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La faillite du capitalisme

mardi 29 novembre 2022, par Robert Paris

Lire ce qu’en disait Marx :

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Paul Lafargue

La faillite du capitalisme

(1900)

Le XIXe siècle a été le siècle du capitalisme. Le capitalisme a rempli ce siècle-là à déborder de son commerce, de son industrie, de ses mœurs, de ses modes, de sa littérature, de son art, de sa science, de sa philosophie, de sa religion, de sa politique et de son code civil, plus universel que les lois imposées par Rome à les nations du monde antique. Le mouvement capitaliste, partant de l’Angleterre, des États-Unis et de la France, a ébranlé les fondements de l’Europe et du monde. Elle a forcé les vieilles monarchies féodales d’Autriche et d’Allemagne et le despotisme barbare de Russie à se mettre au pas ; et ces derniers jours, il est allé dans l’extrême Orient, au Japon, où il a renversé le système féodal et implanté l’industrie et la politique du capitalisme.

Le capitalisme a pris possession de notre planète ; ses flottes réunissent les continents que les océans avaient séparés ; ses chemins de fer, enjambant montagnes et déserts, sillonnent la terre ; les fils électriques, le système nerveux du globe, relient toutes les nations entre elles, et leurs palpitations retentissent dans les grands centres de population. Maintenant, pour la première fois, il y a une histoire contemporaine du monde. Les événements d’Australie, du Transvaal, de Chine, sont connus à Londres, Paris, New York, au moment où ils se produisent, exactement comme s’ils se produisaient dans les faubourgs de la ville où la nouvelle est publiée.

Les nations civilisées vivent des produits de toute la terre. L’Egypte, l’Inde, la Louisiane fournissent le coton, l’Australie la laine. Le Japon la soie, la Chine le thé, le Brésil le café, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis la viande et les céréales. Le capitaliste porte dans son ventre et sur son dos le butin de l’univers.

L’étude des phénomènes naturels a connu un développement sans précédent, inouï. De nouvelles sciences, géologie, chimie, physique, etc., sont apparues. L’application industrielle des forces de la nature et des découvertes de la science a pris un développement encore plus saisissant ; quelques-unes des découvertes géométriques des savants d’Alexandrie, vieilles de deux mille ans, ont pour la première fois été utilisées.

La production de l’industrie mécanique peut répondre à toutes les demandes et plus encore. L’application mécanique des forces de la nature a décuplé, centuplé les forces productives de l’homme. Quelques heures de travail journalier, fournies par les membres valides de la nation, produiraient de quoi satisfaire les besoins matériels et intellectuels de tous.

Mais qu’est-il advenu du développement colossal et merveilleux de la science, de l’industrie et du commerce au XIXe siècle ? A-t-il rendu l’humanité plus forte, plus saine, plus heureuse ? A-t-il donné du loisir aux producteurs ? A-t-il apporté du réconfort et du contentement au peuple ?

Jamais le travail n’a été aussi prolongé, aussi épuisant, aussi nuisible au corps de l’homme et aussi funeste à son intelligence. Jamais le travail industriel qui mine la santé, abrège la vie et affame l’intelligence n’a été aussi général, imposé à des masses de travailleurs toujours plus nombreuses. Les hommes, les femmes et les enfants du prolétariat sont courbés sous le joug de fer de l’industrie mécanique. La pauvreté est leur récompense lorsqu’ils travaillent, la famine lorsqu’ils perdent leur emploi.

Aux stades antérieurs de la société, la famine n’apparaissait que lorsque la terre refusait ses récoltes. Dans la société capitaliste, la famine siège au foyer de la classe ouvrière quand les greniers et les caves regorgent des fruits de la terre, et quand le marché est gorgé des produits de l’industrie.

Tout le labeur, toute la production, toute la souffrance de la classe ouvrière n’a fait qu’aggraver son dénuement physique et mental, l’entraîner de la misère à la misère.

Le capitalisme, contrôlant les moyens de production et dirigeant la vie sociale et politique d’un siècle de science et d’industrie, est en faillite. Les capitalistes ne se sont même pas montrés compétents, comme les propriétaires d’esclaves meubles, pour garantir à leurs travailleurs le travail nécessaire à leur misérable subsistance ; le capitalisme les a massacrés quand ils ont osé revendiquer le droit au travail – un droit d’esclave.

La classe capitaliste a elle aussi fait faillite. Elle s’est emparée de la richesse sociale pour en jouir, et jamais la classe dirigeante n’a été plus incapable d’en jouir. Les nouveaux riches, ceux qui ont bâti leur fortune en accumulant les razzias du travail, vivent comme des étrangers au milieu du luxe et des trésors artistiques, dont ils s’entourent par une sotte vanité, pour rendre hommage à leurs millions.

Les grands capitalistes, les millionnaires et les milliardaires, sont de tristes spécimens de la race humaine, inutiles et nuisibles. La marque de la dégénérescence est sur eux. Leur progéniture maladive est vieille à la naissance. Leurs organes sont minés par des maladies. Les viandes et les vins exquis chargent leurs tables, mais l’estomac refuse de les digérer ; les femmes expertes en amour parfument leurs canapés de jeunesse et de beauté, mais leurs sens sont engourdis. Ils possèdent des demeures palatiales dans des sites enchanteurs, et ils n’ont pas d’yeux, pas de sens pour la nature joyeuse, avec son éternelle jeunesse et son changement. Rassasiés et dégoûtés de tout, ils sont suivis partout par l’ennui comme par leurs ombres. Ils bâillent en se levant et en se couchant. Ils bâillent à leurs fêtes et à leurs orgies. Ils ont commencé à bâiller dans le ventre de leur mère.

Le pessimisme qui, dans le sillage de la propriété capitaliste, a fait son apparition dans la Grèce antique six siècles avant Jésus-Christ, et qui a depuis constitué le fondement de la philosophie morale et religieuse de la classe capitaliste, est devenu la principale caractéristique de la philosophie de la seconde moitié du XIXe siècle. Le pessimisme de Théognis est né des incertitudes et des vicissitudes de la vie dans les cités grecques, déchirées par les guerres perpétuelles entre riches et pauvres ; le pessimisme du capitaliste est le fruit amer de la satiété, de l’ennui et de l’appauvrissement du sang.

La classe capitaliste tombe dans sa seconde enfance ; sa décrépitude apparaît dans sa littérature, revenant maintenant à son point de départ. La littérature romantique, la forme littéraire propre à la classe capitaliste, qui a débuté avec le christianisme romantique de Chateaubriand, revient au même point, après être passée par le roman historique et le roman de caractère. Le capitalisme, qui dans sa jeunesse virile et combative du XVIIIe siècle avait voulu s’émanciper du christianisme, se résigne dans sa vieillesse aux pratiques de la superstition la plus grossière.

La classe capitaliste, en faillite, vieille, inutile et nuisible, a terminé sa mission historique ; elle ne persiste en tant que classe dirigeante que grâce à son élan acquis. Le prolétariat du XXe siècle exécutera le décret de l’histoire ; le chassera de sa position de contrôle social. Alors le prodigieux travail scientifique et industriel accompli par l’humanité civilisée, au prix de tant de labeur et de souffrances, engendrera la paix et le bonheur ; alors cette vallée de larmes se transformera en un paradis terrestre.

 

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