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LES QUESTIONS DU RÉGIME INTÉRIEUR DU PARTI

samedi 13 mai 2023, par Robert Paris

Léon Trotsky

LES QUESTIONS DU RÉGIME INTÉRIEUR DU PARTI

Les questions d’organisation pour le bolchevisme sont indissolublement liées à celles du programme et de la tactique. Mais ce sujet n’est effleuré qu’au passage dans le projet, lorsqu’est évoquée la nécessité de " l’ordre révolutionnaire le plus strict dans le centralisme démocratique ". C’est l’unique formule qui définisse le régime intérieur du parti, et de plus c’est une formule absolument nouvelle. Que ce régime soit fondé sur les principes du centralisme démocratique, nous le savions. Ils assurent théoriquement au parti (et il en fut d’ailleurs ainsi en pratique), la possibilité complète de discuter, de critiquer, d’exprimer son mécontentement, d’élire, de destituer, en même temps qu’ils garantissent une discipline d’airain qu’assurent pleinement des organes de direction élus et révocables. Si l’on entend par démocratie la souveraineté du parti sur tous ses organes, le centralisme correspond à une discipline consciente, judicieusement établie, préservant la combativité du parti. Maintenant, au-dessus de cette formule qui définit le régime intérieur et que tout le passé a justifiée, on place une adjonction nouvelle : " L’ordre révolutionnaire le plus strict. " Ainsi, le parti a besoin non plus seulement de centralisme démocratique, mais d’un certain ordre révolutionnaire dans le centralisme démocratique. Cette formulation attribue à la nouvelle idée une valeur propre et la place au-dessus du centralisme démocratique, c’est-à-dire au-dessus du parti.

Que signifie donc cet ordre révolutionnaire – et le plus " strict " – dominant démocratie et centralisme ? Il correspond à un appareil du parti, qui est devenu indépendant ou qui vise à devenir indépendant du parti, à une bureaucratie qui trouve sa fin dans sa propre existence, qui veille à " l’ordre " sans s’occuper de la masse du parti, qui abolit la volonté du parti et la contrecarre si " l’ordre " l’exige, qui foule aux pieds les statuts, ajourne les Congrès, les transforme en fiction.

Depuis longtemps et par différentes voies, la pensée de l’appareil s’est orientée vers cette formule de " l’ordre révolutionnaire ". Depuis deux ans, les représentants les plus responsables de la direction du parti ont proposé toute une série de définitions nouvelles de la démocratie dans le parti, qui reviennent à dire que démocratie et centralisme signifient simplement soumission aux organes hiérarchiquement supérieurs. Toute la pratique s’est fortement développée dans ce sens. Mais un centralisme accompagné d’une démocratie étranglée et vide, est un centralisme bureaucratique. Un " ordre " de ce genre est évidemment obligé de se dissimuler derrière les formes et les rites de la démocratie, il la fouaille par d’innombrables circulaires venant d’en haut, lui ordonne " l’autocritique " sous la menace de l’article 58, lui démontre que les atteintes qu’elle subit viennent non pas du centre directeur, mais, à l’entendre, des " exécutants " ; or, que peut-on exiger de ces derniers, quand chaque " exécutant " se trouve être le dirigeant de tous ceux qui sont ses inférieurs ?

Ainsi, la nouvelle formule, absolument inconsistante sur le plan théorique, démontre par sa nouveauté et son incohérence qu’elle a pour fonction de satisfaire certaines aspirations déjà mûres. Elle consacre l’appareil bureaucratique qui l’a engendrée.

Cette question est indissolublement liée à celle des fractions et des groupements. Quand un problème prête à la discussion, quand il y a divergence de vues, la direction et la presse officielle, non seulement du Parti communiste de l’U.R.S.S., mais aussi de l’Internationale communiste et de toutes ses sections, font immédiatement dévier le débat sur le plan du problème des fractions et des groupements. La vie idéologique du parti ne saurait se concevoir sans groupements provisoires sur le terrain idéologique. Jusqu’ici personne n’a encore découvert d’autre façon de procéder ; qui a essayé de le faire a pu seulement démontrer que sa recette ne servait qu’à étouffer la vie idéologique du parti.

Naturellement, les groupements sont un " mal " autant que les divergences de vues. Mais ce mal constitue une composante aussi nécessaire de la dialectique qui commande l’évolution du parti que les toxines pour la vie de l’organisme humain.

La transformation des groupements en fractions organisées et fermées sur elles-mêmes est un mal plus grand encore. L’art de diriger le parti consiste précisément à prévenir cette transformation. On ne saurait y parvenir par la simple interdiction. L’expérience du Parti communiste de l’U.R.S.S. en est le meilleur témoignage. Lors du Xe Congrès, tandis que grondaient l’insurrection de Cronstadt et les révoltes des koulaks, Lénine fit adopter une résolution interdisant les fractions et les groupements. Par groupements, on entendait non pas les tendances provisoires qui se constituent inévitablement dans la vie du parti, mais les fractions elles-mêmes quand elles cherchent à se faire passer pour des groupements. La masse du parti comprit clairement le danger mortel du moment ; elle soutint son chef, en adoptant une résolution rude et implacable dans sa forme : interdiction des fractions et des groupements [1].

Mais le parti savait que c’était le Comité central, dirigé par Lénine, qui interpréterait cette formule, et qu’ainsi il n’y aurait pas d’abus de pouvoir (voir le Testament de Lénine). Le parti savait qu’exactement un an après, lors du Congrès suivant, et même un mois après, si le tiers de ses membres le désirait, le parti vérifierait l’expérience acquise et apporterait les rectifications nécessaires. La décision du Xe Congrès fut une mesure tranchante, imposée par la situation critique du parti gouvernemental dans le temps où il effectuait un virage dangereux pour passer du communisme de guerre à la N.E.P. Cette mesure tranchante fut entièrement justifiée par la suite, car elle complétait une politique juste et perspicace qui enleva toute base aux groupements constitués avant le passage à la nouvelle politique économique.

Mais la résolution du Xe Congrès sur les fractions et les groupements, qui même en son temps exigeait une interprétation et une application judicieuses, ne constitue pas un principe absolu qui dominerait tous les autres besoins du parti au cours de son développement, indépendamment du pays, de la situation et de l’époque.

Après la disparition de Lénine, la direction du parti s’en tint à un point de vue formel sur la résolution du Xe Congrès relative aux fractions et groupements, afin de se défendre elle-même contre toute critique ; elle étrangla de plus en plus la démocratie du parti et en même temps perdit de vue de plus en plus le but immédiat : la suppression de l’esprit de fraction. La tâche, en effet, n’est pas d’interdire les fractions, mais d’obtenir que celles-ci n’existent plus. Pourtant, jamais l’esprit de fraction n’a autant dévasté le parti, n’a brisé aussi gravement son unité que depuis que Lénine a quitté la direction. Jamais comme maintenant n’a régné le faux monolithisme à 100 %, camouflage des méthodes d’étranglement de la vie du parti.

La fraction de l’appareil qui se cache du parti se forma dans le Parti communiste de l’U.R.S.S.(bolchevique) dès avant le XIIe Congrès. Plus tard, cette fraction adopta une organisation à la carbonari, avec son Comité central illégal (le " septemvirat [2] "), ses circulaires, ses agents, son code chiffré, etc. L’appareil du parti a créé en son sein un ordre fermé sur lui-même et incontrôlable, qui dispose des ressources exceptionnelles non seulement de cet appareil, mais aussi de l’État, qui transforme un parti de masses en un instrument chargé de camoufler toutes les manœuvres des intrigants.

Mais plus cette fraction de l’appareil fermée sur elle-même esquive le contrôle de la masse du parti, plus le processus d’émiettement en fractions devient grave et violent, non seulement à la base mais au sein de l’appareil. Comme la domination de l’appareil sur le parti, qui était déjà réalisée à l’époque du XIIe Congrès, est devenue totale et sans limites, les divergences nées au sein de l’appareil lui-même ne peuvent se résoudre : convier le parti à fournir la vraie solution, ce serait de nouveau lui subordonner l’appareil, trancher la question litigieuse en recourant aux méthodes de la démocratie dans l’appareil, c’est-à-dire en interrogeant les membres de la fraction secrète ; seul le groupe qui est certain de disposer de la majorité dans l’appareil peut adopter cette solution. Le résultat est que de nouveaux groupes se forment dans la fraction régnante ; ils s’efforcent moins d’obtenir la majorité au sein de l’appareil que des points d’appui dans les institutions de l’État. En ce qui concerne la majorité au Congrès du parti, on se l’assure automatiquement, puisqu’on peut convoquer le Congrès au moment le plus favorable et le préparer comme on l’entend. C’est ainsi que s’aggrave l’usurpation du pouvoir par l’appareil ; elle constitue le plus terrible des périls aussi bien pour le parti que pour la dictature du prolétariat.

Après que la première campagne " anti-trotskyste " de 1923-1924 eut été menée jusqu’au bout au moyen des fractions et de l’appareil, une profonde fêlure se produisit dans la fraction secrète dirigée par le " septemvirat ". Sa cause essentielle résidait dans le mécontentement de l’avant-garde prolétarienne de Leningrad devant le glissement qui commençait à s’opérer sur les problèmes de la vie intérieure du pays et les questions internationales. Les ouvriers avancés de Leningrad continuaient, en 1925, l’œuvre commencée par les prolétaires d’avant-garde de Moscou en 1923. Mais ces profondes tendances de classe ne purent se manifester ouvertement dans le parti ; elles se reflétèrent seulement dans la lutte sourde qui se déroula au sein de la fraction de l’appareil.

En avril 1925, le Comité central propagea, à travers tout le pays, une circulaire démentant les bruits prétendument répandus par les " trotskystes " (!!), d’après lesquels il aurait existé au sein du noyau des " léninistes " (c’est-à-dire du septemvirat fractionnel) certaines divergences à propos de la paysannerie. C’est seulement par cette circulaire que de plus nombreux cadres du parti apprirent l’existence réelle de telles divergences, ce qui n’empêcha nullement les dirigeants de continuer à tromper le parti en soutenant que " l’opposition " portait atteinte au monolithisme de la " garde de Lénine ". Cette propagande battait son plein, quand le XIVe Congrès précipita sur le parti les différends qui existaient entre deux parties de la fraction régnante, différends informes et confus, mais cependant profonds en raison de leurs origines de classe. Les organisations de Moscou et de Leningrad, c’est-à-dire les deux forteresses principales du parti, lors de leurs Conférences à la veille du Congrès, adoptèrent des résolutions directement opposées. L’une et l’autre le firent, évidemment, à l’unanimité. Ce miracle de " l’ordre révolutionnaire ", Moscou l’expliquait par l’oppression de l’appareil à Leningrad, tandis que Leningrad retournait cette accusation contre Moscou. Comme s’il existait une cloison étanche entre les organisations de ces deux villes ! Dans les deux cas, l’appareil décidait, démontrant par le monolithisme à 100 % que le parti était absent alors qu’il s’agissait de questions fondamentales intéressant sa propre existence.

Le XIVe Congrès se trouva contraint de surmonter les nouvelles divergences qui avaient surgi sur des problèmes essentiels et d’établir la nouvelle composition de la direction, en s’abritant derrière le dos du parti, qui n’avait pas été consulté. Le Congrès ne put faire autrement qu’abandonner immédiatement le soin de découvrir cette solution à une hiérarchie soigneusement choisie de secrétaires du parti. Le XIVe Congrès a posé un nouveau jalon dans la voie de la liquidation de la démocratie du parti, qui s’opère grâce aux méthodes de " l’ordre ", c’est-à-dire au bon plaisir d’une fraction camouflée de l’appareil. Les formes de lutte ultérieure datent seulement d’hier. L’art de la fraction régnante consista alors à placer chaque fois le parti en présence d’une résolution déjà adoptée, d’une situation irréparable, d’un fait accompli.

Cette nouvelle phase, plus avancée, de " l’ordre révolutionnaire " ne signifia nullement la liquidation des fractions et groupements. Au contraire, ils se développèrent extraordinairement et leurs rapports devinrent infiniment plus tendus, aussi bien dans la masse du parti que dans l’appareil même. En ce qui concerne le parti, le châtiment bureaucratique appliqué aux " groupements " se fit de plus en plus sévère ; la bureaucratie s’abaissa même jusqu’à l’infamie de l’officier wrangelien et de l’article 58 [3] . Dans le même temps, se poursuivait le processus d’un nouvel émiettement de la fraction régnante elle-même ; il continue encore. Aujourd’hui non plus, on ne manque pas de fausses manifestations de monolithisme, de circulaires qui affirment l’unanimité complète du sommet. En fait, la lutte sourde, acharnée, sans issue, qui se déroule dans les appareils fermés des fractions, a pris, à en juger par divers symptômes, un caractère tendu à l’extrême ; elle mène le parti vers on ne sait quelle explosion.

Telle est la théorie et telle est la pratique de " l’ordre révolutionnaire " qui, inévitablement, se transforment en théorie et en pratique de l’usurpation.

Depuis longtemps toutefois, ces choses ne se limitent plus à l’Union soviétique. En 1923, la campagne dirigée contre l’esprit de fraction reposait surtout sur l’argument selon lequel les fractions sont des embryons de parti ; or dans un pays encerclé par les capitalistes et où la paysannerie représente une majorité écrasante, la dictature du prolétariat n’admet pas la liberté des partis.

En soi, cette thèse est absolument juste mais elle exige aussi une politique juste et dans le parti un régime approprié. Pourtant, il est clair qu’en posant ainsi la question, on renonçait à étendre les résolutions du Xe Congrès du Parti communiste de l’U.R.S.S. – parti gouvernemental – aux partis communistes des États bourgeois. Mais le régime bureaucratique a sa logique qui le dévore lui-même. S’il n’admet pas de contrôle démocratique dans le parti soviétique, il ne le tolère pas davantage dans l’Internationale communiste, qui, du point de vue formel, domine le Parti communiste de l’U.R.S.S. Voilà pourquoi la direction a transformé en un principe universel sa façon grossière et déloyale d’appliquer la résolution du Xe Congrès, résolution qui correspondait aux conditions bien déterminées de l’U.R.S.S. au moment considéré ; elle l’a étendue à toutes les organisations du globe terrestre.

Le bolchevisme fut toujours fort parce qu’il élaborait ses formes d’organisation en tenant compte de la situation historique concrète : pas de schémas arides. En passant d’une étape à l’autre, les bolcheviks modifiaient radicalement la structure de leur organisation. Pourtant, à présent, le seul et même principe de " l’ordre révolutionnaire " est appliqué à la fois au puissant parti de la dictature du prolétariat, au Parti communiste allemand qui est une force politique importante, au jeune Parti communiste chinois brusquement entraîné dans le tourbillon de la lutte révolutionnaire, à la petite société de propagandistes que constitue le parti aux États-Unis. Il suffit que dans ce dernier surgissent des doutes sur la justesse des méthodes imposées par le Pepper du moment, pour que des châtiments frappent les " sceptiques " pour esprit de fraction. Un jeune parti, qui est un organisme politique tout à fait embryonnaire, sans liaison véritable avec les masses, sans expérience de direction révolutionnaire, sans affermissement théorique, est déjà complètement affublé de tous les attributs de " l’ordre révolutionnaire ", qui lui vont comme l’armure du père à son fils de six ans.

Le Parti communiste de l’U.R.S.S. a, sur le plan idéologique, une expérience révolutionnaire des plus riches. Mais, comme l’ont montré les dernières années, lui non plus il ne peut vivre un seul jour impunément, en se bornant à consommer les intérêts de son capital ; il doit constamment le reconstituer et l’augmenter : cela n’est possible que par le travail collectif de la pensée du parti. Que dire alors des partis communistes étrangers, nés il y a seulement quelques années, qui ne font encore que traverser leur période primaire d’accumulation des connaissances théoriques et des méthodes d’action. Sans liberté véritable dans la vie du parti, sans liberté de discussion, sans liberté de détermination collective (et notamment en groupes) des voies à suivre, ces partis ne deviendront jamais une force révolutionnaire décisive.

Avant le Xe Congrès, d’où date l’interdiction des fractions, le Parti communiste de l’U.R.S.S. a vécu deux décennies sans connaître cette interdiction. Ce sont justement ces deux décennies qui l’ont éduqué et préparé assez bien pour que, devant un revirement des plus difficiles, il sache accepter et supporter les résolutions sévères du Xe Congrès. Or, les partis communistes occidentaux commencent directement par là.

Lénine et nous avec lui, nous redoutions, avant tout, que le Parti communiste russe, disposant des puissantes ressources d’un État, n’exerçât une influence excessive, écrasante, sur les jeunes partis d’Occident qui venaient de s’organiser. Lénine, sans se lasser, multipliait les mises en garde contre un accroissement prématuré du centralisme, contre toute avance exagérée du Comité exécutif et du Présidium dans cette voie, et surtout contre des formes et méthodes d’assistance qui se transformeraient en commandement direct, n’admettant aucun recours en appel.

La rupture se produisit en 1924, sous le nom de " bolchevisation ". Si l’on entend, par bolchevisation, l’épuration du parti par l’élimination d’éléments et d’habitudes hétérogènes, celle des fonctionnaires sociaux-démocrates accrochés à leurs postes, des francs-maçons, des démocrates-pacifistes, des confusionnistes spiritualistes, etc., alors cette besogne s’accomplit dès le premier jour de l’existence de l’Internationale communiste ; lors du IVe Congrès, elle prit des formes très actives à l’égard du Parti communiste français. Mais cette bolchevisation véritable se liait indissolublement, autrefois, à l’expérience propre des sections nationales de l’Internationale communiste et s’étendait à partir de cette expérience ; elle avait comme pierre de touche les questions de politique nationale, qui s’élevaient jusqu’à devenir des problèmes internationaux. La " bolchevisation " de 1924 ne fut qu’une caricature ; on mit le revolver sur la tempe des organisations dirigeantes des partis communistes, en exigeant d’elles que, sans informations ni débats, elles prissent immédiatement et définitivement position sur les divergences internes du Parti communiste de l’U.R.S.S. ; elles savaient d’avance que les positions prises détermineraient leur maintien dans l’Internationale communiste ou leur rejet hors de ses rangs.

Pourtant, en 1924, les partis communistes européens n’avaient pas les moyens de résoudre les problèmes qui étaient posés dans la discussion russe, où s’ébauchaient à peine dans la nouvelle étape de la dictature du prolétariat deux tendances de principe. Il est évident qu’après 1924, le travail d’épuration demeurait indispensable, et, dans de nombreuses sections, des éléments hétérogènes furent éliminés à juste titre. Mais, considérée dans son ensemble, la " bolchevisation " consistait chaque fois à désorganiser les directions qui se formaient dans les partis communistes occidentaux, en utilisant comme un coin les différends russes que l’appareil d’État enfonçait à coups de marteau. Tout cela se dissimulait sous l’étendard de la lutte contre l’esprit de fraction.

Quand, au sein du parti de l’avant-garde prolétarienne, des fractions viennent à se cristalliser, menaçant de le rendre pour longtemps inapte au combat, il est évident que le parti est dans la nécessité de prendre une décision : faut-il laisser au temps la possibilité d’opérer une vérification supplémentaire, ou bien faut-il reconnaître immédiatement que la scission est inévitable ? Un parti de combat ne peut être une somme de fractions tirant à hue et à dia. Sous sa forme générale cette idée est incontestable. Mais user de la scission comme d’un moyen préventif contre les divergences de vues, amputer tout groupe ou groupement qui fait entendre la voix de la critique, c’est transformer la vie intérieure du parti en une succession d’avortements dans l’organisation. De telles, méthodes, loin de contribuer à la perpétuation et au développement de l’espèce, ne font qu’épuiser l’organisme générateur, c’est-à-dire le parti. La lutte contre l’esprit de fraction devient plus dangereuse que cet esprit lui-même.

A l’heure actuelle, les premiers fondateurs de presque tous les partis communistes du monde ont été mis en dehors de l’Internationale, sans excepter son ex-président. Dans presque tous les partis, les groupes qui en guidèrent le développement pendant deux périodes consécutives sont exclus ou mis à l’écart. En Allemagne, le groupe Brandler n’a maintenant qu’un pied dans le parti ; le groupe Maslow n’a pas franchi son seuil. En France, les anciens groupes de Rosmer-Monatte, Loriot, Souvarine, ont été exclus ; il en va de même pour le groupe Girault-Treint, qui occupa la direction pendant la période suivante. En Belgique, on a exclu le groupe de Van Overstraeten. Si le groupe de Bordiga, qui donna naissance au Parti communiste italien, n’est qu’à moitié exclu, cela s’explique par les conditions du régime fasciste. En Tchécoslovaquie, en Suède, en Norvège, aux États-Unis, en un mot dans presque tous les partis du monde, des événements plus ou moins analogues se sont produits depuis la mort de Lénine.

Que beaucoup d’exclus aient commis d’énormes fautes, nous n’avons pas été en retard sur les autres pour le signaler. On ne peut pas non plus le nier, nombre d’exclus de l’Internationale communiste sont revenus dans une large mesure à leurs positions de départ, à la social-démocratie de gauche ou au syndicalisme. Mais la tâche de l’Internationale communiste ne consiste pas à acculer automatiquement à une impasse les jeunes dirigeants des partis nationaux, et à vouer ainsi certains de ceux qu’ils représentent à la dégénérescence idéologique. " L’ordre révolutionnaire " de la direction bureaucratique est devenu un obstacle terrible qui se dresse sur la voie du développement de tous les partis de l’Internationale.

Les questions d’organisation sont inséparables des questions de programme et de tactique. Il faut voir clairement qu’une des sources les plus importantes de l’opportunisme dans l’Internationale communiste est le régime bureaucratique de son appareil et de celui de son parti dirigeant. Après l’expérience des années 1923-1928, personne ne peut plus nier qu’en Union soviétique la bureaucratie ne soit l’expression et l’instrument de la pression qu’exercent contre le prolétariat des classes non prolétariennes. Le projet de programme de l’Internationale communiste donne une formule juste quand il dit que les dépravations bureaucratiques " surgissent inévitablement quand les masses manquent de culture et que se manifestent des influences de classe étrangères au prolétariat ". Nous possédons ici la clef qui permet de comprendre non seulement la bureaucratie en général, mais son accroissement extraordinaire au cours des cinq dernières années. Si le degré de culture des masses, tout en restant insuffisant, a grandi au cours de cette période (le fait n’est pas douteux), on ne peut donc chercher la cause de la progression de la bureaucratie que dans l’accroissement des influences de classe étrangères au prolétariat. Les partis communistes européens, c’est-à-dire surtout leurs noyaux dirigeants, calquent leurs organisations sur les poussées et regroupements qui s’opèrent dans le Parti communiste de l’U.R.S.S. : ainsi, la bureaucratie des partis communistes étrangers n’est-elle, dans une large mesure, que le reflet et le complément de celle du Parti communiste de l’U.R.S.S.

Le choix des dirigeants des partis communistes étrangers s’est fait et se fait encore d’après leurs aptitudes à accepter et approuver le plus récent regroupement dans l’appareil du Parti communiste de l’U.R.S.S. Ceux d’entre eux qui avaient le plus d’indépendance et de sens des responsabilités, ceux qui n’acceptaient pas de se soumettre à des changements effectués de façon strictement administrative, tous ceux-là furent expulsés du parti, ou bien furent acculés à entrer dans l’aile droite (souvent prétendument de droite), ou bien passèrent dans l’Opposition de gauche. Ainsi, le processus organique de la sélection, qui permet la cohésion des cadres révolutionnaires sur la base de la lutte prolétarienne, parce qu’il est dirigé par l’Internationale communiste, est interrompu, modifié, défiguré ; on lui substitue parfois ouvertement un triage administratif et bureaucratique opéré au sommet. On comprend que les communistes les plus disposés à accepter des décisions prises à l’avance et à signer n’importe quoi l’aient souvent emporté sur des éléments qui possèdent à un plus haut degré l’esprit de parti et le sentiment de la responsabilité révolutionnaire. Le plus souvent, au lieu de choisir des révolutionnaires stoïques et rigoureux, on sélectionna ceux qui en bons bureaucrates savaient s’adapter.

Tous les problèmes de la politique intérieure et internationale nous ramènent invariablement aux questions du régime intérieur du parti. Il est évident que les déviations qui nous ont éloignés de la ligne de classe dans les problèmes de la révolution chinoise, du mouvement ouvrier anglais, de l’économie de l’U.R.S.S., des salaires, des impôts, etc., constituent en elles-mêmes un danger des plus sérieux. Mais ce danger est décuplé par l’impossibilité où se trouve le parti de redresser, en suivant les voies normales, la ligne décidée par le sommet ; car il a les pieds et les poings liés par le régime bureaucratique. On peut en dire autant de l’Internationale communiste. La résolution du XIVe Congrès du Parti communiste de l’U.R.S.S, sur la nécessité d’une direction plus démocratique et plus collective de l’Internationale communiste a été pratiquement bafouée. Un changement dans le régime intérieur de l’Internationale communiste devient une question de vie ou de mort pour le mouvement révolutionnaire international. Ce changement peut s’obtenir de deux façons : ou bien par une transformation du régime intérieur du Parti communiste de l’U.R.S.S., ou bien par la lutte contre le rôle dirigeant joué par le Parti communiste de l’U.R.S.S. dans l’Internationale communiste. Il faut que nous tendions toutes nos forces pour y arriver par la première voie. La lutte pour un changement de régime dans le Parti communiste de l’U.R.S.S, est une lutte pour l’assainissement du régime de l’Internationale communiste ; elle se propose aussi d’assurer dans la direction de notre parti la sauvegarde de nos idées.

Il faut impitoyablement chasser du programme l’idée même que des partis vivants, actifs puissent être subordonnés au contrôle de " l’ordre révolutionnaire " imposée par la bureaucratie du parti et de l’État. Il faut rendre au parti lui-même ses propres droits. Il faut que le parti redevienne un parti. Il faut affirmer ces nécessités dans le programme ; de manière à ne laisser aucune place à la justification théorique de la bureaucratie et des tendances à l’usurpation.
12. CAUSES DES DÉFAITES DE L’OPPOSITION ET PERSPECTIVES

A partir de l’automne de 1923, l’aile gauche prolétarienne du parti, qui a exposé ses vues dans toute une série de documents dont le principal est la Plate-forme des bolcheviks-léninistes (Opposition), fut systématiquement soumise, en tant qu’organisation, à la destruction. Les procédés de répression étaient déterminés par le caractère du régime intérieur du parti, qui devenait de plus en plus bureaucratique à mesure qu’augmentait la pression exercée par les classes non prolétariennes contre le prolétariat.

Le caractère général de la période permit la réussite de ces méthodes : c’est en effet le moment où le prolétariat subit de graves défaites et où la social-démocratie reprit vigueur, tandis qu’au sein des partis communistes les tendances centristes et opportunistes se renforçaient et que le centrisme, jusqu’aux tout derniers mois, glissait systématiquement vers la droite. La première répression contre l’Opposition s’exerça aussitôt après la défaite de la révolution allemande dont elle fut, en quelque sorte, le complément. Elle eût été impossible si le triomphe du prolétariat allemand avait pu augmenter la confiance du prolétariat de l’U.R.S.S. en lui-même et du même coup sa force de résistance à la pression des classes bourgeoises de l’intérieur et de l’extérieur, et aussi à sa courroie de transmission, la bureaucratie du parti.

Pour éclairer le sens général des regroupements qui se sont opérés dans l’Internationale communiste depuis la fin de 1923, il serait de la plus haute importance d’examiner comment le groupe dirigeant, aux diverses étapes de son glissement, expliquait ses victoires " d’organisation " sur l’Opposition. Ce travail n’est pas possible dans le cadre de notre critique du projet de programme. Mais pour atteindre notre but, nous n’avons qu’à examiner comment fut comprise la première " victoire " remportée sur l’Opposition en septembre 1924, d’après l’article où Staline débuta dans les questions de politique internationale :

" Il faut considérer la victoire décisive remportée dans les partis communistes par l’aile révolutionnaire comme le symptôme le plus sûr – écrivait Staline – des processus révolutionnaires très importants qui se produisent dans les profondeurs de la classe ouvrière... "

Et à un autre endroit du même article :

" Si l’on ajoute à cela le total isolement de la tendance opportuniste au sein du Parti communiste russe, le tableau que l’on obtiendra sera complet. Le Ve Congrès de l’Internationale communiste n’a fait que consolider la victoire de l’aile révolutionnaire dans les sections principales de l’Internationale communiste " (Pravda, 20 septembre 1924).

Ainsi, la défaite de l’Opposition du Parti communiste russe fut présentée comme le résultat de l’orientation vers la gauche du prolétariat marchant directement à la révolution, et dans toutes les sections, prenant le dessus sur l’aile droite. Maintenant, cinq ans après la plus grande des défaites du prolétariat international, celle de l’automne de 1923, la Pravda est obligée de reconnaître que c’est seulement actuellement que l’on commence à remonter " du creux de la vague, l’apathie et la dépression qui commencèrent après la défaite de 1923 et permirent au capitalisme allemand de renforcer ses positions " (Pravda, 28 janvier 1928).

Mais se pose alors une question, qui est nouvelle pour les dirigeants actuels de l’Internationale communiste, sinon pour nous : faut-il donc expliquer l’échec de l’Opposition, en 1923 et dans les années suivantes, par un déplacement de la classe ouvrière vers la droite et non vers la gauche ? La réponse à cette question décide de tout.

Celle qui fut donnée en 1924, lors du Ve Congrès de l’Internationale communiste, et plus tard dans des discours et des articles, était nette et catégorique : ce furent le renforcement des éléments révolutionnaires dans le mouvement ouvrier d’Europe, le nouveau flot ascendant et l’approche de la révolution prolétarienne qui causèrent la " débâcle " de l’Opposition.

Mais aujourd’hui la cassure politique durable, brutale qui, après 1923, s’est opérée vers la droite et non vers la gauche, est un fait établi et indiscutable. Par conséquent, il est clair que le déchaînement de la lutte contre l’Opposition et son intensification, qui entraîna exclusions et déportations, est intimement lié au processus politique de stabilisation de la bourgeoisie en Europe. Ce processus, il est vrai, a été contrarié, au cours des quatre dernières années, par d’importants événements révolutionnaires. Mais de nouvelles erreurs de la direction, plus cruelles encore que celles de 1923 en Allemagne, donnèrent chaque fois la victoire à l’ennemi, dans les pires conditions pour le prolétariat et le Parti communiste, et firent apparaître de nouveaux facteurs favorables à la stabilisation bourgeoise. Le mouvement révolutionnaire international a subi des défaites ; de ce fait, l’aile gauche prolétarienne du Parti communiste de l’U.R.S.S. (bolchevique) et l’Internationale communiste ont connu des échecs.

L’explication serait incomplète si nous ne tenions compte des conditions dans lesquelles se développaient les processus internes de l’économie et de la politique en U.R.S.S. : parties de la N.E.P., les contradictions s’aggravaient, parce que la direction comprenait mal les problèmes de l’alliance économique des villes et des campagnes, tout en sous-estimant le déséquilibre dont souffrait l’industrie et les tâches qui en résultaient dans une économie planifiée.

L’augmentation de la pression économique et politique exercée par les milieux bureaucratiques et petits-bourgeois à l’intérieur du pays, sur le fond des défaites de la révolution prolétarienne en Europe et en Asie, voilà l’enchaînement historique dont, pendant ces quatre années, le nœud coulant se resserra autour de la gorge de l’Opposition. Celui qui ne comprend pas cela ne comprend rien du tout.

Dans cet exposé, presque à chaque étape, nous avons dû confronter la ligne qui fut appliquée avec celle qui fut écartée sous le nom de trotskysme. Le sens de cette lutte, dans son aspect général, apparaît aux yeux d’un marxiste avec une netteté parfaite. Si les accusations épisodiques ou partielles de " trotskysme ", appuyées par une accumulation de citations réelles et imaginaires, qui se sont étendues sur une période de vingt-cinq ans, pouvaient jadis dérouter, en revanche, un jugement cohérent sur l’ensemble de la lutte idéologique qui s’est livrée durant les cinq dernières années montre que s’affirmèrent deux lignes de conduite. L’une fut consciente et méthodique. Elle prolongea et développa les principes stratégiques léninistes dans leur application aux problèmes intérieurs de l’U.R.S.S. et de la révolution mondiale : c’est la ligne de l’Opposition. Et l’autre, inconsciente, contradictoire, hésitante, zigzaguante, s’éloigne du léninisme sous la pression des forces de la classe ennemie dans une période de reflux politique sur le plan international : c’est la ligne de la direction officielle. Souvent, quand ils varient, les hommes abandonnent plus facilement des conceptions que des mots auxquels ils sont habitués. C’est la loi générale de toute mue dans le domaine idéologique. Dans presque toutes les questions fondamentales, la direction a procédé à une révision de Lénine ; mais elle a fait passer cette révision pour un développement du léninisme tandis qu’elle a appelé trotskysme son essence révolutionnaire internationale, afin non seulement de se camoufler en surface, mais aussi de se tromper elle-même, pour s’adapter plus aisément au processus de son propre glissement.

Qui voudra comprendre ce fait ne nous fera pas le reproche ridicule d’avoir lié la critique du projet de programme à la mise à nu de la légende du trotskysme. Le présent projet a mûri dans une époque imprégnée de cette légende. Ce furent surtout ses auteurs qui l’alimentèrent, la prirent comme point de départ et jugèrent tout à sa lumière. Aussi ces circonstances se reflètent-elles dans le projet.

Un nouveau chapitre instructif vient de s’ajouter à l’histoire de la politique. On peut dire qu’il prouve la force que peut avoir la création des mythes, ou plus simplement la calomnie utilisée comme arme politique dans le domaine des idées. Comme l’expérience le démontre, on ne doit pas sous-estimer la valeur de cette arme. Nous sommes encore loin du " saut qui fera passer du règne de la nécessité au règne de la liberté " ; nous vivons dans une société de classe qui ne peut pas ne pas renfermer obscurantisme, préjugés et superstitions. Un mythe qui correspond à certains intérêts ou à certaines habitudes traditionnelles peut toujours, dans une société divisée en classes, acquérir une grande puissance. Néanmoins, à partir seulement d’un mythe, même s’il est organisé suivant un plan et dispose de toutes les ressources de l’État, il n’est pas possible de bâtir une politique large, une politique révolutionnaire surtout, et plus particulièrement à notre époque. Inévitablement, la création des mythes s’empêtre dans ses propres contradictions. Nous n’en avons cité qu’une petite partie, bien qu’elle soit peut-être la plus importante. Nous comptons fermement que l’analyse objective, celle qu’opèrent les événements, viendra appuyer notre analyse subjective, que les circonstances extérieures nous permettent de la poursuivre jusqu’au bout ou non.

La radicalisation des masses ouvrières d’Europe est un fait incontestable qui s’est manifesté au cours des dernières élections parlementaires. Mais cette radicalisation ne fait que passer par sa phase primaire. Des facteurs comme la récente défaite de la révolution chinoise la contrecarrent, et font, pour une grande part, le lit de la social-démocratie. Nous ne voulons pas prédire ici à quelle vitesse ce processus s’effectuera. En tout cas, il est clair que la radicalisation ne sera le signe précurseur d’une situation révolutionnaire nouvelle qu’à partir du moment où l’attraction exercée par le Parti communiste s’accroîtra au détriment des grandes réserves de la social-démocratie.

Nous n’en sommes pas encore là ; mais nous y viendrons, par l’effet d’une rigoureuse nécessité.

L’orientation incertaine actuellement suivie par la direction de l’Internationale communiste, qui s’efforce de donner un coup de barre à gauche, ne concorde pas avec la politique menée à l’intérieur de l’U.R.S.S., où l’on ne voit ni se modifier complètement le régime, ni s’arrêter la lutte contre les éléments révolutionnaires qui ont su résister à toutes les épreuves. Son aspect contradictoire résulte non seulement des difficultés économiques intérieures de l’U.R.S.S. (ce qui confirme entièrement les prévisions de l’Opposition), mais il correspond aussi parfaitement à la première étape de la radicalisation des masses ouvrières d’Europe. L’éclectisme de la politique suivie par la direction de l’Internationale communiste, l’éclectisme du projet de programme, constituent en quelque sorte un instantané de l’état actuel de la classe ouvrière internationale, qui est poussée vers la gauche par la marche des événements, mais n’a pas encore déterminé sa voie et a donné plus de neuf millions de suffrages à la social-démocratie allemande.

La future progression révolutionnaire correspondra à un immense regroupement qui s’opérera dans la classe ouvrière, et dans toutes ses organisations, y compris l’Internationale communiste. L’allure de ce processus n’apparaît pas clairement, mais les voies de son évolution concrète sont nettes. Les masses ouvrières, couche par couche, passeront de la social-démocratie au Parti communiste. L’axe de la politique communiste se déplacera de la droite vers la gauche. La ligne bolchevique du groupe qui, depuis 1923, depuis la défaite du prolétariat allemand, a su remonter le courant sous une grêle d’accusations et de persécutions, recueillera une sympathie de plus en plus grande.

Les méthodes d’organisation par lesquelles triompheront, dans l’Internationale communiste, et par conséquent dans l’ensemble du prolétariat international, les idées du véritable léninisme, qu’on ne peut contrefaire, dépendent pour une large part de la direction actuelle de l’Internationale communiste, et par conséquent, directement du VIe Congrès.

Cependant, quelles que soient les décisions de ce Congrès – nous sommes prêts au pire – , le jugement général porté sur l’époque actuelle et ses tendances internes, dont la cause a été instruite en particulier par l’expérience des cinq dernières années, nous dit que les idées de l’Opposition n’ont pas besoin de suivre un autre canal que celui de l’Internationale communiste. Personne ne nous en écartera. Les idées que nous défendons deviendront ses idées. Elles trouveront leur expression dans le programme de l’Internationale communiste.

NOTES

[1] La résolution du Xe Congrès qui interdisait les fractions organisées au sein du Parti bolchevique, et qui servit à Staline pour réprimer par la suite toute opposition, fut une mesure exceptionnelle prise dans des circonstances graves – la révolte de Cronstadt venait de se produire et le parti tendait à devenir une fédération de groupements idéologiques fonctionnant indépendamment les uns des autres. Elle ne signifiait nullement l’interdiction des oppositions. Elle disait notamment :
" Il est nécessaire que chaque organisme du parti veille à ce que les critiques absolument nécessaires des faiblesses du parti, les analyses de sa direction générale, toutes les appréciations de son expérience pratique, tout examen de l’exécution de ses décisions et des moyens de corriger ses erreurs, etc., s’opèrent non dans des groupes séparés ayant une " plate-forme " mais plutôt dans des réunions de tous les membres du parti. Dans cette intention, le Congrè décide de publier un Bulletin de discussion et des périodiques spéciaux... "
En outre, Lénine combattit dans les termes suivants un amendement présenté par Riazanov, qui voulait interdire " les élections au Congrès sur 1a base de plates-formes " :
" ... Si des désaccords fondamentaux existent sur une question, nous ne pouvons pas priver les membres du Comité central du droit de s’adresser au parti... Le présent Congrès ne peut en aucune manière et sous aucune forme décider les élections pour le prochain Congrès. Et si par exemple des questions comme celle de la paix de Brest-Litovsk étaient soulevées ? Pouvons-nous garantir qu’il n’y en aura pas ? On ne saurait l’affirmer. Il est possible qu’en pareil cas il soit nécessaire de procéder aux élections sur la base de plates-formes. "

[2] Dans le cours de la lutte contre Trotsky, six autres membres du Bureau politique (Zinoviev, Kamenev, Staline, Boukharine, Vorochilov, Kalinine), constituèrent une fraction avec le président de la Commission centrale de Contrôle, Kouibichev. L’existence de ce groupe de sept personnes, de ce " septemvirat ", fut révélée par Zinoviev et Kamenev à la session du Comité central de juillet 1926.

[3] Peu avant le XVe Congrès, l’Opposition de gauche fut dénoncée comme étant en relation avec un ancien officier de l’armée du général blanc Wrangel. L’Opposition put encore imposer sur cette accusation l’ouverture d’une enquête, qui amena le chef du Guépéou de l’époque, Menjinsky, à reconnaître que cet homme était un agent du Guépéou envoyé comme provocateur dans un groupe oppositionnel. L’article 58 du Code pénal soviétique vise les crimes d’activité contre-révolutionnaire dirigés contre l’Etat soviétique. Il fut utilisé pour réprimer les communistes qui s’opposaient à la politique de la direction stalinienne.

https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/ical/ical2212.html

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