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L’organisation Lutte ouvrière d’Hardy, cela n’a pas toujours été le calme plat et le silence des militants, mais parfois il y a eu des turbulences de la base au sommet !

mardi 19 juillet 2022, par Robert Paris

L’organisation Lutte ouvrière d’Hardy, cela n’a pas toujours été le calme plat et le silence des militants, mais parfois il y a eu des turbulences de la base au sommet !

Les contestations internes au sein de l’organisation française Lutte Ouvrière quand elle était dirigée par Hardy-Barcia

Un des mythes concernant cette organisation qui se dit trotskiste est celui de l’absence totale de contestation en son sein. Les militants seraient juste des petits soldats obéissants. Nous ne voulons pas dire ici que cette organisation a toléré facilement les critiques, loin de là ! Mais seulement qu’elles ont existé et comment elles ont été combattues.

Oui, les contestations et même les révoltes y ont existé, parfois publiques et parfois discrètes et même secrètes, mais toujours elles ont été réduites à néant par la direction de Lutte Ouvrière, c’est-à-dire par Hardy lui-même, soit par la pression, soit par la menace, soit par l’exclusion, soit encore en poussant l’intéressé à la démission.

Nous ne parlons ici pas seulement des contestations qui ont été connues du grand public, comme celle de la Fraction ou encore celle du groupe de contestation de Bordeaux-Rouen, mais de bien d’autres qui les ont précédé et notamment de tendances clandestines, sourdes, qui ont été obligées de se dissoudre ou ont été dissoutes de force.

Il s’agit parfois de cellules entières qui disparaissent brusquement comme celle de la CIT Alcatel d’Arcueil. Il s’agit parfois de contestations de provinces entières (et même de coalitions de la plupart des provinces avec quelques parisiens) ou seulement de militants individuels.

Bien des militants les ignorent aujourd’hui, ne s’en souviennent plus et même les ont ignorées ou oubliées à l’époque et les sympathisants n’en ont généralement pas été tenus informés. Le grand public est bien entendu encore moins informé, peu de démissionnaires n’ayant d’envie ou de motif de dire du mal de leur ancienne organisation. Beaucoup de ceux qui sont partis ont simplement démisssionné pour ne pas en faire une histoire et sans donner de motifs politiques. Mais nombre d’entre les partants avaient des désaccords politiques qu’on les a empêchés d’exprimer davantage.

Les « poussés dehors » par Hardy datent du tout début, avec Barta lui-même, le premier et non le moindre !

Cela ne signifie pas que l’organisation Lutte Ouvrière soit faite de petits soldats obéissants. Bien des militants ouvriers ont su, à un moment ou à un autre faire face à Hardy, qu’il s’agisse de Pierre Bois lui-même, de Granier ou de Deyris. Bien des militants intellectuels ont aussi protesté contre tel ou tel point. Mais le plus souvent, la contestation n’a pas pris la forme d’une opposition politique.

L’organisation, et donc Hardy, a parfois choisi de laisser certains dirigeants agir de manière autonome, en désaccord même avec ses propres positions, comme Pierre Bois au sein de la « commission ouvrière » ou comme Illy dans les grèves SNCF ou SNECMA. Mais, à chaque fois, il s’agissait d’une décision d’Hardy de laisser faire ceci ou cela à tel ou tel et cela signifiait que, pour tel autre, ce n’était pas le cas. Certains militants ont été autorisés de contester les syndicats et d’autres pas. Certains ont pu avoir des enfants et d’autres, comme le dirigeant Arnoux, ont été exclus sous ce prétexte. Il était sans doute trop indépendant de la direction et pensait trop par lui-même. Nombre de militants ont dû démissionner parce qu’ils voulaient avoir un enfant ! D’autres ont caché pendant des années qu’ils en avaient un ! Belle démocratie interne où on doit cacher des vérités pareilles !

Certains camarades de LO (Fanny, Ropa, Granier et un autre camarade ouvrier dont le nom m’échappe) se sont vus interdire par lui d’aider de l’extérieur les travailleurs à s’organiser à Talbot (Poissy) et notamment des syndicalistes CGT s’opposant à la direction de la CGT qui y trahissait les salariés alors que la gauche gouvernait. Hardy a ensuite affirmé que l’échec de la grève Talbot, trahie par la CGT et la CFDT, le comité de grève ayant échoué, n’était pas bien grave ! La politique systématique de soutien à des comités de grève permettant à la classe ouvrière de s’organiser de manière autonome était proclamée par LO mais était loin d’être toujours soutenue. Les débats sur cette question n’ont pas toujours été publics, pas même pour les militants. Nombre d’entre eux ignoraient qu’Hardy grinçait des dents sur les comités de grève SNCF et SNECMA ou Talbot…

L’organisation Lutte Ouvrière a connu des phases d’intenses crises internes parfaitement inconnues du grand public et même de bien des militants. Ainsi, la contestation a, à un moment, réuni les dirigeants de la plupart des provinces, de Dijon avec Manu en tête, ainsi que de Rouen, Lille, Sochaux et Marseille, avec leurs dirigeants régionaux, presque toutes les provinces en somme sauf le centre de la France et Bordeaux, ainsi que des militants parisiens comme Fanny et Ropa. Le recul de militants du Nord ayant entraîné la dénonciation de l’ensemble, ses initiateurs ont choisi de la dissoudre définitivement par crainte des représailles d’Hardy.

Bien avant, l’organisation Lutte Ouvrière a connu de nombreuses contestations dites « capitalistes d’Etat », un terme bien impropre puisque la plupart contestent justement la politique bolchevik dite NEP ou capitalisme d’Etat. Il y a eu une telle contestation de la nature « ouvrière » de la Russie de la part des groupes de Bordeaux et Angoulême, avec les dirigeants Anine et Michard à leur tête. Ou encore des militants individuels comme Veyrier, Merlot, Bérard… La « discussion » contre eux a été menée de manière aussi peu démocratique que possible et sans chercher du tout à réduire la divergence ou à se convaincre sérieusement mutuellement.

La nature de l’URSS n’est pas la seule, loin de là, à susciter les débats et critiques au sein de l’organisation. Il y a eu des contestations sur le rôle des militants, sur la démocratie, sur la faiblesse de l’intervention politique publique, sur l’absence sur certains terrains, sur le syndicalisme et bien d’autres… Des Berger, des Técé ne sont que quelques noms d’une liste bien plus longue de départs qui ont commencé par une engueulade avec Hardy.

La méthode de la direction pour décourager les discussions a amené des groupes à se constituer discrètement voire clandestinement et même à quitter en groupe l’organisation sans aucune discussion publique, comme cela a été le cas d’un groupe de jeunes cheminots conduite par un militant intellectuel parisien et qui allaient fonder le groupe « L’ouvrier ». Lire ici leur principale analyse politique et qui critique le fait que LO s’appuie sur l’aristocratie ouvrière.

Voir aussi la critique de Bérard de Lutte ouvrière

Des militants intellectuels importants ont souvent choisi de se taire pour ne pas s’affronter comme c’est le cas pour Mody. D’autres ont choisi de prendre la porte sans s’affronter comme Gérard Vindt ou Jean-Paul Hirou.

A noter que bien des exclusions ont eu lieu en 1971-72 et notamment celles de la tendance « capitaliste d’Etat » de Bordeaux-Angoulème alors que, dans les années 1968-1972 suite à la grève générale de 1968, LO avait une prétention à construire un parti révolutionnaire démocratique unissant toutes les tendances d’extrême gauche avec droit de tendance et de fraction et le défendait face à l’AMR ou à la LCR, ce qui est tout à fait contradictoire avec le fait qu’elle n’entendait nullement respecter un tel droit à l’intérieur de LO. Ce double langage du début des années 1970 n’est pas une exception. Ainsi, en 1995, après le mouvement de grève du secteur privé pour les salaires, Arlette Laguiller avait affirmé, dans un meeting électoral à Saint Ouen, que c’était un très grand mouvement, alors qu’Hardy avait dit aux militants de Renault (qu’il refusait de réunir pour si peu et qu’il n’avait réunis que contraint et forcé) que ce n’était rien du tout. Un double langage qui allait mener cette organisation à appeler au vote Mitterrand « sans réserve » au second tour des présidentielles alors qu’elle s’était affirmée comme celle qui avait rappelé les tromperies fascistes du dirigeant de la gauche unie.

Parfois, ce sont les principaux dirigeants du moment qui ont rué dans les brancards comme Pierre Bois, Denise, ou, un temps, Popaul et Illy (dans la foulée de cette révolte qui s’était démontée, Illy y renonçant même, de nombreux militants de valeur avaient claqué la port comme Técé et Gravier). A une tout autre époque, il s’est agi d’une bonne partie du comité central avec la Fraction de Lutte ouvrière (Aubas, Zara, Sylvie, Bresson, Romain, Florès et bien d’autres, suivis, plus tard, par Illy qui les a rejoints, contraint et forcé par Hardy). Ou encore des provinces quasi entières ont été mises en accusation comme Bordeaux deux fois, l’une à l’époque d’Anine et Michard et l’autre à celle de Yvan Lemaitre. Il y a eu aussi les exclusions collectives de la Fraction (qui a fini par rejoindre le NPA) et des oppositions de Bordeaux et Rouen dirigées par Yvan Lemaitre et José Chatroussat notamment et qui ont fondé le groupe « La voix des travailleurs » qui n’est pas à confondre avec l’actuel groupe du même nom et qui édite le site « Matière et Révolution ».

En fait, le nombre des démissionnaires et des démissionnés de force dépasse de loin le nombre actuel des militants. Mais l’essentiel est ailleurs : les militants révolutionnaires ont pris l’habitude de ne pas décider et d’être traités en sympathisants. Même les dirigeants sont habitués à être maltraités et houspillés par Hardy et ont fini par trouver cela inévitable comme méthode de direction. Parfois, jusqu’au dernier moment, les dirigeants ignorent ce qu’Hardy va décider et décider seul le plus souvent.

Parfois, il met en place tout un processus démocratique de décision, comme pour le choix du remplaçant d’Arlette Laguiller qui jette l’éponge comme représentante politique nationale. Mais, à la dernière minute, Hardy annonce son choix en passant par-dessus toute la consultation qu’il avait lui-même mise en place et, de fait, il impose Arthaud ! Pourtant ce choix est contradictoire avec ce qu’il avait toujours affirmé, c’est-à-dire de ne pas choisir des portes paroles intellectuels mais ouvriers.

Les processus les plus apparemment démocratiques peuvent cacher des manœuvres qui ne le sont nullement. Je peux en témoigner puisque j’ai été exclus à la suite d’une espèce d’énorme congrès de deux jours qui réunissait tous les militants et même bien des sympathisants, en mettant sur la sellette Nesca, Ropa et Nemours. Bien entendu, les dés étaient pipés et Hardy tenait toutes les ficelles. Du stalinisme pur.

Comment fonctionne Lutte Ouvrière ?

Voici comment cette organisation répond à la question

En fait, de nombreuses affirmations dans ce texte sont fausses. En particulier, il est faux de dire qu’il n’y a aucun secrétaire général. D’ailleurs, pourquoi être contre ce « poste » ? Les bolcheviks qu’Hardy considèrait comme des modèles avaient un secrétaire général !!! Il y avait Hardy qui dirigeait en général le secrétariat et il y a eu aussi Jackmer un moment jusqu’à ce qu’Hardy lui reproche d’avoir ses propres avis et relations… et lui retire cette responsabilité.

« À LO, les débats peuvent avoir lieu toute l’année, et pas seulement, comme dans certains partis pendant la préparation du congrès annuel. Tous ceux qui ont des désaccords ou des critiques sont au contraire encouragés à les discuter publiquement, devant tous les militants, car c’est la meilleure façon de les résoudre ou de les dépasser. »

C’est ce que dit le texte de LO mais la réalité est tout autre comme tout le texte qui précède le montre… Certes, on peut discuter mais on peut ainsi se retrouver culpabilisé et isolé.

L’auto-culpabilisation du militant, c’est ce qu’Hardy a choisi de développer chez ses adeptes et il s’en sert non seulement pour qu’ils soient plus actifs mais aussi plus obéissants sous prétexte de fidélité, de dévouement, de modestie, de défense de l’intérêt collectif « de parti » face à l’intérêt individuel.

Lire aussi :

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article2354

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6133

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3452

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article2582

Messages

  • "Oui, les contestations et même les révoltes y ont existé, parfois publiques et parfois discrètes et même secrètes, mais toujours elles ont été réduites à néant par la direction de Lutte Ouvrière, c’est-à-dire par Hardy lui-même, soit par la pression, soit par la menace, soit par l’exclusion, soit encore en poussant l’intéressé à la démission."

    Les tabous sont importants dans cette organisation qui est le produit des courants révolutionnaires trotskistes, anarchistes, mais aussi des courants staliniens. On devrait laver le linge sale en famille quitte à renouveler sa garde robe en mettant au placard ou à la poubelle les habits qu’on ne supporte plus.
    La pression est forte, physique, mentale, sentimentale...quoi de pire de risquer de perdre ce qu’on a de plus cher ?
    Plus qu’un parti, un engagement personnel et public, un militantisme déterminé et reconnu par les autres partis, une deuxième famille, ou plus encore.
    Sauf que tout cela construit non pas un parti révolutionnaire vivant , mais une secte politique qui dérive au gré du vent des évènements de la lutte de classes. Les boussoles sont rangées, vite sorties et vite remisées, et parfois certains camarades, ne le supportant plus, le font savoir haut et fort . Pourtant le capitaine était enfermée dans sa vigie et aujourd’hui qu’il n’est plus là, les nouveaux capitaines ne semblent pas presser de changer leur petite habitude et de remettre en question leur "travail militant au sein de la classe ouvrière" par exemple, mais aussi leur analyse économique et internationale sans parler du rôle de l’appareil d’Etat, une machine à transformer et non plus à détruire.
    Il est loin le temps ou l’avenir appartenait a une poignée de militants révolutionnaires & dirigeants de grandes grèves, des luttes prolétariennes, révolutionnaires dans les pires conditions pour le faire face au réformisme, au stalinisme, au fascisme, à la bourgeoisie ou à des régimes autocratiques policiers et monarchiques.
    Isolés ou groupés sans une nouvelle direction et des militants qui n’hésitent pas à tout mettre en critique, à tout discuter sans tabou, alors nous ne valons rien !
    Et c’est cela qui est vraiment plombant alors que tout remettre à plat (y compris le fameux "socialisme du 21eme siècle" du NPA) est la seule et unique façon de relever la tête pour offrir à l’humanité une nouvelle perspective communiste révolutionnaire.
    Le stalinisme et le réformisme laissent la place actuellement au pire des régimes capitalistes anti ouvriers, autoritaires, fascistes, liberticides, criminels et déterminés à maintenir au pouvoir une bourgeoisie qui sait sa poule aux oeufs d’or condamnés. Ne regrettons ni le 1er ni le second, et ne regardons pas comme spectateurs ou commentateurs blasés les mouvements révolutionnaires dans le monde . Les militants révolutionnaires sont une conscience, une mémoire vivante des luttes révolutionnaires, même des plus petites , des plus limités et aide à éclairer les nouveaux prolétaires qui arrivent dans ce combat mondial : chaque lutte qui entraine des opprimés est la notre et chaque défaite ou victoire doit être considérée comme la notre aussi. Chaque arnaque de l’Etat bourgeois qui se sert de l’étiquette des mouvements ouvriers et qui utilisent nos camarades pour nous promener et planter des arbres de liberté comme disait Blanqui, doit être dénoncé. Ces camarades doivent savoir en temps réel, à l’usine, dans la rue, dans une grève, dans une occupation qu’ils seront combattus par les armes démocratiques de la critique et du débat.
    Voilà quoi faire pour toute association, comité, soviet, parti, union, front, réellement préoccupé par l’intérêt de notre classe. Pas le proclamer , le dire ou le revendiquer, mais le faire.

  • Pierre Bois avait arraché de Barcia-Hardy une concession importante : la mise en place d’une commission ouvrière où les questions des militants ouvriers pouvaient être librement discutées sans interférence d’Hardy. Et Illy avait obtenu une autre concession importante : la possibilité de mettre en place des comités de grève face aux appareils syndicaux et des coordinations dans les grèves de la SNCF et de la SNECMA.

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