Accueil > 08- Livre Huit : ACTUALITE DE LA LUTTE DES CLASSES > La religion n’est pas le seul opium du peuple

La religion n’est pas le seul opium du peuple

lundi 12 décembre 2022, par Khider Mesloub

Football : stade d’exultation du fric et terrain d’exaltation de la violence

 

« Il y a assez de causes réelles de conflits pour ne pas les accroître en encourageant les jeunes gens à se lancer des coups de pied dans les tibias au milieu de rugissements de spectateurs en furie. » George Orwell.

 

Le football : véritable entreprise intégrée à la logique capitalistique

Les médias ont toujours présenté le football comme le meilleur vaccin pour promouvoir la paix entre les peuples, l’amitié entre les supporteurs. Or, à observer les fréquents heurts provoqués dans les stades, on redécouvre que le football, depuis plusieurs décennies, recèle un virus congénital qu’aucune vaccination rééducative ne parvient à endiguer : la violence. Jets de projectiles envers des joueurs, bagarres entre supporteurs et joueurs, pelouse envahie par des supporteurs, chants belliqueux et propos racistes : tel est le sinistre spectacle footballistique offert, depuis plusieurs années, dans les stades contaminés par virus de la haine et de la violence. Cette violence traduit la dépravation morale d’une société capitaliste en pleine crise économique et civilisationnelle, aggravée par les destructions sociales et psychologiques générées par la gestion calamiteuse de la pandémie de Covid-19 et la caporalisation des esprits actionnée pour apprivoiser les populations à la guerre généralisée imminente.

 

Comme l’écrivait l’écrivain George Orwell : « pratiqué avec sérieux, le sport n’a rien à voir avec le fair-play. Il déborde de jalousie haineuse, de bestialité, du mépris de toute règle, de plaisir sadique et de violence ; en d’autres mots, c’est la guerre, les fusils en moins ».

D’aucuns diraient que le stade est le terrain d’entraînement idéologique privilégié des États nationalistes bellicistes, qui se font également un honneur chauviniste de convertir les gradins en lieu d’exutoire où les foules fanatisées hystériques, galvanisées par une ferveur patriotique incendiaire, viennent en découdre avec les supporteurs du pays adverse.

Une chose est sûre, comme le disait Pierre Desproges : « Les hémorragies cérébrales sont moins fréquentes chez les joueurs de football. Les cerveaux aussi ». En revanche, sur le terrain et les gradins des stades, les hémorragies de violences coulent à profusion. C’est même la principale profession des fous du ballon rond.

Pour autant, le football demeure un sport au rayonnement planétaire éclatant de notoriété et succès. En témoigne l’inauguration imminente de la Coupe du monde au Qatar, qui sera suivie par plusieurs milliards de téléspectateurs (plus de la moitié de la planète – 3,7 milliards – avait regardé la Coupe du Monde 2018 : la finale entre la France et la Croatie avait rassemblé 1,12 milliard d’individus sur la planète).

L’occasion, pour nous, d’analyser le phénomène du football selon une approche historique et sociologique critique, et non pas sportive, encore moins footballistique.

 

La Coupe immonde du Qatar est recouverte de sang des martyrs ouvriers immigrés

 

Le football demeure un sport au rayonnement mondial indiscutable. Preuve nous est administrée par l’organisation quadriennale de la Coupe du monde : cette grand-messe planétaire footballistique orchestrée par l’organisation lucrative privée, la FIFA, les multinationales partenaires de la FIFA et les diverses organisations mafieuses, sans oublier les États nationaux toujours en quête d’événements cérémonials pour entretenir et attiser la fibre patriotique pestilentielle.

Cette année la Coupe du monde se déroule au Qatar, désertique pays de la péninsule arabique, composé de 2,9 millions d’habitants, dont 90% de la main d’œuvre est importée de l’étranger. Cette main-d’œuvre immigrée, vivant dans des conditions d’hébergement insalubres et de promiscuité déplorable, entassée parfois à 40 dans des cabanes sans eau courante, comme jadis les esclaves noirs-américains dans les grands domaines cotonniers des États du Sud, est payée à un SMIC fixé à moins de 200 euros par mois, alors que le PIB par habitant (qatari) était estimé récemment à 150 000 dollars par an, parmi le plus élevé au monde. À noter que, longtemps, pour travailler au Qatar, un étranger devait être « parrainé » par un Qatari, qui avait alors tous les droits sur lui, notamment l’empêcher de repartir dans son pays par la confiscation de son passeport.

Pour construire toutes les infrastructures de la Coupe du monde 2022 organisée au Qatar, les ouvriers étrangers devaient travailler plus de 11 heures par jour, sept jours sur sept, sous des chaleurs caniculaires, le tout payé entre 50 centimes et 2 euros de l’heure. Globalement, le salaire minimum des ouvriers correspond à moins de 2% du salaire moyen qatari (rapporté à la France dont le salaire moyen est de 2500 euros, cela reviendrait à payer un travailleur immigré à 50 euros par mois).

Par ailleurs, des milliers d’ouvriers sont décédés sur les chantiers, certains sont tout simplement morts d’épuisement à la tâche, subitement frappés de crise cardiaque, sous l’effet notamment des chaleurs de plus de cinquante degrés.

Au sein de cette féodale nation artificielle vivant de l’esclavage salarié importé du monde entier, les Qataris, sur leur propre territoire, constituent que la quatrième nationalité représentée, derrière les Indiens, les Bangladais et les Népalais. Selon les informations relayées par de nombreux journaux, pour la préparation de sa Coupe du monde, l’émirat du Qatar aura déboursé plus de 200 milliards de dollars, dont 140 milliards de dollars pour les infrastructures de transports et 15 milliards dans les installations hôtelières. Mais il aura également sacrifié 6750 travailleurs étrangers sur les chantiers, tués par les exploiteurs-hooligans qataris, ces négriers enturbannés des temps modernes. En tout cas, cette première Coupe du monde, organisée par un pays arabe du Golfe, est recouverte de sang des ouvriers morts pour construire les stades de la honte, les hôtels de l’ignominie, les infrastructures de l’abjection capitaliste.

La Coupe immonde de Qatar déborde de fric et de cadavres ouvriers immigrés.

De manière générale, assurément, en dépit de sa pollution par la logique marchande, le football conserve néanmoins sa légendaire dimension populaire. Certes, le football est devenu une véritable entreprise intégrée par le capitalisme, mais il représente toujours, pour la majorité des masses populaires, un spectacle divertissant. Sans conteste, le football, à l’instar de la religion à qui il s’apparente par ses rites solennisés et sa vocation sacrale universelle, est l’objet d’idolâtrie et de dévotion aussi bien par des hordes fanatiques belliqueuses que par des citoyens ordinaires « civilisés ». Et si, longtemps, il fut accompli avec un esprit amateur et ludique dans une ambiance conviviale et fraternelle, ces dernières décennies le football s’est radicalement métamorphosé par sa professionnalisation mercantile outrancière et son embrigadement idéologique chauviniste belliqueux. Le football est devenu le stade suprême de l’aliénation planétaire et le terrain topique d’extériorisation de la violence, de la haine et du racisme.

Devenu football-business, son esprit sportif convivial s’est altéré, érodé. Il n’en demeure pas moins que les classes populaires continuent à pratiquer le football dans un esprit amateur et cordial, à l’abri des attractions vénales. En effet, par la simplicité de ses règles, ce sport attire encore une masse importante d’amateurs, d’autant plus qu’il peut aisément et librement se pratiquer dans la rue, même à l’aide d’un ballon confectionné avec des moyens de fortune. Singulièrement pour des d’enfants en quête de jeux ludiques et éducatifs, il constitue une bonne école de distraction et de formation de l’esprit. Grâce à la fois à son jeu collectif mais aussi à ses foisonnants gestes techniques individuels, notamment les spectaculaires dribbles, le football représente un remarquable outil pédagogique de socialisation exercé dans l’euphorie. Outre la beauté du jeu, le football procure également de très fortes émotions lors des matchs. Le suspens tient en haleine les joueurs et les spectateurs jusqu’à la dernière seconde du match. Le football, c’est l’émotion de l’incertitude anxieuse et la possibilité de la jouissance orgasmique ludique.

 

Du football ludique au football disciplinaire

Historiquement, le football naît en Angleterre en pleine révolution industrielle et expansion de la classe ouvrière. Certes, le football, pratique sportive destinée à l’origine à la formation des futures élites anglaises, fut l’apanage des classes privilégiées, mais il fut progressivement adopté par les classes populaires comme exercice sportif ludique.

Au départ, sport amateur sans règles définies, il devint rapidement objet de sollicitudes de la part de la bourgeoisie pour mieux l’encadrer. En effet, au milieu du XIXème siècle, pour discipliner une jeunesse populaire turbulente et frondeuse, la bourgeoisie prit en charge ce nouveau sport désintéressé et bénévole pour lui insuffler, par une codification rigoureuse inspirée de l’univers carcéral du travail, l’esprit de compétition et de performance, de productivité et de rentabilité. Dès lors, pour enseigner les vertus de la discipline professionnelle et de la subordination sociale, mieux inculquer l’esprit d’obéissance à l’autorité dans les nouvelles manufactures, les patrons imposèrent aux ouvriers d’intégrer des équipes de football, sport réputé pour son apprentissage de la discipline (à l’instar du système scolaire carcéral imposé aux élèves, contraints de subir une discipline militarisée au sein d’une école où la soumission et le respect de l’autorité constituent les primordiaux apprentissages, gages d’une intégration réussie dans l’entreprise). Néanmoins, les ouvriers surent avantageusement utiliser ce nouveau sport par la création d’une forte solidarité au sein de l’équipe de quartier, matérialisée notamment par leurs rencontres dans les pubs, et plus tard dans les stades. Progressivement, le football devint un sport populaire, dans lequel la classe ouvrière se reconnut. Corollairement, par la pratique sportive du football, elle se forgea un esprit de lutte et de combativité. Aussi, grâce au football, les classes populaires, après des journées d’exploitation, trouvèrent-elles un exutoire pour se divertir.

À la même époque, les élites bourgeoises, aux fins de se démarquer des masses populaires fraîchement entichées du ballon rond, délaissèrent le football pour s’adonner à l’exercice d’autres sports réputés plus prestigieux, notamment le tennis et le golf.

Globalement, au point de vue technique, la codification du football fut établie au XIXème siècle. Ce fut en 1863 que 17 représentants des publics schools anglais se réunirent pour unifier les règles du football qui variaient alors d’un collège à l’autre. Tout un ensemble de règles encadra ensuite ce nouveau sport, notamment celles relatives à la superficie du terrain, définitivement fixées.

Inéluctablement, comme il sied à une société de classe, progressivement envahi par la logique capitalistique industrielle, le football calqua son fonctionnement sur la division du travail en vigueur dans les entreprises. À l’instar de l’atelier de la manufacture, la spécialisation des joueurs et des postes au sein de l’équipe fut instaurée. Dès lors, l’objectif devint productif : marquer des buts, autrement dit accumuler du « capital-point ». Seule importe la lucarne qui capitalise, sans jeu de mots, tout l’intérêt de l’enjeu footballistique, au détriment du terrain réduit à une surface d’affrontement guerrier occupée 90 minutes durant par des joueurs robotisés équipés de crampons pour neutraliser l’adversaire, abattre l’ennemi.

Le plaisir du jeu céda devant l’angoisse de l’enjeu. La créativité devant la rentabilité. L’esprit ludique devant la mentalité cupide. L’innocence sportive devant la rouerie athlétique. Éric Cantona, dernier dinosaure demeuré fidèle à l’esprit du football ludique collectif, à la question sur le plus beau but de sa carrière, répondit spontanément (j’allais écrire sportivement) : » Mon plus beau but, c’était une passe ! » Aujourd’hui, une telle réplique, pour son hérésie sportive, vaudrait à son auteur un bannissement définitif des instances footballistiques dominantes. Car le footballeur n’est pas payé pour jouer mais marquer des buts, remporter des victoires. Comme l’entreprise capitaliste ne fonctionne pas pour satisfaire les besoins humains, mais vendre ses marchandises, remporter des parts de marché, accumuler du capital. Au reste, c’est le même romantique Éric Cantona qui a déclaré « Le ballon, c’est comme une femme, il aime les caresses ». Les instances dirigeantes et les amateurs de football diront plutôt « le ballon rond, c’est comme la société capitaliste, il cultive les crasses ».

 

L’esprit d’équipe du football : terrain d’entraînement de discipline à l’usine

Dès la naissance du football, dans le cadre de la pacification des rapports sociaux, les instances patronales et religieuses s’invitèrent sur le terrain pour valoriser amplement ce nouveau sport fondé sur l’esprit d’équipe et l’efficacité collective, incarnant un modèle identificatoire idéal pour les travailleurs réputés pour leur insubordination. « Les patrons des usines mesurent l’intérêt et le prestige que peut leur apporter un club de football. Celui-ci, à la fois, permet une union plus forte entre les ouvriers et peut assurer une plus grande renommée à l’entreprise. » À l’instar de l’univers industriel, le football valorise la performance individuelle, le travail d’équipe, la division des tâches, la planification collective, la solidarité. Progressivement, le football devint le sport préféré de la classe ouvrière, tandis que le rugby (tennis et golf) deviendrait l’apanage des élites.

De même, ces instances favorisèrent le développement de la pratique du football et la fréquentation des stades. De fait, pour amortir la trop forte pression de l’exploitation salariale, les institutions patronales et étatiques incitèrent (excitèrent ?) les ouvriers à se défouler frénétiquement sur le terrain de football, pour les détourner de l’espace de la contestation sociale. Et, en manière de catharsis, sur les gradins des stades pour leur procurer une aire d’épanchement de leurs ardeurs combatives, une zone de purgation de leurs frustrations sociétales. 

Le football constitue ainsi une extraordinaire soupape de sûreté pour l’ordre établi. Un efficace instrument cathartique social apte à purger les énergies libidinales, un mécanisme de sublimation collective efficient. Le football est une excellente école d’usinage des esprits, de façonnement des comportements. Le football est l’antichambre de l’entreprise.

Au cours du XXème siècle, le jeu footballistique évolua, se perfectionna. D’amateur, il devint professionnel. Le jeu de passe se développa au détriment de la prouesse individuelle. Le football repose depuis lors sur la coopération et la construction collective du jeu. Les stades se muèrent en espaces de sociabilité populaire.

 

Football : espace d’expression politique et d’identité nationale au cours de la Révolution algérienne

Pour autant, dans certaines circonstances historiques exceptionnelles, le football devint un puissant catalyseur de revendications politiques. Parfois, des espaces d’expression politique. Le football servit même d’instrument de revendications politiques, d’affirmation d’identité nationale, de moyen de lutte anticolonialiste.

L’Algérie illustra de manière triomphale cette instrumentalisation politique du football comme arme héroïque de lutte. Dans sa lutte pour son indépendance, l’Algérie s’appuya entre autres sur le football pour lutter contre le colonialisme. C’est ainsi qu’en 1958, le FLN créa sa propre équipe de football, incarnée notamment par Rachid Mekhloufi de l’AS Saint-Étienne, Mokhtar Arribi et Abdelhamid Kermali. Ces joueurs, dont certains furent sélectionnés en équipe de France, abandonnèrent leur carrière et leur mode de vie confortable pour s’engager dans la lutte anticoloniale. À l’époque, à l’apogée de la lutte de Libération nationale, 29 footballeurs évoluant dans des équipes de la France métropolitaine, rejoignirent clandestinement la Tunisie pour se mettre au service de la Révolution algérienne. Grâce à leur notoriété, ces footballeurs mirent en lumière la cause algérienne.

Ces joueurs populaires algériens illustrèrent que la lutte contre le colonialisme ne pouvait plus être réduite aux doléances pacifiques politiques et à la marginalité revendicative. Aussi, la lutte anticolonialiste s’invita-t-elle sur le terrain du combat révolutionnaire. Elle refusa d’être toujours mise sur la touche. Elle brûla les règles de jeu imposées par l’adversaire pour chausser les treillis du maquis et enfiler la tenue de combat. Des gradins parlementaires, le combat descendit sur le terrain militaire. De défensive, la lutte devint offensive. Le jeu de plume sémantique céda devant le fusil d’attaque héroïque. Les gardiens de la Révolution algérienne n’eurent qu’un but : remporter la victoire.

Après l’indépendance, après avoir servi de caisse de résonance anticoloniale, les stades de football deviendront des espaces de revendications politiques et sociales pour la jeunesse algérienne paupérisée, issue des quartiers populaires, en butte à la déchéance sociale et la misère affective et sexuelle. En effet, depuis le début de notre siècle, notamment sous le régime de Bouteflika, avec l’émergence de la culture ultra (supporteurisme radical), lors des rencontres de football, les stades servirent régulièrement de tribunes d’expression de contestation politique contre le régime, matérialisée notamment par les chants des supporteurs des clubs de la capitale. Lors de chaque match, les supporteurs de certains clubs entonnaient des hymnes de contestation dont le plus célèbre est La casa del Mouradia, chant composé par les supporteurs de l’Union sportive de la médina d’Alger (USMA). Ce chant fut fréquemment repris par les foules lors des manifestations hebdomadaires au cours de l’Acte I du Hirak.

La casa del Mouradia, emblématique hymne footballistique, résume ce que pensait du régime la majorité de la jeunesse algérienne. Ces multiples chants fustigeaient le despotisme étatique, la corruption des dirigeants, la misère, le chômage, la hogra. On peut citer, en vrac, d’autres célèbres tubes footballistiques : celui des supporteurs du Mouloudia Club d’Alger (MCA), 3am Saïd (« Bonne année » ) ; de l’Union sportive de madinet El-Harrach (USMH), Chkoun sbabna ? (« Qui est coupable - de nos malheurs - ? ») ; Quilouna (« Foutez-nous la paix » ; Babour ellouh (« Barque de bois », 2018), qui évoque la situation des harraga. En Kabylie, les berbéristes se servent également des stades pour clamer des slogans hostiles au pouvoir, utiliser les gradins comme tribune de propagande pour appuyer leurs revendications ethnolinguistiques, voire sécessionnistes. Lors de certains matchs, d’aucuns brandissent le folklorique emblème tribal amazigh, entonnent des chants chauvinistes berbéristes pour proclamer leurs particularismes culturels.

Sur le continent Sud-américain, dans les pays latino-américains, le football représenta également un moyen de lutte et d’émancipation. Par exemple, au Brésil, à l’origine le football fut l’apanage de la bourgeoisie blanche. Progressivement, sans jeu de mots, les afro-brésiliens envahirent le terrain et s’emparèrent du ballon pour se transformer grâce au dribble en artistes du football. Avec l’entrée en jeu des afro-brésiliens dans le football, le terrain dès lors devint une scène de spectacle où les plus belles prouesses footballistiques se déployaient au grand bonheur des spectateurs ébahis. Contrairement au football européen demeuré encore très rigide (frigide ?), car il valorisait toujours la rigueur et la discipline.

De nos jours, les joueurs du monde entier ont adopté la technique de jeu martiale européenne. Ils sont devenus les mercenaires des capitalistes en quête d’investissements fructueux. Les joueurs ne mouillent pas seulement le maillot dans le milieu du terrain, mais ils sont aussi mouillés avec le milieu mafieux du football-business international. (Ces millionnaires en crampons se mouillent aussi bien dans les mœurs des affaires que dans les affaires de mœurs – affaires des prostituées).Assurément, le Brésil incarne le football créatif et distractif. L’Europe, elle, personnifie le football normatif et combatif, et surtout lucratif. Dans le football de cette dernière, prime le jeu défensif et discipliné. Le résultat prime sur la qualité du jeu, tandis que le football brésilien valorise le jeu offensif et créatif ; la gratuité du geste contre l’avidité du gain ; le beau jeu intelligent contre le laid enjeu argent. Nous avons affaire à deux mentalités sportives radicalement antinomiques.

Cependant, ces dernières décennies, quel que soit le continent, le football est soumis à la même logique mercantile : le fric.

Marchandisation du football

De toute évidence, au cours de ces dernières décennies, le football a subi d’énormes transformations. On a assisté à une profonde marchandisation du football. Force est de constater que le jeu sur la pelouse ne constitue que le paravent sportif pour dissimuler d’autres enjeux, notamment financiers : droits de retransmission télévisée, recettes, produits dérivés, contrats de sponsoring, sommes faramineuses tirées des transferts, et autres opérations occultes, par exemple les fameuses caisses noires. 

En cela, le football incarne l’idéologie dominante car il correspond aux valeurs préconisées par le capital. Les clubs de football, convertis à l’économie de marché, sont devenus de véritables entreprises capitalistes. Certains clubs sont cotés en bourse. Nul doute, le football n’est pas seulement un jeu sportif, il constitue surtout un enjeu économique. Mais également politique. Le football constitue une formidable hypnotique distraction collective capable d’occulter tous les autres événements sociaux.

Le football est le sport politique par excellence. Comme l’avait écrit l’ethnologue Christian Bromberger : » Il (le football) se situe au carrefour de questions capitales comme l’appartenance, l’identité, la condition sociale et même, par son aspect sacrificiel et sa mystique, la religion. C’est pourquoi les stades se prêtent si bien aux cérémonies nationalistes, aux localismes et aux débordements identitaires ou tribaux qui débouchent parfois sur des violences entre supporters fanatiques ».

Le football sert d’exutoire aux nationalismes et d’adjuvant aux guerres

À cet égard, force est de constater qu’on a assisté à une manipulation et récupération politique du football. Sournoisement, le football sert d’exutoire aux nationalismes et d’adjuvant aux guerres. Les tribunes des stades constituent les seules sphères de tolérance de débridement des exaltations hystériques collectives, d’expression des aversions et hostilités bannies par ailleurs dans la vie ordinaire.

Dans le football, au-delà de l’expression des émotions névrotiques, on assiste également à l’éruption volcaniques des particularismes primitifs, des conduites tribales. À notre ère des tribus (des petits groupes, des réseaux sociaux, des communautés identitaires et religieuses) où la Raison a été mise au vestiaire, remplacée sur le terrain sociétal par les affects et les émotions, tous les tacles comportementaux sont permis pour réussir socialement, souvent au détriment d’autrui laissé sur la touche. Un chroniqueur a déclaré « Au football seul le ballon n’est pas payé, c’est pourtant lui qui se prend le plus de coups ». Il a oublié d’ajouter que les joueurs et les supporteurs se prennent également des coups. Et gratuitement. Les supporteurs, en adeptes du sport du Talion, se font toujours un plaisir de rendre la monnaie de leur pièce à leurs rivaux.

Le club de football personnifie la tribu. Et chaque supporteur défend sa tribu. Comme à l’époque antique, devant une nécessité impérative, périodiquement, certaines tribus se fédéraient pour constituer une armée homogène afin de combattre un ennemi commun. De nos jours, cette armée est incarnée par l’Équipe Nationale constituée de joueurs appartenant à divers clubs. Parce que les guerres interétatiques et intraétatiques sont interdites (du moins officiellement les États ne se font pas la guerre tous les jours), par l’effet de sublimation, ces clubs-tribus se livrent légalement des conflits sur le terrain et les gradins des stades.

On peut également les qualifier de vendetta moderne, ces vengeances qui se perpétuaient de génération en génération entre différents clans qui se vouaient une haine meurtrière inexpiable. Excepté qu’aujourd’hui ces revanches entre clubs ennemis sont codifiées par des normes officielles régies par des instances nationales footballistiques civilisées. Certains supporteurs de clubs cultivent des inimitiés irréconciliables, une hostilité fanatique, une haine meurtrière à l’encontre des supporteurs d’un autre club qui rappellent étrangement le phénomène de la séculaire vendetta fondée sur la défense de l’honneur et la vengeance.

De manière générale, régulièrement, dans de nombreux pays les matches de football donnent lieu à des explosions de chauvinisme et de xénophobie. Même les États s’y mêlent. Lors des matches impliquant les équipes nationales, responsables politiques et supporteurs n’hésitent pas à se livrer à des hystériques surenchères d’expressions ethnico-identitaires, communautaristes, nationalistes, à la limite du racisme. Seul le football est capable de produire cette sorte de comportements antisociaux. Ainsi, au nom d’une passion infantile confinant à l’intoxication mentale, le football légitime et banalise ces hystéries chauvinistes et tribales collectives.

En résumé, le football est la préparation de la guerre par d’autres moyens, le spectacle civilisé de la violence collective « tolérée ».

Beaucoup de fanatiques footeux ne jurent que par le football, et n’injurient que pour le football. Par ailleurs, le football enferme les identités nationales ou régionales dans des identifications mystificatrices (Barcelone, PSG, JSK, MCA, etc.) générant des comportements de rejet et de haine de l’autre, alimentant des sentiments de vengeance, de revanche (mettre une « raclée », une « déculottée », une « branlée »).

Symptomatique d’une pathologie inhérente au football contemporain, lors des matches internationaux, les supporteurs sont envahis par des élans irrationnels d’identification mimétique à la « mère patrie », donnant lieu à des stigmatisations outrancières de l’adversaire, à des slogans racistes doublés souvent d’agressions physiques, au déferlement du chauvinisme, de l’ultranationalisme, de violences interethniques.

 

Football : débordements de violences et déchaînements de haine

Plus inquiétant encore, il n’y a qu’avec les matches de football où les stades et les alentours font l’objet d’une bunkérisation milataro-policière pour permettre le déroulement « normal » de la rencontre du match sous haute surveillance. Aucune autre manifestation sportive ou culturelle ne suscite de tels déchaînements de violence, furieusement perpétrés en dépit de l’instauration de mesures draconiennes de sécurité matérialisées par le déploiement massif de forces de l’ordre. De fait, nonobstant toutes ces mesures sécuritaires, les matches sont fréquemment émaillés de débordements de violences et de déchaînements de haine (les graves incidents qui se sont produits à Magra lors du match des quarts de finale de la coupe de la Ligue entre le NCM et la JS Saoura viennent rappeler l’ampleur de la violence dans les coulisses des stades).

Ainsi, le football est le seul sport qui se joue sous la clique du fric et de la trique du flic.

À cet égard, force est de constater que la caractéristique essentielle de la peste émotionnelle footballistique est son pouvoir de contamination. Rien n’est plus contagieux que la peste. Mus par l’esprit de meute ou de horde, les shootés du ballon rond transforment souvent les stades en terrains d’affrontements violents généralisés meurtriers. Il ne faut pas oublier les responsabilités du football-business dans les massacres du Heysel en 1985 et de Sheffield en 1989. Ni les responsabilités des forces de l’ordre dans la mort de 131 spectateurs indonésiens. En effet, le 1 octobre 2022, le soir du match, après la défaite de leur équipe, pour exprimer leur mécontentement des centaines de fans avaient pénétré sur le terrain. En riposte, la police indonésienne lança aussitôt des volées de gaz lacrymogène vers les gradins bondés. Les spectateurs se précipitèrent en masse vers les portes étroites de sortie où ils furent piétinés par la foule, et étouffés par la grande quantité de gaz lacrymogène déversée par la police. Au reste, les familles des victimes et les supporteurs « survivants » accusèrent les forces de l’ordre d’avoir réagi de façon disproportionnée et irresponsable.

Contrairement à l’opinion communément répandue, de nos jours le football ne constitue pas un vecteur d’intégration sociale, de concorde civile ou d’amitié entre les peuples. Au contraire, la réalité effective des terrains nous prouve qu’il remplit une fonction réactionnaire de dépolitisation, de grégarisation régressive et d’exutoire aux frustrations libidinales et sociales, de diversion idéologique, de déversoir hystérique.

À cet égard, si le football est producteur de violences sociales, vecteur d’agressivités nouvelles, cela tient aussi à sa structure même : le football est organisé en logique de compétition et d’affrontement ; il est fondé sur le principe de rendement et de hiérarchie, normes inhérentes à la société capitaliste foncièrement belliqueuse.

 

Football : régression au stade « baballe »

 L’apothéose de l’aliénation se vérifie en ces temps de crise économique et sociale. En effet, il est pathétique que, au sein des populations, l’unique sujet de conversation quotidien soit le football. À cet égard, en matière de commentaires footballistiques, chaque individu rivalise d’ingéniosité pour s’improviser expert sportif de comptoir de café ou de boutique de rue. Selon la topique psychique freudienne, on est en pleine régression au stade « baballe », où les déjections logorrhéiques footballistiques dominent la personnalité.

Pour autant, au-delà de la « fête populaire », le football a toujours été au service des politiques réactionnaires, du dévoiement des luttes sociales, vecteur de distillation du chauvinisme, d’obscurcissement de la conscience de classe. Le football est le seul sport dépourvu d’« innocence politique ». Les grandes messes footballistiques ont souvent servi à légitimer diverses dictatures et régimes autoritaires, manipulations politiques. 

Pour l’historien Eric Hobsbawm, le football c’est « la religion laïque du prolétariat », confiné dans la vénération de ces nouveaux Dieux du ballon rond. Pour apaiser les affres du prolétariat, le football s’est converti à l’affairisme capitaliste, par ses promesses paradisiaques de promotion sociale et d’enrichissement facile censément octroyés à tout jeune adepte du ballon rond. Une chose est sûre : le football est un efficient instrument de mystification idéologique et de démobilisation politique.

Le plus révoltant à l’occasion de la dernière Coupe du monde organisée en Russie, c’est qu’au moment où tous les supporteurs de la majorité des pays communiaient joyeusement dans l’extase tonitruante, partout les systèmes des protections sociales étaient pulvérisés dans un silence assourdissant d’aliénation.

De même, au moment où se déroulait l’Euro en juin et juillet 2021, en pleine panique pandémique politiquement instrumentalisée, les gouvernants poursuivaient leur politique antisociale, accéléraient la militarisation de la société, aggravaient la paupérisation des populations. Et l’actuelle Coupe du monde ne dérogera pas à ce dévoiement.

Assurément, les classes populaires préfèrent s’emparer des tribunes des stades que d’occuper les terrains centraux politiques. Préfèrent succomber aux « passions vibratoires » et aux « extases » footballistiques que de se passionner pour de vibrantes causes politiques émancipatrices. Chaque adepte du foot réclame sa dose d’opium footballistique pour assouvir son addiction, loin des tribulations politiques et sociales mais près des tribunes des stades hystériquement envahies.

 

Football : véritable multinationale capitaliste

Le paroxysme de l’aliénation se déroule dans les stades. Faire jouer les spectacles footballistiques par des acteurs mercenaires millionnaires devant des smicards et des chômeurs constitue en effet l’apothéose de l’aliénation planétaire. Par rapport au néant que les joueurs produisent, on ne peut que s’alarmer sur l’état mental de leurs supporteurs.

En conclusion, Nul doute, si autrefois le football était un spectacle ludique collectif populaire, depuis plusieurs décennies il est devenu une véritable multinationale capitaliste où les joueurs sont achetés, vendus ou échangés comme des chevaux de course ou des call-girls de luxe. À l’ère de la mondialisation, l’achat et la vente des footballeurs s’apparentent à de modernes formes de traite d’êtres humains.

Le football professionnel brille par ses multiples prouesses mafieuses : escroqueries, caisses noires, dessous de table, salaires et primes non déclarés, faux en écriture, détournements, fraudes, truquages, etc. Toutes les normes capitalistes, valorisées dans le monde de l’entreprise, sont propagées dans l’univers du football : culte de la performance, dépassement de soi, virilité, force physique, victoire sur l’autre, etc.

 

Football : agent de diversion social, soupape de sûreté pulsionnelle

En outre, le football est devenu un instrument de politique d’encadrement pulsionnel des foules, un moyen de contrôle social, une intoxication idéologique saturant tout l’espace public. À cet égard, il représente pour les États un idéal agent de diversion social, une soupape d’échappement permettant la dissolution de l’individu dans la masse grégaire anonyme, un terrain propice au conformisme des automates. Ces porteurs d’un ballon à la place du crâne ressemblent à ces animaux mus par un fonctionnement mimétique, instinctuel.

De nos jours, le football est devenu une véritable machine à décerveler les consciences, une entreprise de massification régressive des émotions, de chloroformisation des esprits, de crétinisation culturelle, de colonisation des conduites par le conformisme grégaire, de fanatisation des masses par les chauvinismes hystériques.

Le football sert d’exutoire à ces shootés du stade, toxicos du foot, décérébrés des stades. Le football, comme tous les sports de compétition, stimule l’agressivité, excite les rivalités, intensifie les tensions, attise les haines, exacerbe les conflits, déchaîne les violences, enflamme les foules fanatisées, exalte les chauvinismes, incite aux crimes. Il recèle même un ferment de radicalisme. Certains de ses fanatiques supporteurs ne sont-ils pas « fichés S », interdits de stade en raison de leurs activités violentes.

Décidément, l’opium footballistique s’apparente à la drogue islamiste où la violence est érigée en référent culturel, en sport international.

Dans le football, les explosions de bonheur s’apparentent davantage à des décharges pulsionnelles primaires bestiales qu’à des expressions de sentiments liés à une sociabilité pacifique fondée sur l’amour et la fraternité.

Le football est la meilleure école de la guerre (autre point commun avec l’islamisme belliqueux qui utilise non pas le ballon rond pour dynamiser les foules mais la bombe explosive pour dynamiter des populations civiles innocentes) : guerres des quartiers, des régions, des nations, guerres des maillots, des sponsors et des télévisions, guerres ethniques, guerres des supporteurs, transformées souvent en guerres civiles.

Par ailleurs, le football est un terreau fertile du racisme (dernier acte raciste, qui plus est en Algérie : l’attaquant nigérien du NC Magra, Soumana Boubacar Hainikoye, a été victime d’insultes racistes de la part d’une partie des supporteurs de l’équipe locale et des dirigeants du club, JS Saoura, selon les informations. En 2014, le joueur africain, l’attaquant camerounais, Ebossé, évoluant dans l’équipe de la JS Kabylie avait succombé après avoir reçu des projectiles lancés sur lui par des supporteurs), de la xénophobie, de l’antisémitisme, de l’exaspération des appartenances identitaires, de l’exaltation des différences, des crispations communautaristes, des haines amoureusement partagées dans les stades (encore des affinités électives avec l’islamisme qui aime partager son islam haineusement).

Assurément, ces dernières décennies, nous vivons à l’ère de l’horreur footballistique généralisée : violences, dopage, magouilles, crétinisme des supporteurs et joueurs, etc. 

Force est de relever que le football est belligène. Le football est la continuation de la guerre par d’autres moyens. Le football est la praxis de la polémologie, théorie de la guerre. Le football est devenu le dernier terrain d’affrontement direct entre pays antagonistes. L’esprit d’invincibilité, incarné dans le moral de l’équipe de football soudée comme une troupe militaire, est l’élément capital qui permet de gagner ou perdre la guerre footballistique, autrement dit le match.

Pour conclure, nul doute, le football ne recèle aucune créativité artistique. Il est à l’art ce que la nuit est au jour : il n’offre aux yeux aucune lumière esthétique. La nuit sombre reproduit les mêmes ténébreux aveuglants et angoissants paysages minuscules dépourvus de tout horizon. Le jour au contraire offre au regard un majestueux illimité spectacle de la nature perpétuellement métamorphosée. Chaque matin une nouvelle chorégraphie naturelle ouvre le ballet de la danse du jour.

 

Monotone répétition mécanique des gestes techniques

Dans le football, il n’existe aucune créativité. C’est la monotone répétition de l’ancien, la répétition des mêmes gestes techniques, la reproduction des mêmes schémas tactiques acquis au cours des entraînements. C’est l’éternel recommencement du même jeu appris mécaniquement lors des apprentissages-dressages des jeunes footballeurs soustraits tôt à l’école pour être livrés à des centres footballistiques disciplinaires, comme des esclaves. On se croirait à l’usine, soumis à la cadence et au chronomètre.

De surcroît, si la chorégraphie sur la pelouse se réduit aux ballets de la violence et des chocs brutaux, l’œuvre d’art, au contraire, incite à penser, invite à stimuler l’imagination, incline à varier sans fin les œuvres, à bouleverser constamment les règles de la création. Si l’art s’inscrit dans un horizon infini de perspectives où l’imagination prend son envol pour atteindre le firmament de la création, le football, lui, s’exerce aux ras des pâquerettes dans un périmètre restreint où le seul enjeu est de projeter un ballon dans la lucarne.

Qui a dit que (seule) la religion est l’opium du peuple ?

« Un intellectuel est quelqu’un qui regarde une saucisse et pense à Picasso », avait dit l’humoriste anglais Alan Patrick Herbert. Nous ajouterons pour notre part, en guise de note finale humoristique : Un footeux est quelqu’un qui couche avec sa femme et pense à Ronaldo.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.