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7-14 Sociologie et prolétariat

dimanche 28 septembre 2008, par Robert Paris

Bourgeoisie et prolétariat aujourd’hui

Depuis l’effondrement du bloc de l’Est, les tenants du libéralisme se sont déchaînés de la façon la plus caricaturale contre le marxisme, n’hésitant pas à proclamer la fin de la lutte des classes, des classes sociales, voire la fin du travail, à travers des idéologies libérales qui avaient pour fonction de justifier le chômage massif et permanent.

Le meilleur démenti à ces thèses est la réalité sociale. L’accroissement des inégalités et de l’exclusion a obligé quelques politiciens comme Chirac a tenir compte de la " fracture sociale ", à prétendre que leur priorité serait l’emploi… tout en annonçant de nouveaux cadeaux aux entreprises, c’est-à-dire à la bourgeoisie...

Face à ces discours hypocrites et aux caricatures, les salariés, par leur retour dans l’arène des luttes et de la politique depuis 1995, ont rappelé à tout le monde qu’ils existaient bien en tant que classe, que la lutte des classes n’est pas finie, bien au contraire.

Sur cette question, beaucoup d’analystes projettent sur la réalité sociale leurs propres préjugés. Cette confusion amène certains à penser que la montée de l’individualisme provoquerait la dilution des classes sociales, ou que le recul des vieux appareils de la classe ouvrière, PC, PS, syndicats, marquerait la fin de cette classe.

Nous voulons discuter des faits, des rapports sociaux, de la réalité de la division de la société en classes, de l’exploitation. Le capitalisme a évolué depuis que Marx en a expliqué le fonctionnement. Il nous faut intégrer ces évolutions pour le critiquer, c’est-à-dire militer pour sa transformation révolutionnaire.

Peut-on encore parler de bourgeoisie comme d’une classe à part quand on voit le flot grossissant des petits actionnaires qui détiennent une petite part de propriété des entreprises ?

Peut-on encore parler de prolétariat, quand la majorité des salariés ne travaillent plus dans des usines, et quand la dégradation de la situation sociale, le chômage permanent, la grande pauvreté, plongent dans l’exclusion une fraction toujours plus nombreuse de la population ?

La " tertiarisation ", l’augmentation du nombre de salariés dans les services par rapport à l’industrie, oblige-t-elle à reconsidérer le fonctionnement du capitalisme, de l’exploitation salariée ?

Nous allons discuter des faits pour répondre à ces problèmes, car c’est de cette réalité de la lutte des classes entre bourgeoisie et prolétariat que découle notre perspective révolutionnaire. Comme le disait Marx : " la bourgeoisie n’a pas seulement forgé les armes qui la mettront à mort ; elle a produit aussi les hommes qui manieront ces armes, les ouvriers modernes, les prolétaires " (Manifeste du parti communiste).

Définition des classes et rapports de classes

Il convient de souligner que les idées de Marx sur les classes sociales ne relèvent pas de la sociologie, d’une science neutre qui se bornerait à un constat des faits sociaux. L’objectivité sur les questions sociales ne peut pas être un regard au-dessus de la mêlée, qui ne prendrait pas partie. L’objectivité est de choisir radicalement le point de vue des opprimés : " Etre radical, c’est prendre les choses par la racine. Or, pour l’homme, la racine, c’est l’homme lui-même. … [Ce qui] aboutit à cette doctrine, que l’homme est, pour l’homme, l’être suprême. Elle aboutit donc à l’impératif catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l’homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable. " (Contribution à la critique du droit de Hegel)

La description des faits est la meilleure critique de la société pour la transformer. C’est dans cette perspective que Marx reprend l’analyse des classes sociales qu’il n’a pas inventée : " Ce n’est pas à moi que revient le mérite d’avoir découvert l’existence des classes dans la société moderne, pas plus que la lutte qu’elles s’y livrent. Des historiens bourgeois avaient exposé bien avant moi l’évolution historique de cette lutte des classes et des économistes bourgeois en avaient décrit l’anatomie économique ". (Marx, Lettres sur le capital)

Pour ces historiens des lendemains de la Révolution française, les classes s’étaient manifestées et construites dans la lutte. L’histoire des siècles passés était celle des luttes de la bourgeoisie pour son émancipation économique et sociale et pour de nouveaux droits politiques, luttes contre la noblesse et la monarchie, dont l’étape ultime fut leur renversement.

Marx se situe dans la continuité de ces historiens nourris de la Révolution française. Il écrit : " Toute l’histoire de la société a été jusqu’à présent l’histoire de la lutte des classes " . Il montre que la bourgeoisie n’est pas une classe figée, mais une classe menant un combat permanent pour sa domination. Arrivée au pouvoir, elle poursuit ce combat contre la classe qui la menace, le prolétariat, négation de la propriété privée.

Les classes ne sont donc pas simplement une notion sociologique, pour laquelle il s’agirait d’étudier revenus, culture, habitudes, lieux d’habitation, éducation, goûts vestimentaires… Mais une question politique qui se comprend comme un rapport de forces entre des puissances économiques, sociales, idéologiques, politiques. Marx définit la classe comme un " ensemble de personnes jouant un rôle analogue dans la production, ayant dans le processus de production des rapports identiques avec d’autres personnes " (Le Capital). On ne peut pas définir une classe de façon isolée, ce qui la définit ce sont ses rapports avec les autres classes dans le mode de production, et plus précisément comment une classe s’approprie le surtravail produit par une autre classe.

Dans le système esclavagiste, l’esclave est dépossédé de lui-même, il est nié en tant qu’être humain. Ce n’est pas seulement le produit du travail qui est approprié par le maître d’esclave, mais le travailleur lui-même, acheté sur le marché aux esclaves, et qui devient sa propriété privée, sans droit ni liberté.

Dans le système du servage, le serf travaille quelques jours sur un lopin qui est à sa disposition, et il doit effectuer des jours de travail sur des terres seigneuriales ou du clergé, c’est le produit de ce travail qui est approprié directement par les classes dominantes.

Le mode de production capitaliste a révolutionné les rapports de classes précédents. Dans ce mode de production, ce qui définit le prolétariat, c’est qu’il ne possède rien d’autre que sa force de travail qu’il est obligé de vendre contre un salaire, pour une certaine durée, au patron, membre de la bourgeoisie qui, elle, possède le capital dont les moyens de production pour l’exploiter.

Cette dernière forme d’exploitation plus masquée que les précédentes, peut paraître moins brutale que ne l’était par exemple l’esclavage. Mais en réalité la brutalité du capitalisme ne connaît comme limite que celle que les salariés lui imposent par leur résistance et leur lutte.

Le caractère révolutionnaire du capitalisme réside dans le bouleversement permanent des rapports sociaux qu’il entraîne. Les modes de production précédents se reproduisaient et progressaient lentement. Les découvertes, les progrès de la science et de la technique poussent la bourgeoisie à révolutionner sans cesse les moyens de production et à élargir à tous les continents les marchés pour écouler sa production. Poussée en avant par la boulimie de profit et la concurrence, bousculée par la succession des crises et de reprises économiques, la bourgeoisie élimine toute stabilité de la société. Mais au cœur de ces transformations permanentes, l’exploitation, elle, demeure.

Pour bien des économistes ou des sociologues, l’exploitation réside dans la brutalité du travail en usine, dans les mines etc. Elle serait la caractéristique d’un capitalisme du 19ème siècle. Pour le reste, il n’y aurait qu’un contrat librement passé entre un salarié et un employeur.

Ce qui est masqué, c’est que c’est dans le processus même de la production que réside l’exploitation, dans le fait que la force de travail achetée par le patron pour une certaine durée produit bien plus de valeur que le patron n’en rend au salarié sous forme de salaire. C’est de cette valeur supplémentaire produite par le travail, la plus-value, que le patron tire son profit.

A l’échelle de l’ensemble de la société, le prolétariat industriel produit l’immense majorité des biens. Une part lui revient sous forme de salaire. L’ensemble de la plus-value dégagée dans la production est ensuite répartie entre le profit des actionnaires ou des propriétaires d’usines, les dettes des entreprises auprès des groupes financiers, des banques, des propriétaires terriens. Une part revient aussi aux capitalistes du commerce qui sont les intermédiaires entre les industriels et les consommateurs. Une part enfin constitue les impôts pour l’Etat.

Le prolétariat des services, s’il ne crée pas directement de plus-value, est exploité par la bourgeoisie pour réaliser la plus-value, comme les salariés de la distribution, de plus en plus nombreux, qui en assurant les tâches commerciales permettent au produit d’être vendu à son consommateur, et enfin d’être converti en argent sonnant et trébuchant ou circulant électroniquement pour augmenter le capital investi d’une part de la plus-value. Au-delà de la propriété privée directe des moyens de production, c’est le fait d’avoir les moyens de s’approprier la plus-value qui définit la bourgeoisie.

Les progrès techniques, l’urbanisation, le développement du prolétariat, l’extension à l’échelle du monde du règne de la marchandise font que la production industrielle s’est extrêmement diversifiée depuis l’époque de Marx (limitée au textile, à la sidérurgie, à l’énergie et aux tout débuts de la chimie). Du coup, les services se sont eux aussi énormément diversifiés. Mais le fonctionnement mis à jour par Marx reste le même.

De même sur le chômage. Des défenseurs du capitalisme affirment que le chômage massif actuel serait une phase particulière, presque un accident, et au moindre signe de reprise économique, ils annoncent le retour au plein-emploi, comme au tournant des années 2000, juste avant l’effondrement de la Bourse.

Pour fonctionner, l’exploitation salariée a besoin d’un chômage permanent, c’est-à-dire de travailleurs sans emploi, disponibles à tout moment, que Marx appelait "l’armée industrielle de réserve ".

A l’époque de la 1ère révolution industrielle, la bourgeoisie a créé le prolétariat en ruinant des masses de paysans dépossédés de leur terre et obligés de vendre leur force de travail pour vivre. En Angleterre, ce sont des centaines de milliers de mendiants qui ont été raflés pour travailler dans les premières usines, des centaines de milliers de paysans que l’Etat a ruiné par l’impôt pour les exproprier et les forcer à venir s’embaucher dans les usines du textile et de la sidérurgie, des centaines de milliers d’artisans qui ont été ruinés par les bas prix de la production industrielle et qui ont dû mettre la clé sous la porte pour eux aussi devenir des prolétaires.

Quand il n’y avait pas assez de pauvres, quand l’offre de main d’œuvre devenait trop restreinte menaçant de faire monter les salaires, les bourgeois anglais faisaient venir des milliers de travailleurs immigrés d’Irlande.

Quand, après la 2nde Guerre mondiale, la reconstruction exigeait l’emploi de toutes les forces disponibles et que le chômage atteignait des taux trop bas, la bourgeoisie française a fait venir des travailleurs immigrés par trains et bateaux entiers.

Le capitalisme contemporain ne fait que poursuivre cette politique.

Pour entretenir la concurrence entre les salariés dans le même temps qu’elle élargit sans cesse tant la production que le marché, la bourgeoisie étend le rapport d’exploitation, développe la classe ouvrière. Le chômage massif est indispensable pour la bourgeoisie. Cela ne fait que confirmer que " le caractère distinctif de notre époque est d’avoir simplifié les antagonismes de classe… en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat " .

Bourgeoisie et prolétariat : deux classes antagoniques

L’antagonisme entre ces deux grandes classes fondamentales que Marx avait décrit lorsque le capitalisme se développait, s’épanouit pleinement aujourd’hui et se renforce.

Au début de l’ère industrielle, les " capitaines d’industrie ", à l’aide de leur fortune et de leurs relations, arrivaient à construire des empires. Véritables monarques dans leurs usines, ils transmettaient le flambeau à leurs fils. Les sociétés portaient leur nom, comme pour les forges de Wendel, par exemple… Ils jouaient de leur " paternalisme " auprès de leurs ouvriers qui achetaient dans leurs magasins, vivaient dans " leurs " corons, etc.

A l’époque de l’impérialisme, la bourgeoisie industrielle s’est profondément liée à la bourgeoisie financière. Toutes deux ont créé de multiples liens avec l’Etat dont le haut personnel était formé dans les mêmes écoles comme Polytechnique.

La bourgeoisie d’aujourd’hui est devenue plus anonyme, plus internationale. Les dirigeants des grandes sociétés sont aussi membres de Conseils d’administration d’autres sociétés -et rémunérés grassement par des jetons de présence-, membres ou proches de l’appareil d’Etat, ce qui augmente d’autant leur fortune déclarée ou pas. Le patron de LVMH cumulait en 2000 42 postes de direction, 5 mandats d’administrateur, 10 de représentant permanent. Celui de Pernod Ricard respectivement 5, 35 et 10, celui d’Adecco 21, 25 et 3, pour ne citer que les premiers.

Cela leur permet d’être parmi les PDG les mieux payés, comme Lindsay Owen Johnes (L’Oréal) qui " vaut bien " 6,2 millions d’euros ; Messier, ex-PDG de Vivendi, 5,7 millions d’euros malgré ses " déboires " ; Desmarets (TotalFinaElf) 2,4 millions auxquels il faut ajouter plus 60 000 stocks options ; Riboud (Danone) 2,4 millions plus 50 000 stocks options… Francis Mer, Ministre des finances, avait perçu en 1999 en tant que membre de la direction d’Usinor 4,3 millions de francs de salaire de base, 53 300 € en complément variable et 9 900 € sous forme d’avantages en nature, plus 125 000 stock options… Des représentants des grands groupes financiers siègent avec eux. Les grosses entreprises sont des holdings, conglomérats de sociétés dirigés par des directoires de PDG comme le célèbre Baron Ernest de Seillière qui, s’il est de l’ancienne famille des maîtres de forges De Wendel, doit sa promotion à la tête du syndicat des patrons à ce que l’activité principale de sa société, la Compagnie générale de participations, est de faire fructifier le capital des 650 héritiers de Wendel et de bien d’autres.

Le capital industriel et financier se sont totalement interpénétrés au point que la capital financier domine totalement le capital productif. Avec le capitalisme parvenu aujourd’hui au stade de libéralisme impérialiste, les grands capitalistes à la tête des multinationales font de plus en plus de profits à partir de la production, servis par des produits financiers, toujours avec l’aide de l’Etat. Ces transactions financières sont de plus en plus rapides et volatiles et, avec l’aide des communications modernes (Internet…), immédiatement à l’échelle internationale. Cela amplifie l’effet des crises, par l’accélération des faillites et fusions. Le noyau dur capitalistique qui se constitue alors avec ceux qui ne coulent pas, ceux autour desquels s’agrègent les autres, n’en devient que plus puissant.

Le résultat est que, en l’espace de 40 ans, la bourgeoisie s’est considérablement restreinte : on parlait de 200 grandes familles en 1936 ; en 1999, on ne parle plus de familles mais de quelques conglomérats industriels et financiers qui ne sont plus spécialisés dans un produit, la voiture ou le pneu, mais comme Vivendi, touchent à tout, depuis l’eau jusqu’à la télé… La propriété capitaliste n’est pas supprimée, au contraire, elle est concentrée en des mains de plus en plus puissantes.

Et ce n’est pas l’actionnariat " populaire " qui y changera quelque chose ! Propulsé à partir de 1986 en France avec les privatisations, il ne concerne que 10 % de la capitalisation en Bourse avec ses 7 millions d’investisseurs individuels. Les " petits porteurs " n’ont ni le temps ni la possibilité de diriger leurs affaires comme les gros actionnaires ; ce sont des gogos qui, comme on l’a vu pour Eurotunnel, sont les premières victimes en cas de crise !

Toutes ces conditions font de la bourgeoisie une classe consciente de ses intérêts, qui a des réflexes, sait transmettre son expérience, ses idées, ses valeurs, se concerte, discute, forme ses membres à la diffusion de son idéologie, construit consciemment des alliances. Elle participe activement à la défense de ses intérêts. Ainsi, les chefs d’entreprise qui ne sont que 0,5 % dans la population active représentent 9,9 % de l’Assemblée Nationale (20 fois plus). Par contre, les ouvriers (27 % de la population active), constituent 0,7 % de l’Assemblée (33 fois moins !)

Loin de cette grande bourgeoisie, il y a encore en France bien des propriétaires de moyens de production, comme les agriculteurs sur grande exploitation (de plus de 100 hectares). Si leur nombre a augmenté (20 000 en 1955, 78 000 en 2000), ils ne représentent que 1,4 % de la population active en 2002 (les petits exploitants 0,4 % et les moyens 0,6 %). Surtout, ces paysans sont à la merci des grandes sociétés de l’agroalimentaire, de la distribution et des banques. Ils sont entièrement dépendants du capital qui leur dicte leurs rendements, production, voire non production, qui les subventionne par l’intermédiaire des Etats ou de l’Union européenne, parfois pour mettre leurs terrains en friche.

A côté des agriculteurs, il y a aussi les patrons de commerces, artisans… qui emploient 13 % de la population active. Mais les disparités entre les entreprises sont énormes : en 2002, il y avait plus d’un million d’entreprises qui n’avaient aucun salarié, presque autant comptaient de 1 à 9 salariés, 150 000 entre 10 et 49 salariés et seulement 2150 avec plus de 500 salariés.

En réalité, la petite propriété est en pleine chute. Les boulangeries pâtisseries sont passées de 40 000 en 1966 à 22 000 en 1998, les boucheries de 50 000 à 14 000 et les épiceries de 87 000 à 13 000. Dans le même temps, les supermarchés sont passés de 200 à plus de 5 000 et les hypers de 1 à plus de 1 200 (employant 700 000 salariés) ! Ces grands magasins, regroupés autour de 5 centrales d’achat (une pour Carrefour, Leclerc, Casino-Leader Price, Intermarché et Auchan), sont en position de monopole, pouvant exiger des marges qui peuvent aller jusqu’à plus de la moitié du prix du moindre produit ! Pas étonnant qu’en 2003, deux parmi les milliardaires en francs soient des patrons de la grande distribution : Mulliez (Auchan) et feu Halley (Promodès-Carrefour) ! Ils étendent leurs antennes en Europe et dans le monde (Carrefour en Amérique du Sud, etc). Du coup, les petits commerçants et autres fournisseurs paysans sont pris en étau entre les grandes chaînes de distribution et les banques. Ils ne font pas le poids et leur avenir est de plus en plus incertain.

Dans le système capitaliste, la propriété de ces couches de petits et moyens propriétaires est non seulement constamment menacée par la concurrence des grandes entreprises mais elle est de plus en plus insérée dans leur propre réseau de production ou de distribution. Même les jeunes patrons encouragés par l’euphorie de la Bourse, les promoteurs de " start up ", s’ils parviennent à impulser parfois certaines innovations que les grosses multinationales hésitent à anticiper, s’écroulent le plus souvent aussi vite qu’ils sont nés, victimes des aléas économiques et des banques.

En fait, la classe dominante est, dans l’économie actuelle, une bourgeoisie de plus en plus restreinte et puissante.

A côté de ces propriétaires, il y a les hauts cadres, techniciens très qualifiés, ingénieurs qui représentent 13,9 % de la population active, en incluant les professions libérales et les commerciaux d’entreprises, qui vivaient et se sentaient plus proches de la bourgeoisie que des travailleurs. Mais depuis la crise des années 80 et la mondialisation, cela a bien changé. Parmi les premières victimes de l’endettement et de l’épargne salariale, ils commencent à leur tour à être touchés par les licenciements. Dernièrement, les multinationales font de plus en plus effectuer leur travail high-tech (études d’ingénierie, analyse financière, études de marché) par des ingénieurs en Inde ou en Chine, ce qui représenterait entre 15 et 35 % des 2,8 millions d’emplois supprimés depuis 2 ans aux USA…

Si la plupart des hauts cadres fonctionnaires sont encore choyés par l’Etat, comme les Trésorier payeur général qui peuvent gagner jusqu’à 182 000 €, certains comme les directeurs de centre hospitalier (29 000 € en début de carrière) commencent à être menacés, puisque le plan Hôpital 2007 prévoit que ces Directeurs ne seront retenus qu’en cas de rentabilité...

Ces hauts cadres du privé ou du public ne sont pas propriétaires de moyens de production, ils sont au service de patrons ou de l’Etat, mais leur sort est lié à celui des travailleurs. En effet, ils sont dépossédés par le capitalisme plutôt que confortés, même si certains préjugés peuvent les amener à penser le contraire.

Seule s’étend la classe de ceux qui ne possèdent rien d’autre que leur force de travail.

En France, les salariés étaient 19 millions en 1990 et 21,37 en 2001 ; aux USA 108 puis 124 millions. Bien sûr, ce n’est plus la classe ouvrière concentrée dans quelques villes et quartiers industriels, des bastions du militantisme socialiste puis communiste et syndical d’avant et d’après guerre. 90 % de la population active en France est salariée. Si elle s’est étendue et que son mode de vie a pu changer, elle n’en demeure pas moins une classe qui n’a que sa force de travail à vendre.

Les ouvriers, 27 % de la population active en 2002 dans l’industrie, l’artisanat ou l’agriculture, sont nombreux surtout dans les entreprises de plus de 50 salariés, dans la construction automobile, l’agroalimentaire et le commerce (où les emplois ont été multipliés par 4,4 en 40 ans). Cependant, dans les métropoles impérialistes, le nombre d’emplois industriels diminuent sans cesse : - 1,5 millions en 25 ans en France (5 550 000 en 1978, 4 000 000 en 2002) alors que la population active augmentait de 4 millions de personnes. Cette baisse est bien sûr due aux licenciements, aux délocalisations accélérées par la mondialisation. Mais surtout à l’évolution technologique, à l’informatique, à l’automatisation, à l’utilisation de nouveaux matériaux qui ont développé les services et permis de produire plus avec moins de personnel (l’heure de travail était 28 fois plus productive en 1995 qu’en 1821 !).

Pour satisfaire sa soif de profits, la bourgeoisie aura toujours besoin du travail industriel mais, pour en réduire les coûts, elle l’externalise et l’exporte dans ce qu’elle appelle les " pays à bas salaires ", en Asie, en Amérique du Sud… D’abord, ç’a été des secteurs qui ne nécessitaient pas beaucoup de qualification : le textile, les jouets, le petit électroménager, la chaussure, l’électronique de loisir. Depuis 15 ou 20 ans, ce sont aussi des emplois du tertiaire, le traitement des bases de données, la programmation informatique, les centres d’appel… L’Inde est ainsi devenue le premier exportateur mondial de services informatiques ; dans de grandes villes comme Bangalore, on travaille comme dans une Silicon Valley pour Alsthom, Axa, Paribas, le Crédit Lyonnais, France Télécom, Vivendi…

Du coup, la classe des salariés s’élargit au niveau de la planète. Les conditions de vie changent : des fractions entières de la paysannerie ont perdu leur petite propriété et été plongées dans le salariat moderne, dans les villes du Tiers monde (dont la population a été multipliée par 6 entre 1975 et 1995), dans des conditions de misère extrême mais loin des campagnes et des relations qui permettaient de survivre traditionnellement, hors du tourbillon du capitalisme.

La nouvelle force de travail salariée mondiale, environ 1,9 milliard d’ouvriers et d’employés en 1980, était de 2,3 milliards en 1990 et de 3 milliards en 1995, autant dire la moitié de l’humanité (Petras, Veltmeyer La face cachée de la mondialisation). Ces travailleurs sont souvent salariés dans de grands complexes, avec des méthodes tayloristes modernes, ils manient les dernières trouvailles de la technologie tout en respirant l’air souillé de produits chimiques, de poussières, 14 heures par jour, en vivant parfois dans des baraquements appartenant aux patrons… Ces tâches qui exigent des bases techniques et culturelles plus importantes qu’autrefois, même si ces tâches, autant dans l’industrie que dans le tertiaire, sont taylorisées, les plongent définitivement dans le monde salarié moderne.

Les conditions de travail des salariés, si elles ne sont plus celles des mines et forges du XIXème siècle, ne se sont pas toujours améliorées avec les nouvelles technologies. Elles se sont seulement élargies à un nombre plus important d’ouvriers et de salariés du tertiaire. Dans une enquête INSEE de 2002, 38 % des salariés disaient porter ou déplacer des charges lourdes contre 22 % en 1984. 54 % souffraient de rester longtemps debout contre 49 % en 1984. Si le travail était surtout physiquement pénible pour les ouvriers qui étaient par exemple 62 % à craindre d’être blessés par des outils ou matériaux, les salariés des bureaux, employés, professions intermédiaires sont deux fois plus à déclarer souffrir aussi de postures ou déplacements pénibles en 1998 qu’en 1984. De même, avec le travail en flux tendu, la course à la rentabilité, 47 % des salariés travaillent le samedi, 25 % le dimanche contre moins de 1 sur 5 en 1984. Le travail de nuit a progressé et touche désormais 14 % des travailleurs.

Les rythmes de travail s’accélèrent : la proportion de salariés dont la rapidité du travail dépend de normes de production ou de délais à respecter en moins d’une journée est passée de 19 % en 1984 à 43 % en 1998. Les travaux pénibles le sont encore plus. Ainsi, le travail à la chaîne concerne un nombre grandissant de salariés : en 1984, 7,5 % des ouvriers qualifiés, 16 % en 2002 ! Parmi les non qualifiés, 30 % des travailleurs font du travail posté contre 20 % quinze ans auparavant. Du coup, pour les ouvriers, souvent jeunes ou intérimaires et immigrés, ce sont des tâches encore plus parcellisées, stressantes, la perte totale d’autonomie, à terme des maladies professionnelles comme des tendinites, des troubles musculo-squelettiques ou des accidents du travail à répétition.

Et une tension plus grande au travail : 30 % des salariés disent vivre des tensions avec leurs chefs et en souffrir dans leur vie quotidienne contre 23 % en 1991. Il en est de même dans ces véritables usines que sont les centres d’appels où les employés sont chronométrés, mis sous pression pour faire du chiffre en peu de temps (jusqu’à 7 secondes en moyenne avec un client !). L’informatique sert alors à mieux fliquer les salariés… Les directions profitent du statut précaire ou à temps partiel, du turn over important, pour imposer ces conditions de travail. En 20 ans, en France, les emplois précaires (CDD, CES, intérim…) ont été multipliés par 3 !

On en arrive à des situations d’exploitation dignes du Tiers monde dans les milieux du travail domestique, du gardiennage, du nettoyage, ce qui a fait dire aux grévistes, des femmes pour la plupart immigrées, salariées d’Arcade-Accor que leur travail, c’était de la " délocalisation sur place ".

Les employés des services, dont beaucoup de femmes, en augmentation constante depuis les années 50 (20,7 % de la population active en France aujourd’hui), ont émergé après la guerre puis durant les 30 Glorieuses, suite au développement de nouvelles technologies comme l’informatique et au besoin de démocratiser un peu la santé, l’éducation, sous la pression du salariat. Aujourd’hui, les salariés des services publics ou privés sont directement attaqués au même titre que les ouvriers, victimes des coupes sombres dans leurs effectifs, de l’introduction de critères de rentabilité au travail, etc.

C’est pour toutes ces raisons que de plus en plus de cadres, professions intermédiaires disaient dans un sondage en 1998 se retrouver plus proches des ouvriers que des hauts cadres et de la direction, et même prêts à faire grève. Il n’y a pas eu de " moyennisation " avec le développement du tertiaire mais plutôt une prolétarisation. Ce qui explique aussi l’implication des profs et instituteurs, des personnels de santé, d’agents publics dans les grèves en 95 et au printemps dernier, l’envie de revendiquer par les méthodes de la lutte de classe, d’unité des travailleurs, celles qui étaient avant celles des luttes des ouvriers d’industrie…

La classe des salariés a bien sûr changé par rapport aux années d’après guerre et même depuis 1973, mais elle demeure une classe qui n’a que ses bras à vendre à l’ensemble de la classe capitaliste quand celle-ci en a besoin, guettée par le chômage. La classe des salariés, 23 millions sur 26 millions d’actifs, comprend 3 millions de chômeurs " officiels " et de stagiaires, surtout des jeunes, des femmes, des immigrés. Cette " armée de réserve " n’est même pas sûre de pouvoir travailler un jour… Ce chômage qui s’aggrave pèse sur l’ensemble de la classe salariée. C’est la même classe qui s’étend et s’appauvrit à un pôle, celui des travailleurs pauvres (2 400 000 gagnent moins de 6 500 € par an en travaillant) et chômeurs, sans s’enrichir de l’autre : ses couches les plus jeunes, les plus diplômées sont de plus en plus longtemps au chômage ou en précarité (entre 1971 et 1987, le chômage des diplômés de l’enseignement supérieur est passé de 0 à 15 % pour les garçons et de 2,9 à 10,3 % pour les filles, entre 15 et 24 ans).

En ce qui concerne les conditions de vie de la classe salariée, si elles ont évolué avec la démocratisation de l’enseignement, de l’accès aux soins, du logement dans l’après-guerre, on retrouve les inégalités aujourd’hui, mais à un autre niveau. Par exemple, seulement 4,9 % des fils d’ouvriers accèdent au 3ème cycle de la fac contre 36 % des fils de professions libérales et hauts cadres. Les étudiants les plus démunis doivent souvent travailler pour payer leurs études et deviennent de plus en plus des salariés précaires dans la restauration rapide ou la vente (Fnac, Pizza Hut, Mac Do, Go Sport…).

La classe ouvrière, comme le capitalisme, est devenue d’emblée internationale. Les salariés des multinationales dans les pays " à bas salaires " sont aujourd’hui plus nombreux et peuvent voir qu’ils ont partie liée avec les ouvriers des métropoles qui travaillent pour les mêmes marques : General Motors emploie par exemple 355 000 personnes dans le monde, plus des sous-traitants, dans des domaines aussi variés que les moteurs électriques, le transport, l’aéronautique, le matériel médical, les plastiques, l’électroménager, l’éclairage, les services financiers, la télévision... Les crises et les attaques qui affectent les exploités du Tiers monde ont des répercussions immédiates sur les travailleurs des grandes puissances. Les maquiladoras du Mexique sont en quelque sorte coupées en deux par la frontière, les sièges et les cadres aux USA, la production et sa main d’œuvre au Mexique…

Il se produit pour cette classe ouvrière souvent jeune et féminisée le même phénomène que pour la classe ouvrière des pays où se trouvent les sièges de ces sociétés. Elle est amenée à résister, trouve les moyens de se faire entendre et de s’organiser comme on l’a vu en Corée ou en Argentine.

La population des pays pauvres a fini par avoir quelques retombées du progrès suite à ses luttes contre la colonisation et parce que la bourgeoisie avait besoin qu’elle ait un minimum de structures pour exister dans les villes. Mais, avec la crise actuelle, tout cela part en fumée. Des coupes sombres sont faites dans les budgets publics par le FMI. Les multinationales qui avaient licencié dans les métropoles pour délocaliser dans les pays plus pauvres, y licencient massivement aussi. C’est la chute dans l’économie " informelle " voire la misère la plus totale pour une grande partie de la classe ouvrière des anciens pays coloniaux. En Afrique, il est prévu qu’en 2015, 345 millions de personnes vivront avec moins d’un dollar par jour contre 300 millions en 1999… 50 % de la force de travail mondiale est, soit au chômage, soit sous-employée, vivant du travail au noir en pleine expansion dans les grandes villes du Tiers monde. La classe ouvrière n’a pas d’avenir dans ce système.

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L’opposition entre la classe des salariés et le patronat, loin d’avoir disparu, s’est renforcée avec l’accroissement de celle-ci, enrichie par l’émergence du tertiaire. Du coup, l’ensemble de la classe des salariés s’est renforcée en se diversifiant et en accédant à un nouveau niveau de culture et de technicité à travers le monde

Cette évolution, que Trotsky avait entrevue dans les années 30 aux Etats-Unis, confirme l’analyse marxiste des classes. Si le capitalisme a pu avoir un nouveau souffle lors des Trente Glorieuses, cela a été sur la base des destructions de la Seconde guerre mondiale et de l’exploitation accrue des peuples coloniaux. Ce nouveau souffle a entraîné un développement puissant du secteur tertiaire aux dépens du secteur agricole et du petit commerce. Du coup, aujourd’hui, les deux classes fondamentales de la société, l’immense classe des salariés et la minorité des capitalistes sont toujours en conflit, mais sur une arène bien plus vaste que l’Europe et les Etats-Unis. Le conflit entre le monde du travail et la bourgeoisie s’est étendu à la planète entière, sur la base de moyens de production gigantesques, de communications et transports rapides, reliant le monde entier en quelques secondes.

Ensemble, travailleurs de l’industrie et du tertiaire sont de plus en plus exploités en même temps que reliés dans le travail, amenés à apprendre des techniques et à manier les produits les plus avancés sans en avoir le contrôle, à travailler pour un marché de plus en plus mondial sans en bénéficier vraiment.

Aujourd’hui, l’opposition classe ouvrière - bourgeoisie est plus profonde ; des couches toujours plus nombreuses d’opprimés sont dépossédées, exploitées par le capitalisme, exclues de toute démocratie sous le règne de quelques multinationales.

Et ce conflit entre les classes va en s’approfondissant.

La contradiction fondamentale entre production socialisée et appropriation privée se renforce

En effet, la contradiction essentielle qui mine le système capitaliste est celle entre l’appropriation privée des moyens de production et la production socialisée. C’est elle qui est à l’origine des deux principales classes, la classe ouvrière et le patronat. C’est aussi la cause des crises économiques au cours desquelles des forces productives devenues trop grandes pour les rapports sociaux bourgeois se rebellent contre lui, et comme il n’y a pas d’autre moyen de réguler une production massive et complètement anarchique que le marché, à cette occasion, des hommes, des travailleurs, et des marchandises sont rejetés en nombre, ne trouvant pas de travail, ne trouvant pas preneur. Au cours de chacune de ces crises qui si, elles ne sont plus aussi régulières qu’au XIXème siècle, sont impossibles à éviter dans ce système malgré toutes les régulations étatiques et internationales, le capital se concentre davantage en quelques mains au niveau national et mondial.

Cette concentration du capital se fait au profit des branches les plus rentables à travers le monde ; dès qu’un secteur offre de meilleurs profits, les capitaux s’y précipitent puis le saturent ; du coup, il est abandonné pour un autre. Les progrès scientifiques et technologiques sont utilisés dans ce but. Une fraction de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie est ruinée à chaque fois. Les capitalistes peuvent ainsi sacrifier des zones entières de la planète, comme ce fut le cas de l’Asie en 1998 ou de l’Argentine en 2001 : ils ont simplement coupé les crédits publics et privés sachant qu’ils précipitaient ainsi des milliers de personnes dans la misère et la ruine.

Ce mouvement aboutit au fait qu’en 2000, quelques 200 multinationales à travers le monde contrôlent tous les secteurs de l’économie mondiale, dont les 54 premières par la capitalisation boursière sont américaines : General Electric, Microsoft, Exxon Mobil, Pfizer, Intel… Employant des millions de salariés (40 millions en 1975, 73 en 1992) avec en plus des filiales et sous-traitances diverses, elles contribuent à lier tous les travailleurs entre eux. Mais c’est au prix d’une dictature y compris sur les Etats les plus puissants et du rejet dans la misère de toutes les branches non rentables, donc, de milliers de salariés, au gré des crises.

Le principal indicateur de cette internationalisation des multinationales est la hausse rapide de ce qu’on appelle les investissements directs à l’étranger (IDE) de 6 % du PIB mondial en 1980 à 9 % en 1990. Ce niveau a bondi de 20 % en 2000, plus qu’un doublement en 10 ans (un gonflement dû aussi à la bulle boursière). Si avant les années 80, beaucoup de ces investissements sont allés au Tiers monde sous forme de prêts bancaires, ils n’ont servi qu’à dépecer les services publics et à de nombreuses fusions-acquisitions qui ont rapporté aux multinationales intéressées par ces " marchés émergents ", jusqu’à leur épuisement. Un exemple : Danone, 72ème multinationale au niveau mondial avec 86 000 salariés. En 2000, 58% de ses activités se font hors de France, avec 61 % de ses ventes et 75 % de ses emplois, soit 58 000 contre 22 000 en 1989 ! Ses investissements financiers : 61 %, ses investissements industriels : seulement 39 % ! Lorsqu’il a décidé de recentrer ses nombreuses activités sur les produits laitiers frais, les boissons et les biscuits, il a massivement licencié dans ses secteurs en Europe (Lu, Heudebert, Belin…) pour racheter des sociétés étrangères et employer de plus en plus de monde en Asie et Amérique du Sud…

Aujourd’hui, l’Union européenne, le Japon et les USA se partagent ensemble presque 80 % du stock global d’IDE.

* * *

L’évolution économique fait que la bourgeoisie ne peut accroître ses profits dans le système actuel, aiguillonnée non par les besoins humains mais par la concurrence sur le marché, sans développer dans le même temps la classe des salariés à l’échelle internationale, et sans de ce fait la pousser à la révolte Les progrès technologiques accélèrent la circulation des biens, des personnes mais aussi des facteurs de crise et de bouleversement (financiarisation de l’économie).

Il y a un décalage de plus en plus important entre cette prolétarisation de la planète, cette entrée dans la vie moderne et internationale d’une masse croissante d’exploités et l’appropriation de leur travail par une poignée d’industriels et actionnaires de moins en moins nombreux et contrôlables.

La contradiction entre la production de plus en plus socialisée et son appropriation privée de plus en plus concentrée se manifeste dans le développement du prolétariat et la constitution d’une aristocratie financière de plus en plus restreinte.

Paupérisation relative et absolue

Marx avait montré que le développement capitaliste s’accompagne d’une paupérisation relative du monde du travail. Les travailleurs dans leur ensemble produisent un volume grandissant de richesses et ne peuvent jouir que d’une part proportionnellement toujours moindre de celles-ci.
Cette paupérisation relative se mesure avec, par exemple, les indicateurs de répartition de la valeur ajoutée qui montrent quelle proportion de la valeur nouvellement créée dans une année revient aux salariés sous forme de salaires, et quelle proportion revient aux propriétaires du capital.

Sur l’ensemble du 20ème siècle, la part revenant aux salariés a oscillé en France entre 72 % et 60 % de la valeur créée, tandis que celle revenant au capital allait de 28 à 40 %. Mais l’évolution dans le temps montre clairement l’évolution du rapport de forces entre les classes.

La part des salariés a augmenté de façon presque continue pendant les 30 Glorieuses et dans les années qui ont suivi, jusqu’au taux maximum de 72 % en 1981. Depuis 81, pendant les 20 années de gouvernements de gauche et de cohabitation avec la droite, la part des salariés a baissé sans discontinuer pour atteindre aujourd’hui son taux le plus bas, le plus bas depuis le début du 20ème siècle, avec 60%. Ce déplacement de 12% des richesses créées en faveur de la bourgeoisie en 20 ans est énorme. Pour donner un ordre de comparaison, l’Impôt sur les grandes fortunes instauré par la gauche en 1981 n’a représenté à l’époque qu’un déplacement de 0,3% du revenu de l’époque (40 fois moins !) (les données de ce passage viennent de Piketty, L’économie des inégalités).

On voit aussi cette paupérisation des salariés par l’évolution du pouvoir d’achat.

S’il fallait croire l’INSEE, les salaires ne cesseraient de progresser, alors que pour l’immense majorité des salariés les fins de mois sont de plus en plus difficiles.

Jusqu’en 1977, les salaires ont effectivement augmenté. Mais depuis 1982, avec le blocage instauré par la gauche dans le cadre de l’offensive libérale de la bourgeoisie, le revenu des salariés plonge.

Les chiffres de l’indice des prix de l’INSEE ne reflètent pas la consommation réelle des classes populaires, par exemple le poids des loyers est très minoré dans cet indice, et des produits qui sont sortis de la consommation courante comme le charbon y figurent toujours. Du coup, les calculs du pouvoir d’achat selon l’INSEE sont faussés. La CGT de son côté a mis au point un autre indice qui aboutit à des conclusions radicalement opposées.

Ainsi, sur la période 1984-1996, d’après l’INSEE, le salaire moyen net mensuel en francs constants aurait, gagné 706 F (+7,2 %), atteignant 10 500 F en 1996. Mais pour la même période, selon la CGT, il y aurait en fait une perte de 1487 F (-12,4 %).

Pour les ouvriers, selon l’INSEE, l’augmentation serait de 280 F (+4%) pour atteindre 7970 F en 1996. Pour les employés, 163 F (+2%), atteignant 8230 F en 1996. Pour la CGT, il y a perte de 1440 F, soit -15 % pour les ouvriers, et pour les employés de 1640 F, soit -17 %. Pour les professions intermédiaires, la baisse du pouvoir d’achat est encore plus marquée : les données officielles admettent une perte de pouvoir d’achat de 524 F (-4 %). Avec l’indice CGT, c’est une chute de plus de 3 300 F (-22%) !

Sans compter que l’INSEE ne comptabilise pas les millions de travailleurs à temps partiel ou qui ne travaillent que quelques mois dans l’année. Du coup, on peut estimer que le salaire moyen réel est sans doute 10 % inférieur à celui annoncé par l’INSEE, ce qui donnerait une baisse moyenne du pouvoir d’achat plutôt de l’ordre de 1750 à 2000 F que des 1500 F annoncés par la CGT.

50% des salariés (10 millions) touchent moins de 1160 € (7600 F) (salaire médian).

2,2 millions de salariés ne touchent que le Smic. Et 3,4 millions, 1 salarié sur 6, perçoivent moins que le Smic. Avec les temps partiels imposés et les contrats de type CES, CEC, CIE, ce sont essentiellement des femmes qui sont victimes de ce sous-emploi que certains qualifient cyniquement de " temps choisi " ou de " chance pour concilier vie familiale et vie professionnelle " (1,5 millions de temps partiels en 1980, 4 millions aujourd’hui, essentiellement des employées, vendeuses, caissières, femmes de ménage, etc).

Cette progression des bas salaires a été très rapide dans les années 80, à l’origine de l’augmentation de la pauvreté et des inégalités.

33% des ménages (7 700 000) ne possèdent aucun patrimoine. Les 17% suivants (3 800 000) possèdent 6% du patrimoine national. 10 millions et demi de ménages, la moitié de la population du pays, se partagent donc 6% du patrimoine national. Quand le 1% de ménages les plus riches (230 000) en possèdent 21%.

Entres les 10% de ménages les plus pauvres et les 10% les plus riches, il y a un écart de revenu de 1 à 4, et un écart de patrimoine de 1 à 80.

4,2 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, fixé en France à 581 € (la moitié du salaire médian). Parmi elles, 520 000 retraités, 1 million d’enfants de moins de 17 ans, 420 000 étudiants de plus de 17 ans, 580 000 sans emplois. Mais aussi 520 000 chômeurs de longue durée. Et 1,2 millions de travailleurs.
Quant au nombre de RMIste, il est passé en France de 407 000 en 1989 à plus d’1,1 millions en 2001.

Cette paupérisation est à mettre en relation avec l’extraordinaire progression de la productivité du travail.

Entre 1945 et 1995, la production industrielle a été multipliée par 6 en France, alors que le nombre d’ouvrier diminuait. La richesse créée a augmenté, et bien plus vite que la population, puisque le PIB par habitant a lui été multiplié par plus de 4, passant de 11 000 euros en 1950 à 45 000 euros en 1990. Jamais les richesses disponibles n’ont été aussi importantes. Cela met en lumière de la façon la plus criante, la contradiction entre ce qui serait possible, une répartition qui permettrait des conditions de vie décentes pour tous, et ce qui est, les injustices les plus accentuées depuis des décennies.

A l’échelle du monde, la situation est encore plus dramatique.

Des économistes, des journalistes, des patrons cherchent à présenter l’évolution économique comme un progrès régulier qui assurerait une amélioration des conditions d’existence, et de citer les " 30 Glorieuses " ou les quelques rares " pays émergents " qui ont connu des périodes de croissance ces dernières années. Leur propagande ne résiste pas devant l’examen des conditions terribles que le capitalisme impose à la majeure partie de l’humanité.

En 1998, 1,2 milliards de personnes (1/5ème de l’humanité) vivent avec moins de 1$ par jour. 1 personne sur 6 (1 milliard) vit dans un bidonville.

Dans les pays de l’Afrique subsaharienne, le nombre moyen de calories disponibles par habitant a reculé pendant ces 40 dernières années. Dans cette zone, le nombre de sous-alimentés est passé de 100 millions en 1970 à 200 millions en 2000. Dans la zone Amérique latine - Caraïbes, de 40 millions à 55 millions. Dans l’Asie du sud, de 225 millions à 240 millions.

Ces pays sont appelés par les organismes officiels " pays en développement ", en réalité, les conditions de vie s’y dégradent de façon dramatique. Il y a réellement paupérisation absolue.

Et il ne s’agit pas d’un problème de pénurie. Si la nourriture déjà disponible uniquement dans les prétendus " pays en développement " était répartie équitablement, 4,5 milliards d’humains auraient 2500 calories par jour. Au lieu de cela, 800 millions de femmes et d’hommes sont sous-alimentés, dont les ¾ sont des ruraux auxquels les lois du marché empêchent de produire leur alimentation. 24 000 personnes meurent de faim chaque jour.

Cette situation actuelle est le produit de la généralisation de l’économie de marché, la marchandisation du monde. La famine endémique est une invention du capitalisme, elle n’existait pas avant qu’il impose le règne de la marchandise à l’échelle du monde. Elle est la conséquence ultime du transfert de la majeure partie des richesses dans les coffres des multinationales et des groupes financiers.

L’accentuation des inégalités révèle l’accentuation de l’exploitation salariée et son extension. Ne pas réussir à vendre sa force de travail est pour le prolétaire le début du monde des abîmes. La bourgeoisie, aiguillonnée par la concurrence et par la boulimie de profits, accentue et étend toujours plus cette exploitation.

* * *

La classe salariée a évolué, s’est élargie, diversifiée à l’échelle de la planète. Parallèlement à son poids numérique, son poids économique s’est accru dans une bien plus grande mesure du fait de l’augmentation de la productivité. Internationale, elle l’est dès sa naissance, et les migrations économiques renforcent les liens entre les classes ouvrières du monde, victimes partout des mêmes frontières et des mêmes préjugés sociaux.

Les conditions de vie et de travail se sont aggravées du fait de la concurrence exacerbée et du recul politique du mouvement ouvrier. Ainsi s’amenuise l’espoir d’obtenir des avancées dans le cadre de cette société, de façon réformiste, par la politique des syndicats et partis " de gauche ". Le discrédit du PC qui a géré loyalement le système avec le PS se traduit par des ruptures profondes avec les appareils, des politiques qui ne sont même plus réformistes, la routine des bureaucrates… Le manque d’intérêt pour la politique, " l’apolitisme " dans les milieux populaires, le vote dit " contestataire " à l’extrême droite, les difficultés à s’organiser sur les lieux de travail, les quartiers, la montée de certains intégrismes, en sont des marques aussi.

Les conditions de travail et de vie engendrent -ce qui est souvent ignoré par les sociologues de tous bords- une nouvelle conscience, de nouvelles luttes de précaires -même de managers de chez Mac Do-, des luttes parfois désespérées comme à la Cellatex, mais aussi des grèves avec des collectifs interprofessionnels comme au printemps 2003, de travailleurs sans papiers (récemment dans les vignobles du bordelais) ou étrangers travaillant pour des sous-traitants avec des salariés français comme aux chantiers de Saint-Nazaire… Cela s’est traduit par les progrès du vote extrême-gauche dans les milieux populaires et la jeunesse révoltée à la dernière Présidentielle. C’est ce qui apparaît aussi, au niveau mondial, à travers l’émergence de résistances à l’ordre impérialiste mondial, dont les manifestations altermondialistes sont un reflet.

En réalité, le développement des forces productives s’est poursuivi bien au-delà de ce que Marx avait prévu (et pas prédit selon bien des caricatures, car Marx était un acteur de son temps et un savant, pas un prophète !)

Cependant, les contradictions qu’il a décrites au cœur du développement du capitalisme demeurent et s’aiguisent comme on peut le voir avec la prolétarisation croissante des exploités, voire leur paupérisation, et la concentration du capital dans le monde.

Les contradictions entre la classe des possédants et la classe des prolétaires sont toujours plus aiguës et ne trouveront de solution que dans l’appropriation collective du produit du travail socialisé par un renversement révolutionnaire, la prise du pouvoir politique et économique par les exploités. La véritable démocratie réside dans la reconnaissance du caractère collectif des forces productives devenues trop larges pour le cadre étroit des rapports sociaux bourgeois, de la propriété privée.

Une telle issue suppose que le développement social de la classe ouvrière moderne, dans toute sa diversité, s’accompagne du développement de sa conscience. " Classe en soi ", selon l’expression de Marx, c’est-à-dire qui n’a pas encore conscience d’elle-même, elle se transforme en " classe pour soi ", c’est-à-dire organisée et luttant consciemment pour ses droits sociaux et démocratiques, pour la révolution.

Cette transformation s’opère au cours du développement même de la classe salariée qui suscite conflits, luttes, espoirs et révolte à travers lesquels se forgent ses aspirations propres, ses idéaux sociaux, une nouvelle conscience.

Cette dernière se construit à travers un processus fait de crises, de reculs, d’avancées. Elle est le produit d’évolutions économiques, de rapports de force sociaux, de luttes politiques et sociales qui façonnent une expérience humaine collective, celle de l’appartenance à un classe porteuse d’un autre monde possible.

La bourgeoisie, classe rompue à l’exercice du pouvoir, dispose d’un Etat major, d’un appareil d’Etat, de syndicats, de partis pour défendre son intérêt particulier opposé à l’intérêt collectif. Elle est dépassée par l’évolution actuelle des forces productives. Ces dernières sont à la mesure de la classe salariée qui les manie, celle qui travaille, qui étudie, qui lutte pour ne pas être une marchandise, machine manuelle ou intellectuelle à faire du profit.

Classe exploitée, en s’emparant de l’économie, en s’appropriant les moyens de production, en contrôlant la société, la classe des salariés ferait par là même disparaître toutes les classes et avec elle l’oppression de l’homme par l’homme.
Etre révolutionnaire, c’est participer à ces évolutions, en prendre conscience soi-même pour les rendre conscientes à leurs autres acteurs. Qui dit contradiction dit mouvement : décrire ce mouvement de l’histoire, ces contradictions, les comprendre pour que la classe des exploités y inscrive sa propre action pour renverser le vieux monde, voilà le contenu de notre travail politique.

Sophie Candela et Franck Coleman

Le point de vue de Matière et révolution :

Le communisme est dépassé, nous dit-on. La révolution prolétarienne est périmée. La lutte de classe n’existe plus. Voilà la thèse dominante aujourd’hui et qui infecte bien des travailleurs. Non seulement ils ne croient pas que leur classe pourrait prendre la tête de la société mais beaucoup considèrent que les horreurs du stalinisme sont dues à la tentative des travailleurs de diriger la société. Certains vont même jusqu’à remettre en cause la réalité des classes sociales dans le monde actuel. Pourquoi vouloir s’assimiler une science et une philosophie révolutionnaire puisque le monde ne connaîtra plus de révolutions prolétariennes ? En réalité, la révolution prolétarienne reste la préoccupation centrale de la bourgeoisie et de l’impérialisme. C’est cette obsession qui guide leurs choix fondamentaux Nous allons le montrer sur des exemples comme l’alliance URSS/USA de Yalta, la décolonisation, les guerres civiles (Iran, Yougoslavie), les terreurs blanches (Rwanda, Algérie) et les dictatures militaires, la fin de l’apartheid et de la politique des blocs est/ouest. Mais, avant d’étudier les formes que prend la lutte des classes actuelle, il nous faut nous représenter, autant que faire se peut, comment les luttes et les révolutions ont marqué l’histoire du passé.

Le prolétariat est-il toujours une classe révolutionnaire ? La classe ouvrière joue-t-elle, 80 ans après la révolution d’octobre, le même rôle historique de transformation sociale, capable de menacer le système que celui des prolétaires de Petrograd ? Est-elle encore le fossoyeur de l’ordre bourgeois que Marx avait entrevu ? Bien des commentateurs affirment que ce n’est plus là qu’un vieux mythe, inadapté à un monde moderne dans lequel la classe ouvrière ne serait même plus indispensable économiquement, du fait du progrès technique et de la croissance des services. Même si les licenciements massifs ont effectivement réduit considérablement le nombre de prolétaires actifs, ils n’ont pas réduit leur importance pour l’économie. Quant à dire que l’on pourrait parler moins d’un prolétariat qu’à l’époque de Marx où l’industrie n’existait qu’en Angleterre, où que dans la révolution russe où les ouvriers n’étaient que 3% de la population, c’est carrément une plaisanterie !

Depuis la deuxième guerre mondiale on n’aurait plus, selon eux, assisté une révolution prolétarienne et la crainte de celle-ci ne servirait plus nulle part de base à la politique mondiale. En somme, l’histoire ne serait plus celle de lutte des classes. La chute de l’URSS, celle du régime des pays de l’est comme celle de la Chine et leur réintégration économique dans le marché capitaliste mondial comme leur alignement politique sur les pays occidentaux, toujours selon eux, sonnerait le glas d’un autre mythe : celui du socialisme devant succéder au capitalisme puisque les dirigeants de ces pays se font aujourd’hui eux-mêmes les pourfendeurs de l’idée du socialisme et les meilleurs défenseurs du capitalisme.

Cela ne signifie pas, bien entendu, que ces commentateurs se seraient fait autrefois les défenseurs du marxisme ni des intérêts du prolétariat ni de son rôle révolutionnaire ! Mais, quand même, ils trouvent qu’il y a eu une époque, disons les débuts de la société bourgeoise, où cette perspective était beaucoup plus crédible et même où le prolétariat a été une réelle menace révolutionnaire comme en 1848 et en 1871 à Paris, en 1905, en février et en octobre 1917 en Russie, en 1925-27 en Chine et en 1936 en Espagne. Selon eux, depuis il n’y a plus rien !
Ils admettent que la révolution russe a été le début d’une vague révolutionnaire internationale qui a bien failli emporter l’Europe bourgeoise et même le monde à peine sortie de la première guerre mondiale. La révolution ouvrière partie de Russie où elle a donné le pouvoir aux organisations ouvrières de masse, les soviets, et le pouvoir politique central au parti ouvrier révolutionnaire, bolchevik, s’est étendue à la Finlande, la Hongrie, l’Allemagne, l’Italie, ... et les bourgeoisies de France, d’Angleterre ont dû retirer leurs troupes de Russie, sous la menace de les voir se mutiner et la révolution s’étendre à leur propre métropole. Le dirigeant anglais Lloyd George déclarait même au conseil de quatre grandes puissances en janvier 1919 : « si j’envoie un seul soldat de plus en Russie, j’ai un soviet au pouvoir à Londres ! » Dans le monde entier des insurrections étaient marquées par cette vague révolutionnaire même quand ces luttes étaient dirigées par des petites bourgeoisies nationales car ce qui menaçait les bases mêmes de la domination impérialiste c’était la révolution contre le pouvoir capitaliste débutée en Russie. Aujourd’hui, on nous dit que tout cela est bel et bien fini et ne se reproduira plus.

Les défenseurs ouverts du capitalisme, comme les politiciens qui prétendent le réformer, qu’ils se rangent à droite ou à gauche (même le dirigeant prétendument encore « communiste » français Robert Hue ne veut plus parler de prolétariat mais « des gens » !), prétendent que l’on n’a plus vu intervenir depuis la deuxième guerre mondiale et prédisent que nous ne risquons plus de revoir la révolution prolétarienne. Il ne nous resterait plus en somme qu’à admettre le capitalisme comme éternel et à chercher à l’améliorer.

Est-ce que la bourgeoisie méprise tant ses thuriféraires (qu’ils soient économistes, journalistes, politiciens ou historiens) pour ne tenir aucun compte de leurs avis ou sait-elle parfaitement faire la part de la pure propagande, d’ailleurs payée par ses soins ? En tout cas, elle ne tient aucun compte de telles sornettes et toute sa politique continue de tenir compte comme d’un facteur de première importance du risque de révolution prolétarienne. Même dans un pays riche comme la France, elle maintient des troupes chargées uniquement de s’entraîner à la prise des villes, dans le massif central avec du matériel anti-émeute. Est-ce uniquement pour aider ses confrères des pays pauvres ? L’Etat américain, même s’il est le plus riche du monde, craint lui aussi les émeutes, en particulier du fait d’une fraction particulière du prolétariat : celle des ghettos noirs ! Et elle aussi se prépare en permanence à les affronter. L’accroissement spectaculaire des inégalités entre riches et pauvres est seulement un peu plus spectaculaire aux USA. Malgré un discours anti-communiste relativement efficace selon lequel la menace est disparue, la bourgeoisie américaine n’est pas si rassurée qu’elle le prétend. Et dans le reste du monde, la politique de l’impérialisme ne peut s’expliquer que par la crainte du prolétariat. Elle seule permet de comprendre l’alliance USA/URSS, non seulement pour faire face à l’Allemagne pendant la guerre, mais aussi, à l’après-guerre. C’est elle qui a donné sa durabilité à la bureaucratie russe, et à la politique des blocs qui a suivi. C’est l’impérialisme qui a préféré que se maintienne l’URSS et cela pour la même raison que depuis le début de l’époque stalinienne et du « socialisme dans un seul pays » : du fait de la double faiblesse de l’impérialisme et du prolétariat. Ni l’un ni l’autre n’ont été en état de l’emporter finalement et la bourgeoisie a fonctionné sans cesse avec l’idée d’ « endiguer le communisme », sauf que le communisme, ce n’était pas l’URSS mais une troisième grande puissance mondiale : le prolétariat potentiellement menaçant. Au contraire, le stalinisme était un des puissants moyens politiques et militaires pour faire face aux risques communistes dus au prolétariat. Et cette menace due au prolétariat n’a pu se réaliser qu’en l’absence d’une organisation révolutionnaire du prolétariat, absence due en grande part à l’action internationale et contre-révolutionnaire du stalinisme.

C’est cela qui a dicté à l’impérialisme sa nouvelle politique de la fin des années 80 qui a rendu possible la réintégration pacifique de la Russie dans le giron impérialiste et, avec la chute de l’URSS, celle des pays de l’Est. C’est cela qui dicte la volonté de l’impérialisme de désamorcer les conflits. C’est cela aussi qui l’amène dans les zones à risques à laisser et même à souhaiter que des forces ultra-réactionnaires se chargent de faire le sale boulot de massacrer les masses pauvres quand celles-ci deviennent menaçantes. Les génocides se multiplient ces dernières années (Libéria, Somalie, Rwanda, Congo, Sierra Leone, Tchétchénie, Bosnie, Kosovo, Timor, ....). Alors que la chute de l’URSS aurait semblé » stabiliser le monde, on n’a jamais eu autant de conflits avec autant de massacres aux quatre coins du monde. Les interventions impérialistes armées, elles aussi se sont multipliées force internationale puis américaine dans la guerre du Golfe au Koweït puis contre l’Irak à partir de 1991 et bombardements américains jusqu’en 1999, France au Tchad et au Rwanda, ONU en Bosnie en 1995, USA et ONU en Haïti en 97, ONU en République centrafricaine en 1998, ECOMOG (force internationale africaine) au Sierra Leone en 1998, forces opposées de cinq pays africains (manipulées par la France et les USA) au Congo, OTAN au Kosovo, Kfor ensuite, force internationale dirigée par l’Australie au Timor. Et cette liste ignore les interventions financières ou militaires indirectes comme la France et les USA en Angola, en Ethiopie (en guerre contre l’Erythrée). La nécessité d’interventions violentes soutenues par l’impérialisme, ne provient pas, contrairement à ce que voudrait faire croire la propagande de l’ « intervention humanitaire » de la nécessité de faire face à des tyrans locaux assassins et dangereux pour l’ordre mondial. C’est toujours la même chose qui est dangereux : le vide du pouvoir suscité par des crises politiques et sociales de la domination de la bourgeoisie, vide dans lequel le prolétariat pourrait s’engouffrer. Les guerres entre bourgeoisies ont maintes fois ouvert ce genre de risques (guerre franco-allemande donnant naissance à la commune, guerre russo-japonaise donnant naissance à la révolution russe de 1905, guerre mondiale entraînant la révolution mondiale). L’impérialisme intervient, non du fait d’un danger inhérent à des gens comme les Khadaffi, les Milosevic ou les Saddam Hussein (d’ailleurs des gens formés par lui), mais parce que les conflits engendrent des risques révolutionnaires. Et effectivement n’ont pas manqué, comme on va le voir, les occasions où le prolétariat a été menaçant même si, faute de direction politique, on lui a volé sa victoire : Chili 73, Liban 75, Pologne 80, Afrique du sud 80, Algérie 88, Mali 90.

Au travers de ces exemples concrets, je voudrai souligner trois points sur l’actualité de la révolution prolétarienne :

1°) La division en classe continue de marquer la politique de la direction de la société et celle-ci raisonne toujours en fonction des « risques révolutionnaires » même si elle fait tout ce qu’elle peut pour éviter que les classes populaires ne raisonnent ainsi. Et la lutte de classe quand elle prend un caractère exacerbé entraîne des risques révolutionnaires que la classe dirigeante n’omet jamais de prendre en compte. Même si le prolétariat, faute d’une organisation de classe suffisamment conséquente, n’a pas conscience de sa force et de son rôle, la classe dirigeante n’est jamais portée à en minimiser le danger. Toute sa politique le montre.

2°) La classe ouvrière est une force qui est toujours considérable face à la bourgeoisie. Même si idéologiquement elle se considère comme affaiblie par la chute de l’URSS que l’on a présenté comme la fin du mythe du pouvoir prolétarien, même si les licenciements et le chômage rognent sa force et son moral, le prolétariat reste la seule force capable de menacer la bourgeoisie dans ses bastions, les villes, les trusts et de s’attaquer à son Etat pour le renverser.

3°) Lorsque la société est en crise, toute autre politique que révolutionnaire est un piège sanglant. Et la bourgeoisie ne pardonne pas à une classe révolutionnaire qui a représenté une menace même potentielle. Le bain de sang attend les peuples qui ont commencé à développer des soulèvements risquant de mener à la révolution et qui ne vont pas au bout de leur lutte.

Pourquoi penser que la classe ouvrière est toujours une classe révolutionnaire, c’est-à-dire capable d’entrer dans des luttes mettant en cause le système mondial lui-même ? Beaucoup d’auteurs affirment que l’horizon capitaliste est désormais indépassable et que le prolétariat n’intervient plus comme une classe indépendante mais comme un des éléments du système, divisé sociologiquement de plus entre jeunes et vieux, entre précaires et salariés en fixe, entre salariés des pays riches et salariés des pays pauvres, etc… Cela repose sur de nombreux mensonges et le premier est une fausse image de l’époque où la classe ouvrière apparaissait pour indépendante du système. Elle ne l’était déjà pas du fait que la social-démocratie, les syndicats et le stalinisme ne l’étaient pas. Quant à son existence indépendante, c’est exactement ce qui lui a fait défaut dans la plupart des grands événements où elle a participé. La connaissance du passé nous montre qu’il n’y a pas eu moins d’épisodes de grandes luttes que dans les débuts de la classe ouvrière. En témoignent les événements de 1945 en Asie, ceux de 1947 en d’Afrique, de 1948 en Grèce, de 1952 en Bolivie, de 1953 en Allemagne de l’Est, de 1956 en Hongrie, de 1961 en Belgique, de 1964 aux USA, de 1968 en France, en Italie et en Tchécoslovaquie, de 1970 en Pologne, de 1971 en Jordanie, de 1973 au Chili, de 1975 au Liban et au Portugal, de 1976 en Thaïlande, de 1979 en Iran, de 1980 en Pologne, en Corée du sud, en Afrique du sud, de 1986 en Haïti, de 1988 en Algérie, de 1989-91 en Afrique noire, de 1989 en Chine, de 2001 en Argentine, de 2005 en Equateur et Bolivie, de 2006-2007 en Guinée, … etc

Des situations où le pouvoir est déstabilisé et où la classe ouvrière est des éléments essentiels de la lutte n’ont pas manqué. Imaginons la révolution russe de 1917 sans l’intervention des militants bolcheviks. Les événements auraient-ils pris le caractère de classe qu’ils ont clairement aujourd’hui à nos yeux ? L’absence d’une direction révolutionnaire communiste dans les événements de la fin des années 1900, absence qui n’a rien de spontané et est due en grande partie à l’intervention contre-révolutionnaire consciente du stalinisme, a marqué la suite de l’Histoire. La menace prolétarienne, l’un des moyens de mesurer à quel point elle reste d’actualité est de comprendre les choix de politique de l’impérialisme et des bourgeoisies. Leurs choix politiques et sociaux restent marqués principalement par cette crainte. Il n’est pas possible de comprendre ces choix politiques et sociaux sans intégrer la menace qu’exerce le prolétariat. L’année 1936 avait rappelé cette menace dans quasiment toutes les régions du monde, de l’Espagne à la France, de la Syrie aux grèves ouvrières aux USA. La guerre n’a pas changé la donne. L’impérialisme a laissé le fascisme prendre le pouvoir en Allemagne parce que celui-ci sauvait le monde de la principale menace révolutionnaire : celle du prolétariat allemand. Les historiens s’interrogent encore que l’aveuglement des bourgeoisies « démocratiques » allant jusqu’à laisser faire l’occupation de l’Autriche et à signer l’occupation de la Tchécoslovaquie (accords de Munich) par Hitler, l’aveuglement de Staline s’accordant avec Hitler pour dépecer la Pologne et se la partager. Ce n’est nullement de l’aveuglement mais des choix de classe. L’impérialisme et le stalinisme ont en commun leur haine de la révolution prolétarienne et c’est ce qui va les unir, bien plus que le combat contre l’Allemagne. Et qui va les unir bien plus tard que la chute d’Hitler.
En 1943, alors que le fascisme allemand est encore bien solide, celui d’Italie s’effondre sous les coups d’une révolte dans laquelle le prolétariat italien joue le rôle principal. Loin de s’appuyer sur cette révolte, l’impérialisme aimerait sauver ce qui reste de l’Etat italien et de son chef fasciste Badoglio. La raison en est justement la menace prolétarienne que font peser ces villes ouvrières italiennes en révolte. La réponse de l’impérialisme va être de bombarder ces villes et de laisser ensuite le fascisme y rétablir l’ordre. C’est un avant-goût de ce que sera la politique impérialiste dans les pays vaincus à la fin de la guerre, comme le devine déjà le dirigeant trotskyste français Barta. De nombreux pays comme l’Allemagne et le Japon, mais aussi la France, la Belgique, la Finlande, la Hongrie vont voir les quartiers ouvriers de leurs villes bombardées, rasées. La crainte d’une vague révolutionnaire à la fin de la deuxième guerre mondiale dans les pays vaincus, comme en avaient connu les pays vaincus de la première guerre mondiale, est commune à l’impérialisme et au stalinisme, et les unit. Et ce d’autant que la révolte des peuples colonisés ne peut plus être contenue. Cette crainte va s’avérer fondée, puisque l’Asie explose à peine la guerre terminée avec le Japon, en 1945. Ces révoltes et révolutions vont devoir être détournées et écrasées, avec l’appui des forces staliniennes au Vietnam, en Corée, aux Philippines, et, en 1947, en Inde et au Pakistan. Avec l’aide des dirigeants nationalistes, le prolétariat est privé d’une perspective propre, et son combat est mis à la remorque de perspectives bourgeoises. En Inde, la révolte est même contrée par une vague de massacres inter-religieux. Les Gandhi et les Jinnah craignent le prolétariat autant que les craignent les impérialismes. En Afrique noire, contrairement à l’image qui en est souvent donnée, c’est le prolétariat, et non la petite bourgeoisie nationale, qui a donné le signal de la lutte contre l’impérialisme. En 1947, ce sont les travailleurs de Madagascar qui se révoltent. Au Cameroun, en 1948, ce sont encore les travailleurs que l’impérialisme français doit écraser. Ce sont encore les ouvriers qui, en 1947-48, bloquent toute l’Afrique de l’ouest « française », du Sénégal à la Haute Volta, du mali à la Guinée, en passant par la Côte d’Ivoire, en se mobilisant autour de la grève générale des chemins de fer. Travailleurs des docks, petits boulots des villes, chômeurs, femmes sont mobilisés avec les cheminots et les travailleurs des ports. Dans cette même période, toute l’Afrique noire connaît une vaste mobilisation qui entraîne des grèves, remplit brutalement les syndicats, menace l’ordre colonial. La radicalité des travailleurs tranche avec la modération des dirigeants de la petite bourgeoisie noire. Les grèves de cheminots se multiplient dans toute l’Afrique : en 1945, de Matadi à Léopoldville, en Afrique centrale, en 1945-46 à Douala (Cameroun) et en 1947 au Zaïre. On atteint alors le sommet de la mobilisation, avec à la fois la grève générale de 11 jours au Kenya, la mobilisation de 15.000 ouvriers à Mombasa, celle de 10.000 cheminots soudanais, celle des cheminots et mineurs de Gold Coast, avec une émeute populaire à Abidjan, en Côte d’Ivoire, luttes qui se déroulent en pleine grève générale des cheminots de la ligne du Dakar-Niger. Cette mobilisation ouvrière dure jusque dans les années 1950 dans toute l’Afrique, entraînant un développement syndical jusque là inconnu. Des grèves générales la marquent : 1950 à Nairobi, 1955 au Nigeria et 1956 à Abidjan. Souvent l’armée réprime violemment faisant des dizaines de morts. Les organisations ouvrières sont détruites.
Dans les années 50, c’est le prolétariat des « pays de l’Est » qui prend la suite, en 1953 en Allemagne de l’Est et en Tchécoslovaquie, en 1956 en Pologne, à Poznan, et surtout en Hongrie, avec la révolution des conseils ouvriers. Le chef du pouvoir, Gerö, avait répondu : « Nous ne tolérerons pas les revendications de la classe ouvrière. » En réponse, les manifestants ouvriers de Hongrie assiègent la radio, les commissariats. Le pays se couvre de conseils ouvriers révolutionnaires. Les combats ont lieu à Budapest, la capitale, les 23 et 24 octobre 1956 – l’Octobre hongrois. Parce que l’armée hongroise et la police hongroise ont volé en éclats, pour écraser le prolétariat, il faut faire appel à l’armée russe et elle ne parvient pas à ses fins que le 30 octobre… Et encore a-t-il fallu faire venir des milliers d’hommes, des troupes fraîches venues d’Asie qui ne parlent pas le Russe ainsi que 2000 chars, car les soldats russes sont sensibles à la révolution et se mutinent ! L’insurrection n’est définitivement vaincue que le 4 novembre. Et ce n’est pas dû au rapport de forces militaire, mais à l’absence d’organisation politique révolutionnaire du prolétariat.
Dans les années 60, les pays impérialistes eux-mêmes sont touchés par des mouvements de contestation dans lesquels la classe ouvrière joue un rôle. En 1961, c’est la classe ouvrière de Belgique qui mène une importante grève générale face à une grave crise politique et sociale du pays. Cette lutte est déviée, détournée, trahie par les directions syndicales. En 1964, c’est la principale métropole impérialiste, les USA, qui est menacée. La population noire des grandes villes, une population ouvrière et chômeuse, celle des ghettos et des usines, est mobilisée dans de grandes manifestations, dans une poussée d’organisations politiques et syndicales. La colère explose ici et là. Des dizaines de milliers de militants noirs radicaux, hostiles au système, apparaissent, s’organisent, cherchent des perspectives, s’affirment hostiles au capitalisme et à l’impérialisme, pour le renversement de l’Etat bourgeois. Ils ne renouent pas cependant avec le programme communiste révolutionnaire de Karl Marx que les organisations ouvrières réformistes, staliniennes et syndicalistes ont abandonné elles-mêmes depuis longtemps. En 1964, le pouvoir prend au sérieux la menace que cette direction révolutionnaire noire devienne un danger pour le pouvoir : elle paie des tueurs professionnels pour les éliminer un par un. Le mouvement noir est lié à la lutte des peuples colonisés comme le peuple vietnamien. Cependant, la perspective communiste révolutionnaire n’a pas progressé à la suite de ces combats.
Dans les pays du monde dit « communiste », la révolution hongroise a entraîné des tentatives d’éviter les risques prolétariens : les Cent Fleurs en Chine puis, en 1968, c’est le printemps de Prague en Tchécoslovaquie : une tentative de la bureaucratie stalinienne de réformer et de libéraliser le système pour éviter l’explosion. Dans les deux cas, l’échec est flagrant. En Chine s’ouvre un nouveau cycle dans lequel le prolétariat chinois s’émancipe de sa tutelle « socialiste » et renoue avec les luttes. En Tchécoslovaquie, les travailleurs se mobilisent et doivent faire face aux troupes russes, mais ne disposent d’aucune indépendance politique car ils sont à la merci des fausses perspectives des réformistes staliniens (celles du « Printemps de Prague »).
En 1973, c’est en Amérique latine, au Chili, que la population ouvrière est mobilisée derrière trois grandes organisations politiques ouvrières, le Parti communiste (stalinien), le Parti socialiste (réformiste) et le MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire – d’extrême-gauche). On connaît le bilan de ce mouvement : le coup d’Etat militaire d’extrême-droite du général Pinochet, aidé par l’impérialisme américain. Mais c’est la politique des organisations ouvrières qui a détourné le début de montée révolutionnaire des travailleurs chiliens et l’a désarmée, politiquement comme physiquement. Au début des années 70, la bourgeoisie du Moyen Orient est menacée par la montée d’un lien entre le mouvement palestinien – né de leur expulsion des terres d’Israël – et le mouvement ouvrier de la région (Egypte en 1968, puis Jordanie en 1971, puis Liban en 1975). Jamais les dirigeants palestiniens et arabes se revendiquant de l’extrême gauche, et qui ne rompent pas avec les perspectives démocratiques bourgeoises et nationalistes, n’ont permis à ces mouvements de développer des perspectives prolétariennes qui existaient pourtant bel et bien. La classe ouvrière, même quand elle a commencé par triompher comme au Liban en 1975, n’a pas pu mettre en avant ses propres objectifs et ses formes d’organisations de classe. Un leader dit « progressiste » comme Yasser Arafat ne voulait surtout pas d’une action prolétarienne contre les régimes bourgeois de toute la région, y compris les plus pro-impérialistes. En juin 1975, il déclarait à propos de la mobilisation révolutionnaire au Liban autour de la résistance palestinienne : « Tout ce qui se passe au Liban est injustifiable. La révolution palestinienne sait pour sa part que le véritable champ de bataille se trouve en Palestine et qu’elle ne peut tirer aucun bénéfice d’une bataille marginale qui la détournerait de son véritable chemin. » La liaison avec la révolution des masses opprimées du monde arabe, Arafat n’en voulait surtout pas.
Des situations de crise, le monde capitaliste entré en crise après 1970 en a connu de nombreuses : localement comme la crise de domination d’une ancienne puissance coloniale comme le Portugal de 1975, internationalement comme la défaite impérialiste en Indochine, ou mondialement comme la fin de la politique des blocs et le tournant politique international des années 80.
Ce tournant mondial a été causé par la crainte du prolétariat, exactement comme la politique des blocs avait trouvé sa source dans la crainte de la révolution prolétarienne après la deuxième guerre mondiale. A la fin des années 70 et au début des années 80, c’est justement dans les pays piliers de la politique des blocs (1979 en Iran, 1980 en Pologne, en Corée du sud, en Turquie et en Afrique du sud) que la classe ouvrière menait des luttes importantes contre des régimes usés maintenus à bout de bras par les deux blocs. Cette politique, qui avait permis de stabiliser le monde depuis la fin de la guerre mondiale, entraînait des conséquences qui devenaient plus dangereuses que ses avantages. C’est l’impérialisme qui a fait les pas nécessaires pour en finir et qui a montré que les bureaucraties staliniennes des appareils d’Etat de l’Est et de Russie ne demandaient pas mieux que d’être réintégrées dans le giron du marché mondial. L’impérialisme en a profité pour proposer « une nouvelle donne » aux « bourgeoisies émergentes » appelée la mondialisation. Au lieu de s’opposer à l’organisation capitaliste de la société, la jeunesse qui s’est alors mobilisée l’a fait contre des conséquences du système : conséquences sociétales, environnementales ou distribution des richesses. La question de la division de la société en classes est systématiquement évitée par ces courants, qu’ils soient humanitaires, anti-mondialisation ou écologistes. C’est dire que ce n’est certainement pas leur développement qui peut offrir une perspective au prolétariat révolutionnaire.
Si les situations révolutionnaires ou pré-révolutionnaires, dans lesquelles le prolétariat pouvait jouer son rôle et ne s’y refusait pas, n’ont pas manqué – comme les révolutions bolivienne de 1952, hongroise de 1956 ou iranienne de 1979 pour ne citer que celles-là -, le grand absent c’est une politique communiste révolutionnaire au sein du prolétariat. A la suite du « Printemps de Prague et du « Mai 68 » français, les années 60 ont redonné vie à un courant révolutionnaire séparé du stalinisme, mais les événements eux-mêmes ne pouvaient suffire à redonner vie à une analyse et une politique vraiment révolutionnaires. La mode était plutôt au guévarisme et au maoïsme qu’à un renouveau du marxisme révolutionnaire. C’est cette tâche qui reste indispensable pour que les nouvelles luttes du prolétariat révolutionnaire disposent d’une politique et d’une organisation à la hauteur.

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