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G.W. F. Hegel, La science de la logique – Encyclopédie des sciences philosophiques

samedi 4 juin 2022, par Robert Paris

G.W. F. Hegel, La science de la logique – Encyclopédie des sciences philosophiques (extraits)

§ 1 La philosophie est privée de l’avantage dont profitent les autres sciences, de pouvoir présupposer ses objets, comme accordés immédiatement par la représentation, ainsi que la méthode de la connaissance — pour commencer et progresser —, comme déjà admise. Elle a, il est vrai, ses objets tout d’abord en commun avec la religion. Toutes deux ont pour objet la vérité, et cela dans le sens le plus élevé, — dans celui selon lequel Dieu est la vérité et lui seul est la vérité. Ensuite, toutes deux traitent en outre du domaine du fini, de la Nature et de l’esprit humain, de leur relation l’un à l’autre et à Dieu comme à leur vérité. La philosophie peut bien, par suite, présupposer une familiarité avec ses objets, et même elle doit nécessairement en présupposer une, comme en outre un intérêt à leur égard ; — déjà pour cette raison que la conscience se fait, dans le temps, des représentations des objets avant de s’en faire des concepts, et que, même, l’esprit pensant n’accède à la connaissance et conception pensante qu’à travers la représentation et en se tournant vers elle.

Mais dans le cas de la manière pensante de considérer les choses, il se révèle bientôt qu’elle inclut en elle l’exigence de montrer la nécessité de son contenu, de prouver aussi bien déjà l’être, que les déterminations de ses objets. Cette familiarité avec ceux-ci — dont on vient de parler — apparaît ainsi comme insuffisante, et faire ou admettre des présuppositions et des assurances, comme inadmissible. Mais la difficulté d’instituer un commencement se présente par là en même temps, puisqu’un commencement, en tant qu’il est un immédiat, institue une présupposition ou bien plutôt en est lui-même une.

§ 2 La philosophie peut tout d’abord être déterminée en général comme une manière pensante de considérer des objets. Mais s’il est exact (et ce sera bien exact) que l’homme se différencie de l’animal par la pensée, tout ce qui est humain est humain en ce que, et seulement en ce qu’il est produit au moyen de la pensée. En tant, cependant, que la philosophie est un mode propre de la pensée, un mode par lequel celle-ci devient connaissance et connaissance qui conçoit, la pensée propre à elle aura aussi un caractère différent de la pensée agissant dans tout ce qui est humain et même produisant l’humanité de ce qui est humain, tout autant qu’elle lui est identique, et qu’en soi il n’y a qu’une pensée. Cette différence se rattache au fait que la teneur essentielle humaine — fondée grâce à la pensée — de la conscience n’apparaît pas tout d’abord dans la forme de la pensée mais comme sentiment, intuition, représentation, -formes qui sont à différencier de la pensée en tant que forme.

C’est un préjugé ancien, une proposition devenue triviale, que l’homme se différencie de l’animal par la pensée ; cela peut paraître trivial, mais il devrait paraître aussi singulier, s’il était besoin de rappeler une telle croyance ancienne. Or cela peut être tenu pour un besoin, étant donné le préjugé de l’époque actuelle qui sépare l’un de l’autre sentiment et pensée de telle sorte qu’ils seraient opposés entre eux, et même si hostiles, que le sentiment, en particulier le sentiment religieux, serait souillé, perverti et même peut-être entièrement anéanti par la pensée, et que la religion et la religiosité n’auraient essentiellement pas dans la pensée leur racine et leur lieu. Lorsqu’on opère une telle séparation, on oublie que l’homme seulement est capable de religion, mais que l’animal n’a aucune religion, pas plus que droit et moralité ne lui appartiennent.

Lorsque cette séparation de la religion d’avec la pensée est affirmée, on évoque habituellement la pensée qui peut être désignée comme réflexion, — la pensée réfléchissante qui a pour contenu et amène à la conscience des pensées en tant que telles. C’est la négligence qu’on apporte à prendre connaissance et à tenir compte de la différence indiquée de façon déterminée par la philosophie concernant la pensée, qui suscite les représentations et les reproches les plus grossiers contre la philosophie. En tant qu’à l’homme seulement appartiennent la religion, le droit et la vie éthique, et cela seulement pour cette raison qu’il est un être pensant, dans ce qui relève de la religion, du droit, de l’éthique — que ce soit un sentiment et une croyance ou une représentation — la pensée en général n’a pas été inactive ; son activité et ses productions y sont présentes et contenues. Mais il y a une différence entre avoir de tels sentiments et représentations déterminés et pénétrés par la pensée, et avoir des pensées sur eux. Les pensées, engendrées par le moyen de la réflexion, sur ces premières manières d’être de la conscience, sont ce sous quoi l’on comprend la réflexion, le raisonnement et des choses de ce genre, ensuite aussi la philosophie.

Il est à ce sujet arrivé, et cette méprise a prédominé encore assez souvent, qu’une telle réflexion a été affirmée comme la condition, et même comme l’unique chemin par lequel nous accéderions à la représentation et à la certitude de ce qui est éternel et vrai. Ainsi, par exemple, on a donné les (maintenant plutôt anciennes) preuves métaphysiques de l’être-là de Dieu en disant que ou en faisant comme si c’était essentiellement et uniquement par leur connaissance et la conviction qu’on avait d’elles, que la croyance et la conviction de l’être-là de Dieu pouvaient être produites. Une telle affirmation s’accorderait avec celle selon laquelle nous ne pourrions pas manger avant d’avoir acquis la connaissance des déterminations chimiques, botaniques ou zoologiques des aliments, et selon laquelle nous devrions attendre de digérer que nous ayions achevé l’étude de l’anatomie et de la physiologie. S’il en était ainsi, ces sciences gagneraient en leur domaine, comme la philosophie dans le sien, à vrai dire beaucoup en utilité, et même, leur utilité serait élevée à l’indispensabilité absolue et universelle ; mais bien plutôt, elles toutes, au lieu d’être indispensables, n’existeraient pas du tout.

§ 3 Le contenu qui remplit notre conscience, de quelque espèce qu’il soit, constitue la déterminité des sentiments, intuitions, images, des buts, devoirs, etc., et des pensées et concepts. Sentiment, intuition, image, etc., sont dans cette mesure les formes d’un tel contenu qui reste un seul et même contenu, qu’il soit senti, intuitionné, représenté, voulu, et qu’il soit seulement senti, ou bien senti, intuitionné, etc., avec mélange de pensée, ou pensé totalement sans mélange. Dans une quelconque de ces formes ou dans le mélange de plusieurs, le contenu est objet de la conscience. Mais dans cette objectivité les déterminités de ces formes aussi se joignent au contenu ; de sorte que suivant chacune de ces formes un objet particulier semble surgir et que ce qui est en soi la même chose peut apparaître comme un contenu divers.

En tant que les déterminités du sentiment, de l’intuition, de la faculté de désirer, de la volonté, etc., dans la mesure où l’on en a un savoir, sont appelées en général représentations, on peut dire d’une façon générale que la philosophie pose à la place des représentations des pensées, des catégories, mais plus précisément des concepts. Les représentations en général peuvent être regardées comme des métaphores des pensées et des concepts. Mais de ce que l’on a des représentations, on ne connaît pas encore leur signification pour la pensée, c’est-à-dire pas encore leurs pensées et leurs concepts. Inversement, ce sont aussi deux choses différentes, d’avoir des pensées et des concepts, et de savoir quels sont les représentations, intuitions et sentiments qui leur correspondent. — Un côté de ce que l’on appelle l’inintelligibilité de la philosophie se rapporte à cela. La difficulté réside pour une part dans une incapacité, qui en soi est seulement un manque d’habitude, de penser abstraitement, c’est-à-dire de maintenir ferme de pures pensées et de se mouvoir en elles. Dans notre conscience habituelle, les pensées sont revêtues d’une matière courante sensible et spirituelle, et unies à elle, et quand nous méditons, réfléchissons et raisonnons, nous mêlons les sentiments, intuitions et représentations avec des pensées (dans toute proposition de contenu entièrement sensible, comme : « Cette feuille est verte », se sont déjà immiscées des catégories : l’être, la singularité). Mais autre chose est de faire des pensées elles-mêmes, hors de tout mélange, l’objet. L’autre facteur de l’inintelligibilité est l’impatience que l’on met à vouloir avoir devant soi sous le mode de la représentation ce qui est dans la conscience en tant que pensée et concept. On rencontre l’expression, que l’on ne sait pas ce que l’on doit penser dans un concept qui a été saisi ; dans un concept, il n’y a rien de plus à penser que le concept lui-même. Mais le sens de cette expression est une nostalgie d’une représentation déjà bien connue, courante ; il en est pour la conscience comme si avec le mode de la représentation lui était retiré le sol sur lequel elle a d’ordinaire son point de station fixe et constituant son chez-soi. Lorsqu’elle se trouve transportée dans la région pure des concepts, elle ne sait pas où dans le monde elle est. Ce qu’on trouve par conséquent le plus intelligible, ce sont des écrivains, des prédicateurs, des orateurs, etc., qui débitent à leurs lecteurs ou auditeurs des choses que ceux-ci savent déjà par cœur, qui leur sont familières et qui s’entendent d’elles-mêmes.

§ 4 Relativement à notre conscience commune, la philosophie aurait tout d’abord à établir le besoin de son mode de connaissance propre, ou même à l’éveiller. Mais relativement aux objets de la religion, à la vérité en général, elle aurait à démontrer sa capacité de les connaître à partir d’elle-même ; relativement à une diversité se faisant jour par rapport aux représentations religieuses, elle aurait à justifier ses déterminations s’écartant de celles-là.

§ 5 En vue de faire entendre préalablement la différence indiquée et le discernement s’y rattachant que le contenu vrai de notre conscience est conservé dans la transposition de celle-ci dans la forme de la pensée et du concept, et même posé seulement alors dans sa lumière propre, on peut rappeler un autre ancien préjugé, à savoir que pour expérimenter ce qu’il y a de vrai dans les objets et événements, et aussi dans les sentiments, intuitions, opinions, représentations, etc., une réflexion est requise. Mais la réflexion a au moins en tout cas pour effet de changer les sentiments, représentations, etc., en pensées.

Dans la mesure où c’est seulement la pensée que la philosophie revendique pour la forme propre de son entreprise, et où tout homme par nature peut penser, il se présente, en vertu de cette abstraction qui laisse de côté la différence indiquée au § 3, le contraire de ce qui a été mentionné tout à l’heure comme plainte au sujet de l’inintelligibilité de la philosophie. Cette science fait souvent l’expérience du mépris en ce sens que même des gens qui ne se sont pas donné de la peine avec elle, expriment l’idée présomptueuse qu’ils entendent d’emblée ce qu’il en est de la philosophie et sont capables, tels qu’ils sont ainsi avec une culture ordinaire, en particulier en s’appuyant sur des sentiments religieux, de philosopher et de porter des jugements sur elle. On accorde qu’il faut avoir étudié les autres sciences pour les connaître, et que c’est seulement en vertu d’une telle connaissance que l’on est autorisé à avoir un jugement sur elles. On accorde que pour fabriquer un soulier, il faut l’avoir appris et s’y être exercé, bien que chacun possède en son pied la mesure de référence pour cela, et possède des mains et, en elles, l’aptitude naturelle à la tâche exigée. C’est seulement pour l’acte de philosopher lui-même qu’une telle étude, un tel apprentissage et un tel effort ne seraient pas exigés. Cette opinion commode a, dans les tout derniers temps, reçu sa confirmation avec la théorie du savoir immédiat, savoir par intuition.

§ 6 De l’autre côté, il est aussi important que l’on comprenne au sujet de la philosophie, que son contenu n’est aucun autre que le contenu consistant originairement produit et se produisant dans le domaine de l’esprit vivant, et constitué en monde, monde extérieur et intérieur de la conscience, — que son contenu est l’effectivité. La conscience la plus prochaine de ce contenu, nous la nommons expérience. Une considération sensée du monde différencie déjà ce qui du vaste empire de l’être-là extérieur et intérieur n’est qu’apparition, passager et insignifiant, et ce qui mérite en soi-même véritablement le nom d’effectivité. En tant que la philosophie ne diffère que suivant la forme d’une autre manière de prendre conscience de cet unique et même contenu consistant, son accord avec l’effectivité et l’expérience est nécessaire. Et même, cet accord peut être regardé comme une pierre de touche au moins extérieure de la vérité d’une philosophie, de même que l’on regarde comme le but final suprême de la science, de susciter grâce à la connaissance de cet accord la réconciliation de la raison consciente de soi avec la raison qui est, avec l’effectivité.

Dans la Préface de ma Philosophie du Droit, p. XIX, se trouvent les propositions :

« Ce qui est rationnel est effectif,
et ce qui est effectif est rationnel. »

Ces propositions simples ont paru choquantes à maints esprits et ont rencontré de l’hostilité, et cela même de la part de gens qui ne veulent pas qu’il soit contesté qu’ils possèdent de la philosophie et bien sûr en outre de la religion. Il est inutile de citer sous ce rapport la religion, car ses enseignements sur le gouvernement divin du monde expriment ces propositions de façon trop déterminée. Mais pour ce qui concerne le sens philosophique, il faut présupposer assez de culture pour savoir non seulement que Dieu est effectif, qu’il est ce qu’il y a de plus effectif, que lui seul est véritablement effectif, mais encore, eu égard au côté formel, qu’en général l’être-là est pour une part apparition et seulement pour une part effectivité. Dans la vie courante on en vient à appeler tout ce dont on a incidemment l’idée, l’erreur, le mal et ce qui appartient à ce côté des choses, ainsi que toute existence, quelque rabougrie et passagère qu’elle soit, de façon contingente, une effectivité. Mais même déjà pour une sensibilité ordinaire, une existence contingente ne va pas mériter le nom emphatique de quelque chose d’effectif ; — le contingent est une existence qui n’a pas une valeur plus grande que celle d’un possible, qui peut ne pas être tout aussi bien qu’elle est. Mais si j’ai parlé d’effectivité, on devrait penser de soi-même en quel sens j’emploie ce terme, puisque dans une Logique détaillée j’ai traité aussi de réflectivité et l’ai différenciée exactement non seulement aussitôt du contingent, qui a bien aussi une existence, mais, pour plus de précision, de l’être-là, de l’existence et d’autres déterminations. A l’effectivité du rationnel s’opposent déjà aussi bien la représentation selon laquelle les idées, les idéaux ne seraient rien de plus que des chimères, et la philosophie un système de tels fantômes, que celle selon laquelle inversement les idées et les idéaux seraient quelque chose de beaucoup trop excellent pour avoir une effectivité, ou aussi bien quelque chose de trop impuissant pour s’en créer une. Mais la séparation de l’effectivité d’avec l’idée est particulièrement en faveur dans l’entendement, qui tient les songes de ses abstractions pour quelque chose de véritable et tire vanité du devoir-être qu’il aime à prescrire aussi et surtout dans le champ de la politique, comme si le monde l’avait attendu pour apprendre comment il doit être mais n’est pas ; s’il était comme il doit être, que resterait-il de la sagesse en avance qu’il affirme avec son devoir-être ? Lorsqu’il se tourne, avec le devoir-être, contre des objets, des structures, des états de choses, etc., pleins de trivialité, exté­rieurs et passagers, qui peuvent avoir aussi éventuellement pour une certaine époque, pour des cercles particuliers, une importance relative assez grande, il peut bien avoir raison et trouver dans un tel cas beaucoup de choses qui ne correspondent pas à des déter­minations universelles, justes ; qui ne serait pas assez avisé pour voir dans ce qui l’entoure beaucoup de choses qui en fait ne sont pas comme elles doivent être ? Mais cette sagesse avisée a tort de s’imaginer qu’avec de tels objets et leur devoir-être elle se trouve à l’intérieur de la science philosophique. Celle-ci a seulement affaire à l’Idée, qui n’est pas assez impuissante pour devoir-être seulement et ne pas être effective, et par là à une effectivité où ces objets, structures, états de choses, etc., ne sont que le côté extérieur superficiel.

§ 7 En tant que la réflexion en général contient tout d’abord le principe (aussi au sens de commencement) de la philosophie, et après qu’elle a refleuri en sa subsistance-par-soi dans les temps modernes (après l’époque de la réforme luthérienne), alors, en tant que dès le début elle ne s’est pas comportée simplement abstraitement, comme dans les débuts philo­sophiques des Grecs, mais s’est en même temps jetée sur la matière paraissant sans mesure du monde des phénomènes, le nom de philosophie a été donné à tout ce savoir qui s’est occupé de la connaissance de la mesure fixe et de l’universel dans l’océan des singularités empiriques, ainsi que du nécessaire, des lois, dans le désordre apparent de la masse infinie du contingent, et avec cela en même temps a emprunté son contenu à l’intuition et perception propre de l’extérieur et de l’intérieur, à la nature présente comme à l’esprit présent et au cœur de l’homme.

Le principe de l’expérience contient la détermination infiniment importante, que pour admettre et tenir pour vrai un contenu l’homme doit lui-même y être présent, de façon plus précise, qu’il a à trouver un tel contenu en accord avec la certitude de lui-même et réuni avec elle. Il doit y être présent, soit seulement avec ses sens extérieurs, ou bien avec son esprit plus profond, sa conscience de soi essentielle. Ce principe est la même chose que ce qui de nos jours a été appelé croyance, savoir immédiat, la révélation dans l’extérieur et surtout dans l’intérieur propre à chacun. Nous appelons ces sciences qui ont été nommées philosophie, des sciences empiriques, d’après le point de départ qu’elles adoptent. Mais l’essentiel qu’elles prennent pour but et amènent au jour, ce sont des lois, des propositions universelles, une théorie ; les pensées de ce qui est donné là. Ainsi la physique newtonienne a été appelée « Philosophie de la nature », tandis que par exemple Hugo Grotius, en rapprochant les attitudes historiques des peuples les uns vis-à-vis des autres, et en s’appuyant sur un raisonnement ordinaire, a établi des principes généraux, une théorie qui peut être appelée philosophie du droit public extérieur. — Le nom de philosophie a encore chez les Anglais généralement cette destination, Newton a de façon durable la réputation de plus grand philosophe ; jusque dans les prix courants des fabricants d’instruments, on voit ces instruments qui ne sont pas placés sous une rubrique particulière d’appareils magnétiques, électriques, les thermomètres, baromètres, etc., appelés instruments philosophiques ; en vérité, ce n’est pas un assemblage de bois, de fer, etc., mais seulement la pensée, que l’on devrait nommer l’instrument de la philosophie [1]. — Ainsi en particulier la science — que l’on doit aux tout derniers temps — de l’économie politique s’appelle aussi philosophie, ce que nous avons coutume de nommer économie politique rationnelle ou éventuellement économie politique de l’intelligence [2].

§ 8 Si satisfaisante que soit, tout d’abord, cette connaissance dans le champ qui est le sien, premièrement il se révèle encore un autre cercle d’objets qui n’y sont pas compris, — la liberté, l’esprit, Dieu. On ne peut les trouver sur ce terrain, non pas parce qu’ils n’appartiendraient pas à l’expérience — ils ne sont pas, il est vrai, expérimentés de façon sensible, mais ce qui est dans la conscience en général, est expérimenté ; c’est même là une proposition tautologique —, mais parce que ces objets se présentent aussitôt suivant leur contenu comme infinis.

C’est une proposition ancienne, que l’on a coutume à tort d’attribuer à Aristote comme si par elle devait être exprimé le point de vue de sa philosophie, que celle-ci : « Nihil est in intellectu quod non fuerit in sensu » ; — il n’y a rien dans la pensée, qui n’ait été dans le sens, dans l’expérience. On ne pourrait considérer que comme une méprise le fait pour la philosophie spéculative de ne pas vouloir accorder cette proposition. Mais, inversement, elle affirmera aussi bien : « Nihil est in sensu, quod non fuerit in intellectu », — dans ce sens tout à fait général, que le Nous et, en une détermination plus profonde, l’esprit sont la cause du monde, et dans ce sens plus précis (v. § 2), que le sentiment relevant du droit, de l’éthique, de la religion, est un sentiment et par là une expérience d’un contenu tel qu’il a sa racine et son siège seulement dans la pensée.

§ 9 D’autre part, la raison subjective demande à être aussi satisfaite suivant la forme ; cette forme est la nécessité en général (v. § I). Dans ce type de science dont on a parlé plus haut, pour une part l’universel qui s’y trouve contenu, le genre, etc., est pour lui-même indéterminé, non relié pour lui-même avec le particulier, mais tous deux sont l’un pour l’autre extérieurs et contingents, de même qu’aussi bien les particularités réunies sont pour elles-mêmes extérieures et contingentes les unes à l’égard des autres. Pour une autre part, les commencements sont toutes sortes d’immédiatetés, à « l’être-trouvé », de présuppositions. Dans les deux cas, satisfaction n’est pas donnée à la forme de la nécessité. La réflexion, pour autant qu’elle vise à satisfaire ce besoin, est la pensée proprement philosophique, la pensée spéculative. En tant qu’elle est en cela une réflexion qui, en sa communauté de nature avec cette première réflexion dont on a parlé, en est en même temps différente, elle a, en dehors des formes qui leur sont communes, aussi des formes propres, dont la forme générale est le concept.

Le rapport de la science spéculative aux autres sciences est dans cette mesure seulement celui-ci, à savoir que celle-là ne vient pas à laisser de côté le contenu empirique des dernières, mais le reconnaît et en fait usage, qu’elle reconnaît de même ce que ces sciences ont d’universel, les lois, les genres, etc., et les utilise pour son propre contenu, mais qu’aussi en outre, dans ces catégories, elle en introduit et fait valoir d’autres. La différence se rapporte dans cette mesure uniquement à ce changement des catégories. La Logique spéculative contient la précédente Logique et Métaphysique, conserve les mêmes formes-de-pensée, lois et objets, mais en même temps en les formant plus avant et transformant avec d’autres catégories.

Du concept au sens spéculatif il faut distinguer ce qui est ordinairement nommé concept. C’est suivant le dernier sens, unilatéral, qu’on a posé et mille et mille fois répété, et qu’on a érigé en préjugé l’affirmation que l’infini ne peut être saisi au moyen de concepts.

§ 10 Cette pensée qui est celle du mode de connaissance philosophique a besoin elle-même, et d’être saisie suivant sa nécessité, et aussi d’être justifiée quant à sa capacité de connaître les objets absolus. Mais un tel discernement est lui-même une connaissance philosophique, qui par suite tombe seulement à l’intérieur de la philosophie. Une explication préalable devrait par là être une explication non philosophique et ne pourrait être plus qu’un tissu de présuppositions, assurances et raisonnements, — c’est-à-dire d’affirmations contingentes face auxquelles on pourrait avec le même droit assurer les affirmations opposées.

Un thème principal de la philosophie critique est qu’avant d’entreprendre de connaître Dieu, l’essence des choses, etc., il y aurait à examiner préalablement la faculté de connaître elle-même, pour savoir si elle est capable de s’acquitter d’une telle tâche ; on devrait préalablement apprendre à connaître l’instrument, avant d’entreprendre le travail qui doit être réalisé par le moyen de ce dernier ; sinon, au cas où il serait insuffisant, toute la peine prise serait dépensée en pure perte. Cette pensée a paru si plausible qu’elle a suscité la plus grande admiration et approbation, et a ramené la connaissance, de son intérêt pour les objets et de son occupation avec eux, à elle-même, à l’élément formel. Si pourtant l’on ne veut pas s’illusionner avec des mots, il est facile de voir que l’on peut bien éventuellement examiner et apprécier d’autres instruments d’une autre manière qu’en entreprenant le travail propre auquel ils sont destinés. Mais l’examen de la connaissance ne peut se faire autrement qu’en connaissant ; dans le cas de ce prétendu instrument, l’examiner ne signifie rien d’autre que le connaître. Mais vouloir connaître avant de connaître est aussi absurde que le sage projet qu’avait ce scolastique, d’apprendre à nager avant de se risquer dans l’eau.

Reinhold, qui a reconnu la confusion qui règne dans une telle façon de commencer, a proposé comme remède, de commencer provisoirement en philosophant sur le mode hypothétique et problématique, et de poursuivre ainsi, on ne sait comment, jusqu’à ce que plus loin il vienne à se produire que l’on ait sur ce chemin atteint le Vrai originaire. Considéré de plus près, ce chemin se ramènerait à ce qui est courant, à savoir à l’analyse d’une assise fondamentale empirique ou d’une supposition provisoire mise en une définition. On ne peut méconnaître qu’une conscience juste soit impliquée dans le fait de qualifier la démarche courante des présuppositions et affirmations provisoires, de procédé hypothétique et problématique. Seulement ce discernement juste ne change pas la nature d’un tel procédé, mais exprime aussitôt ce qu’il a d’insuffisant.

§ 11 On peut plus précisément déterminer le besoin de la philosophie en disant que, tandis que l’esprit a pour objets, en tant que sentant et intuitionnant : du sensible, en tant que fantaisie créatrice : des images, en tant que volonté : des buts, etc., en s’opposant à ces formes de son être-là et de ses objets ou simplement en se différenciant d’elles, il donne satisfaction aussi à son intériorité la plus haute, la pensée, et fait de la pensée son objet. Il vient ainsi à lui-même, au sens le plus profond du terme, car son principe, son être-en-Soi pur de tout mélange est la pensée. Mais dans cette entreprise, il arrive que la pensée s’embrouille dans des contradictions, c’est-à-dire se perde dans la non-identité fixe des pensées, par conséquent ne s’atteigne pas elle-même, et bien plutôt reste prise dans son contraire. Le besoin plus élevé va contre ce résultat de la pensée qui relève seulement de l’entendement, et il est fondé en ce que la pensée ne se délaisse pas, reste fidèle à elle-même dans cette perte consciente de son être-chez-soi, « afin qu’elle vainque », accomplisse dans la pensée elle-même la résolution de ses propres contradictions.

Le discernement que la nature de la pensée elle-même est la dialectique consistant en ce qu’elle doit nécessairement en tant qu’entendement tomber dans le négatif d’elle-même, dans la contradiction, constitue un côté capital de la Logique. La pensée désespérant de pouvoir à partir d’elle-même effectuer aussi la résolution de la contradiction dans laquelle elle s’est posée elle-même, revient aux solutions et apaisements qui ont échu en partage à l’esprit dans certaines autres de ses manières d’être et de ses formes. La pensée, toutefois, n’aurait pas besoin, lors de ce retour, de sombrer dans la misologie, dont Platon a déjà eu l’expérience sous les yeux, et de se conduire de façon polémique à l’encontre de soi-même, ainsi que cela se produit dans l’affirmation de ce que l’on appelle le savoir immédiat comme de la forme exclusive de la conscience de la vérité.

§ 12 La naissance de la philosophie, qui procède du besoin cité, a l’expérience, la conscience immédiate et raisonnante pour point de départ. Stimulée par elle comme par un excitant, la pensée se conduit essentiellement de telle sorte qu’elle s’élève au-dessus de la conscience naturelle, sensible et raisonnante, dans l’élément sans mélange qui est le sien, et se donne ainsi tout d’abord un Rapport d’éloignement, de négation, avec ce commencement. Elle trouve ainsi en elle, dans l’idée de l’essence universelle de ces phénomènes, tout d’abord sa satisfaction ; cette idée (l’Absolu, Dieu) peut être plus ou moins abstraite. Inversement, les sciences de l’expérience apportent avec elles la stimulation à vaincre la forme dans laquelle la richesse de leur contenu est offerte comme quelque chose qui est seulement immédiat et trouvé, fait d’une multiplicité d’éléments placés les uns à côté des autres, par suite d’une façon générale contingent, et à élever ce contenu à la nécessité, — cette stimulation arrache la pensée à cette universalité-là, ainsi qu’à la satis­faction procurée seulement en soi, et la pousse au développement à partir de soi. Celui-ci est d’une part seulement un accueil du contenu et de ses déterminations offertes à la vue, et d’autre part il donne à ce contenu la figure consistant pour lui à venir au jour librement au sens de la pensée originaire, seulement suivant la nécessité de la Chose même.

Du rapport de l’immédiateté et de la médiation dans la conscience, on aura à parler plus bas expressément et avec plus de détails. En attendant, il n’y a ici qu’à appeler l’attention sur ce point-ci, à savoir que si les deux moments apparaissent aussi comme différents, aucun des deux ne peut faire défaut, et qu’ils sont dans une liaison indissociable. — Ainsi, le savoir de Dieu, comme de tout supra-sensible en général, renferme essentiellement une élévation au-dessus de l’impression ou intuition sensible ; il renferme par là un comportement négatif à l’égard de ce premier terme, et en cela la médiation. Car la médiation est un acte consistant à commencer et à avoir progressé jusqu’à un deuxième terme, de telle sorte que ce deuxième terme n’est que dans la mesure où l’on est parvenu à lui à partir d’un terme autre par rapport à lui. Mais en cela, le savoir de Dieu n’est pas moins subsistant-par-soi vis-à-vis de ce côté empirique dont on vient de parler, et même il se donne sa subsistance-par-soi essentiellement par le moyen de cette négation et élévation. — Si l’on fait de la médiation la conditionnante et si on la fait ressortir unilatéralement, on peut dire — mais il n’est pas dit grand-chose par là — que la philosophie doit à l’expé­rience (à l’a posteriori) sa première origine — en fait la pensée est essentiellement la négation de quelque chose d’immédiatement présent —, tout autant que l’on doit le manger aux aliments, car sans ceux-ci l’on ne pourrait pas manger ; le manger est, à vrai dire, sous ce rapport, représenté comme ingrat, car il est l’acte de consommer ce à quoi il doit être redevable de lui-même. La pensée est en ce sens non moins ingrate.

Mais l’immédiateté propre, réfléchie en elle-même, par suite médiatisée en elle-même, de la pensée (l’a priori) est l’universalité, son être-chez-soi en général ; en celle-ci elle est satisfaite en elle-même, et dans cette mesure l’indifférence à l’égard de la particularisation, et par là à l’égard de son développement, lui est congénitale. De même que la religion, qu’elle soit plus développée ou plus inculte, achevée en conscience scientifique ou maintenue dans la naïveté de la croyance et du cœur, possède la même nature intensive de la satisfaction et de l’enivrement qui rend bienheureux. Lorsque la pensée s’en tient à l’universalité des Idées — comme c’est nécessairement le cas dans les premières philosophies (par exemple, à l’être de l’école d’EIée, au devenir d’Heraclite, etc.) —, il lui est reproché à bon droit du formalisme ; même dans le cas d’une philosophie développée, il peut arriver que l’on appréhende seulement les propositions ou déterminations abstraites, par exemple que dans l’absolu tout est un, l’identité du subjectif et de l’objectif, et qu’au niveau du particulier on répète seulement celles-là. Par rapport à la première universalité abstraite de la pensée, c’est en un sens juste et plus profond, que la philosophie est redevable de son développement à l’expérience. Les sciences empiriques, d’une part, n’en restent pas à la perception des singularités du phénomène, mais, en pensant, elles ont élaboré la matière pour la philosophie en venant au-devant d’elle, en tant qu’elles trouvent les déterminations universelles, les genres et les lois ; elles préparent ainsi ce premier contenu du particulier à pouvoir être accueilli dans la philosophie. D’autre part, elles contiennent par là l’obligation pour la pensée, de progresser elle-même jusqu’à ces déterminations concrètes. L’accueil de ce contenu dans lequel, grâce à la pensée, l’immédiateté encore adhérente et l’être-donné sont supprimés, est en même temps un développement de la pensée à partir d’elle-même. Tandis que la philosophie doit ainsi son développement aux sciences empiriques, elle donne à leur contenu la figure plus essentielle de la liberté (de l’a priori) de la pensée et la vérification de la nécessité, au lieu de l’attestation du trouver-là et du fait d’expérience, de façon que le fait devienne la présentation et la reproduction de l’activité originaire et parfaitement subsistante-par-soi de la pensée.

§ 13 C’est sous la figure propre d’une histoire extérieure que la naissance et le développement de la philosophie sont représentés comme histoire de cette science. Cette figure donne aux degrés du développement de l’Idée la forme d’une succession contingente et éventuellement d’une simple diversité des principes et de leurs réalisations dans les philosophies qu’ils régissent. Mais le maître d’œuvre de ce travail millénaire est l’Esprit vivant un dont la nature pensante consiste à amener à sa conscience ce qu’il est, et, en tant que cet être est ainsi devenu objet, à être en soi-même du même coup déjà élevé au-dessus de celui-ci et à être en soi-même un degré supérieur. L’histoire de la philosophie fait voir dans les philosophies qui apparaissent diverses, pour une part, seulement une philosophie une à des degrés divers de son développement, pour une autre part, que les principes particuliers dont chacun fut au fondement d’un système ne sont que des rameaux d’un seul et même Tout. La philosophie la dernière dans le temps est le résultat de toutes les philosophies précédentes et doit par conséquent nécessairement contenir les principes de toutes ; c’est pourquoi elle est, si toutefois elle est de la philosophie, la plus développée, la plus riche et la plus concrète.

Étant donné l’apparence des si nombreuses, si diverses philosophies, il faut différencier l’universel et le particulier suivant leur détermination propre. L’universel, pris formellement et posé à côté du particulier, devient lui-même aussi quelque chose de particulier. Une telle position, dans le cas d’objets de la vie courante, frapperait d’elle-même comme inadéquate et maladroite, comme si par exemple quelqu’un qui réclamait des fruits, repoussait cerises, poires, raisins, etc., sous prétexte que ce seraient là des cerises, des poires, des raisins, mais non pas des fruits. Mais eu égard à la philosophie, on se permet de justifier le dédain où on la tient, par la raison qu’il y a de si diverses philosophies et que chacune n’est qu’une philosophie, non la philosophie, — comme si les cerises elles aussi n’étaient pas des fruits. Il arrive aussi qu’on place une philosophie dont le principe est l’universel à côté de philosophies dont le principe est un principe particulier, voire même à côté de doctrines qui assurent qu’il n’y a pas du tout de philosophie, au sens où les deux côtés seraient seulement des visions diverses de la philosophie, à peu près comme si la lumière et l’obscurité étaient appelées deux espèces diverses de la lumière.

§ 14 Le même développement de la pensée, qui est exposé dans l’histoire de la philosophie, est exposé dans la philosophie elle-même, mais libéré de cette extériorité historique, purement dans l’élément de la pensée. La pensée libre et vraie est en elle-même concrète, et ainsi elle est Idée, et, en son universalité totale, l’Idée ou l’absolu. La science de ce dernier est essentiellement système, parce que le vrai en tant que concret est seulement en tant qu’il se déploie en lui-même et se recueille et retient dans l’unité, c’est-à-dire en tant que totalité, et c’est seulement par la différenciation et la détermination de ses différences que peuvent exister la nécessité de ces dernières et la liberté du Tout.

Une démarche philosophique sans système ne peut rien être de scientifique ; outre que pour elle-même une telle démarche philosophique exprime davantage une manière de penser subjective, elle est, suivant son contenu, contingente. Un contenu a seulement comme moment du Tout sa justification, mais, en dehors de ce dernier, a une présupposition non fondée ou une certitude subjective ; de nombreux écrits philosophiques se bornent à exprimer d’une telle façon seulement des manières de voir et des opinions. — Par système on entend faussement une philosophie ayant un principe borné, différent d’autres principes ; c’est au contraire le principe d’une philosophie vraie, que de contenir en soi tous les principes particuliers.

§ 15 Chacune des parties de la philosophie est un Tout philosophique, un cercle se fermant en lui-même, mais l’Idée philosophique y est dans une déterminité ou un élément particuliers. Le cercle singulier, parce qu’il est en lui-même totalité, rompt aussi la borne de son élément et fonde une sphère ultérieure ; le Tout se présente par suite comme un cercle de cercles, dont chacun est un moment nécessaire, de telle sorte que le système de leurs éléments propres constitue l’Idée tout entière, qui apparaît aussi bien en chaque élément singulier.

§ 16 En tant qu’encyclopédie, la science n’est pas exposée dans le développement détaillé de sa particularisation, mais doit être bornée aux éléments initiaux et aux concepts fondamentaux des sciences particulières.

Combien de parties spéciales il faut pour constituer une science particulière, c’est indéterminé pour autant que la partie ne peut absolument pas être un moment isolé en sa singularité, mais doit nécessairement être elle-même une totalité, pour être quelque chose de vrai. Le Tout de la philosophie constitue par suite véritablement une science une, mais elle peut être regardée aussi comme un Tout de plusieurs sciences particulières. L’encyclopédie philosophique se différencie d’une autre, ordinaire, encyclopédie, en ce que celle-ci doit être à peu de choses près un agrégat des sciences, qui sont accueillies de façon contingente et empirique, et parmi lesquelles il y en a aussi qui ne font que porter le nom de sciences, mais sont elles-mêmes par ailleurs une simple collection de connaissances. L’unité en laquelle, dans un tel agrégat, les sciences sont rassemblées, est, parce qu’elles sont accueillies de façon extérieure, pareillement une unité extérieure, — un ordre. Celui-ci doit nécessairement, pour la même raison et en outre parce que les matériaux eux aussi sont de nature contingente, rester un essai et montrer toujours des côtés inadéquats. — Car outre que l’encyclopédie philosophique 1) exclut de simples agrégats de connaissances — comme par exemple la philologie apparaît tout d’abord —, elle exclut de même aussi indépendamment de cela 2) des agrégats de connaissances qui ont à leur fondement le simple arbitraire, comme par exemple l’héraldique ; des sciences de la dernière espèce sont les sciences de part en part positives. 3) On nomme aussi positives d’autres sciences qui, pourtant, ont un fondement et commencement rationnel. Cette partie constitutive appartient à la philosophie, mais le côté positif leur reste propre. Ce qu’il y a de positif dans les sciences est d’espèce diverse. 1) Leur commencement en soi rationnel passe dans le contingent, pour autant qu’elles ont à faire descendre l’universel dans la singularité et effectivité empirique. Dans ce champ de la variabilité et de la contingence on ne peut faire valoir le concept, mais seulement des raisons. La science du droit, par exemple, ou le système des impôts directs et indirects exigent des décisions ultimes détaillées qui ont leur lieu en dehors de l’être-déterminé-en-et-pour-soi du concept, et par suite permettent une latitude pour la détermination, qui peut être saisie, suivant une raison, de telle façon, et, suivant une autre, de telle autre, et ne peut comporter aucun caractère ultime assuré. De même l’Idée de la Nature se perd dans sa singularisation en des contingences, et l’histoire naturelle, la géographie, la médecine, etc. tombent dans des déterminations de l’existence, dans des espèces et des différences qui sont déterminées par un hasard extérieur et par le jeu [des choses], non par le moyen de la raison. L’histoire aussi rentre dans ce cas pour autant que, si l’Idée est son essence, son apparition est néanmoins dans la contingence et dans le champ de l’arbitraire. 2) De telles sciences sont positives aussi dans la mesure où elles ne reconnaissent pas leurs déterminations pour -finies et ne montrent pas le passage de ces dernières et de leur sphère tout entière dans une sphère plus haute, mais les admettent comme absolument valables. A cette finité de la forme — comme la première était la finité de la matière —, se rattache 3) celle du fondement de la connaissance, qui est pour une part le raisonnement, pour une autre part le sentiment, la croyance, l’autorité d’autres instances, d’une façon générale l’autorité de l’intuition intérieure ou extérieure. La philosophie aussi qui veut se fonder sur l’anthropologie, les faits de la conscience, l’intuition intérieure ou l’expérience extérieure, rentre dans ce cas. 4) II peut, encore se faire que c’est simplement la forme de l’exposition scientifique qui est empirique, mais que l’intuition pleine de sens ordonne ce qui n’est que phénomènes d’une manière conforme à ce qu’est la suite intérieure du concept. Il appartient à une telle empirie, que du fait de l’opposition et de la multiplicité variée des phénomènes rapprochés, les détails extérieurs, contingents, des conditions se suppriment, ce qui permet alors à l’universel de se présenter devant le sens. Une physique expérimentale, une histoire, etc., faite avec sens, exposera de cette manière la science rationnelle de la nature ainsi que des événements et actes humains dans une image extérieure, reflétant le concept.

§ 17 Pour ce qui est du commencement que la philosophie a à instaurer, elle semble en général commencer avec une présupposition subjective, comme les autres sciences, c’est-à-dire être contrainte de faire d’un objet particulier — tout comme c’est ailleurs l’espace, le nombre, etc., ici c’est la pensée — l’objet de la pensée. Mais c’est l’acte libre de la pensée que de se placer au point de vue où elle est pour elle-même et en cela se crée et se donne elle-même son objet. Ensuite, ce point de vue qui apparaît comme point de vue immédiat doit nécessairement à l’intérieur de la science se faire le résultat et, en vérité, le résultat ultime de celle-ci, dans lequel elle atteint à nouveau son commencement et retourne en elle-même. De cette manière la philosophie se montre comme un cercle revenant en lui-même, qui n’a aucun commencement au sens des autres sciences, de telle sorte que le commencement est seulement une relation au sujet, en tant que celui-ci veut se décider à philosopher, mais non à la science comme telle. Ou, ce qui est la même chose, le concept de la science, et par conséquent le premier concept — et parce qu’il est le premier, il contient la séparation consistant en ce que la pensée est objet pour un sujet philosophant (en quelque sorte extérieur) — doit nécessairement être saisi par la science elle-même. C’est même l’unique fin, opération et visée de celle-ci, que de parvenir au concept de son concept, et ainsi à son retour en elle-même et à sa satisfaction.

§ 18 De même que d’une philosophie on ne peut donner une représentation préliminaire, générale, car c’est seulement le Tout de la science qui est l’exposition de l’Idée, de même aussi sa division ne peut être conçue qu’à partir de celle-ci ; elle est comme celle-ci, d’où elle est à tirer, quelque chose d’anticipé. Mais l’Idée s’avère comme la pensée absolument identique à soi, et celle-ci en même temps comme l’activité de s’opposer soi-même à soi pour être pour soi, et d’être, dans cet Autre, seulement auprès de soi-même. Ainsi, la science se décompose dans les trois parties que sont :

1" La Logique, la science de l’Idée en et pour soi ;

2° La Philosophie de la Nature, en tant qu’elle est la science de l’Idée en son être-autre ;

3° La Philosophie de l’Esprit, en tant que l’Idée qui, de son être-autre, fait retour en soi-même.

Il a été remarqué plus haut, au § 15, que les différences des sciences philosophiques particulières ne sont que des déterminations de l’Idée elle-même, et c’est seulement celle-ci qui s’expose en ces éléments divers. Dans la nature, ce n’est pas quelque chose d’autre que l’Idée qui serait connu, mais elle y est dans la forme de l’aliénation, tout comme dans l’Esprit c’est la même Idée qui est en tant qu’étant pour soi et que devenant en et pour soi. Une telle détermination dans laquelle l’Idée apparaît, est en même temps un moment qui s’écoule ; c’est pourquoi la science singulière consiste, tout autant que dans le fait de connaître son contenu comme objet qui est, aussi dans le fait de connaître immédiatement en lui son passage dans sa sphère supérieure. C’est pourquoi la repré­sentation de la division a ceci d’incorrect, qu’elle place les parties ou sciences particulières les unes à côté des autres, comme si elles étaient seulement des parties immobiles et, dans leur différenciation, substantielles, telles des espèces.

CONCEPT PRÉLIMINAIRE

§ 19 La Logique est la science de l’idée pure, c’est-à-dire de l’Idée dans l’élément abstrait de la pensée.

Pour cette détermination, comme pour d’autres déterminations contenues dans ce Concept préliminaire, est valable la même chose qui est valable pour les concepts avancés au préalable concernant la philosophie en général, à savoir qu’ils sont des déterminations puisées à partir de et à la suite de la vue d’ensemble du tout.

On peut bien dire que la Logique est la science de la pensée, de ses déterminations et lois, mais la pensée comme telle constitue seulement la déterminité universelle — ou l’élément — dans laquelle est l’Idée en tant que logique. L’Idée est la pensée, non pas en tant que pensée formelle mais en tant qu’elle est la totalité en développement de ses déterminations et lois propres, qu’elle se donne à elle-même, qu’elle n’a pas et ne trouve pas déjà là en elle-même.

La Logique est la science la plus difficile dans la mesure où elle n’a pas affaire à des intuitions, pas même comme la géométrie à des représentations sensibles abstraites, mais à des abstractions pures, et où elle exige une force et pratique experte qui permette de se retirer dans la pensée pure, de la maintenir ferme et de se mouvoir en une telle pensée. De l’autre côté, elle pourrait être regardée comme la plus facile, parce que le contenu n’est rien d’autre que la pensée propre [de chacun] et ses déterminations courantes, et que celles-ci sont en même temps les plus simples et ce qu’il y a d’élémentaire. Elles sont aussi ce qu’il y a de mieux connu : l’être, le néant, etc., la déterminité, la grandeur, etc., l’être-en-soi, l’être-pour-soi, l’un, le multiple, etc. Pourtant, ce fait d’être bien connue rend plutôt plus difficile l’étude de la Logique ; pour une part, on considère aisément qu’il ne vaut pas la peine de s’occuper encore d’une telle chose bien connue ; pour une autre part, il s’agit de se la rendre bien connue d’une manière tout autre qu’on ne l’a déjà fait, et même d’une manière opposée.

L’utilité de la Logique concerne le rapport au sujet, pour autant qu’il se donne une certaine formation en vue d’autres buts. La formation de ce sujet au moyen de la Logique consiste en ce qu’il devient expert dans la pratique de la pensée, parce que cette science est la pensée de la pensée, et en ce qu’il reçoit en sa tête les pensées, et encore en tant que pensées. — Mais dans la mesure où le logique est la forme absolue de la vérité et, plus encore que cela, aussi la vérité pure elle-même, il est tout à fait autre chose que simplement quelque chose d’utile. Mais comme ce qui est le plus excellent, le plus libre et le plus indépendant est aussi ce qui est le plus utile, le logique lui aussi peut être saisi ainsi. Son utilité est alors à estimer encore en un autre sens que celui d’être simplement l’exercice formel de la pensée.

§ 20 Si nous prenons la pensée selon la représentation immédiate que l’on s’en fait, elle apparaît α) tout d’abord dans sa signification habituelle, subjective, comme l’une des activités ou facultés de l’esprit, à côté d’autres : la sensibilité, l’intuition, l’imagination, etc., la faculté de désirer, le vouloir, etc. Son produit, la déterminité ou forme de la pensée, est l’universel, l’abstrait en général. La pensée, en tant qu’elle est l’activité, est par conséquent l’universel agissant, et, à vrai dire, l’universel se produisant en son action, en tant que l’effet, ce qui est produit, est précisément l’universel. La pensée, représentée comme sujet, est un être pensant, et l’expression simple du sujet existant, comme être pensant, est : Moi.

Les déterminations indiquées ici et dans les paragraphes suivants ne peuvent être prises comme des affirmations et comme mes opinions sur la pensée ; toutefois, puisque, dans cette manière d’en parler au préalable, aucune déduction ou preuve ne peut trouver place, elles peuvent être regardées comme des Faits, de telle sorte que dans la conscience d’un chacun, pour peu qu’il ait des pensées et qu’il les considère, il se trouve déjà là empiriquement que le caractère de l’universalité et de même pareillement les déterminations qui suivent, y sont présentes. Une culture déjà présente de l’attention et de l’abstraction est assurément requise pour l’observation [par chacun] de Faits de sa conscience et de ses représentations.

Déjà dans cette exposition préliminaire, on vient à parler de la différence entre [donnée] sensible, représentation et pensée ; elle est décisive pour la saisie de la nature et des modes de la connais­sance ; il servira donc à l’éclaircissement [des choses], de rendre ici aussi déjà perceptible cette différence. — Pour le sensible, c’est tout d’abord son origine extérieure — les sens ou organes des sens — qui est prise pour l’expliquer. Seulement, la dénomination de l’organe ne donne aucune détermination pour ce qui est saisi par là. La différence du sensible d’avec la pensée est à placer en ce que la détermination | de celui-là est la singularité, et, en tant que le singulier (de façon tout à fait abstraite : l’atome) est pris aussi dans la connexion, le sensible est un être-l’un-hors-de-l’autre dont les formes abstraites plus précises sont l’être-l’un-à-côté-de-l’autre et l’être-l’un-à-la-suite-de-l’autre. L’acte de la représentation a une telle matière sensible pour contenu, mais posée dans la déter­mination du « Mien », en ce sens qu’un tel contenu est en Moi, et de l’universalité, de la relation-à-soi, de la simplicité. — Outre le sensible, la représentation a toutefois aussi pour contenu une matière qui [est] issue de la pensée consciente de soi, comme les représentations de ce qui appartient au droit, à l’éthique, à la religion, et aussi de la pensée elle-même, et il n’est pas si facile de saisir où il faut situer la différence entre de telles représentations et les pensées d’un tel contenu. Ici, le contenu est une pensée tout autant qu’est aussi présente la forme de l’universalité, qui est requise déjà pour qu’un contenu soit en Moi, d’une façon générale pour qu’il soit une représentation. Mais le caractère propre de la représentation est à placer en général, sous cet aspect aussi, dans ce fait qu’en elle un tel contenu se tient pareillement isolé en sa singularité. Le droit, les déterminations du droit et de réalités du même genre ne se tiennent pas, il est vrai, dans l’extériorité sensible réciproque [des parties] de l’espace. Selon le temps elles apparaissent bien peut-être les unes après les autres, toutefois leur contenu lui-même n’est pas représenté comme affecté par le temps, s’écoulant en lui et changeant. Mais de telles déterminations en soi spirituelles se tiennent également isolées en leur singularité dans le vaste champ de l’universalité intérieure, abstraite, de l’acte de la représentation en général. Elles sont, en cette singularisation isolante, simples ; le droit, le devoir, Dieu. Or, la représentation, ou bien s’en tient à ce que le droit est le droit, Dieu est Dieu, — ou bien, plus cultivée, avance des déterminations, par exemple que Dieu est le créateur du monde, qu’il est souverainement sage, tout-puissant, etc. ; ici sont mises aussi les unes à la suite des autres plusieurs déterminations simples isolées en leur singularité, qui, en dépit de la liaison qui leur est assignée d ?,ns le sujet qui est le leur, restent extérieures les unes aux autres. La représentation se rencontre ici avec l’entendement, qui ne se différencie de celle-là qu’en ce qu’il pose des Rapports d’universel à particulier ou de cause à effet, etc., et par là des relations de nécessité entre les déterminations isolées de la représentation, alors que celle-ci les laisse dans son espace indéterminé les unes à côté des autres, liées par le simple « aussi ». — La différence entre représentation et pensée a l’importance la plus immédiate, puisqu’on peut dire d’une façon générale que la philosophie ne fait rien d’autre que changer les représentations en pensées, — mais, il est vrai, ultérieurement, la simple pensée en concept.

Du reste, si pour le sensible les déterminations de la singularité et de l’être-l’un-hors-de-l’autre ont été avancées, on peut encore ajouter que celles-ci aussi elles-mêmes sont à leur tour des pensées et des universels ; dans la Logique il se révélera que la pensée et l’universalité est précisément ceci, à savoir qu’elle est elle-même et son Autre, a prise sur celui-ci, et que rien ne lui échappe. En tant que le langage est l’œuvre de la pensée, en lui aussi rien ne peut être dit, qui ne soit universel. Ce que je ne fais que viser est mien, m’appartient en tant que je suis cet individu particulier ; mais si le langage n’exprime que de l’universel, je ne puis dire ce que je ne fais que viser. Et l’indicible — sentiment, sensation — n’est pas ce qu’il y a de plus excellent, de plus vrai, mais ce qu’il y a de plus insignifiant, de moins vrai. Quand je dis : « le singulier », « ce singulier-ci », « ici », « maintenant », ce ne sont là que des universels ; tout être et chaque être est un singulier, un ceci, et aussi, s’il est sensible, un ici, un maintenant. De même, quand je dis : « Moi », je me vise comme celui-ci qui exclut tous les autres, mais ce que je dis : Moi, chacun précisément l’est ; un Moi qui exclut de lui tous les autres. Kant s’est servi de l’expression maladroite, que le Moi accompagne toutes mes représentations, également mes sensations, désirs, actions, etc. Le Moi est ce qui est en et pour soi universel, et la communauté est aussi une forme, mais une forme extérieure, de l’universalité. Tous les autres hommes ont en commun avec moi, d’être un Moi, de même qu’il appartient en commun à toutes mes sensations, représentations, etc., d’être les miennes. Mais le Moi, pris abstraitement en tant que tel, est la pure relation à soi-même, dans laquelle il est fait abstraction de la représentation, du sentir, de tout état comme de toute particularité de la nature, du talent, de l’expérience, etc. Le Moi est dans cette mesure l’existence de l’universalité totalement abstraite, ce qui est abstraitement libre. C’est pourquoi le Moi est la pensée en tant que sujet, et, en tant que Moi, je suis à la fois dans toutes mes sensations, représentations, tous mes états, etc., la pensée est partout présente et traverse en tant que catégorie toutes ces déterminations.

§ 21 ß ) En tant que la pensée est prise comme active relativement à des objets — la réflexion sur quelque chose —, l’universel, en tant qu’il est un tel produit de son activité, contient la valeur de la Chose, l’essentiel, l’intérieur, le vrai.

On a cité dans le § 5 la vieille croyance considérant que ce qu’il y a de vrai dans des objets, des manières d’être constitué, des événements, — l’intérieur, l’essentiel, la Chose qui importe — ne se trouve pas immédiatement dans la conscience, n’est pas déjà ce qu’offre la première apparence et idée venue, mais qu’il faut préalablement réfléchir là-dessus pour accéder à la constitution véritable de l’objet, et que ce but est atteint au moyen de la réflexion.

§ 22 γ ) Du fait de la réflexion, quelque chose est changé dans la manière selon laquelle le contenu est tout d’abord dans la sensation, l’intuition, la représentation ; c’est par conséquent seulement par l’intermédiaire d’un changement, que la nature vraie de l’objet parvient à la conscience.

§ 23 δ) En tant que, dans la pensée réfléchissante, la nature vraie vient au jour tout autant que cette pensée est mon activité, cette nature vraie est tout autant le produit de mon esprit — et cela en tant qu’il est sujet pensant —, de moi selon mon universalité simple — en tant que Moi qui est chez soi absolument —, ou de ma liberté.

On peut entendre souvent l’expression : penser par soi-même, comme si par là était dit quelque chose d’important. En réalité, personne ne p"eut penser pour autrui, pas plus que manger et boire [pour lui] ; cette expression est par conséquent un pléonasme. — Dans la pensée réside immédiatement la liberté, parce qu’elle est l’activité de l’universel, un se-rapporter-à-soi en cela abstrait, un être-chez-soi dépourvu de détermination selon la subjectivité, [et] qui, selon le contenu, est en même temps seulement dans la Chose et ses déterminations. Si donc il est question d’humilité ou modestie et d’orgueil, relativement à l’acte de philosopher, et si l’humilité ou modestie consiste à ne rien attribuer de particulier, en fait de propriété et d’activité, à sa subjectivité [propre], l’acte de philosopher sera pour le moins à déclarer exempt d’orgueil, en tant que la pensée, suivant le contenu, n’est vraie que dans la mesure où elle est plongée dans la Chose, et, suivant la forme, n’est pas un être ou agir particulier du sujet, mais précisément ceci, à savoir que la conscience se comporte comme Moi abstrait, comme libérée de toute particularité appartenant à des propriétés, états, etc. donnés par ailleurs, et n’accomplit que l’universel, dans lequel elle est identique à toutes les consciences individuelles . — Si Aristote invite à se maintenir digne d’un tel comportement, la dignité que se donne la conscience consiste précisément à laisser se dissiper l’opinion et l’avis particuliers et à laisser régner la Chose en soi-même.

§ 24 Les pensées peuvent, suivant ces déterminations, être appelées des pensées objectives, parmi lesquelles on a à compter aussi les formes qui habituellement sont tout d’abord étudiées dans la Logique ordinaire et prises seulement pour des formes de la pensée consciente. La Logique coïncide par conséquent avec la Métaphysique, la science des choses, saisies en des pensées qui passaient pour exprimer les essentialités des choses.

Le rapport de formes telles que le concept, le jugement et le syllogisme, à d’autres [formes], comme la causalité, etc., ne peut se dégager qu’à l’intérieur de la Logique elle-même. Mais ce qu’il faut bien discerner aussi préalablement, c’est qu’en tant que la pensée cherche à se faire des choses un concept, ce concept (et avec lui aussi ses formes les plus immédiates, le jugement et le syllogisme) ne peut consister en des déterminations et rapports qui soient étrangers et extérieurs aux choses. La réflexion, a-t-il été dit plus haut, conduit à l’être universel des choses ; mais celui-ci est lui-même un des moments du concept. Qu’il y a de l’entendement, de la raison dans le monde, cela veut dire la même chose que ce que contient l’expression : « pensée objective ». Mais cette expression n’est pas commode, précisément parce que le terme de « pensée » n’est employé trop couramment que comme renvoyant à l’esprit, à la conscience, et que celui d’ « objectif », de même, n’est employé avant tout qu’à propos de ce qui ne relève pas de l’esprit.

§ 25 L’expression de « pensées objectives » désigne la vérité, qui doit être l’objet absolu de la philosophie, non pas simplement le but visé par elle. Mais elle indique de façon générale aussitôt une opposition, et en vérité celle dont la détermination et la validité constituent ce autour de quoi tournent l’intérêt du point de vue philosophique propre à l’époque présente et la question de la vérité et de sa connaissance. Si les déterminations-de-pensée sont entachées d’une opposition fixe, c’est-à-dire sont seulement de nature finie, elles sont inadéquates à la vérité, qui est absolument en et pour soi, la vérité ne peut entrer dans la pensée. La pensée qui n’amène au jour que des déterminations finies et se meut dans de telles déterminations, s’appelle « entendement » (au sens plus étroit du terme). Plus précisément, la finité des déterminations-de-pensée est à appréhender de deux manières, suivant l’une, en ce sens qu’elles sont seulement subjectives et comportent l’opposition permanente à ce qui est objectif, suivant l’autre, en ce sens qu’étant d’un contenu borné en général, elles persistent dans leur opposition, d’une part, les unes aux autres, d’autre part, et plus encore, à l’absolu. Les positions données à la pensée relativement à l’objectivité doivent maintenant être considérées comme une introduction plus précise, en vue d’éclaircir et de dégager la signification et le point de vue qu’on attribue ici à la Logique.

Dans ma Phénoménologie de l’esprit, qui pour cette raison a été désignée lors de son édition comme la première partie du Système de la science, a été pris le chemin consistant à commencer par la première, la plus simple apparition de l’esprit, la conscience immédiate, et à développer sa dialectique jusqu’au point de vue de la science philosophique, dont la nécessité est montrée par cette progression. Mais pour cela, on ne pouvait en rester à l’être formel de la simple conscience ; car le point de vue du savoir philosophique est en même temps en lui-même le plus riche en teneur essentielle et le plus concret ; par conséquent, émergeant comme résultat, il présupposait aussi les figures concrètes de la conscience, comme par exemple [celles] de la morale, de la vie éthique, de l’art, de la religion. Le développement de la teneur essentielle, des objets des parties propres de la science philosophique, tombe donc en même temps dans ce développement de la conscience, qui semblait tout d’abord seulement borné à l’être formel [de celle-ci] ; c’est derrière son dos pour ainsi dire que ce développement doit nécessairement avancer, dans la mesure où le contenu se rapporte à la conscience comme l’en-soi. L’exposition devient par là plus compliquée, et ce qui appartient aux parties concrètes tombe en partie déjà aussi dans cette introduction-là. — L’examen à entreprendre ici a plus encore l’inconvénient de ne pouvoir procéder que de façon historique et en raisonnant ; mais il doit principalement contribuer à faire discerner que les questions que l’on rencontre dans la représentation au sujet de la nature de la connaissance, au sujet de la croyance et ainsi de suite, et que l’on tient pour tout à fait concrètes, se ramènent en réalité à des déterminations-de-pensée simples, mais qui reçoivent seulement dans la Logique la solution vraie par laquelle on en vient à bout.

[1] Lui aussi le Journal édité par Thomson porte le titre : « Annales de la Philosophie ou magazine de la Chimie, Minéralogie, Mécanique, Histoire naturelle, Economie rurale et Arts ». On peut à partir de là se représenter par soi-même comment sont constituées les matières qui sont appelées ici philosophiques. Parmi les annonces de livres nouvellement parues, j’ai trouvé récem­ment dans un journal anglais la suivante : « The Art of Preserving the Haïr, on Philosophical Principles, neatly printed in post 8, priée 7 sh. ». Par « principes philosophiques de la préservation des cheveux » on se représente vraisemblablement des principes chimiques, physiologiques et autres semblables.

[2] Dans la bouche d’hommes d’État anglais, relativement aux principes généraux de l’économie politique, se rencontre souvent l’expression : « principes philosophiques », même dans des exposés publics. Dans la session parlementaire de 1825 (2 février), Brougham, à l’occasion de l’Adresse par laquelle il devait être répondu au Discours du Trône, s’exprima ainsi : « ...les principes dignes d’un homme d’État et philosophiques du libre-échange, — car sans aucun doute ils sont philosophiques — dont l’adoption a fait féliciter aujourd’hui le Parlement par Sa Majesté ». Cependant, non seulement ce membre de l’opposition, mais lors du banquet annuel que tenait (le même mois) la société des armateurs, sous la présidence du premier ministre Earl Liverpool, avec à ses côtés le secrétaire d’Etat Canning et le trésorier-payeur général de l’armée Sir Charles Long, le secrétaire d’Etat Canning déclara, en répliquant au toast porté à sa santé : « Une période a récemment commencé dans laquelle les ministres ont eu le pouvoir d’appliquer à l’administration de ce pays les justes maximes d’une profonde philosophie. » Quelque différente que la philosophie anglaise soit de l’allemande, si ailleurs le nom de philosophie n’est employé que comme un surnom et un sarcasme, ou comme quelque chose de haïssable, il est toujours réjouissant de le voir encore honoré dans la bouche de ministres anglais.

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