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Rappelons-nous du dernier massacre colonial et anti-ouvrier en 1974 en Martinique

vendredi 26 novembre 2021, par Robert Paris

Le massacre de 1974 en Martinique

Le 14 février 1974, les gendarmes ouvrent le feu sur des ouvriers agricoles, à l’entrée d’une plantation d’ananas, à Basse Pointe. Près de 10 manifestants sont blessés par balle, deux ne survivront pas. Retour sur le dernier mouvement social réprimé dans le sang en Martinique.

En ce début d’année 1974, l’activité de l’île est paralysée par un mouvement de grève des ouvriers agricoles. Un an plus tôt, une sécheresse exceptionnelle a entrainé la perte de 40% de la production bananière, sur laquelle repose désormais l’économie de l’île, depuis la fermeture de la quasi-totalité des usines sucrières. Dans le même temps, la hausse du baril de pétrole engendre une forte augmentation du prix des denrées de première nécessité, pratiquement toutes importées.

Les premières victimes de cette crise sont les ouvriers de la banane, qui constituent la main d’œuvre la moins bien payée de l’île. À l’époque, un travailleur des champs est rémunéré 30 francs par jour.

La grève entamée le 17 janvier repose ainsi sur plusieurs revendications comme une meilleure définition des taches, la fin de l’utilisation des produits dangereux -dont déjà le fameux Képone (pesticide dont la molécule active est la chlordécone)- et surtout : une revalorisation salariale de 5 francs et 46 centimes.

Après plus de 3 semaines de grève, les négociations sont au point mort. La dernière proposition des planteurs, à 32 francs, est catégoriquement refusée par les syndicats, qui décident de durcir le mouvement. Les ouvriers de la canne se déclarent solidaires de leurs camarades travaillant dans les bananeraies.

Un rapport de force s’engage avec les patrons. Les grévistes tentent d’enrôler un maximum d’ouvriers, en passant d’habitations en habitations, quitte parfois à utiliser l’intimidation comme mode de recrutement.

La contestation prend ainsi de plus en plus d’ampleur et s’étend désormais du nord au sud de l’île. Régulièrement appelés pour maintenir l’ordre autour des habitations de Rivière Pilote, du Lamentin, du Robert, du Gros Morne ou de Sainte Marie, les gendarmes essuient généralement des jets de pierres, auxquels ils répliquent par des tirs de grenades lacrymogènes.

C’est dans ce contexte très tendu que survient le drame de Chalvet. Le préfet de l’époque (Christian Orsetti) aurait donné l’ordre d’employer tous les moyens nécessaires pour mettre fin à la révolte ouvrière, y compris la force. Dépêchés à Basse Pointe pour protéger l’habitation Chalvet, environ 200 gendarmes -appuyés par un hélicoptère- encerclent soigneusement les grévistes avant de tirer à balles réelles.

6 ouvriers agricoles sont grièvement touchés dont Ilmany Sérier, dit Rénor, qui ne se relèvera pas. Il avait 55 ans et était père de 22 enfants.

L’émotion est considérable, comme en témoigne la foule rassemblée à ses obsèques, au Lorrain, deux jours plus tard…
Alors que le sentiment anticolonial se renforce, les autorités se défendent en affirmant que les gendarmes ont ouvert le feu en "état de légitime défense caractérisé".

De plus, une terrible nouvelle se répand pendant les obsèques. Un autre cadavre vient d’être retrouvé sur une plage de Basse Pointe ! Il s’agit du corps d’un ouvrier maçon de 19 ans : Georges Marie-Louise. Un jeune homme qui n’avait plus donné signe de vie depuis sa participation aux affrontements avec les gendarmes le 14 février.

Un cadavre "manifestement torturé et mutilé", diront des témoins. Affirmation totalement contredite par le rapport d’autopsie. Examen pratiqué par trois médecins, dont l’adjoint au maire de Fort de France : Pierre Aliker.

L’émoi est général, comme la grève qui touche maintenant tous les secteurs d’activité. L’ampleur des manifestations incite les patrons à revenir à la table des négociations.
Le 19 février, un accord est finalement conclu entre les planteurs et les syndicats. Une journée de travail dans la banane sera désormais payée 35 francs 50.

Les circonstances de la mort de Marie Louise ne seront jamais élucidées. Pas plus que ne seront inquiétés les gendarmes qui ont ouvert le feu à la Saint Valentin.

Chaque année, une marche commémorative est organisée, autour du 14 février, sur le trajet des ouvriers agricoles de 1074, entre le Lorrain et Basse Pointe.

46 ans après le drame de Chalvet, il reste une plaque commémorative à Chalvet, ainsi qu’une chanson (Févriyé 74 de Kolo Barst) pour raviver le souvenir d’Ilmany Sérier et de George Marie Louise.

Source : https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/chalvet-1974-massacre-saint-valentin-martinique-800811.html

La Grève de Février 1974

La grève éclate le 17 Janvier 1974 sur l’habitation Vivé au Lorrain à partir d’un problème de licenciement lié à la restructuration de l’habitation. Elle connaîtra d’abord une extension régionale sur les habitations voisines d’Assier et de Fonds Brûlés et l’on verra apparaître une première structure de lutte : le Comité de grève des habitations Vivé – Assier – Fonds Brûlés.

L’organisation des ouvriers

Progressivement et parallèlement à l’extension de la grève, le mouvement se structure permettant :

• la création du Comité de grève des travailleurs agricoles de la Martinique

• l’élaboration d’une plateforme revendicative en 11 points inspirée pour partie des discussions préalables entre les ouvriers du Lorrain et pour partie des syndicalistes de la C.G.T. qui à l’annonce du déclenchement se sont portés au-devant des ouvriers en lutte.
Les revendications

1. 35,46 Francs pour une journée de travail de 8 heures

2. Paiement effectif des heures supplémentaires (5,54 Francs)

3. Paiement intégral du salaire à la fin de chaque semaine : pas de retenue

4. Suppression totale des produits toxiques

5. La pause de midi de 12h à 13h sur toutes les habitations ainsi qu’un quart d’heure pour le repas du matin

6. Pas de licenciement injustifié : du travail pour tous

7. Amélioration des conditions de travail dans les hangars (tabliers, gants bottes)

8. Suppression du travail à la tâche dans l’aubergine et dans l’ananas
9. Suppression totale des tâches

10. Respect des droits syndicaux sur l’habitation

11. Paiement des congés payés exigibles en Juillet

La propagation du mouvement

La grève marchante, se déplace d’habitations en habitations, pour expliquer, convaincre, rallier les hésitants. Il n’y a pas de syndicat qui mène officiellement la grève, mais un Comité de Grève des travailleurs agricoles de la Martinique. Le Nord-Atlantique est touché dès les premiers jours, du Lorrain à Grand-Rivière. Entre le 23 Janvier et le 8 Février, le centre et le sud sont touchés : Robert, Trinité, Sainte-Marie, Marigot, Lamentin, François, Saint-Joseph, Rivière-Pilote.

La réaction patronale

Un « Comité pour le maintien de la banane » appelle les ouvriers à reprendre le travail, estimant les revendications suicidaires pour la profession. Le ton est donné. Le conflit risque d’être dur…
Le communiqué de la SICABAM : Lire plus.

Le soutien à la grève

Pour soutenir la grève est créée l’UPSOA (Union Patriotique de Soutien avec les ouvriers agricoles), structure de coordination qui travaille en étroite collaboration avec le comité de grève. L’UPSOA regroupe des organisations nationalistes, patriotiques ou marxistes léninistes telles que le GS 70, le GAP, les Marronneurs, le Rassemblement de Saint-Joseph, l’union des comités d’action des enseignés (UCAEM), les patriotes du Sud. Sa tâche essentielle est de populariser le mouvement de grève, d’apporter un soutien politique et financier. C’est dans ce cadre que se tient un meeting au bourg de Rivière-Pilote avec le soutien de la municipalité.

Vers la grève générale

Parallèlement, le malaise social qui couve dans de nombreux secteurs économiques éclate au grand jour. La CGTM (Victor LAMON), la CFDT (Line BEAUSOLEIL), la CGT-FO (Frantz AGASTA), la FEN préparent depuis plusieurs mois un mouvement de grève générale qui est fixé au 12 Février.

Les principales revendications portent sur la vie chère, la baisse du pouvoir d’achat, le sous-emploi l’alignement de la législation sociale et salariale sur celle de la France, l’augmentation des allocations familiales et l’allocation logement. Revendications anciennes comme celles qui relèvent de l’égalité sociale en vertu de la loi d’assimilation de 1946, ou revendications plus immédiates liées à la hausse des prix.

La grève générale se traduit par une immense manifestation qui rassemble plus de 4 000 personnes dans les rues de Fort-de-France. Les syndicats eux-mêmes sont surpris par l’ampleur de la mobilisation. Ouvriers du bâtiment, dockers, travailleurs de l’industrie, employés des administrations, enseignants, lycéens, ils sont tous dans la rue. Un tract signé d’un groupe de dockers avait apporté son soutien aux ouvriers agricoles, mais la grève sur les habitations et le mouvement qui se déroulent en ville sont parallèles, sans qu’on puisse les confondre.

Une centaine d’ouvriers agricoles descendus à Fort-de-France ont manifesté sous leur propre banderole le 12 Février, mais Ils n’ont pu prendre la parole lors du meeting de clôture à la maison des syndicats.

La tension continue à monter après cette journée du 12. Des bruits de pillage de magasins, les rumeurs les plus folles circulent en ville. Des renforts de gardes mobiles débarquent de Guadeloupe et de Guyane. Des camions de l’armée stationnent en ville. Des Jeeps de gendarmes accompagnent les ouvriers agricoles, d’habitations en habitations, hangars après hangars, ceci, il faut le dire, dès les premiers jours de la grève.

Le 13 Février, lors de la commission paritaire de la banane et de l’ananas, les patrons proposent 32 Francs au lieu des 35,46 Francs réclamés par les ouvriers.

La poursuite de la grève est décidée, de même que la poursuite des discussions avec le patronat.

Le 14 Février, un groupe d’ouvriers qui, la veille, avait participé à la réunion paritaire sans résultats, passe d’une habitation à l’autre pour expliquer la nécessité de maintenir la grève pour imposer aux békés le respect des revendications.

Les évènements de Chalvet

Au lieu-dit Chalvet à Basse-Pointe, les grévistes sont brusquement encerclés par 200 gendarmes qui sans sommation ouvrent le feu, relayés par un hélicoptère qui depuis le ciel bombarde les travailleurs. Le bilan est lourd : un tué en la personne d’Ilmany RENOR et 5 blessés graves.
Ilmany RENOR, originaire du Lorrain, avait 55 ans. Parmi les blessés : Guy CRETINOIR, Robert CYRILLE, François ROSAZ, Henri RASTOCLE.

Témoignages, Récits et Presse locale

Dès le début de la matinée du 14 Février, ce groupe de grévistes de l’Habitation Vivé avait quitté le Marigot pour se diriger vers Basse-Pointe. Un premier affrontement avait lieu avec les gendarmes à Charpentier. Mais l’encerclement et le drame se produisent plus au Nord, à Chalvet, au milieu de champs d’ananas, dans une zone pratiquement à découvert où l’hélicoptère avait tout le loisir de survoler en rase-mottes et de semer force grenades lacrymogènes.

Le 15 Février, 4000 personnes défilent à Fort-de-France pour dénoncer la sanglante agression de la veille. […]

Le lendemain, 16 Février, le corps torturé d’un jeune ouvrier agricole, Georges MARIE-LOUISE, est retrouvé abandonné sur une plage non loin de l’Habitation Chalvet. La consternation et l’indignation gagnent toute la Martinique et les manifestations reprennent de plus belle dès le Lundi 18 Février.

Les enterrements d’Ilmany RENOR et Georges MARIE-LOUISE seront des évènements empreints d’émotion et où se pressera une foule énorme.

La solidarité autour du mouvement

Le mouvement de solidarité grandit en Martinique et à l’extérieur. En Guadeloupe, en France, ce sont des centaines de milliers de tracts de soutien qui sont distribués et une somme importante collectée par des organisations anti-impérialistes et l’AGEM (Association Générales des Etudiants Martiniquais en France) est convoyée en Martinique.

Le mouvement ouvrier agricole

La grève des ouvriers agricoles de janvier-Février 1974 inaugure une nouvelle page dans l’histoire du mouvement ouvrier de la Martinique. Elle marque le réveil des campagnes après de longues années sans lutte : en effet, la dernière grande grève dans le secteur agricole date de 1961 à une époque où la société de plantation structurée autour des champs de cannes et de l’usine était encore la réalité principale de notre pays.

Les années 69 sont plutôt caractérisées par le développement du secteur tertiaire et de la consommation. Les ouvriers agricoles rappellent qu’ils existent encore et qu’ils représentent une réalité de type tiers-mondiste en Martinique.

Malgré la présence active de militants intellectuels aux côtés des ouvriers, la grève reste pour l’essentiel un mouvement spontané : seules quelques habitations au Lorrain et au Robert sont organisées alors que sur toutes les autres exploitations, c’est par la pression de la grève marchante que les travailleurs rentrent dans la lutte. […]

Les ouvriers les plus conscients ont tiré un bilan de la grève de Janvier-Février 1974.

• Faible niveau d’organisation des ouvriers sur les habitations

• Absence de cadres ouvriers

• Mais aussi une expérience riche en enseignements, au-delà des sacrifices extrêmement lourds

En décembre 1974, c’est la naissance de l’UTAM (Union des Travailleurs agricoles de Martinique), devenue aujourd’hui l’UGTM Travailleurs agricoles.

Comment s’achève cette grève ?

Le 19 Février, un protocole d’accord est signé entre les patrons et la CGT.

Ce protocole prévoit :

• 35,50 Franc pour 8 heures de travail

• Le paiement des heures supplémentaires

• Pas de licenciement pour fait de grève

• Interdiction d’augmenter les tâches actuelles

Cet accord qui ne prend pas en compte les 11 points de revendication des travailleurs agricoles […] vient en contradiction avec la question de l’application du SMIG à l’agriculture puisque le montant signé par la C.G.T., bien que supérieur au 35,46 Francs demandés par les ouvriers demeure un salaire conventionnel propre à l’agriculture. De ce fait, il ne sera pas automatiquement augmenté chaque fois que le SMIG appliqué dans l’industrie et le commerce le sera.

Source : http://evolutionmartinique.unblog.fr/2017/02/14/14-fevrier-1974-le-massacre-de-la-saint-valentin/

Lire aussi : https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/2013/02/14/le-marigot-se-souvient-de-georges-marie-louise-tue-en-1974-15119.html

Voir aussi : https://www.youtube.com/watch?v=Xp00C24oA7Q

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