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Qu’est-ce que la notion d’ « horizon de réalité » en Physique fondamentale contemporaine

mardi 10 mai 2022, par Robert Paris

Qu’est-ce que la notion d’ « horizon de réalité » en Physique fondamentale contemporaine

« Les résultats précédents ont une valeur qui dépasse le cadre de la géométrie. Ils concernent l’ensemble de la connaissance, nous voulons dire l’état dans lequel toute connaissance se présente à nous, à un instant déterminé : rien ne nous autorise à penser que notre connaissance, même à ses dernières frontières, soit davantage qu’un horizon de connaissance ; que les dernières « réalités » que nous ayons conçues soient davantage qu’un horizon de réalité. »

Ferdinand Gonseth, La géométrie et le problème de l’espace

Que peut-on savoir aujourd’hui de la matière ? Pour répondre à cette question, la physique quantique cherche à déterminer quel est le plus petit élément constitutif du réel. Ce qu’elle découvre, ce n’est plus un objet mais un rapport, une relation. Les particules les plus élémentaires ne peuvent, en effet, être observées sans entrer en interaction avec les instruments qui les observent. L’observation même modifie irrémédiablement les particules. Les constituants ultimes de la matière ne sont plus des points matériels, mais une interaction. Ils relèvent des plus hautes énergies et renvoient aux temps de l’univers primordial, quand la matière était une énergie indifférenciée. L’infiniment petit ouvre donc à l’infiniment complexe et donne les clés de l’univers - l’infiniment grand.Ces trois infinis, la physique quantique les trouve dans l’horizon des particules. L’horizon apparent, observable dirait-on, celui de l’expérimentation qui enregistre les traces laissées par des particules dans le détecteur ; l’horizon profond, celui où la théorie postule de manière étourdissante l’existence nécessaire de particules ou de phénomènes interactifs que l’expérimentation ne peut pas encore prouver, ou bien, au contraire, cherche à comprendre les stupéfiantes découvertes d’une expérimentation qui la devance.Aussi la notion clé d’horizon aide-t-elle à penser les rapports bouleversés de l’objectif et du subjectif, du visible et de l’inobservable, bref, à redéfinir le concept de sujet de la connaissance.

Gilles Cohen-Tannoudji :

« Vers une nouvelle catégorie philosophique : l’horizon de réalité

« De l’explication rationnelle de ce « miracle », on peut tirer les principales leçons du présent chapitre. En fait, les valeurs physiques des paramètres dépendent implicitement d’une énergie associée au « grain grossier » avec lequel l’interaction est observée expérimentalement. La réalisation de cette dépendance au gros grain est un atout de ce que l’on appelle l’« interprétation moderne » de la physique quantique qui, à son tour, est un atout de la méthode de quantification par l’intégrale de chemin. Afin de pouvoir attribuer des probabilités à des événements réels produits par des champs quantiques en interaction, l’on doit effectuer l’intégration de chemin avec un grainage suffisamment grossier pour que des interférences, qui pourraient empêcher d’attribuer des probabilités additives à des événements indépendants, puissent les annuler.

Maintenant, à cause de cette condition, une théorie renormalisable comme la QED ne peut pas être considérée comme une théorie fondamentale valable à toutes les énergies, mais plutôt comme une théorie « efficace », adaptée pour décrire l’interaction à une résolution donnée liée à la grossiereté du grain d’énergie. Mais cela n’implique-t-il pas qu’une telle théorie soit incomplète puisqu’elle dépend de paramètres variant avec l’énergie ? En fait, ce n’est pas le cas parce que la façon dont les paramètres dépendent des gros grains de l’énergie n’est pas arbitraire : elle doit être telle que les grandeurs physiques mesurées et calculées « n’en dépendent pas ».

Les équations qui traduisent cette indépendance physique par rapport à la grossièreté du grain sont appelées des « équations du groupe de renormalisation ». Selon les équations du groupe de renormalisation de la QED, la « constante de structure fine », égale au carré de la charge électronique divisé par le produit de la constante de Planck et de la vitesse de la lumière n’est pas constant : il est « prédit » de varier de 1/137 à une énergie d’un MeV (un million d’électron-volt) à 1/128 cent GeV (cent milliards d’électrons-volts), et cette prédiction a été confirmée par l’expérience. Sur le terrain physique, la grande réussite du modèle standard est que l’on a intégré la QED dans un ensemble de théories renormalisables (la théorie électrofaible et la chromodynamique quantique, QCD) conduisant à des prédictions qui ont été confirmées expérimentalement avec une excellente précision.

Sur le plan épistémologique, ces réalisations ont mis au premier plan un concept qui joue actuellement un rôle croissant dans le contexte de la cosmologie quantique, la notion d’« horizon ». En physique contemporaine, ce concept est pertinent dans l’interprétation des limites fondamentales de la connaissance humaine qu’impliquent certaines constantes universelles comme la constante de Planck ou la vitesse de la lumière : ces limitations ne sont pas à considérer comme des obstacles insurmontables mais plutôt comme « des horizons informationnels », à savoir des limites au-delà desquelles se trouvent des informations inaccessibles. Le fait de supposer l’existence d’un horizon informationnel ne signifie pas que l’on néglige ou qu’on oublie les informations qui se trouvent au-delà. La méthodologie qui permet de suivre cette information manquante est basée sur l’intégration fonctionnelle : pour évaluer les probabilités des valeurs des variables dynamiques portant l’information accessible (les variables observables) on « intègre » les variables dynamiques portant l’inaccessible information (les variables non observables).

Une telle méthodologie est utilisée en physique statistique où des configurations microscopiques qui conduisent au même état macroscopique (ce que l’on appelle des « complexions ») sont traités comme variables non observables qui sont intégrées à travers les moyennes statistiques conduisant à la définition de la distribution de probabilité Boltzmann-Gibbs des variables observables. Fondamentalement, la quantification par l’intégrale de chemin repose sur la même méthodologie : la sommation, avec une certaine grossièreté de grain, sur tous les chemins possibles ou toutes les histoires du champ, correspond à l’intégration des variables non observables. En effet, on peut montrer que la similitude entre la distribution de probabilité de Boltzmann-Gibbs en physique statistique classique et l’intégrale de chemin en physique quantique n’est pas une simple analogie, mais plutôt une rigoureuse correspondance mathématique, avec un « traducteur » strict où la constante de Boltzman est traduite en constante de Planck, et l’entropie (ou l’information) en action, inverse de la température en temps imaginaire, les phénomènes critiques se produisant à un second ordre de transition phase traduits en résultats d’une théorie quantique des champs renormalisable. Le dernier élément de ce dictionnaire a conduit dans les années 70 à une remarquable synthèse interdisciplinaire, puisqu’on a pu utiliser, avec beaucoup de succès, les mêmes outils théoriques dans deux domaines de la physique qui semblaient jusqu’ici complètement déconnectés, la physique des phénomènes critiques d’un côté et la chromodynamique quantique, la physique des interactions fortes des quarks et des gluons, de l’autre. A cet égard, il est intéressant de noter que la même correspondance a permis de concevoir des simulations informatiques de la QCD, ce que l’on appelle le « réseau QCD », donnant un aperçu du régime non perturbatif de cette théorie quantique des champs.
Un dernier commentaire s’impose sur la correspondance entre la physique statistique classique et la physique quantique. Puisqu’un temps imaginaire peut être considéré comme une quatrième dimension euclidienne de l’espace, on peut dire que la quantification ajoute en quelque sorte une dimension spatiale à la physique classique : la physique quantique dans un espace tridimensionnel est équivalente à la physique statistique classique dans un espace à quatre dimensions. Une telle caractéristique est analogue à ce qui se passe dans la reconstruction d’une scène tridimensionnelle au moyen d’un « hologramme » à deux dimensions. Suivant cette ligne de pensée, certains développements très importants se produisent actuellement en cosmologie. La gravitation est la seule interaction capable de courber tellement l’espace-temps que cela conduit à la formation d’un horizon spatial, à savoir une « membrane unidirectionnelle », un horizon informationnel bidimensionnel cachant des informations se trouvant au-delà. En raison de l’expansion de l’univers, il existe en cosmologie un horizon, appelé « horizon des particules » qui est défini par la distance au-delà de laquelle se trouvent les galaxies dont la lumière n’a pas eu le temps de nous atteindre. Au-delà de cet horizon, on soupçonne l’existence d’un autre horizon, appelé « horizon des événements » qui serait défini par la distance au-delà de laquelle aucune information ne pourra « jamais » nous parvenir. Cet horizon des événements est généralement supposé reposer sur la « cosmologie quantique », c’est à dire le domaine de la cosmologie dans lequel la gravité doit être quantifiée. Un laboratoire théorique pour explorer la physique d’un tel horizon des événements est la physique des « trous noirs ». L’horizon des événements d’un trou noir est la surface l’entourant au-delà duquel toute matière (et donc toute information), piégée par le le trou noir, échappe à la perception. Bien que la physique des trous noirs soit classique, dans la mesure où c’est la gravitation qui est concernée, à l’horizon, le champ gravitationnel classique est si intense qu’il peut induire dans la matière certains effets quantiques tels que la production de paires particule-antiparticule, qui doivent être traitées. Puisque, en statistique quantique, l’information manquante équivaut à l’entropie, il est naturel, dans ce cadre, d’attribuer une entropie à un tel horizon. Bekenstein et Hawking ont montré que l’entropie correspondant à l’information piégée à l’intérieur d’un trou noir est proportionnelle à la surface de l’horizon des événements plutôt qu’au volume qu’il contient. Il semble possible de généraliser ce résultat aux métriques spatio-temporelles impliquant un horizon qui conduit à la conjecture que la cosmologie associée à de telles métriques est complètement déterminée par les propriétés quantiques de l’horizon. (24) Selon un tel « principe holographique », l’information totale contenue dans un univers impliquant un horizon ne serait pas proportionnelle au volume inclus par l’horizon mais seulement à la zone de l’horizon.

Sur le plan philosophique, je voudrais conclure ce chapitre en soulignant la pertinence pour la philosophie des sciences d’un concept qui pourrait agir comme une véritable catégorie philosophique, le concept d’horizon de réalité. L’horizon de réalité est l’un des concepts clés de la philosophie de Ferdinand Gonseth (1890-1975), un mathématicien-philosophe suisse qui connaissait bien la physique théorique (c’était un proche ami de Michele Besso (26), l’ami le plus proche d’Einstein ; Georges Lemaître, l’un des fondateurs de la cosmologie moderne, lui a demandé de rédiger la préface de son livre « L’hypothèse de l’atome primitif » (27 ) et il a conçu ce que je pense être la philosophie que la science du 20ème siècle mérite. Dans un développement dans son livre majeur « La géométrie et le problème de l’espace », consacré à l’articulation des trois aspects de la géométrie, à savoir l’intuition, les axiomes et l’expérience, il note que :

« Les résultats précédents ont une valeur qui dépasse le cadre de la géométrie. Ils concernent l’ensemble de la connaissance, nous entendons par là l’état dans lequel la connaissance nous parvient, à un instant donné. Rien ne nous autorise à penser que notre savoir, même à ses dernières frontières, est plus qu’un savoir limité par un horizon ; que les dernières « réalités » que nous avons conçues sont plus qu’un horizon de réalité. »

Il me semble que tous les développements de la physique du 20ème siècle, depuis la résolution de la crise de la mécanique rationnelle aux spéculations prometteuses sur la cosmologie quantique à travers les succès du modèle standard, confirment la validité de cette philosophie ambitieuse et pourtant humble : nous sommes tels, et le monde est tel qu’il ne nous est jamais donné dans sa pleine réalité mais comme un horizon de réalité.

Source :
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6427

« Le philosophe suisse Ferdinand Gonseth (1890-1975), avec sa notion d’horizons de connaissance, est sans doute celui qui a été le plus loin dans la compréhension de la physique quantique – bien loin de diverses pseudo-philosophies contemporaines de la physique quantique, souvent à la limite de l’ésotérisme (philosophies quanTOC pourrait-on dire…). La notion d’horizon chez Gonseth permet d’élargir à la connaissance dans son ensemble les principes de la physique quantique – et ce sans surinterprétation. On peut résumer cette notion d’horizons successifs par la phrase suivante de Gonseth : « un événement de l’horizon profond n’est connu expérimentalement que par ses traces phénoménales dans l’horizon apparent ». Gilles Cohen-Tannoudji contribue, à travers ses travaux de recherche et son blog, à mieux faire connaître l’approche épistémologique et philosophique de la physique quantique par Gonseth. »

https://journals.openedition.org/bibnum/830

Ferdinand Gonseth, « Un regard sur l’horizon de réalité » :

http://afg.logma.ch/fghr/fg.htm

Espace et horizon de réalité : philosophie mathématique de Ferdinand Gonseth :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3325508f.texteImage

Lire aussi :

https://media.electre-ng.com/extraits/extrait-id/e725374f5eee86a96307fe693dfb0f9f87e0ccf87d6eb90c1b3a9c76667e12b0.pdf

Esprit critique et spécialisation à la lumière des quatre principes de la méthodologie
ouverte de Ferdinand Gonseth, par Gilles Cohen-Tannoudji :

http://www.gicotan.fr/images/M_images/Esprit_critique_spcialisation_GC-T.pdf

Le « problème de l’horizon » selon Cohen-Tannoudji :

https://www.google.fr/books/edition/Relativit%C3%A9_et_Quanta_une_nouvelle_r%C3%A9vo/_DKWDgAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=horizon+des+particules+physique&pg=PT22&printsec=frontcover

La pertinence du concept horizon de réalité en physique théorique contemporaine :

https://www.researchgate.net/publication/230035255_La_pertinence_du_concept_horizon_de_ralit_en_physique_thorique_contemporaine

Einstein, Gonseth, le monde propre et les horizons de réalité de la physique :

http://www.gicotan.fr/images/stories/MorgesII.pdf

Physique théorique et horizon
rationnel de réalité :

http://www.gicotan.fr/images/stories/constantes/gct_louvain.pdf

Pertinence des concepts d’horizon de réalité et de référentiel en physique quantique :

http://www.gicotan.fr/philosophie-2/gonseth-2/liens-entre-le-concept-de-referentiel-et-celui-dhorizon-de-realite-consequences-dordre-ethique.html?showall=&start=3

La themodynamique des horizons :

http://www.gicotan.fr/philosophie-2/gonseth-2/liens-entre-le-concept-de-referentiel-et-celui-dhorizon-de-realite-consequences-dordre-ethique.html?showall=&start=4

La dialectique de l’horizon : le réel à l’horizon de la dialectique :

http://www.gicotan.fr/philosophie-2/dialectique-2/la-dialectique-de-lhorizon-le-reel-a-lhorizon-de-la-dialectique.html

L’Horizon des particules ; complexité et élémentarité dans l’univers quantique, par Jean Pierre Baton, Gilles Cohen-Tannoudji :

https://www.google.fr/books/edition/L_Horizon_des_particules/6uRUGwAACAAJ?hl=fr

Les deux horizons : particules et événements :

https://www.google.fr/books/edition/Du_vide_et_de_l_%C3%A9ternit%C3%A9/2W5vBAAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=L%27Horizon+des+particules&pg=PT35&printsec=frontcover

L’horizon des particules :

https://www.google.fr/books/edition/De_l_infini/1uSRDwAAQBAJ?hl=fr&gbpv=1&dq=L%27Horizon+des+particules&pg=PT68&printsec=frontcover

Lire encore :

https://www.google.fr/search?hl=fr&q=Cohen-Tannoudji+site%3Ahttp%3A%2F%2Fwww.matierevolution.fr+OR+site%3Ahttp%3A%2F%2Fwww.matierevolution.org&btnG=Recherche&meta=&gws_rd=ssl

Physique et matérialisme dialectique, d’après le physicien Cohen-Tannoudji :

https://www.matierevolution.fr/spip.php?article659

La notion d’horizon en Physique :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Horizon_(physique)

Qu’est-ce que la matière auhourd’hui :

https://books.google.fr/books?id=ZWJIudFdE2kC&pg=PA51&dq=physique+mati%C3%A8re+et+mouvement++cohen-tannoudji&hl=fr&sa=X&ved=0CBwQ6AEwAGoVChMIpNTgtrP-xwIVitcUCh3_PQXQ#v=onepage&q=physique%20mati%C3%A8re%20et%20mouvement%20%20cohen-tannoudji&f=false

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