Ujpest à une heure le mardi 13 novembre afin de former le Conseil central ouvrier de Budapest ».

Il pourrait apparaître à première vue que ce sont les propositions des intellectuels qui ont décidé la formation du Conseil central. Mais en fait la proposition ne faisait que coïncider avec un mouvement déjà amorcé par les ouvriers vers une forme d’organisation plus coordonnée. »

https://www-marxists-org.translate.goog/history/etol/newspape/isj/1964/no018/nagy.htm?_x_tr_sl=auto&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr

Extraits de l’ « Appel du Conseil Ouvrier Central du Grand Budapest » du 27 novembre 1956 :

« Pour une Hongrie socialiste, indépendante et démocratique

Camarades ouvriers ! Le Conseil central ouvrier des usines et des arrondissements du Grand-Budapest élu démocratiquement par la base vous adresse un appel et des informations dans le but de resserrer encore nos rangs et de les rendre plus unis et plus forts. On sait que le Conseil central ouvrier du Grand-Budapest a été créé sur l’initiative des grandes entreprises, le 14 novembre dernier, afin de coordonner le travail des conseils ouvriers des usines et de se faire le porte-parole commun de leurs revendications. (…) Voilà pourquoi nous avons convié au Palais des sports, à Budapest, pour le 21 novembre dernier, les représentants de la province, des départements, afin que, à la réunion du conseil ouvrier national, nous discutions des questions les plus importantes qui nous préoccupent (…) Le gouvernement a interdit cette réunion. Cette mesure inattendue a envenimé la situation. Dès que l’interdiction a été connue, les ouvriers des usines de Budapest ainsi que les travailleurs des transports ont cessé le travail et ont commencé une grève de protestation, sans avoir reçu aucune directive du conseil central. (…) Nous étions prêts à reprendre le travail dans tout le pays, sans pour autant renoncer à notre droit de grève, à la condition expresse que le gouvernement reconnaisse le conseil ouvrier national comme seul organisme représentatif de la classe ouvrière et qu’il continue sans délai des négociations relatives à nos revendications. (…)

Le 23 novembre au matin, Jozsef Balazs, l’un des membres de notre délégation, a annoncé personnellement à la radio le résultat de ces entretiens. Le président du Conseil des ministres avait reconnu le Conseil central ouvrier du Grand-Budapest comme qualifié pour poursuivre les négociations et avait promis de soumettre au Conseil des ministres les revendications qui lui étaient présentées. (…) Force nous est de proclamer que toutes ces promesses ne constituent pas grand-chose. Néanmoins, nous avons décidé de reprendre le travail, car nous avons en vue les seuls intérêts du peuple. (…) Les usines se trouvent entre nos mains, entre les mains des conseils ouvriers. Afin d’augmenter encore nos forces, nous pensons que, en vue des mesures et actions unies, la réalisation des tâches suivantes s’impose :

1°) (…) former d’urgence des conseils ouvriers d’arrondissement et de département au moyen d’élections démocratiques organisées à la base. Les usines importantes et d’abord celles qui se trouvent dans les villes centrales de département devront prendre l’initiative de constituer des conseils centraux.

2°) Tout conseil central d’arrondissement ou de département doit se mettre immédiatement en rapport avec le Conseil central ouvrier du Grand-Budapest (15-17 rue Akacfa, téléphone 422130). Le président du Conseil central ouvrier est Sandor Racz, président du conseil ouvrier de l’usine Standard (Beloiannis), son adjoint est Gyërgy Kalocsai, délégué du conseil ouvrier des Huileries végétales de Csepel, son secrétaire est Istvan Babai, président du conseil ouvrier de la Compagnie des tramways de Budapest. Un représentant mandaté du conseil ouvrier départemental doit se rendre personnellement au secrétariat du Conseil central ouvrier du Grand-Budapest, afin d’organiser le contact et de s’entretenir des questions d’actualité.

3°) Une des tâches les plus importantes des membres des conseils ouvriers d’usine consiste à s’occuper non seulement de l’organisation du travail, mais aussi à élire d’urgence les conseils ouvriers définitifs. Au cours de ces élections, nous devons montrer la même énergie pour combattre l’agitation de la dictature rakosiste que celle de la restauration capitaliste. Les conseils doivent être composés d’ouvriers honnêtes au passé irréprochable ! Au sein des conseils, les ouvriers devront posséder une majorité d’au moins deux tiers. (…) Les directeurs d’usine doivent être élus par les conseils eux-mêmes après déclaration de candidature. (…)

4°) (…) Seuls les ouvriers ont combattu pour la création des conseils ouvriers et la lutte de ces conseils a été dans bien des cas entravés par les syndicats qui se sont bien gardés de les aider. (…) Nous sommes hostiles au maintien des permanents syndicaux rétribués. En effet, l’activité aussi bien au sein d’un comité d’usine qu’au sein d’un conseil ouvrier doit être un travail social bénévole. Nous ne voulons pas vivre de la révolution et nous ne tolérerons pas que qui que ce soit essaie d’en vivre. (…) Nous protestons contre la thèse des « syndicats libres » récemment constitués d’après laquelle les conseils ouvriers devraient être uniquement des organisations économiques. Nous pouvons affirmer que les véritables intérêts de la classe ouvrière sont représentés en Hongrie par les conseils ouvriers et que, en Hongrie, il n’existe pas actuellement un pouvoir politique plus puissant que le leur. Nous devons œuvrer de toutes nos forces au renforcement du pouvoir ouvrier. (…) »

Extraits d’un entretien avec Sandor Racz, président du Conseil ouvrier central du Grand Budapest, mené par Sandor Szilagy :

« (…) On imagine difficilement quel événement c’était quand la statue (de Staline) s’est ébranlée : le peuple au nom duquel on avait érigé la statue, était allé la renverser. Tout le monde fraternisait. Après le renversement de Joseph, et quand il ne restait plus que ses bottes sur le socle, des gens sont arrivés en camions pour nous dire d’aller à la maison de radio, qu’on y tirait sur les gens. Tous ceux qui ont pu se sont agrippés aux camions. Les rues étaient pleines de monde. Deux slogans retentissaient dans la ville : « les Russes dehors ! » et « Imre Nagy au gouvernement ! » Il y avait une telle foule que nous n’avons pas pu entrer à la radio. (…) Vers 10 heures, quatre blindés hongrois sont arrivés. Ils n’ont pas pu entrer dans la rue parce que les gens les ont encerclés, ont sauté sur eux et ont interpellé les officiers. (…) Le lendemain matin, (…) la foule allait et venait et moi je me suis mis à parler. (…) l y avait toujours cent ou deux cents personnes autour de moi. (….) le 29, nous nous sommes retrouvés à l’usine à environ cinq cents, dans la salle de spectacle. (…) Je ne me souviens plus qui a proposé de désigner un conseil ouvrier. Je ne me souviens plus non plus qui a proposé mon nom. Toujours est-il que moi aussi j’ai dû monter sur l’estrade. Finalement, le conseil ouvrier provisoire a eu quinze membres. (…) Je suis devenu agent de liaison avec l’arrondissement et les autres conseils ouvriers. (…) Nous avons décidé de reprendre le travail et d’organiser la surveillance de l’usine. Il nous paraissait évident que par la révolution nous avions obtenu que le directeur ne dirige plus, mais que ce soit nous qui prenions l’usine en mains. (…) En me promenant dans l’usine, j’ai enlever tous les portraits, toutes les étoiles, les statues et autres saletés. J’ai dit que ceux qui ne pouvaient pas vivre sans pouvaient les emmener chez eux, mais qu’on pouvait travailler sans tout ça. (…) Je vivais dans l’usine. Nous avions de quoi manger parce que nous recevions de la campagne des pommes de terre, de la viande, des oies. Ça aussi, ça appartient à la révolution, des paysans baluchon sur le dos qui viennent ravitailler les révolutionnaires. Le conseil ouvrier payait aussi les avances, du moins à ceux qui venaient les chercher. (…)

Depuis le début, je n’avais pas l’espoir que les Russes nous laisseraient ce que nous avions conquis. (…) Je n’étais pas d’accord non plus avec le fait que Maléter et ses gens aillent au quartier général soviétique qui était complètement coupé du monde. Le 4 novembre, à 4 heures du matin, on a entendu l’appel de Nagy à la radio. Vous ne pouvez pas vous représenter cette tragédie. C’était terrible d’entendre ce communiste qui demandait en pleurant aux Russes de ne pas faire de mal à la ville, à ce pays. Je l’entend encore, parce qu’ils ont lu l’appel en Russe aussi. (…) Quelque chose comme : je vous en prie, je vous en prie. On n’a entendu le premier coup de canon qu’une bonne demi-heure plus tard. Jusqu’au 6, il n’y a eu rien d’autre que des combats.

Nous étions dans l’usine. En tout, nous étions vingt, mais aucune arme, seulement des pistolets – ça n’aurait pas eu beaucoup d’intérêt. Moi, je me suis posté sur le toit de l’usine. De là, je voyais les projectiles, les bombes qui volaient partout. Nous étions sur les nerfs, dans une colère terrible. C’était un pays pacifique, calme, prêt à se mettre au travail, qu’on était en train d’attaquer !

Nous avons convoqué pour le 8 novembre une séance des conseils de l’arrondissement, dans la salle de spectacles de l’usine de Machines et Petits Moteurs. Il y avait environ cent personnes ; d’ailleurs notre but était seulement de donner un peu d’espoir aux gens. Unanimement, nous pensions que désormais les conseils ouvriers devaient jouer un rôle actif. Jusque là, nous ne mêlions pas de politique parce que nous avions confiance en Nagy. Nous le voyions comme la garantie de la révolution. Mais Kadar et sa clique l’ont vendu, lui et la révolution aussi. A ce moment-là tout le monde rejetait Kadar ; personne ne voulait lui adresser la parole – excepté les quelques personnes qu’il avait prises dans son gouvernement. Donc nous pensions qu’il fallait sauver le plus possible cette liberté que nous avions conquise et que c’était notre affaire. (…)

Le 12, il y avait entraînement et nous avons convoqué l’arrondissement à Beloiannisz. (...) Les gens sont venus des conseils ouvriers de l’arrondissement. J’en connaissais beaucoup de vue, puisque j’ai été agent de liaison. Durant ces journées, j’ai été assez actif. (…) A ce moment là, nous avions formulé nos exigences politiques : le départ des troupes soviétiques, le rétablissement du gouvernement Nagy, la reconnaissance légale des conseils ouvriers et des comités révolutionnaires. Quatre ou cinq des délégués les avaient formulés en points, en haut dans le bureau. Ensuite, nous avons voté. Ça, c’est important parce que le 14, Bali s’est rendu à la séance de fondation du Conseil Ouvrier Central à l’Egyesült Izzo, avec ce programme prêt. (…) Sanyi m’a raconté comment le Conseil Ouvrier Central avait été créé. (…) Le 14 au soir, Sandor S. Nagy, le fraiseur de Ganz, est venu dire à notre conseil qu’il avait convoqué une autre réunion (…) et que nous nous y fassions représenter. J’ai dit qu’on m’y envoie, car je trouvais quelque chose bizarre dans cette affaire. (…) Il y avait environ quatre cent personnes dans la grande salle ; ceux qui étaient à la table présidentielle étaient bien fringués, chemise blanche et tout – moi et les autres dans la salle, bien sûr en bleu de travail, dans lequel nous étions allés à l’usine. (…) Un grand jeune homme parlait à tort et à travers. (…) A très haute voix, je lui ai demandé de se présenter, de dire qui l’avait envoyé ici et comment. Il s’est avéré qu’il était étudiant et que deux individus étaient venus le chercher pour lui faire déclarer ce qu’il venait de dire. J’ai annoncé que cette séance n’avait aucun intérêt puisque le Conseil Ouvrier Central du Grand Budapest avait déjà été créé et qu’il n’y avait aucun besoin d’un contre-conseil ouvrier. Et donc que moi je m’en allais. Ceux qui voulaient connaître le véritable programme du Conseil Ouvrier Central pouvaient en prendre connaissance au 15 de la rue Akacfa. (…) Dix minutes plus tard, la foule commençait à se rassembler derrière moi. (…) Le conseil ouvrier a fait un rapport aux quatre cent personnes qui m’avaient suivi. Le rapport était à peine commencé que deux soldats russes ont fait irruption. J’ai bien entendu quand ils ont chargé leur mitraillette. Je me suis levé en sentant les deux mitraillettes dans mon dos. Je suis allé à la table et j’ai commencé à parler : « Même si deux soldats russes sont là dans la porte avec leurs mitraillettes, il faut que nous parlions des problèmes des travailleurs hongrois ! » La tension est tombée et les deux soldats sont partis. (…) C’est comme cela que j’ai été choisi au Conseil Ouvrier Central. (…) Jozsef Sandor aussi est arrivé à la séance – il faisait la liaison entre Kadar et le Conseil Ouvrier Central – et il a dit qu’il y avait eu un malentendu avec les Russes et, pour cette raison, il présentait les excuses du gouvernement. Moi, je ne le crois pas, qu’il y ait eu un malentendu. (…) Nous avions décidé avec Jozef Sandor qu’une délégation irait au Parlement. Environ dix personnes ont été choisies pour la délégation et j’étais parmi eux. Kadar n’est arrivé qu’à minuit et il a fallu attendre jusque là. (…) Les membres du gouvernement sont arrivés vers huit heures. Donc sont arrivés Biszku, Ribansky, Jozsef Sandor, Marosan et d’autres. Et, sans que tu t’en aperçoives, l’un était assis à droite, l’autre à gauche et tu étais soumis à un interrogatoire serré pour savoir ce que, en fin de compte, tu voulais. Là-dessus, Kadar arrive. (…) Dévenyi, notre chef, ne s’est pas du tout comporté comme il convenait de la part d’un ouvrier. Il salivait, gémissait, bégayait (…) Je me suis levé et j’ai dit : « Nous jacassons ici comme des pies, pendant que dans la rue on tire sur les ouvriers hongrois ! » (…) Une séance du Conseil Ouvrier Central était annoncée pour huit heures du matin. Après le compte-rendu de Dévenyi, j’ai demandé la parole et j’ai raconté ce qui s’était passé au Parlement. Puis j’ai proposé une motion de défiance contre Dévenyi. J’ai critiqué la conduite de toute la délégation. Ceux d’environ cinquante ans intervenaient plutôt en faveur de Dévenyi. Ils disaient que lui obtiendrait quelque chose avec ses marchandages. Par contre, les moins de quarante ans avaient des prises de position plus radicales (à ce moment-là, personne ne reconnaissait Kadar). J’ai été élu nouveau président du Conseil Ouvrier Central au scrutin secret. (…) Nous avons appelé les ouvriers à rentrer dans leurs usines et à y élire des conseils ouvriers définitifs. Les gens de Kadar disaient toujours que les conseils ouvriers n’étaient pas valables parce que les ouvriers n’étaient même pas dans les usines et avaient été élus par acclamation, comme si eux avaient été choisis par acclamation ! Antal Apro a dit qu’ils prendraient trois membres du Conseil Ouvrier Central dans le gouvernement. Alors, je lui ai dit : « Qu’est-ce que vous en pensez ? Qu’on m’a envoyé ici pour marchander un quelconque portefeuille ministériel ? Répondez-moi plutôt : quand est-ce que les troupes soviétiques partiront, quand Imre Nagy reviendra à la tête du gouvernement et quand les légalisera-t-on les conseils ouvriers ? A ce moment-là, les déportations battaient leur plein. Nous avions un comité de libération de trois membres, et c’est eux qui allaient au commandement russe pour faire éviter la déportation aux gens. (…)

Le Conseil Ouvrier National ne s’est jamais organisé. Nous avons convoqué les représentants des conseils ouvriers pour une conférence le 24, à 8 heures, au stade. Et plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées. Mais les tanks russes encadraient le stade, si bien que même une souris n’aurait pas pu passer. Nous sommes allés au siège de Memosz, mais on ne nous a pas laissés passer là non plus. Si bien qu’à soixante ou soixante-dix nous sommes allés rue Akacfa. Ne serait-ce parce que un ou deux envoyés de province seulement ont pu accéder à la petite salle, le Conseil Ouvrier National n’a pas pu s’organiser. (…) Là, nous avons décidé de faire grève les 22 et 23 pour protester contre l’interdiction de notre conférence et contre l’enlèvement de Imre Nagy. (...) Entre temps, on m’a désigné de nouveau comme président du Conseil Ouvrier Central du Grand Budapest. (…) Les discussions avec le gouvernement étaient de la comédie et ne servaient à rien. Ils nous ont fait discuter sur les modifications au programme du gouvernement. Nous avions proposé la reconnaissance par décret des conseils ouvriers et du Conseil Ouvrier Central du Grand Budapest, l’attribution des postes de directeur par concours et le droit des conseils ouvriers de renvoyer les directeurs, des choses dans ce genre. Mais le gouvernement se moquait de nous. Il a voulu nous donner une place au ministère de l’Agriculture, mais je n’ai pas accepté : nous n’étions pas un ministère ! (…) Je suis allé à Vezpren, à la création du conseil ouvrier du département. C’est eux qui m’avaient invité à leur séance inaugurale. J’étais assez exaspéré et je leur ai franchement raconté quel jeu le gouvernement menait avec nous. J’ai aussi participé à une autre séance d’un conseil ouvrier, à l’usine Etoile Rouge de Obuda. Le conseil était plein de communistes qui n’allaient pas dans la direction souhaitée par les travailleurs. Moi, j’y vais et j’ai organisé une véritable élection du conseil. (…)

Le 27, il y avait une nouvelle négociation avec le gouvernement. C’est moi qui ai dirigé cette délégation. (…) Quand Kadar est arrivé, je me suis avancé avec mes questions : « Qu’est-ce que pense Mr Kadar de ce qui se passe, de l’enlèvement d’Imre Nagy et de son équipe, de la grève, des condamnations des ouvriers… ? » C’était la fin de la négociation. Elle a repris le 6 décembre. Mais, à l’époque, les rapports avec le gouvernement s’étaient beaucoup envenimés. Le parti s’organisait, mais le Conseil Ouvrier Central aussi se renforçait constamment. Des groupes de travail se sont constitués : presse et information avec Miklos Sebestyen, le groupe pour l’organisation sous la direction de Férenc Töke, le groupe de travail sur l’économie et d’autres. Le 28, nous avons voulu publier le « Journal des travailleurs » sous la direction de Gyula Obersovsky. Nous en étions déjà aux premières épreuves quand Jozsef Sandor a téléphoné pour dire que le gouvernement considérait cela comme un acte d’opposition. D’accord, ai-je dit. Alors arrêtons la composition, qu’ils voient notre bonne volonté. Si bien qu’il n’y a eu qu’une feuille d’information, au stencil, qui a paru trois fois, la dernière fois, peut-être le 5 décembre. (…)

La deuxième étape a été celle des deux manifestations : celle des femmes et celle du 6 décembre contre le gouvernement. Pour la manifestation des femmes du 4 décembre, le Conseil Ouvrier central n’a pas donné son accord préalable par ce que beaucoup parlaient de provocation : on leur tirera dessus et ensuite on nous fera porter la responsabilité. Moi je n’étais pas d’accord, mais j’ai dû m’incliner devant la majorité. Finalement, la manifestation a été très belle et très émouvante. (…) L’autre manifestation le 6 était organisée par le Parti communiste et nous défiait. Ils sont arrivés à la gare de l’Ouest vers 4 heures, juste quand les travailleurs d’Angyalföld et de Ujpest arrivaient et ces derniers les ont bien battus. Le 6 justement nous étions au Parlement pour y apporter le Mémorandum. Les gens de Kadar ont voulu nous coller la responsabilité des troubles. (…) Nous avons convoqué pour le 8 la conférence des délégués du Conseil Ouvrier National. C’est Ferenc Töke qui l’avait convoquée. (…) La séance a commencé vers dix heures. Jozsef Sandor appelle pour nous dire de ne pas avoir l’audace de faire la conférence, parce que le gouvernement est absolument contre. (…) Ensuite, vers midi, il y a eu un deuxième coup de fil, beaucoup plus important : « on tire sur les travailleurs à Salgonarjan ! » (…) A l’unanimité, nous avons accepté la proposition d’une grève de quarante-huit heures. Le Conseil a aussi élaboré un appel aux travailleurs du monde dans lequel nous demandons qu’ils soutiennent les travailleurs hongrois dans la lutte qu’ils avaient entreprise, sans crainte pour leur vie. Cet appel est passé dans les journaux du monde entier. La grève du 11 et 12 et l’appel ont été nos derniers mots. Nous n’avions plus rien à dire à l’équipe Kadar qui, au lieu de négocier, nous tirait dessus. Le 11, les membres du Conseil Ouvrier central ont été arrêtés et le Conseil déclaré hors la loi. (…) Ma condamnation a été prononcée le 17 mars 1957 : perpétuité. (…) J’ai été libéré le 28 mars 1963, avec la grande amnistie. Je voulais retourner à l‘usine, à Beloiannisz, mais on ne me l’a pas permis ; environ vingt-cinq grandes entreprises ont ensuite refusé mon livret de travail, jusqu’à ce que je trouve du travail chez un mécanicien privé. (…)

En 1945-46, la solidarité créée par la guerre ne s’est pas développée dans l’intérêt des travailleurs hongrois. (…) Après 1945, le système n’a pas aidé à la formation et à l’approfondissement de la conscience ouvrière, mais au contraire, avec la création de ce régime de mouchard, il a désorganisé cette conscience ouvrière qui aurait dû donner naissance au véritable pouvoir des ouvriers. En 1956, ces ouvriers trompés ont clairement vu leur situation. Ils se sont rangés avec fermeté et résolution aux côtés de la révolution et ils l’ont défendue de toutes leurs forces. Ils l’ont fait parce qu’ils se sont rendus compte que c’était le moment historique favorable à la création d’une société sans exploitation en Hongrie. »

Lire encore sur la révolution des conseils ouvriers en Hongrie en 1956

https://www.matierevolution.org/spip.php?article2699

https://www.google.fr/books/edition/L_Octobre_hongrois_de_1956/oxKOCsk9LoMC?hl=fr&gbpv=1&dq=1956+hongrie+conseil+ouvrier&printsec=frontcover

https://collectiflieuxcommuns.fr/?850-hongrie-1956-les-conseils-ouvriers

https://libcom.org/article/hongrie-1956-le-proletariat-lassaut-du-ciel-mouvement-communiste

https://cras31.info/IMG/pdf/ce_que_furent_les_conseils_ouvriers-2.pdf

https://fr.internationalism.org/isme328/hongrie

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article5573

https://www.marxists.org/francais/broue/works/1956/00/broue_hongrie_02.htm

https://www.google.fr/books/edition/1956_Budapest_l_insurrection/TAic6euuwwUC?hl=fr&gbpv=1&dq=1956+hongrie+conseil+ouvrier&printsec=frontcover

https://www.google.fr/books/edition/Victoire_d_une_d%C3%A9faite/JcgjsmI3aucC?hl=fr&gbpv=1&dq=1956+hongrie+conseil+ouvrier&printsec=frontcover

https://www.lesbonscaracteres.com/epubs/Hongrie-1956.pdf

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