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Quand Brocard Marcel, militant trotskiste, était enlevé et exécuté par les staliniens

lundi 30 août 2021, par Robert Paris

Quand Brocard Marcel, militant trotskiste, était enlevé et exécuté par le stalinien Georges Clément, lieutenant (puis capitaine) des FTP surnommé “Jo”

BROCARD Marcel, Alfred, Louis dit parfois Pierre

Né le 24 avril 1911 à Perrigny-près-Auxerre (Yonne), mort, exécuté, vers le 22 septembre 1944 sans doute à Auxerre, et retrouvé le 23 décembre, dans un bois à Seignelay (Yonne) ; ouvrier menuisier puis agent de lycée ; militant trotskyste d’Auxerre (Yonne).

Fils d’Adrien Brocard (né en 1874), machiniste à l’usine Guillet, et d’Alice Felut (née en 1886), sans profession, Marcel Brocard fut opéré des yeux à l’âge de quinze ans dans un hôpital parisien mais put cependant devenir ouvrier menuisier-ébéniste à Auxerre, puis agent de lycée. Militant du Parti communiste, il rejoignit le Parti communiste internationaliste de Pierre Frank et Raymond Molinier. Marcel Brocard fut élu au Comité central du PCI en septembre 1937. Voir Pierre Giblin, employé des PTT à Auxerre ; Pierre Lanneret, typographe et Honoré Luas, instituteur. Auxerre comptait plusieurs militants d’extrême gauche qui, sous des formes diverses, se démarquaient du stalinisme et de la social-démocratie : un noyau de militants autour de Louis Aubry et du groupe "Que faire ? », des pivertistes (voir Marceau Pivert*) autour d’André Cornillon, des espérantistes, des libertaires, des pacifistes. Chez les trotskystes, Luas était le théoricien, Giblin le syndicaliste et Brocard le propagandiste. Il fréquentait également les milieux libres penseurs et son fils Christian se souvient de la présence à la table familiale de l’anarchiste André Lorulot*. La guerre sépara ce petit milieu d’extrême gauche.

Marcel Brocard était marié avec Marie-Louise Artur, née le 10 septembre 1907 à Paris XVIIe arr., vendeuse chez Cherreau, et avait deux enfants, Christian (né en 1930 à Auxerre) et Guy (né en 1933 à Auxerre). Ses fils le décrivent comme un homme à la fois doux, intense et sévère. Sa femme évoque sa détermination et sa fermeté.

Il fut perquisitionné et arrêté en août 1941 en qualité de « militant et propagandiste de la 4e Internationale » et classé en 2e catégorie (« militants"). La famille évoqua plus tard la dénonciation d’un voisin de la rue Sutil (il "avait dénoncé ton papa, tu dois t’en souvenir" écrit son épouse à son fils Christian en 1968). Interné au camp de Vaudeurs où il arriva le 30 août 1941 avec un groupe de treize militants et patriotes arrêtes préventivement, il côtoya des militants comme Louis Aubry devenu socialiste, et Roland Souday, jeune communiste qui sera l’homme fort de la résistance communiste à Auxerre pendant l’été 1944. Une photographie prise à Vaudeurs le montre à l’aise dans un groupe de quatre internés. Si ses idées trotskystes (qu’il ne cachait pas) inquiétaient, il ne fut pas mis en quarantaine mais seulement surveillé ; ainsi son courrier était-il discrètement ouvert par les détenus communistes. Cependant ceux-ci ne disposaient pas d’une véritable organisation. Il y eut des moments de tensions. Aussi son fils Christian qui lui rendit visite au camp rapporte qu’il fit signer à des prisonniers, malgré l’opposition de Souday, une pétition adressée au Secours national et dénonçant les conditions d’internement ; celle-ci fut sortie clandestinement par sa femme et remise au Secours national qui fit des visites mensuelles du camp. Simultanément, il fut privé des tickets de pain obtenus par la voie communiste. Il fut hospitalisé à Sens du 2 au 22 février 1942 puis de nouveau fin juillet-début août 1942. Entre ces deux séjours hors du camp se place, le 7 avril, une tentative de suicide avec entaille au poignet, tentative signalée par l’administration mais dont ses codétenus n’ont gardé aucun souvenir. Le but était peut-être de sortir du camp. Brocard fut transféré, avec les autres internés, au camp de Voves le 4 septembre 1942. Mis à l’écart par les détenus communistes, il fut relégué dans la baraque dire des « réprouvés". Il fut libéré quelque temps plus tard, vers février 1943, comme plusieurs anciens du camp de Vaudeurs dont Souday et Aubry.

Il était présent pendant l’été 1943 à Auxerre puisqu’il aida, semble-t-il, son ami Pierre Lanneret à se procurer des papiers pour ne pas retourner au STO. Selon un de ses fils, il travailla dans une usine de bois de chauffage sur la route d’Augy, puis dans différentes places et notamment comme chauffeur-livreur chez Félix Potin où sa femme était employée. Ce dernier emploi explique l’accusation de marché noir qui fut émise dans les années 1980 pour donner une dimension non-politique à son assassinat. Signalons cependant qu’il fractionnait, séchait et revendait de petites quantités de savon pour son compte.

À la Libération, il n’apprécia pas les tontes de femmes : « C’est le sabre et le goupillon » disait-il en condamnant le spectacle. Plusieurs indices montrent qu’il se sentait menacé. Il avait laissé à sa femme une lettre que celle-ci détruisit la première fois qu’il fut convoqué par les FFI. Un résistant armé, ancien de Vaudeurs, vint ensuite, sans succès, réquisitionner son tandem. Le 22 septembre une voiture noire avec deux hommes, dont un armé, vinrent le chercher à son domicile et le firent monter sous la menace. Il cria par la fenêtre de la voiture « vous direz à ma femme qu’on m’emmène maquis de Brûlant ». Son fils aîné (âgé de quatorze ans) crut reconnaître le véhicule, qu’un voisin avait décrit, devant un local de la rue Soufflot, proche de la caserne Gouré où étaient concentrés dans des conditions très dures les "traîtres". Il frappa à la porte et fut éconduit.

La consultation de la presse locale nous apporte quelques précisions. Le 22 décembre 1944, l’Yonne républicaine publia un « avis de recherche » :

« Le 22 septembre dernier, M. Marcel Brocard a été enlevé à son domicile à Auxerre, rue Sutil, 10bis, par deux hommes armés de mitraillettes, vêtus l’un d’une tenue militaire, l’autre d’effets civils, qui l’ont emmené vers une destination inconnue. Voici le signalement de M. Brocard : taille moyenne, yeux bleus, portant lunettes, cheveux châtains dégarnis sur les tempes [...] Toutes les personnes ayant des renseignements sont priées de les communiquer à Mme Brocard, même adresse."

Coïncidence ou conséquence de cet avis, le corps fut retrouvé le lendemain, le 23 décembre 1944 à Seignelay, au lieu-dit « Le Pont vert", avec une balle dans la tête selon certains témoins. Cette information n’est pas assurée car le corps décomposé avait été déchiqueté par les bêtes et ce sont les vêtements qui permirent à sa femme et à son fils aîné de l’identifier.

Le 29 décembre parut un avis mortuaire : "Les obsèques civiles de M. Marcel Brocard, agent de lycée, décédé à Seignelay dans sa 34e année, auront lieu le vendredi 29 décembre 1944. Réunion au domicile mortuaire, 10 bis rue Sutil à Auxerre, à 15 h. L’inhumation aura lieu au cimetière Dumard. » Le 31 décembre, la famille remercia les présents aux obsèques et tous ceux qui avaient témoigné leur sympathie. Son épouse fit des démarches auprès de la préfecture et de témoins. Elle recueillit des rumeurs, des noms mais rien de solide.

Cet épisode était connu par des résistants locaux comme Robert Simon Le journaliste René Dazy ayant appris cet épisode par un professeur d’histoire de Marseille se rendit sur place vers 1980 et rencontra un ancien du camp de Vaudeurs qu’un témoin, puis Aubry, avait désigné comme le responsable de l’arrestation. Celui-ci, admit connaître Brocard, un personnage « pas sympathique qui faisait du marché noir et qui mouchardait », il reconnaissait l’exécution pour des raisons qui n’avaient « rien de politique » mais, en manifestant un grand trouble, niait y avoir pris part. Dazy eut l’intime conviction qu’il avait rencontré l’acteur principal de cet épisode tragique mais rien ne peut confirmer avec certitude son intuition. Depuis d’autres éléments renforcent cette hypothèse partagée par plusieurs témoins et soulignent l’hostilité tenace d’un acteur de ce drame envers les trotskystes (« qui ont ce qu’ils méritent » disait-il) même si les raisons précises et le mécanisme de cette liquidation demeurent obscurs. Mais en la circonstance, aucune certitude n’est possible puisque, jusqu’à sa mort, ce témoin a toujours dégagé sa responsabilité personnelle. Les recherches de l’ARORY dans les archives ont permis des avancées réelles : Brocard a été enlevé et exécuté par le lieutenant (puis capitaine) FTP “Jo” (Georges Clément). Ce résistant un peu "bandit" faisait à l’époque de grands efforts pour être au mieux avec le PCF dont le responsable “politique” auxerrois était l’ancien du camp de Vaudeur évoqué plus haut.

Les trotskystes parisiens n’ayant pas appris à l’époque cette exécution, on peut penser que Brocard avait perdu le contact avec eux. C’est surtout le souvenir de ses activités de 1937-1939 et des conflits datant du camp de Vaudeurs qui avaient condamné cet ouvrier trotskyste.

Sa femme quitta longtemps la région avec ses deux fils (l’un deux avait été traité de fils de collabo à l’école) et garda durablement le silence sur un crime qui lui parut incompréhensible. Si la nouvelle de l’assassinat de Brocard circula dans les milieux locaux de gauche et de la résistance, rien ne fut fait pour éclaircir cet épisode. Marie-Louise Brocard, devenue madame Retif, fit graver sur la tombe de son mari à Auxerre « Victime de la guerre », puis l’idée d’un règlement de compte personnel (qui n’est pourtant pas la conclusion des historiens) permit un consensus et le silence se fit. Elle ne revint dans la région qu’après sa retraite. Dans une carte du 26 juillet 1968, elle évoque un passage à Auxerre et écrit : nous « avons été au cimetière planter des fleurs, Alain nous a bien questionné rue Sutil. J’avais des larmes aux yeux, (je) lui ai dit : parce que j’ai de la peine de revenir dans cette maison. » Elle fit tout pour oublier le meurtre de son mari jusqu’à sa mort survenue le 26 octobre 1999 à Auxerre. Son fils aîné, Christian, acteur au succès modeste et poète, resta très attaché à la mémoire de son père sans bien comprendre la nature du drame. Très affecté par la mort de sa mère, il disparut en juin 2000 et on le retrouva mort dans la maison de sa mère le 17 novembre 2000. Il avait laissé un papier demandant d’être enterré auprès de son père.

Source : https://maitron.fr/spip.php?article17996

Qui était le stalinien « Jo » :

http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2000.chantin_r&part=18484

La construction du mythe résistancialiste :

https://books.openedition.org/pur/16398?lang=fr

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